GIRAULT Ernest, Louis [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean Maitron, notice revue par Guillaume Davranche et Marianne Enckell

Né le 15 juin 1871 à Paris (Xe arr.), mort le 12 décembre 1933 à l’hôpital Tenon, Paris (XXe arr.) ; ingénieur agronome, typographe ; important orateur anarchiste, puis communiste.

Ernest Girault (1928)
Ernest Girault (1928)

Excellent orateur – peut-être le plus réputé après Sébastien Faure –, Ernest Girault fut un militant important, qui effectua de nombreuses tournées de conférences et donna un grand nombre d’articles à la presse révolutionnaire. Cependant, tant qu’il fut anarchiste, il ne parvint que rarement à agir dans un cadre collectif. Personnalité indépendante, il préféra le plus souvent mener une politique personnelle.

Fils de Marie Bauffy, Ernest Girault fut légitimé par le mariage de sa mère avec Jean-Pierre Girault le 20 juin 1885. Il s’engagea volontairement et passa trois ans à l’armée, du 29 octobre 1890 au 24 septembre 1893.

Il rompit avec le socialisme vers 1894 « à cause de son parlementarisme, de son réformisme, de son patriotisme et de son ministérialisme » devait-il affirmer dans une déclaration en janvier 1921.

Il rejoignit alors l’anarchisme et semble avoir appartenu, en 1897, à la petite mouvance étudiante de Mécislas Golberg. Il écrivit dans son journal, Le Trimard (mars-juin 1897), et répercuta dans Le Libertaire du 3 juin 1897 ses idées antisyndicalistes et sa théorie sur le rôle révolutionnaire du sous-prolétariat : « C’est la masse des sans-travail et des affamés qui doit servir de point de départ aux revendications anarchistes », écrivait-il.

Mais la véritable entrée de Girault dans le militantisme date de l’Affaire Dreyfus. Il collabora alors à L’Aurore de Clemenceau, au Libertaire de Sébastien Faure, au Cri de révolte (août 1898-mars 1899) ou encore au Droit de vivre de Constant Martin (avril-juin 1898). Pour concurrencer La Croix antidreyfusarde, il tenta également de fonder un petit quotidien à 2 centimes, Le Camarade, qui n’eut que deux numéros en janvier 1899.

En 1899 toujours, Girault rompit avec Sébastien Faure, dont il jugeait que le dreyfusisme faisait par trop le jeu du gouvernement. Il fonda alors, avec entre autres Émile Janvion, L’Homme libre (juin-décembre 1899), qui voulait incarner un dreyfusisme purement révolutionnaire.

Il collabora ensuite aux journaux belges animés par Georges Thonar comme L’Effort éclectique (octobre 1900-mars 1901) puis L’Émancipation (juillet 1901-janvier 1902).

Aux alentours de 1901, Ernest Girault se mit au service de la CGT. À l’automne 1902, la confédération le défraya pour une tournée de propagande en faveur de la grève générale. Puis, lors de la réunion du 9 janvier 1903 de la section des bourses, il fut élu à la commission des grèves et de la grève générale, dont il devint le secrétaire, Albert Lévy étant le trésorier. Il en démissionna cependant dès octobre 1903, suite à des désaccords sur l’attitude du comité et de la CGT durant la grève des métallurgistes d’Hennebont. Il s’en expliqua dans le n°1 de Libre Examen en juin 1904.

En novembre 1903, il refonda L’Homme libre, qui s’arrêta en mars 1904, puis qui reparut en juin pour 6 numéros sous le titre Libre Examen.

Avec Yvetot, Janvion, Delalé et Miguel Almereyda, il participa en juin 1904 au congrès antimilitariste d’Amsterdam qui aboutit à la formation de l’Association internationale antimilitariste.

D’octobre à décembre 1904, il effectua une tournée de conférences en Algérie avec Louise Michel. À son retour à Marseille, Louise Michel tomba gravement malade et mourut bientôt, alors que l’épouse de Girault, Marie, Madeleine Dany (1881-1911) tombau gravement malade ; elle mourut quelques années plus tard à l’hôpital de Neuilly-sur-Marne.

