Par Guillaume Davranche
Né le 12 juin 1879 à Vandenesse (Nièvre) ; compositeur-typographe ; gérant du Libertaire accusé de mouchardise.
En avril-mai 1910, Dudragne fut candidat abstentionniste aux élections législatives dans la 1re circonscription du Xe arrondissement de Paris, pour le compte du Comité antiparlementaire mis sur pied par la Guerre sociale et le Libertaire.
Il était, fin 1910, adhérent du syndicat des typo-timbristes et militant de la Fédération révolutionnaire communiste (FRC). À partir de juillet 1910, il entra en relation avec Géo Fourny, qui tenait avec son frère une agence de presse « policière » (voir Bled dit Bonnet). Il résidait alors au 69, rue de l’Hôtel-de-Ville, à Paris 4e.
En janvier 1911 Dudragne fut publiquement dénoncé comme mouchard par Georges Durupt lors d’un meeting salle Fabien, au 70 rue des Archives. S’ensuivit une courte bagarre au terme de laquelle Durupt expulsa Dudragne de la salle, ainsi que sa maîtresse Foncette Cavé. Pour défendre sa bonne foi, Dudragne écrivit au secrétaire de la FRC, André Schneider, pour lui demander de le citer avec Durupt devant un jury d’honneur. Durupt déclara qu’il n’avait pas de temps à perdre à discuter avec un individu « si peu intéressant ».
Cette dérobade permit à Dudragne de se maintenir dans l’organisation, et même de devenir gérant du Libertaire le 21 janvier 1911 en remplacement d’Eugène Péronnet.
Le 8 juin, Dudragne fut séquestré à La Guerre sociale avec Bled, dit Bonnet* et passa aux aveux. Il fut alors publiquement dénoncé dans L’Humanité et La Guerre sociale. La FRC discuta des cas de Dudragne et de Bled lors de son assemblée plénière du 13 juin 1911. Tous deux furent exclus de la FRC et Dudragne fut remplacé à la gérance du Libertaire par Eugène Jacquemin.
Cependant, contrairement à Bled, un doute persistait sur la nature des relations que Dudragne avait eu avec Fourny. Il disait avoir été abusé et l’avoir pris pour un véritable militant. Aussi, le 30 juin 1911, la FRC réunit un jury d’honneur pour statuer sur les faits qui lui étaient reprochés ainsi qu’à trois militants ayant frayé avec les frères Fourny : le Roumain Adolf Reichmann (sujet d’Autriche-Hongrie), qui fut entièrement blanchi, et les individualistes Cagnoli et Boulanger. Ce jury était composé des camarades Élie Murmain, Sylvaire, Pierre Monatte, Lentz ou Lantz, Pierre Martin, Guichard et Cuisse.
Le 29 septembre 1911, Dudragne fut convoqué aux assises, en tant qu’ex-gérant, pour deux articles antimilitaristes de Dauthuille et de Sené parus dans Le Libertaire du 6 mai. Mais les deux auteurs refusèrent de siéger au côté de Dudragne, et ne se rendirent pas à la convocation. Dudragne préféra également s’abstenir de venir. Il fut condamné par défaut à trois ans de prison et 3 000 francs d’amende.
Le doute continua de planer jusqu’au procès des militants de La Guerre sociale, contre qui Bled et Dudragne avaient porté plainte pour la séquestration. À l’audience, le 7 octobre 1911, Almereyda dut reconnaître : « Je ne crois pas que Dudragne soit un mouchard, mais il est en relations continuelles avec Géo Fourny, qui est un agent provocateur, et c’est ce que je lui reproche. »
Le 12 mars 1912, Dudragne ayant fait opposition de sa condamnation par défaut du 29 septembre 1911, il repassa en procès devant la cour d’assises de la Seine. Il déclara à la barre être « anarchiste révolutionnaire » et assumer pleinement ce que Le Libertaire avait imprimé à l’époque. Il eut pour témoins de moralité son patron et le secrétaire de son syndicat. Dudragne fut condamné à un an de prison. Dans son article relatant le procès, Le Libertaire traita Dudragne de façon assez neutre. Il bénéficia d’une remise de peine le 9 août 1912.
En 1914, il fut exempté, et maintenu dans cette situation le 21 février 1915. Il habitait alors 12, impasse du Moulin-Joly, à Paris 11e. Durant la guerre, il fut opposé à l’union sacrée et participa aux activités des Amis du Libertaire. Il vint soutenir Lecoin, Ruff et Content (voir ces noms) lors de leur procès aux assises en mars 1917.
Par Guillaume Davranche
SOURCES : Arch PPo BA/1514 — Le Matin du 24 avril 1910 et du 10 août 1912 — Le Libertaire, 5 et 19 juin et 3 juillet 1910 — L’Humanité des 10 et 11 juin et des 8, 9 et 10 octobre 1911 — La Guerre sociale du 14 juin 1911 — Le Petit Parisien du 8 octobre 1911 — Le Libertaire du 16 mars 1912 — René Bianco, « Cent ans de presse… », op. cit. — Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914), L’Insomniaque/Libertalia, 2014.