GIRARD Maurice, Ernest [Dictionnaire des anarchistes]

Par Guillaume Davranche, Dominique Petit

Né le 22 juin 1880 à Saint-Brisson-sur-Loire (Loiret) ; mécanicien, chauffeur à Paris ; anarchiste ; protagoniste de « l’affaire Girard-Jacquart » en 1908-1909.

Le Petit parisien 21 janvier 1909. Gallica. Repris par Éphéméride anarchiste du 20 janvier.

En 1900, Maurice Girard était mécanicien à Chaudre (Eure-et-Loire). Il tirait au sort à Gien et était affecté dans les services auxiliaires pour « hernie à gauche. »
En 1907, il était chauffeur et syndiqué CGT. En mai 1907, il était poursuivi pour avoir signé l’affiche « Aux soldats ! » mais l’affaire aboutissait à un non lieu pour lui, il ne fit pas partie des 12 qui passèrent en procès les 24 et 25 juin 1907 devant la Cour d’assises de la Seine (voir Mouchebœuf)
Le 15 juillet 1908, une bagarre éclata dans le restaurant coopératif au 33, rue Guersant (Paris 17e arr.), qui avait affiché en vitrine un drapeau tricolore porteur d’inscriptions antimilitaristes. La police accusa Maurice Girard, qui n’était pas sur les lieux, mais dont la voiture immatriculée 279 U-3 était garée devant le restaurant. Et pour cause : son frère Alexandre Girard, à qui il avait prêté la voiture, déjeunait ce jour-là au restaurant coopératif.
Aux agents de la Sûreté qui étaient venus l’arrêter, avec brutalité, à son domicile de la rue Grayel, il s’écriait : « Je suis innocent. Je n’étais pas au restaurant coopératif de la rue Guersant, le quinze juillet. » Avec la même force, mais aussi vainement, il renouvela les mêmes affirmations devant M. Boucard, juge d’instruction.
Inculpé avec un autre ouvrier chauffeur, Albert Jacquart, Maurice Girard fut condamné à deux ans de prison (par défaut) pour coups et blessures à un commissaire. Il eut pour avocat Me Jacques Bonzon et fut défendu par le CDS, René de Marmande, la Ligue des droits de l’homme et Anatole France.
Il ne s’était pas présenté à l’audience, sur les conseils de son avocat qui n’avait pu obtenir un report de l’affaire.
Il fit opposition au jugement et le 21 octobre 1908, il était condamné à un an de prison, malgré ses dénégations sur le fait qu’il n’aurait pas été présent ce jour là au restaurant. La concierge et deux personnes de la maison où Girard habitait vinrent déclarer que, l’après-midi du quinze juillet, il était chez lui et qu’il n’est sorti que dans la soirée. Deux autres personnes, le gérant du restaurant et une cliente, affirmèrent que ce jour-là il n’avait pas paru dans l’établissement. M. Kien, commissaire de police n’osa pas devant les juges affirmer qu’il reconnaissait Girard.
Il fit appel du jugement mais le 10 décembre, quelques jours avant la décision de la cour, un nouveau témoin, entrepreneur de camionnage, se présentait devant le commissaire Kien et prétendit reconnaître Maurice Girard et Albert Jacquart (un autre condamné) sur des photos : « Oui ; oui, s’écria-t-il spontanément, voilà bien ceux qui, sous mes yeux, ont frappé le commissaire de police. » Girard et Jacquart assignèrent le commissaire, pour subordination de témoin mais la justice se déclara incompétente.
L’Humanité du 16 décembre 1908, publiait une lettre de son frère, Alexandre Girard, chauffeur d’automobile, 6 rue Gravel à Levallois-Perret : « Ce n’est pas mon frère, Maurice Girard, qui était le 15 juillet au restaurant La Solidarité, 33 rue Guersant. C’était moi. Pendant la nuit du 14 au 15 juillet, mon frère avait conduit l’automobile qui est notre commun instrument de travail. Il s’est reposé la journée du 15, tandis qu’à mon tour, je travaillais avec la voiture... La police et la justice connaissent cette vérité. Elles savent que c’était moi et non mon frère, qui étais au restaurant l’après-midi du 15 juillet, que je n’ai joué aucun rôle, comme d’autres clients, aucun rôle dans la collision avec le commissaire et que, pour m’inquiéter à mon tour, il faudrait commettre une nouvelle iniquité. »