En 1906, il fut invité à conférencer en Suisse, mais fut arrêté à la frontière et expulsé.

En octobre 1906, Girault participa à la fondation de la colonie communiste de Saint-Germain-en-Laye, établie dans une ferme. Cette colonie comprenait, outre Girault, sa compagne Victorine Triboulet, Scajola, Lorulot, Émilie Lamotte*, Goldsky* et la famille Augery. On envisageait d’y faire de l’agriculture, de l’élevage, d’y installer une imprimerie pour la propagande et de fonder une école libertaire. Les désaccords et les disputes ne tardèrent pas à éclater. L’autoritarisme de Girault en fut une des causes, et fut pointée aussi bien par Lorulot que par Malterre dans Le Libertaire. Girault quitta la colonie pour une tournée de conférences en mars 1907 et n’y remit pas les pieds. L’expérience prit fin à l’automne de 1908. Girault et Victorine Triboulet s’installèrent alors à Argenteuil, 80 route de Pontoise, Val-Notre-Dame.

À cette époque, Ernest Girault donna plusieurs articles à l’anarchie. Dans le numéro du 1er juillet 1909, il disait sa déception de la CGT et des syndicalistes dont il jugeait « le niveau intellectuel assez médiocre ». Quant aux syndiqués, si la plupart sont « de parfaits abrutis, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas lu Le Dantec, chose qui leur eut certainement développé l’esprit critique ; mais parce qu’ils n’ont lu personne ». Il s’éloigna par la suite de l’anarchie et se défendit d’avoir jamais été individualiste.

Au printemps 1910, Girault prit position contre le projet de Parti révolutionnaire de Miguel Almereyda et défendit, dans les colonnes du Libertaire, le projet d’une organisation anarchiste communiste. Néanmoins, il n’adhéra pas à la Fédération révolutionnaire communiste (FRC) lorsqu’elle se constitua.

En 1910, Girault s’installa à Bezons (Seine-et-Oise) dans un immeuble lui appartenant et qu’il baptisa Cité communiste de Bezons. En novembre 1913, il relança d’ailleurs Libre Examen pour quelques numéros en tant qu’« organe de la Cité communiste ».

En août 1913, il participa au congrès national anarchiste de Paris. Il y attaqua la CGT, rappelant l’épisode de 1903 où il estimait avoir été roulé dans la farine, et que les dirigeants généraux avaient bafoué le principe de la grève générale. Pierre Monatte lui répliqua vertement dans La Vie ouvrière, concluant à un problème d’ego de la part de Girault.

Il fut ensuite adhérent de la Fédération communiste anarchiste révolutionnaire (FCAR), qui fit la promotion de son journal, Libre Examen. Il y était encore en mars 1914, mais s’en éloigna ensuite, à cause semble-t-il d’un différend financier (rapport de police du 24 juin 1914) et se rapprocha de Mauricius et de l’anarchie, tout en réprouvant publiquement l’individualisme.

Pendant la Grande Guerre, inscrit au Carnet B, Girault fut très surveillé. Il travailla à partir du 22 juillet 1915 comme aide-chimiste aux essais des usines de la Ville de Paris, à Colombes, et paraissait avoir renoncé « pour l’instant », dit un rapport du 6 janvier 1917, à toute propagande anarchiste. Il n’utilisait plus la petite imprimerie installée chez lui et qui lui servait, avant la guerre, à imprimer ses brochures, conférences et tracts anarchistes et antimilitaristes.

En 1919, Ernest Girault collabora à L’Internationale de Raymond Péricat et, en juin, fut membre du premier « Parti communiste » (voir Alexandre Lebourg). Il fonda la section (dite « soviet ») du PC à Argenteuil, qui eut son siège à la Maison du peuple d’Argenteuil (voir Louis Épinette). Le Parti communiste, qui eut bientôt environ 3 500 adhérents, associait des socialistes, des anarchistes et des syndicalistes sur la base du soutien à la Révolution russe, et tenta de produire une doctrine nouvelle : le soviétisme.

