VAILLANT Auguste [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean Maitron, notice révisée par Anne Steiner

Né à Mézières (Ardennes) le 27 décembre 1861 ; guillotiné à Paris le 5 février 1894 ; anarchiste ; auteur d’un attentat à la Chambre des députés.

Auguste Vaillant (1893)
Auguste Vaillant (1893)
cc Le Monde illustré, 18 décembre 1893

Auguste Vaillant fut placé en nourrice par sa mère qui avait été abandonnée par le père, gendarme en Corse. Il eut une adolescence instable : il vécut seul à Paris à partir de l’âge de douze ans et entreprit un apprentissage de pâtissier, qu’il ne mena pas à son terme, avant d’exercer divers métiers. A plusieurs reprises, entre l’âge de 17 ans et l’âge de 20 ans, il fut condamné pour vol ou mendicité à de courtes peines de prison, à Charleville, à Marseille puis à Alger.

En 1885, Vaillant habitait rue Ordener et exerçait la profession de courtier auprès des débits de boissons. Il était alors secrétaire du comité du XVIIIe arrondissement de l’Union socialiste révolutionnaire. Deux ans plus tard, il était secrétaire du groupe socialiste Les Égaux de Montmartre, mais il évolua ensuite vers l’anarchisme. En 1889, il était délégué à la correspondance du groupe Les Révoltés de Villeneuve-Saint-Georges.

Un an plus tard, il partit pour l’Argentine et tenta d’obtenir une concession dans le territoire du Chaco mais il fut, avec d’autres, dupé par une compagnie. A Buenos Aires il participa, au moins au niveau de la diffusion, au journal Liberté (1e série ; voir Alex Sadier).

En 1893 il revint en France et s’installa dans un hôtel garni à Choisy-le-Roi avec une cousine germaine de sa femme, ouvrière en perles, et sa fille Sidonie. Il avait trouvé un emploi dans une maroquinerie et était secrétaire de la Bibliothèque philosophique pour l’étude des sciences naturelles et leur vulgarisation. En novembre 1893, il emprunta 20 francs à Mme Paul Reclus et 100 francs à un anarchiste cambrioleur, ce qui lui permit de louer une chambre d’hôtel à Paris, dans le XIVe arr., pour préparer une bombe qu’il avait le projet de faire exploser à l’Assemblée nationale. Son état d’esprit nous est alors connu par le journal qu’il tint, du 20 novembre, date de sa détermination, au 9 décembre, jour de l’attentat, et qu’il envoya à Paul Reclus* peu avant de pénétrer à la Chambre. Le 8 décembre, il écrivait : « J’ai beau analyser mes sentiments, je ne me sens aucune haine contre ceux qui vont tomber demain [...] J’envisage la mort avec tranquillité ; n’est-elle pas le refuge des désillusionnés ? Mais au moins je mourrai avec la satisfaction d’avoir fait ce que j’ai pu pour hâter l’avènement de l’ère nouvelle... »

Le 9 décembre 1893, vers 4 heures du soir, Auguste Vaillant lança sa bombe à clous du haut des tribunes de la Chambre, atteignant plus ou moins gravement des députés, un huissier, ainsi qu’un grand nombre de personnes qui assistaient à la séance. Lui-même fut blessé lors de l’explosion et soigné à l’Hôtel-Dieu. Interrogé par l’inspecteur de police Agron, le 10 au matin, il reconnaissait être l’auteur de l’attentat. L’affaire fut rapidement instruite. Vaillant, défendu par maître Labori, comparut le 10 janvier. Il déclara avoir préféré blesser un grand nombre de députés plutôt qu’en tuer quelques-uns : « Si j’avais voulu tuer, j’aurais mis des balles. J’ai mis des clous, donc j’ai voulu blesser. » Il fut pourtant condamné à la peine capitale, ce qui suscita une certaine émotion, car depuis le début du siècle, c’était la première fois que l’on condamnait à mort un accusé qui n’avait pas tué.

