Par David Doillon, Rolf Dupuy
Né le 10 février 1869 à Cherbourg (Manche), mort le 9 juin 1917 à Mexico ; postier, imprimeur, commis aux écritures, puis représentant de commerce ; anarchiste.
Agitateur anarchiste, partisan de la propagande par le fait, puis défenseur du syndicalisme révolutionnaire, Jahn mena une intense activité de propagandiste dans divers pays.
Tant pour des questions politiques que judiciaires, Octave Jahn, que la police qualifiait d’anarchiste « des plus dangereux », milita et vécut dans de nombreuses villes, en France (Paris, Lyon, Marseille) et à l’étranger (Barcelone, Valence, Mexico). Il joua un rôle important dans les réseaux de relations entre les groupes anarchistes nationaux et internationaux.
Il naquit dans une famille pauvre. Son père était tailleur à domicile et sa mère s’occupait du foyer. Parmi ses neufs frères et sœurs, trois moururent en raison des difficiles conditions de vie. En 1873, la famille s’installa à Paris, et l’année suivante, Octave débuta sa scolarité. Malgré de bons résultats, il fut obligé de quitter l’école à l’âge de 11 ans, quand son père tomba malade, pour subvenir aux besoins familiaux. Après quelques temps comme apprenti dans une imprimerie, son père lui trouva un emploi de porteur de dépêches au Ministère des Postes et Télégraphes.
Parallèlement à son travail, il reprit ses études. En août 1885, il obtint son certificat d’études et passa, peu après, le concours de tubiste en interne, qu’il réussit. Mais en raison de ses activités politiques – il commençait à fréquenter les groupes révolutionnaires, et avait dénoncé dans la presse l’attitude de l’administration – sa nomination fut ajournée. Jahn fit alors preuve d’un esprit d’indiscipline et de révolte, et menaça un de ses supérieurs de lui brûler la cervelle. Fatigué des mauvais traitements, il démissionna en janvier 1886 et reprit son métier d’imprimeur.
Entre mars et avril 1886, bien qu’il ne travaillât plus aux Télégraphes, il prit la tête d’un mouvement de grève chez les jeunes postiers qui s’opposaient à une diminution de traitement. Il organisa des meetings, dont celui des « Petits Télégraphistes » et dénonça publiquement l’attitude du Ministère. Les grévistes reçurent le soutien de Séverine* qui leur offrit les locaux et les pages du Cri du Peuple. Mais la campagne s’essouffla. Si elle permit la révocation de quelques fonctionnaires, les postiers furent contraints d’accepter la baisse des salaires. Elle fut cependant le baptême du feu de Jahn qui s’engagea alors résolument dans le mouvement anarchiste.
Jahn participa à plusieurs groupes : la jeunesse anarchiste parisienne, la ligue des Antipropriétaires, spécialisée dans les déménagements « à la cloche de bois », et le groupe des Pieds-Plats, qui pratiquait l’estampage des restaurants, et sur lequel il écrivit plus tard une chanson. Orateur dans de nombreux meetings, il devint célèbre dans les milieux anarchistes où on le surnomma « le petit Jahn » en raison de son jeune âge.
Remarqué par les services de police, le militant précoce connut ses premières interpellations. Le 15 juillet 1886, il fut arrêté place de la République alors qu’il plantait un drapeau noir sur le piédestal de la statue de la République en criant « A bas le drapeau tricolore ! Vive l’anarchie ! » L’affaire étant classée sans suite, il fut libéré le 27 juillet. Le 9 août, il fut à nouveau arrêté alors qu’il distribuait un tract appelant à la reprise individuelle dans les grands magasins. Déféré à la justice pour provocation au meurtre et au pillage, il bénéficia cependant d’une ordonnance de mainlevée et fut libéré le 12 août. Fiché, dénoncé auprès de ses patrons, il quitta alors le foyer parental.
A cette période, Jahn fonda, avec Tortelier*, Tennevin*, Niquet* et Bidault* la Ligue des Antipatriotes qui allait éditer plusieurs placards et organiser des conférences antimilitaristes. Elle publia l’année suivante un journal, auquel participa également Paul Paillette, L’Avant-garde Cosmopolite (Paris, 8 n°, 28 mai-23 juillet 1887).