Girault en donnait un aperçu dans son organe, Le Communiste, en date du 1er novembre 1919. Considérant qu’il fallait adapter l’expérience russe à la situation française, il proposait une synthèse : « tout le pouvoir social aux soviets et tout le pouvoir économique aux syndicats ». Il proposait également une conception de la dictature du prolétariat : « Lorsque certains militants, se servant du terme “classe ouvrière”, prétendent que celle-ci aura demain le pouvoir, ils commettent à notre avis une grosse erreur de sociologie. [...] N’y a-t-il [...] pas, à côté d’elle, et la classe paysanne, et la classe des fonctionnaires, et la classe des intellectuels, et la classe des techniciens ? Ce sont toutes ces classes superposées qui constituent le prolétariat. Ce n’est donc pas, logiquement, la seule classe ouvrière qui devra s’emparer du pouvoir et imposer la dictature provisoire, mais bien le prolétariat tout entier. » 

Au même moment, Ernest Girault était membre de l’Union syndicale des techniciens et ingénieurs du commerce et de l’agriculture (Ustica) dont il s’efforçait de gauchir la ligne. En janvier 1920, il siégea à ce titre au Conseil économique du travail (CET) créé par la CGT.

Au sein du PC, les éléments socialistes et les libertaires cohabitaient mal, et les divergences éclatèrent lors du 1er congrès du parti, tenu à Paris du 25 au 28 décembre 1919. Contre un projet de statuts jugé trop centraliste déposé par Girault, un contre-projet rédigé par Lebourg* Émile Chauvelon, Émile Giraud* et Louise Roblot fut adopté aux deux tiers. L’organisation fut rebaptisée Fédération communiste des soviets (FCS), avec Marius Hanot comme secrétaire et Lebourg comme secrétaire adjoint.

Girault fut élu à la commission exécutive, mais fit partie d’une minorité mécontente de la nouvelle orientation. Le 6 février 1920, une scission emmenée par Sigrand, Lacoste, Fabre, Girault et Henri Bott recréait le PC et son organe Le Communiste, qui devaient subsister jusqu’en mars 1921. Lucas en fut le secrétaire et Lagru* le trésorier.

Les 25 et 26 septembre 1920, Ernest Girault participa à l’assemblée générale des minoritaires CGT à Orléans, puis au congrès confédéral qui se tint du 27 septembre au 2 octobre dans la même ville, où il représentait les caoutchoutiers d’Argenteuil. Il y annonça publiquement qu’il démissionnait du CET, car celui-ci faisait œuvre conservatrice et non révolutionnaire et prolétarienne, comme il l’avait espéré.

Le 8 janvier 1921, lors d’une conférence au Club du Faubourg, il annonça publiquement qu’il adhérait au PCF. L’Humanité du 14 janvier reproduisit sa déclaration : « Nos fins sont fédéralistes et anti-étatistes, disait-il, mais à moins, comme l’a dit Lénine, de vouloir faire accoucher une fillette de quatre ans, la guerre et la révolution russe nous ont fait comprendre qu’il faudrait inévitablement accepter la dictature provisoire. » Il entraîna dans son adhésion le « soviet d’Argenteuil » avec ses 80 adhérents, ainsi qu’Alzir Hella*, Chabert, Robert Guérard* et Henri Chassin.

Il collabora ensuite à L’Humanité et à La Voix paysanne, ce qui lui valut à plusieurs reprises les attaques du Libertaire qui, dans son numéro du 10 septembre 1926 l’appela « Girault-Girouette ».

Il participa, du 12 au 15 octobre 1923 à Moscou, à la 1ère Conférence internationale paysanne et fut désigné comme conseiller technique du Conseil paysan français le 18 janvier 1925. Cette même année, il appartint à la commission exécutive du Secours rouge international. Il fut candidat du Bloc ouvrier paysan (communiste) aux élections législatives de mai 1928 dans la circonscription de Château-Chinon et obtint 1 641 voix au 1er tour et 133 au second (le socialiste Gamard fut élu).