L’abbé Lemire, député, blessé par l’explosion, s’inscrivit en tête d’une pétition demandant au Président de la République la grâce du condamné. Soixante de ses collègues la signèrent. Le sort de la petite Sidonie suscita la compassion. En janvier 1894, La Révolte fit paraître une lettre signée par l’enfant qui s’adresse à son père quelques semaines avant son exécution. Elle est publiée sous une lettre d’Auguste Vaillant destinée à sa compagne, Mme Marchal. Dans cette lettre, la fillette évoque l’espoir qu’il soit acquitté par la justice et parle, avec une grande lucidité, du courage dont il doit faire preuve pour continuer de prouver au monde qu’il n’est pas un assassin. Durant cette période, la duchesse d’Uzès s’offrit à recueillir l’enfant. Vaillant refusa et, dans une lettre — sorte de testament — datée de la prison de la Roquette, le 27 janvier 1894, il la confia à Sébastien Faure qui se chargea de son éducation. Vaughan, administrateur de l’Intransigeant, fit verser 50 francs par mois pour Sidonie, au moins jusqu’en 1899. Le président de la République qui, paraît-il, hésitait, refusa finalement la grâce.

À l’aube du 5 février 1894, Vaillant fut réveillé pour aller au supplice. Il cria : « Vive l’anarchie ! Ma mort sera vengée ! » Arrivé au pied de l’échafaud, il cria encore : « Mort à la société bourgeoise et vive l’Anarchie ! » Sa tombe au cimetière d’Ivry fut longtemps fleurie, on y déposait également des poèmes et des promesses de vengeance.

Contrairement aux actes de propagande par le fait qui l’avaient précédé, l’attentat de Vaillant fut approuvé sans réserve dans le milieu anarchiste. Il n’avait ni volé, ni tué et s’était attaqué à un parlement discrédité par le scandale de Panama. Certains socialistes s’élevèrent contre l’attentat et Guesde* déclara dans Le Journal du 10 décembre 1893 : « C’est l’acte d’un fou. Ceux qui font cela ne sont plus hors la loi, ils sont hors de l’humanité [...]. Le socialisme ne triomphera que par le droit et la volonté pacifiquement exprimée de tous les peuples. », mais Séverine*, dans le même numéro du Journal, répétait les mots qu’elle avait eu sept ans plus tôt pour l’illégaliste Duval* : « Avec les pauvres, toujours — malgré leurs erreurs, malgré leurs fautes, malgré leurs crimes ».

La question s’est posée de savoir si Vaillant avait vraiment agi seul ou s’il avait été manipulé par des agents provocateurs. En effet, cette bombe, qui ne fit aucune victime sérieuse, permit de faire voter fort opportunément les lois dites scélérates qui prohibaient toute propagande révolutionnaire, anarchiste ou non, à un moment où de nombreux cadres politiques dirigeants de la IIIe République se trouvaient discrédités par les scandales de Panama. A plusieurs reprises, des rapports parvenus à la Sûreté avaient mis en garde contre des projets d’attentat visant la Chambre sans qu’aucune mesure de protection efficace ne fût déployée. Rien ne permet cependant d’affirmer qu’il y eut provocation, tout au plus une certaine incurie des services de police.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154227, notice VAILLANT Auguste [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, notice révisée par Anne Steiner, version mise en ligne le 5 avril 2014, dernière modification le 30 novembre 2022.

Par Jean Maitron, notice révisée par Anne Steiner

Auguste Vaillant (1893)
Auguste Vaillant (1893)
cc Le Monde illustré, 18 décembre 1893

ŒUVRE : Selon Nettlau (Die erste Blütezeit der Anarchie, 1981, p. 293) : un poème publié dans la Revue libertaire, 15 décembre 1893 — "Mes derniers jours de liberté", Le Figaro, 21.7.1894.

SOURCES : Arch. Nat. F7/12 508 et F7/12 517. — Arch. PPo., B a/1 289 et E a/5 810. — Jean Maitron, Histoire du mouvement anarchiste en France... op. cit. — A. Sadier, « Une page de la vie de Vaillant », Publications de La Révolte et Temps Nouveaux, n° 59, 30 mars 1929, n° 60, 15 juillet 1929, n° 61, 31 août 1929. — Note de Marie-Pier Tardif.

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