Au début de l’année 1887, Jahn s’investit dans la campagne de soutien à Clément Duval, condamné à mort, et participa comme orateur à plusieurs conférences. Parallèlement, avec le groupe des Antipatriotes, il mena une vigoureuse campagne contre l’armée et les bureaux de placement. Au cours d’une réunion, le 18 avril, salle Pétrelle à Paris, il injuria violemment un commissaire de police présent. L’affaire fut transmise au parquet.
Un mandat d’amener étant décerné contre lui, et risquant, en raison d’une condamnation précédente – le 5 mars 1887, il fut condamné par le tribunal de la Seine à 100 francs d’amende pour « contravention à la police des chemins de fer » – l’internement jusqu’à sa majorité en maison de correction, il décida de fuir. Le 20 juin 1887, le tribunal de la Seine le condamna par contumace à 6 mois de prison pour « outrage à magistrat ».
Jahn arriva les premiers jours de mai à Verviers, en Belgique, où les compagnons du groupe La Liberté lui trouvèrent un emploi dans un bazar. Ayant échappé à une tentative d’arrestation, il fuit à La Louvière, en pleine grève de mineurs. Le 22 mai, Jahn intervint à plusieurs reprises dans des meetings, invitant les grévistes à se révolter contre leurs exploiteurs. Arrêté dans la nuit, il fut accusé d’être responsable de l’attentat qui s’était produit devant l’Hôtel de Commerce. Transféré à Mons, il fut condamné le 16 novembre 1887 par la Cour d’Assises de la ville à deux ans et demi de prison pour divers motifs, parmi lesquels « excitation suivie d’effets, à la destruction de propriété » et « port d’arme prohibée ». Au cours du procès, Jahn utilisa le tribunal comme une tribune politique. Adoptant une attitude orgueilleuse, il justifia la rébellion, l’utilisation de la violence et revendiqua ses convictions anarchistes (cf. compte rendu du procès paru dans La Révolte du 3 au 9 décembre 1887).
Débuta alors une campagne internationale de solidarité en sa faveur. Sa défense fut reproduite en brochure, d’abord en Belgique, à l’initiative du compagnon Pintelon* de Bruxelles, puis en France par La Révolte de Jean Grave* et se diffusa jusqu’en Espagne. Plusieurs journaux étrangers, dont L’Etoile Socialiste de Bruxelles (n°14, 4 avril et n°16, 8 avril 1897) et Die Autonomie en Allemagne, lui consacrèrent des articles. Un portrait de Jahn, reproduit en carte postale à des milliers d’exemplaires, fut vendu à son profit dans des réunions. Paul Paillette lui dédia une chanson, « Aux enfants de la nature », dans une brochure éditée par L’Avant-garde cosmopolite. Une souscription fut ouverte et des fonds recueillis, en provenance de France, de Belgique et d’Angleterre.
En février 1888, il tomba malade à la prison de Mons.
Libéré au printemps 1889, il partit pour Barcelone, où il s’intégra immédiatement aux milieux libertaires. Il établit des liens avec l’anarchiste catalan Martin Borrás et sa famille et fréquenta les cercles communistes anarchistes de la région. Il participa au débat opposant alors collectivistes et communistes, prenant parti pour ces derniers. Le 27 avril, se présentant comme un antipatriote, il perturba une conférence pacifiste bourgeoise, appelant à la paix entre les nations et la guerre entre les classes. Quelques jours plus tard, il annonça dans La Révolte qu’il comptait organiser, avec la ligue des Antipatriotes, des conférences à Barcelone et y diffuser un manifeste proposant de détruire l’idée de patrie. Il contribua à l’organisation d’un meeting à Gracia, en soutien aux grévistes en Allemagne, prévu le 26 mai. Mais les arrestations effectuées la nuit précédente empêchèrent sa tenue. Activement recherché par la police espagnole, Jahn traversa la frontière française.
Il se réfugia quelques jours chez le compagnon Henri Beaujardin*, ouvrier maçon à Bouglon (Lot-et-Garonne), puis entrepris, à partir de la fin du mois de juin 1889, une série de conférences qui le conduisirent à parcourir la France : Toulon, Hyères, Nîmes, où il partagea la tribune avec Sébastien Faure*, Avignon, Lyon, Vienne, Troyes… Au cours de ses interventions, Jahn traita de « l’absurdité de la patrie », « la misère, ses causes et ses conséquences », « l’impuissance des partis politiques face à la question sociale », « l’inutilité du Suffrage universel », « l’abstention », « la nécessité de la Révolution », « la solution par l’Anarchie ». Ses conférences, où il démontra un véritable talent d’orateur, remportèrent un grand succès. Certaines soirées réunirent plusieurs centaines de participants, comme à Nîmes (800), Lyon (500) et Vienne (800).