La cour d’appel confirma le jugement pour Girard, le 18 Décembre 1908.
A Fresnes, début janvier 1909, Maurice Girard était mis au cachot et ne put rencontre son frère et Marmande, venus lui rendre visite.
En janvier 1909, le Comité de Défense Sociale, la Ligue des droits de l’homme et l’Union des syndicats de la Seine, se lançaient dans une campagne pour faire sortir de prison Girard et Jacquart. Une campagne de presse en leur faveur s’engageait.
Le 7 janvier 1909, un grand meeting en faveur de Maurice Girard fut organisé rue Danton, aux Sociétés Savantes. Dès 8 heures et demie, une foule nombreuse composée en grande partie d’étudiants, envahit la vaste salle. Ils se pressent alors dans les couloirs. Anatole France devait présider la réunion, mais son état de sa santé ne lui avait pas permis d’assister à cette manifestation. I1 avait envoyé une lettre dont le président donnait lecture. Un ordre du jour, voté à l’unanimité des 2.000 présents, réclamait la mise en liberté de Maurice Girard et de Jacquart.
Le 20 janvier 1909, le CDS organisa, avec le concours du syndicat des cochers et chauffeurs, la toute première manifestation en automobile que la France ait connu. Vingt-cinq automobiles défilèrent du quai des Tuileries à la place de la République en passant par la Concorde, la Madeleine et l’Opéra. Les manifestants exhibaient des pancartes « Affaire Girard-Jacquart – une infamie judiciaire – Deux innocents condamnés » et jetaient des paquets de tracts à la volée.
Le Matin du 29 janvier 1909, publiait une véritable contre enquête sur l’affaire, interrogeant les témoins assurant que Girard n’était pas au restaurant, ainsi que le camionneur Lintauf, témoin de dernière minute, montrant que son témoignage n’était guère fiable.
Le 8 février 1909, la chambre criminelle de la cour de cassation rejetait son pourvoi mais il bénéficiait d’une mesure de grâce du président de la république, ayant accompli plus de la moitié de sa peine et le fait pour lequel il avait été condamné à un an de prison était connexe aux événements de Draveil visés par le projet de loi sur l’amnistie. En effet, les inscriptions du drapeau que le commissaire de police Kien avait voulu faire disparaître de la vitrine du restaurant coopératif de la rue Guersant, étaient relatives à ces événements.
A sa sortie de Fresnes, le 8 février, Maurice Gérard était accueillis par son frère, son avocat et Marmande. Il écrivait au garde des sceaux, pour demander la révision de son procès.
Début février 1910, Maurice Girard signait la motion du Comité Révolutionnaire Antiparlementaire , ainsi que l’affiche « Ne votons plus ! » (voir Grandjouan)
Le 24 mars 1910, Maurice Girard fut parmi les seize signataires de l’affiche À bas Biribi imprimée par le CDS pour réclamer justice dans l’affaire Aernoult-Rousset (voir Albert Dureau). Tous comparurent aux assises le 4 juillet et furent acquittés. Maurice Girard habitait alors au 6, impasse Gravel, à Levallois-Perret, à la même adresse que son frère Alexandre, Albert Jacquart et Émile Dulac.
Début avril 1910, n’ayant reçu aucune réponse à la demande de révision de son procès, il se présentait avec Me Bonzon, son avocat, au ministère de la Justice pour remettre en mains « propres » à M. Barthou, une lettre de protestation. Une cinquantaine de terrassiers et de militants des syndicats accompagnaient les protestataires. Ils ne furent pas reçus, faute de n’avoir pas fait une demande d’audience. Alors ils se mirent à distribuer des tracts et à arborer des pancartes, tandis qu’une quarantaine de terrassiers, débouchant de la rue de Rivoli par la rue de Castiglione, tentaient d’arriver à la place Vendôme pour se joindre à eux. La police chargea. Maurice Girard, Dureau et Blanchard furent arrêtés puis relâchés, après deux heures de détention.
