BINTZ Victor, Eugène [Dictionnaire des anarchistes]

Par Guillaume Davranche

Né le 18 avril 1889 à Paris 14e ; plombier ; syndicaliste révolutionnaire.

En 1912-1913, l’affaire Bintz fit des remous à l’extrême gauche.

Victor Bintz était un jeune plombier syndicaliste révolutionnaire « bien connu des services de police ». Ce grand gaillard (1,76 mètre) avait été arrêté à Paris pour une « chasse aux renards » en août 1910 et condamné, le 13 septembre, à six semaines de prison et 16 francs d’amende.

Sa peine n’était pas achevée lorsque, en octobre 1910, il fut appelé au service militaire. Il fut incorporé à la 1re compagnie de remonte, puis au 3e escadron du train à Vernon (Eure), où il fut victime du harcèlement de l’officier Rognoni. En décembre 1911, il fut traduit en conseil de guerre, et condamné à être versé dans la section spéciale (disciplinaire) du 123e régiment d’infanterie à l’île d’Oléron (Charente-Maritime).

Un de ses compagnons de chambrée, l’anarchiste Jean Lacotte, envoya des articles signés « le jeune major » à La Bataille syndicaliste et à La Guerre sociale pour dénoncer la situation faite à Bintz. Une campagne débuta en sa faveur. Dans La Bataille syndicaliste, c’est Édouard Sené qui suivit l’affaire, et il en profita pour tirer à boulets rouges sur la franc-maçonnerie, à laquelle Rognoni était affilié.

Le CDS envoya alors Tissier auprès du général Barrau, à Versailles, pour plaider la cause de Bintz. Celui-ci accepta de transiger. Bintz serait transféré dans une autre caserne à la condition qu’il rédige une lettre de contrition, sous peine d’être expédié au bagne militaire. En outre, la campagne de presse devait cesser.

À Vernon, Tissier convainquit Bintz de s’épargner Biribi en faisant amende honorable. En échange, il serait de surcroît exempté de corvée jusqu’à son transfert. Bintz accepta et la campagne en sa faveur cessa.

Mais Rognoni lui tendit un piège : il lui infligea une corvée et Bintz, sûr de son droit, refusa de l’exécuter. Du coup, l’accord tomba à l’eau. Néanmoins, ni La Guerre sociale, ni La Bataille syndicaliste ne reprirent la campagne. À l’assemblée des actionnaires de La BS, Jules Bled se prononça contre.

Dans son journal Terre libre du 1er mars 1912, Émile Janvion suggéra que le peu d’empressement des responsables socialistes et syndicalistes à défendre Bintz était sans doute dû au fait que Rognoni était franc-maçon. Jules Bled était également un franc-maçon notoire. Dans La Guerre sociale du 3 avril 1912, Tissier défendit l’action du CDS en écrivant : « Quand tout paraissait arrangé, notre camarade rendit inutiles tous les efforts du Comité en commettant un nouveau refus d’obéissance. »

Le 13 juin 1912, Bintz fut transféré à la section spéciale de répression du 6e régiment d’infanterie, sur l’île Madame, réputée accueillir les « fortes têtes » incorrigibles.

En septembre 1912, la revue Le Mouvement anarchiste décida de relancer l’affaire Bintz et fit des révélations sur les tentatives d’intervention maçonniques dans le dossier. Pierre Martin se rendit au CDS pour convaincre Jean-Louis Thuillier->155089] de faire de même. De son côté, Émile Janvion impulsait, avec Émile Pataud, Jean Lacotte et Maintzert, le comité Bintz, dont le but était de défendre le cas du jeune ouvrier, mais aussi de dénoncer le complot maçonnique.

La campagne fut alors menée séparément d’une part par le Comité Bintz de Janvion-Pataud, peu en odeur de sainteté dans les milieux militants, et d’autre part par la FCA, le CDS et, finalement, La Bataille syndicaliste.

Le 2 novembre 1912, le secrétaire de la section de Saintes du CDS, E. Michaud, se rendit sur l’île Madame, où il put rencontrer Bintz, qui témoigna des souffrances qu’il endurait. Trois militants du CDS visitèrent de nouveau Bintz le 24 novembre.

Courant février 1913, après de violents incidents à La Bataille syndicaliste (voir Émile Janvion), la campagne Bintz cessa de nouveau. Le Mouvement anarchiste de janvier-février 1913 concluait : « La franc-maçonnerie l’a finalement emporté contre la solidarité due à un camarade. »

Victor Bintz fut renvoyé dans ses foyers le 9 juin 1913.

Le 23 décembre 1913, le tribunal correctionnel de la Seine le condamna par défaut à quinze jours de prison pour port d’arme prohibée. Il fit opposition et, le 12 mars 1914, le tribunal réduisit sa peine à six jours de prison et 16 francs d’amende avec sursis.

Mobilisé en août 1914, il se révolta de nouveau. Le 9 décembre, le conseil de guerre le condamna à cinq ans de prison pour « outrages par parole envers des supérieurs en dehors du service ». Il fut écroué au pénitencier d’Albertville, et y resta jusqu’à une remise de sa peine, par décret du 15 juillet 1917. Renvoyé au front, il profita d’une permission pour déserter le 22 août 1918, mais fut repris le 31, et incarcéré à Paris. Le 17 octobre, le conseil de guerre le condamna à six mois de prison pour désertion à l’intérieur en temps de guerre. La peine fut mise en suspens, et Bintz renvoyé au front.

Il semble avoir été démobilisé en 1919, et vint s’installer au 129, rue de l’Ouest, à Paris 14e.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154402, notice BINTZ Victor, Eugène [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche, version mise en ligne le 1er mai 2014, dernière modification le 4 novembre 2022.

Par Guillaume Davranche

SOURCES : Registres matricules de la Seine. — La Presse du 14 septembre 1910. — Terre libre du 1er mars 1912. — La Guerre sociale du 3 avril 1912. — Le Mouvement anarchiste de septembre 1912 à janvier-février 1913. — L’Anarchie du 19 septembre 1912. — L’Action française des 22 et 24 novembre 1912 et du 5 janvier 1913. — Paul Mazgaj, The Action française and Revolutionnary Syndicalism, University Of North Carolina Press, 1979.

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