En octobre 1889, il se rendit en compagnie de Sébastien Faure à Lens où les mineurs s’étaient déclarés en grève. Son activisme ne passa pas inaperçu. Le 27 octobre, il fut arrêté à Paris, en vertu du jugement du tribunal de la Seine du 21 juin 1887 le condamnant par défaut à 6 mois de prison.
A sa libération, en avril 1890, Jahn passa devant le conseil de Révision qui le réforma. Il repartit en tournée en province, à Troyes puis à Lyon où son éloquence lui avait valu, l’année précédente, un vif succès parmi les anarchistes. Dans ses conférences, il se distingua par la virulence de ses attaques contre l’Etat, la bourgeoisie et la police. Le 16 juillet, après un discours à la salle Rivoire à Lyon, les autorités le qualifièrent d’ « anarchiste très dangereux ». Le 30 juillet, la justice le condamna à un mois de prison pour « outrage à agent et port d’arme prohibée », lors d’une conférence donnée le 21.
A sa sortie de prison en août 1890, il décida de se fixer un temps à Lyon pour développer une intense activité de propagande dans la région. Les 16 et 17 août 1890, il participa, comme délégué du groupe de Chambéry, au Congrès des groupes anarchistes de l’Est qui réunit à Genève une vingtaine de délégués français et suisses dont Bergues*, Chomat*, Dervieux*, Hugonnard*, Huguet, Puillet*, plusieurs inconnus et au moins un mouchard. La « Fédération internationale des revendications prolétariennes » qui y fut fondée n’eut aucune existence.
A la fin du mois d’août, Jahn fut l’un des fondateurs du groupe « La jeunesse cosmopolite », qui avait pour objectif de combattre le « préjugé inique de la fable patriotique ». Ce groupe réunissait une vingtaine de membres et avait son siège au café Marcellin, 105 avenue de Saxe. Selon la police, Jahn en aurait été à la fois le président, le secrétaire, le trésorier et le plus dangereux du groupe. Jahn publia aussi des articles dans L’Action sociale (24 août et 12 octobre 1890) et participa comme orateur à plusieurs meetings (Firminy, le 22 septembre, Roanne, le 11 octobre).
Avec Paul Bernard* et Ernest Nahon, il participa à la préparation d’un congrès régional qui devait aborder, parmi d’autres sujets, la tactique de la Grève générale et l’entrée des anarchistes dans les syndicats, et conduire à la fondation d’une Fédération des ouvriers réunis. Ce congrès fut précédé d’un meeting public salle Rivière, le 31 octobre, où des propos violents furent échangés à propos de la Grève générale, du 1er mai et de la propagande par le fait. Le jour suivant, 1er novembre, s’ouvrit au café Marcellin la première session, regroupant 150 délégués, malgré le boycott de certains qui s’étaient désolidarisés des positions violentes de Jahn. Le lendemain, le congrès fut interrompu. La police arrêta cinq délégués, tandis que Jahn, poursuivi pour avoir refusé de constituer un bureau lors du meeting du 31 octobre, parvenait à s’enfuir et, en compagnie de Paul Bernard, à se réfugier en Suisse.
Le 22 novembre, Bernard et Jahn furent condamnés solidairement par contumace par la Cour d’Assises du Rhône pour « provocation directe non suivie d’effet aux crimes de meurtre, assassinat, pillage et d’incendie et provocation à des militaires pour les détourner de leurs devoirs militaires » à 2 ans de prison et 100 francs d’amende. Quelques jours plus tard, le 8 décembre, la Cour d’Assises de la Loire les condamna à une nouvelle peine d’un an de réclusion et 100 francs d’amende pour les mêmes motifs en raison des propos tenus lors de la conférence de Roanne.
Jahn et Bernard, ce dernier expulsé le 15 décembre de Suisse, réapparurent à Barcelone, où ils poursuivirent leurs activités militantes. Jahn vécut un temps au 98, calle Cervantès. C’est sans doute d’Espagne que Jahn collabora au journal Le Pot à Colle (Bagnolet, 1891-1892) publié par L. Guérineau*. Il s’installa plus tard à Valence. Le 20 décembre 1891, il s’unit librement à la compagne Concha Aixa. Le discours qu’il fit à cette occasion, où il compara le mariage à de la prostitution et défendit l’amour libre comme moyen pour parvenir à l’Anarchie, fut ensuite publié en brochure sous le titre de Amor y Anarquía.