Ernest Girault mourut le 12 décembre 1933 et fut incinéré (cf. L’Idée libre, janvier 1934). Son acte de décès indique qu’il habitait au 41, rue de la Tour-d’Auvergne à Paris (IXe arr.) et qu’il était ingénieur. Veuf en premières noces de Marie, Madeleine Dany, dont il avait eu une fille, Fernande (9 avril 1904-21 janvier 1983), il avait épousé en secondes noces, en 1926, Julia Augustine Têtu.

Son décès fut annoncé aux proches par sa secrétaire Georgette Boyer, dans une circulaire portant les noms de J. Desnois, Totin, Marthe Eichberg, Jules Vaugon et Chesneau.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154442, notice GIRAULT Ernest, Louis [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, notice revue par Guillaume Davranche et Marianne Enckell, version mise en ligne le 6 mars 2014, dernière modification le 3 avril 2020.

Par Jean Maitron, notice revue par Guillaume Davranche et Marianne Enckell

Ernest Girault (1928)
Ernest Girault (1928)

ŒUVRE : La Femme dans les Universités populaires et les syndicats, Petite Bibliothèque des universités populaires, s.d. ― Un problème poignant. L’aliénation mentale et les séquestrations arbitraires, Petite Bibliothèque des universités populaires, s.d. ― La Grève générale et la révolution, Paris, 1903 ― Au lendemain de la grève générale. Organisation communiste du travail, Puteaux, 1903 ― Science et nature, Imprimerie économique, 1901 ― La Crosse en l’air, Paris, 1905 ― Un Grand fléau. Étude sociologique de l’alcoolisme, Paris, 1905 ― À bas le czar ! Vive la révolution russe, Toulon, 1905 ― À bas les morts !Propagande antireligieuse Alfortville, 1906 ― La Bonne Louise, psychologie de Louise Michel : sa physionomie, son caractère, son tempérament, sa mentalité, les dernières années de sa vie, Paris, 1906 ― Une colonie d’enfer, préface de Lucien Descaves, Librairie internationaliste, Alfortville, 1906 ― Prenons la terre ! Communisme expérimental, s.d. [1907] ― Collectivisme ou communisme, Bezons, 1911 ― Travailleur, tu ne voteras point ! Soldat, tu ne tireras pas ! Puteaux, s.d. ― Manuel antiparlementaire, Bureau de propagande, Bezons, s.d. [1914] ― Pourquoi les anarchistes-communistes français ont rallié la IIIe Internationale, Paris, 1926 ― Paysans ! À bas les partageux, préface de Jean Renaud, Paris, 1927.

SOURCES : État civil de Paris. — Recrutement militaire. ― Arch. Nat. F7/13620, Seine-et-Oise, rapport du 6 janvier 1917 ― Arch. PPo. BA/1186 ― AD de Seine-et-Oise, 4 M 30 et 31, 16 M 46 ― IISG Amsterdam, fonds Lucien Descaves. ― André Lorulot, Une expérience communiste, la colonie libertaire de Saint-Germain, Imprimerie de la colonie communiste de Saint-Germain-en-Laye, 1908 — l’anarchie, 15 octobre 1908, 1er juillet 1909 ― Compte-rendu du congrès de la CGT de Bourges (1904) ― Le Libertaire de mars à juin 1910 et 27 septembre 1913 ― La Vie ouvrière du 5 septembre 1913 — L’Humanité du 14 janvier 1921 ― Jean Maitron, Histoire du Mouvement anarchiste, tome I, Gallimard, 1975 ― René Bianco, Cent ans de presse anarchiste, op. cit. ― M. Dommanget, Blanqui et l’opposition révolutionnaire à la fin du Second Empire, p. 154 ― Renseignements recueillis par Louis Bonne — Pierre Berthet, « Les libertaires français face à la révolution bolchévique en 1919 : autour de Raymond Péricat et du Parti communiste », mémoire de maîtrise, Paris-IV, 1991 — Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914), L’Insomniaque/Libertalia, 2014.
Voir aussi la notice d’Ernest Giraud sur le site militants-anarchistes.info

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