RENOULET Marcel [Dictionnaire des anarchistes]

Par Guillaume Davranche

Né le 15 juin 1920 à Terrenoire (Loire), mort vers le 9 août 2014 à Saint-Étienne (Loire) ; anarchiste individualiste ; responsable de la revue conspirationniste L’Homme libre.

Marcel Renoulet (1962)
Marcel Renoulet (1962)
Coll. Marcel Renoulet

Militant à la Fédération anarchiste et à la CNT dans l’après-guerre, Marcel Renoulet devint, à partir de 1960, l’éditeur de L’Homme libre, une revue qui, sous couvert d’anarchisme et d’anticonformisme, devint un cheval de Troie de l’extrême droite dans le mouvement libertaire.

À dix-huit ans, Marcel Renoulet, fils de marchand forain et marchand forain lui-même, évoluait dans la mouvance pacifiste. Lecteur de La Patrie humaine, en liaison avec Louis Lecoin, il participa à la distribution du tract « Paix immédiate » en septembre 1939.

Réformé en 1941 après un mois de « chantiers de jeunesse », il devint secrétaire du Syndicat unique des marchands forains dont l’organe était L’Intermédiaire forain, où il écrivit ses premiers articles. En 1942, il fut mobilisé en usine à Saint-Étienne à plusieurs reprises, mais y échappa toujours au bout de quelques jours, dont une fois grâce à un « macadam » : en se piquant à la cuisse pour y former un abcès. Il fut définitivement réformé du Service du travail obligatoire en 1944.

En 1945 il adhéra au groupe anarchiste Sébastien Faure de Saint-Étienne, qui éditait le bulletin L’Anar. Ce groupe se réunissait à la bourse du travail sous le nom de R.E.X. et comptait des militants affiliés à la Fédération anarchiste, d’autres non. Marcel Renoulet, pour sa part, prit sa carte à la FA au début des années 1950.

En 1953, lors de la scission entre la faction Fontenis et la faction Joyeux-Lapeyre, le groupe de Saint-Étienne et Marcel Renoulet optèrent pour les seconds et rejoignirent la nouvelle FA. Renoulet considéra cependant au bout de quelque temps que l’équipe dirigeante de la nouvelle FA reproduisait les méthodes « fontenisistes ».

En 1958 il rompit avec la FA et constitua avec d’autres, le groupe anarchiste Radar, désormais autonome, qui poursuivit la publication de L’Anar.

À Saint-Étienne, l’union locale CNT avait disparu depuis longtemps, mais continuait à exister sur le papier, avec pour secrétaire Jean Seigne, qui continuait de toucher annuellement la subvention accordée en 1948 à la CNT par la municipalité stéphanoise. En 1962, Marcel Renoulet entreprit, avec Marius Coutière et Marcel Morel, d’exclure Seigne et de relancer l’UL-CNT.

La nouvelle UL comprenait 4 syndicats fantomatiques : métallurgistes (Marcel Morel), mineurs (Marius Coutière), VRP et travailleurs indépendants (Marcel Renoulet). Le nouveau bureau de l’UL publia sa première circulaire en juillet 1964, mais entra aussitôt en conflit avec les Espagnols en exil, et dut cesser ses activités. Marcel Renoulet écrivit alors à la mairie de Saint-Étienne que l’UL était dissoute, mettant fin à l’attribution de la subvention.

C’est surtout pour son activité personnelle aux marges du milieu libertaire que Marcel Renoulet devait se faire connaître. En octobre 1960, il se lança dans une œuvre qui devait marquer le restant de sa vie : la publication d’un mensuel, L’Homme libre, dont la parution ne cessa qu’en 2006, au 189e numéro.

L’Homme libre, au nom de l’éclectisme, de la liberté d’opinion, de la « tolérance », du « refus du dogmatisme » acceptait des articles sans hiérarchie ni discrimination. Cela conduisit bientôt ce mensuel à se laisser envahir par une prose conspirationniste mêlant néopaganisme, anticommunisme, antimaçonnisme et antisémitisme. Le journal portait régulièrement sur la couverture des symboles ésotériques (héraldique, Yin et Yang...).

Marcel Renoulet revendiquait la méthode de l’« objection de conscience permanente et généralisée ». Cette formule revenait presque systématiquement sous sa plume.

Au cours des années 1960, on vit donc voisiner dans L’Homme libre des articles d’anarchistes traditionnels ou pacifistes (Charles-Auguste Bontemps, Marius Coutière, Hem Day, Pierre Lance, Georges Krassovsky…), de personnages évoluant à l’extrême droite (René Ansay, Robert Dun) ou de militants jouant sur les deux tableaux : Paul Rassinier, Bernard Lanza. Dans les années 1980-1990, on devait y relever la signature de Raymond Beaulaton, de Fernand Robert ou de Serge Ninn. Dans les années 1990, celle du négationniste Paul-Éric Blanrue. Aussi L’Homme libre fut-il régulièrement accusé de servir de passerelle entre l’anarchisme et l’extrême droite.

Dans L’Homme libre n°65, Marcel Renoulet écrivait par exemple, dans le plus pur style conspirationniste : « Entre la synarchie vaticane, les maîtres du Kremlin et la haute finance internationale, se forme la subversion soviéto-judéo-vaticane. » Dans un article non daté intitulé « Mon anarchisme : égotisme porteur de liberté », Marcel Renoulet rejetait par ailleurs toute perspective anticapitaliste : « Qui veut-on tromper en parlant d’une "révolution anarchiste" ? Les activistes qui veulent tout "chambarder" perpétuent au contraire un état de déséquilibre général propice aux aventures totalitaires, et conforme au plan des Maîtres occultes. »

L’Homme libre, ce « fatras » (Thierry Maricourt), était officiellement édité par le Cercle d’études psychologiques (CEP), fondé en 1960 par Marcel Renoulet. Il porta en sous-titre « Bulletin intérieur d’études », puis « Études psychologiques » (à partir du n°10), puis « Recherche d’une psychologie libératrice » (n°12) puis « Psychologie libératrice » (n°24) puis, définitivement à partir du n°46, « Fils de la terre ».

L’Homme libre n’eut guère d’écho dans le mouvement libertaire, si l’on excepte des liens réguliers avec l’AOA de Raymond Beaulaton qui évoluait dans les mêmes eaux, et la collaboration, dans les années 1960, de quatre militants qui démissionnèrent de la FA en 1967 pour protester contre l’ostracisme dont L’Homme libre était, selon eux, victime (témoignage Renoulet).

On lit parfois que Marcel Renoulet aurait été, à une époque, secrétaire de Louis Lecoin. Rien ne l’atteste.

La publication de L’Homme libre cessa en 2006, mais Marcel Renoulet continua de réaliser une lettre-circulaire du CEP, faisant le lien entre les anciens collaborateurs de la revue.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154215, notice RENOULET Marcel [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche, version mise en ligne le 20 avril 2014, dernière modification le 4 septembre 2022.

Par Guillaume Davranche

Marcel Renoulet (1962)
Marcel Renoulet (1962)
Coll. Marcel Renoulet

SOURCES : Gisèle Souchon, Les Grands Courants de l’individualisme, Armand Colin, 1999. — Le Dauphiné libéré du 11 juin 1964. — L’Ère nouvelle n°79 (mars-avril 1989), revue animée par Bernard Lanza. — René Bianco, « Cent ans de presse… », op. cit. — L’Affranchi n°16 (printemps-été 1999). — Thierry Maricourt, Les Nouvelles passerelles de l’extrême droite, Manya, 1993 (rééf. Syllepse, 1997). — Lettre de Marcel Renoulet à l’auteur.

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