Selon Max Nettlau*, Jahn aurait accompagné Errico Malatesta et Pedro Esteve au cours d’une partie de leur voyage en Espagne (1891-1892). Il fut également condamné à une peine de 69 jours de prison. Jahn participa à la fondation de deux journaux, La Cuestíon Social (Valencia, 4 n°, mai-juin 1892), puis La Controversía (Valencia, 5 n°, 3 juin 1893-7 octobre 1893). Ces deux titres maintenaient des contacts avec le groupe de Borrás à Barcelone. Partisans des théories communistes anarchistes, ils poursuivirent la critique envers les théories collectivistes et soutinrent une polémique avec El Productor de Barcelone, leur défenseur. La Controversia obtint un certain succès, son tirage atteignant 2000 exemplaires. Après l’attentat de Paulino Pallas contre le gouverneur militaire de Catalogne, Arsenio Martínez Campos, en septembre 1893, la répression frappa les milieux anarchistes, en particuliers catalans, et dans l’entourage de Martín Borrás. Jahn suspendit la publication du journal et abandonna Valence.
Il rentra à Lyon. Mais, après l’attentat au café Terminus à Paris le 12 février, il prit la fuite et les autorités se mirent à le rechercher activement. A Marseille, après une bagarre, il parvint à échapper aux policiers qui l’avaient repéré dans un café. Il fut finalement arrêté à Alger le 4 avril 1894 et condamné à deux mois de réclusion pour « port d’arme prohibée ». Transféré à Lyon le 11 mai, la Cour d’Assises du Rhône lui confirma, le 21 mai, sa condamnation à deux ans de prison (jugement du 22 novembre 1890). Le 15 juin, le Tribunal correctionnel de Marseille le condamna à 6 mois de prison pour « menaces verbales de mort, outrages à agents et port d’arme prohibée ». Enfin, en juillet, la cour d’Assises de Montbrison lui confirma sa peine de 1 an de détention (jugement du 8 décembre 1890). En février 1895, il était incarcéré à la prison d’Albertville. Grace à la loi d’amnistie du 2 février 1895, il bénéficia d’une réduction de peine.
Le 14 août 1895, Jahn était signalé à Marseille. Par l’intermédiaire de Jean Grave, il entra en contact avec les milieux anarchistes de la ville, en particulier Cheylan. Son garni (26 rue du Baignoir) fut perquisitionné à deux reprises. Arrêté suite aux propos tenus à deux conférences, les 24 et 29 août, il fut condamné le 17 octobre à 2 ans de prison et 500 francs d’amende.
Libéré en septembre 1897, il se rendit à Londres avant de revenir à Marseille en avril 1898. Il vivait alors avec Salud Borrás* – fille de Martín Borrás, mort en prison à Montjuich (Barcelone) en 1894, et compagne de Lluis Mas fusillé à Montjuich en 1897 – et ses deux enfants, dans un garni de la Belle-de-Mai, 11 rue Saint Régis. Il y accueillit un temps Jean Marestan*. Jahn participa à toutes les activités des groupes marseillais. Il intégra la rédaction du Libertaire quand le journal se délocalisa à Marseille entre mars et juin 1898 et y publia des articles dénonçant la répression en Espagne. Harcelé par la police, sans emploi fixe, il décida de quitter Marseille. En octobre 1898, la police signalait que Jahn devait entreprendre une tournée de conférence au cours de laquelle il visiterait les principales villes de France, et notamment Lyon, St Etienne, Roanne, Toulouse et Bordeaux.
L’année suivante, Jahn vécut avec sa compagne à Paris, dans le quartier populaire de la Goutte d’or. Il participa au mouvement de soutien au capitaine Dreyfus, collabora au Journal du Peuple de Sébastien Faure (Paris, 299 n°, 6 février-3 décembre 1899) et écrivit des articles dans Le Cri de Révolte,fondé par G. A. Bordes (Paris, 10 n°, 20 août 1898-1er mars 1899), dénonçant l’antisémitisme de certains anarchistes.