En juillet 1910, la cour de cassation refusa la révision de son procès.
Le 14 juillet 1911, à onze heures, arrivait une auto ornée d’immenses affiches rouges, sur lesquelles on pouvait lire : « Marianne et la mobilisation. Si tu pars en guerre, Marianne, tu es foutue. » L’auto était arrêtée et une contravention infligée au chauffeur Maurice Girard, pour publicité avec indication « Placement gratuit » sur une voiture. Les affiches étaient saisies et l’auto devait rebrousser chemin.
En 1911, il était membre de la Fédération Révolutionnaire Communiste (FRC).
Inscrit au carnet B, il fut mobilisé en 1914.
En août 1912, Maurice Girard faisait partie de la commission de répartition des aides de la Caisse de solidarité des prisonniers.
Le 20 mai 1913, les opérations du conseil de révision de Boulogne-sur-Seine étaient troublées, par des membres de la CGT. Deux taxi-autos arrivèrent à toute vitesse et traversèrent la place. Les deux voitures portaient sur les trois côtés, des pancartes-calicots avec des inscriptions : « A bas les trois ans ! A bas le militarisme ! » Quatre jeunes gens, outre le chauffeur, se trouvaient dans chacune des voitures. Un des voyageurs brandissait un drapeau rouge sur lequel on lisait : « Jeunesse syndicaliste de Boulogne-Billancourt ». En traversant la place et les rues de Boulogne, ils jetèrent à profusion des brochures antimilitaristes émanant de CGT et crièrent à tue-tête : « Hou ! hou ! les trois ans ! » Un détachement du 1er cuirassiers, en permanence dans la cour du commissariat, était accouru. Les chevaux encadrèrent l’auto 279-U-3, qui avait été conduite au commissariat de police. Une contraventions était dressées au chauffeur, Maurice Girard, demeurant rue Wurtz, à Paris.
Le 7 août 1914, il répondit à la mobilisation générale. Le 27 septembre 1915, il était évacué pour brûlure à l’avant bras gauche (en dehors du service). Rentré le 8 février 1916, il était détaché comme mécanicien-ajusteur à l’usine Delamour-Bellevile à Saint-Denis et affecté le 27 juin 1917 aux usines Lhépée et Petters à Billancourt. Il était démobilisé le 19 avril 1919.
Il était, en 1921, membre de la Fédération anarchiste et du CDS. Il demeurait alors 53, rue d’Alleray à Paris 15e.
Le 28 mars 1942, il se mariait à Paris (XVe arr.) avec Marie Adam.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154441, notice GIRARD Maurice, Ernest [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche, Dominique Petit, version mise en ligne le 22 avril 2014, dernière modification le 10 janvier 2021.

Par Guillaume Davranche, Dominique Petit

Maurice Girard. L’Humanité 8 février 1909. Gallica.
Le Petit parisien 21 janvier 1909. Gallica. Repris par Éphéméride anarchiste du 20 janvier.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13972-13973, état des anarchistes, antimilitaristes et communistes, 27 mai 1921 — René de Marmande, L’Intrigue florentine, La Sirène, 1922 — Archives départementales du Loiret. Etat civil. 1 R 61544.Registre matricule 180, classe 1900 — L’Echo de Paris 9 février 1909 — La Lanterne 22 octobre 1908, 22 janvier 1909 — Le Libertaire 17 janvier 1909, 20 mars, 10 juillet 1910, 3 août 1912 — L’Humanité 16 décembre 1908, 1er et 2 janvier 1909, 9 février, 8 avril, 14 juillet 1910 — L’Action 6, 8 janvier 1909 — Le Matin du 21 janvier, 9 février 1909 — Paris 25 mars 1910 — Le Temps 15 juillet 1911 — Le Petit journal 21 mai 1913.

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