Embauchés, avec son beau-frère Juan Ollé, l’un des torturés de Montjuich, à l’Exposition Internationale, ils furent arrêtés en décembre 1900, car suspectés, en tant anarchistes, d’avoir cambriolé leur patron. Bénéficiant d’un non-lieu, ils furent relâchés un mois plus tard. Jahn dénonça dans L’Aurore, journal fondé par Ernest Vaughan, la persécution dont il faisait l’objet (Paris, n° 1261, 2 avril 1901).
En 1901, il s’installa avec sa compagne à Saint-Même-les-Carrières, en Charente. Craignant qu’il ne relance l’agitation dans la région, la police le soumit à étroite surveillance. Mais, mise à part la correspondance qu’il maintint avec certains compagnons, il semble que Jahn cessa alors de militer. Il trouva un emploi de commis aux écritures d’un fabricant de cognac. Le 10 octobre 1902, il se maria avec Salud Borrás.
Au printemps 1908, il partit vivre au Mexique où il travailla comme représentant pour des maisons commerciales européennes. Avec la révolution, qui débuta en novembre 1910, son négoce s’effondra peu à peu. En 1911 et 1912, il effectua des voyages commerciaux à Cuba et en France.
Après le coup d’Etat du général Huerta, qui renversa le démocrate Madero en février 1913, Jahn reprit une certaine activité politique. Lors d’un séjour en France, entre mars et mai 1913, il écrivit un article dans la revue anarchisante Les Hommes du jour dénonçant le coup d’Etat militaire (n° 272, 5 avril 1913). Parallèlement, il renoua avec de vieilles relations. Profitant d’une escale à La Corogne (Espagne), alors qu’il transitait entre la France et le Mexique, il rendit visite à des compagnons espagnols, parmi lesquels Constancio Romeo, directeur de l’Ecole Rationaliste de la ville. A son retour au Mexique, recherché par les autorités qui avaient pris connaissance de son article par leur ambassade en France, il dut fuir, en juillet 1913, au Guatemala, où il travailla comme représentant d’une compagnie d’assurance canadienne. La chute de Huerta, en juillet 1914, lui permit de rentrer au Mexique.
En janvier 1915, Jahn intégra l’Armée zapatiste où il exerça comme secrétaire d’un colonel, lui-même secrétaire de Manuel Palafox, ministre de l’Agriculture de la Convention. En raison de problèmes de santé, il démissionna en mars de l’Armée qui s’était installée à Cuernavaca, et revint à Mexico. Il travailla un temps au ministère de l’Education, puis comme traducteur de câbles pour le journal El Renovador.
En juin 1915, Jahn intervint au cours d’un meeting ouvrier et se rapprocha de la Casa del Obrero Mundial (COM), foyer d’organisations ouvrières, de tendance anarchiste, dont il devint un membre actif. Très apprécié parmi ses compagnons, il contribua à diffuser la pensée anarchiste au Mexique. Le propagandiste par le fait se transforma en un fervent partisan de l’action syndicale et défendit le pacte d’alliance entre la COM et la faction dirigée par Carranza. Il collabora à la revue Ariete, organe de la COM (10 n°, 24 octobre 1915-2 janvier 1916) et, sous le pseudonyme de Souvarine, écrivit une série d’articles intitulés « Gestes inutiles ». Il participa comme orateur à de nombreuses réunions, ainsi qu’à l’inauguration de l’Ecole Rationaliste Francisco Ferrer, le 13 octobre 1915, et de la fondation, le 11 novembre, de l’Athénée ouvrier Ciencia, Luz y Verdad de Mexico.
En janvier 1916, Jahn et Rafael Quintero furent mandatés par la COM pour représenter, en France et en Espagne, le mouvement syndicaliste révolutionnaire mexicain. A peine arrivés à Barcelone, où Quintero fut introduit dans les milieux anarchistes et ouvriers par Jahn, ce dernier fut expulsé et se dirigea vers Paris.
Au cours de son séjour en France – on pouvait alors le contacter au siège du journal Les Hommes du jour (19 rue J.J. Rousseau à Paris 4e) –, Jahn anima des conférences sur la Révolution mexicaine devant divers groupes et organisations : le Syndicat des Terrassiers, le Comité des jeunesses syndicalistes de la Seine, l’Union des syndicats de la Seine. Le 21 septembre, au cours de l’une d’elles, il déclara : « Depuis la guerre on ne paie plus les loyers, mais il faudrait que cela continue et on pourrait profiter de l’occasion pour supprimer la propriété individuelle et établir la propriété communiste. Si la classe ouvrière le voulait, ce serait tôt fait, mais il faudrait qu’à la guerre bourgeoise succédât la guerre sociale, la guerre de classes ». Il écrivit une série d’articles dans le journal de Sébastien Faure, Ce Qu’il Faut Dire (cf. n° des 21 et 29 mai, 24 juin, 12 août et 16 septembre 1916), et collabora au Journal du Peuple, journal pacifiste dirigé par Henry Fabre (28 mars 1916) et aux Hommes du Jour (n° 431, 1er juillet 1916). Dans ses textes, et au cours de ses interventions, Jahn promut l’alliance entre la COM et Carranza, dont il fit l’éloge, et relata les victoires obtenues, selon lui, par le prolétariat mexicain.
Le 12 août 1916, il fut, au cimetière du Père Lachaise à Paris, l’un des orateurs avec Sébastien Faure, Lepetit* et Schneider,* lors de l’incinération de Pierre Martin*.
En octobre 1916, Jahn repartit au Mexique. En avril 1917, en tant que représentant d’organes de presse européens, il se rendit dans le Yucatan pour rencontrer le Général Alvarado, gouverneur socialiste de l’Etat. Le 1er mai, il participa à un meeting ouvrier à Mexico, en souvenir des martyrs de Chicago et pour exiger la libération d’un compagnon emprisonné.
Il mourut à Mexico le 9 juin 1917 d’un infarctus et fut incinéré le 12 juin.
Par David Doillon, Rolf Dupuy
SOURCES : Arch. Nat. F7/13657, rapport du 28 septembre 1916. — Arch. Dép. Marseille M6/3348, 3349, 3350, 3388, 3397, 4693C, 6035 – Arch. Dép. Aix 14U95 quinto, 14 U 119 — Arch. Dép. Rhône 2U566, 4M251, 4M315 — Fonds Emiliano Zapata, Archive Générale de la Nation (Mexique) — Compte-rendu du procès de l’anarchiste Jahn devant la Cour d’assises du Hainaut, brochure de La Révolte, [1888] — La Révolte (Paris), 1887-1890 — Le Matin (Paris), 24 mai 1887, 17 novembre 1887, 19 février 1894 — El Corsario (A Coruña), 21 janvier 1892 — La Sociale (Paris), 22-29 septembre 1895 — Le Libertaire (Marseille), 1898 — L’Aurore (Paris), 2 avril 1901 — El Combate (Mexico), 28 juin 1915 — The Mexican Herald (Mexico), 28 juin 1915 — Ariete (Mexico), octobre 1915-janvier 1916 — Les Hommes du Jour, Paris, 5 avril 1913 et 1er juillet 1916 — Regeneración (Los Angeles), 6 novembre 1915, 26 août 1916, 14 octobre 1916 — Ce Qu’il faut Dire (Paris), 1916 — Par delà la Mêlée (Paris), juillet 1916 — El Nacional (Mexico), 1er mai 1917 — El Galeote (Mexico), 18 juin 1923 — La Revista Blanca (Barcelone), 15 août 1927 — L’Unique, septembre 1949 — Jean Maitron, Histoire du Mouvement anarchiste en France (1880-1914), op. cit. — M. Massard, Histoire du Mouvement anarchiste à Lyon, 1880-1894, DES, Lyon 1954. — J. Grave, Quarante ans…. , op. cit. — M. Nettlau, Histoire de l’anarchie… , op. cit. — R. Bianco, « Le Mouvement anarchiste… », op. cit. — Séverine, Pages Rouges, H. Simonis Empis éditeur, 1893 — Francisco Madrid, La prensa anarquista y anarcosindicalista en España desde la I Internacional hasta el final de la Guerra civil, Thèse de doctorat, Université de Barcelone, 1989 — Fernando Cordova Perez, Le mouvement anarchiste au Mexique, 1910-1930, Thèse de Doctorat, París, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1985 — Rosendo Salazar, José G. Escobedo, Las pugnas de la gleba, 1974 — Rosendo Salazar, Líderes y sindicatos, T.C. Modelo, 1953 — Jacinto Huitrón, Orígenes e historia del movimiento obrero en México, Editores Mexicanos Unidos, 1974 — CIRA Marseille (Dossier Jahn) — Correspondance d’Octave Jahn à Salud Borras, 1911-1916, et autres documents communiqués par sa nièce, Antonia Fontanillas — Notes D. Dupuy et Eric Coulaud.