Par Théo Roumier
Né le 19 juillet 1954 à Paris( XIVe arr.) ; plombier puis employé municipal ; communiste libertaire et syndicaliste ; cofondateur de l’association culturelle juive Pitchkepoï.
Fils unique, Jean-Marc Izrine naquit dans une famille modeste et grandit en banlieue parisienne, à La Garenne-Colombes (92). Ses parents passèrent dans les années 1970 du statut de classe moyenne à celle de classes moyenne supérieures. Tous deux étaient de sensibilité de gauche progressiste, sans pour autant adhérer à un parti ou un syndicat. Ce qui n’empêcha pas son père d’être actif. Jeune, il fut adhérent à la Ligue internationale contre l’antisémitisme (la Lica) comme le furent également les oncles de Jean-Marc qui, dans les années 1930, faisaient le coup de poing contre les ligues d’extrême droite sur les marchés de Paris 18e. Sous l’Occupation, le père de Jean-Marc rejoignit un réseau de résistance lié aux gaullistes et, lors du putsch des généraux d’avril 1961, il organisa des activités de repérage des militants pro-OAS.
La grand mère qui marqua l’esprit de Jean-Marc, avait été une activiste du BUND (organisation juive marxiste révolutionnaire). Originaire de Borrissov dans l’actuelle Belarussie, elle avait du fuir en 1905 la répression policière tzariste. Son grand père déserteur de l’armée russe occupant la Pologne avait déserté en 1905 également. Leur rencontre avait eu lieu à Paris.
L’histoire familiale, lui sera révélé par ses parents tardivement, au détour des années 1970 . Son parcours semblait donc s’orienter vers un univers bourgeois et rien ne destinait Jean-Marc a s’engager dans le mouvement libertaire.
En mai 1968, Jean-Marc Izrine avait 14 ans et, victime d’une crise d’asthme, ne participa pas aux « événements ». 1968 fut néanmoins pour lui un moment fondateur. À la rentrée scolaire de 1968, alors qu’il intégrait la classe de troisième, il vendait Action, le journal des comités d’actions lycéens (CAL), sans imaginer le rôle qu’y jouaient alors les militants de la JCR. Il s’intéressa ensuite durant trois mois à la Gauche prolétarienne (GP, maoïste), et commença à fureter du côté de la fac de Nanterre. Il papillona par la suite dans le mouvement libertaire avant de s’affilier définitivement à l’ORA en 1971. La présence de militants ouvriers à l’ORA compta dans ce choix. Il rejoignit alors le groupe de Colombes-Nanterre animé notamment par Ludo Marcos et un autre militant qui avait pour pseudonyme « Barberousse ».
Dans son lycée, il fut à l’animation de la grève contre la loi Debré en 1973. Après le bac, il s’inscrivit à la fac de Nanterre. Dans cette période, il suivit pour le compte de son groupe les divers mouvements sociaux agitant le périmètre compris entre Gennevilliers et Nanterre. Il fut également réquisitionné tous les lundis matins pour tracter devant EDF à Asnières. Ses « années étudiantes » furent aussi l’occasion pour Jean-Marc Izrine de nouer des amitiés avec des militantes plus âgées du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (Mlac), ce qui, selon ses propres termes, « l’éduqua naturellement au féminisme ».
Il décrocha un Deug d’économie à l’issue de ces deux années de fac.
Mais c’est sur un coup de tête qu’en 1974 il décida d’apprendre la plomberie aux côté d’un « copain » plombier de l’ORA, Ange Sierra de la Mar. Il exerça ce métier jusqu’en 1991.
Ange se suicidera à la suite d’un accident du travail. La sœur d’Ange, Lola milita aussi au groupe de Nanterre, tous deux resteront en lien et renoueront amitié, une fois établi l’une et l’autre sur Toulouse.
En 1976, il était à Orléans, au congrès de l’ORA. Comme tous les militants présents, il devait faire un choix : soit rester dans l’ORA, rebaptisée OCL, soit rejoindre les militants exclus de la tendance UTCL. Jugeant que l’UTCL était sur des positions « ouvrières », il rejoignit ses rangs, aux côtés de Thierry Renard, Patrice Spadoni ou Olivier Sagette. Plombier, il fut intégré au secteur métallurgie de l’UTCL, secteur « fourre-tout » au sein duquel il se lia d’amitié avec Daniel Guérin.
Salarié d’entreprises du bâtiment, il fréquenta la CFDT de ce secteur sur Paris et adhéra formellement à l’UL-CFDT de Colombes où son activité essentielle fut de soutenir les luttes locales d’immigrés.
En 1977 et 1978, il fut permanent de l’UTCL, chargé de la liaison avec les groupes de province (Lille, Angers, Toulouse). Ce fut dans le cadre de ce mandat qu’à l’occasion d’un passage par Angers il enregistra la demande d’adhésion de Georges Fontenis.
En 1978 et 1979, Jean-Marc Izrine fut en formation professionnelle à Tarbes où il rencontra sa future compagne, fille d’un exilé anarcho-syndicaliste espagnol. En 1979, le jeune couple s’installait sur Toulouse.
Dans le Tarn-et-Garonne c’était l’époque de la lutte contre le projet de centrale nucléaire à Golfech. Jean-Marc Izrine s’engagea sérieusement dans cette lutte écologiste. Parallèlement, il continua de militer dans le groupe UTCL de Toulouse. Il était toujours plombier et adhérait au syndicat CFDT du bâtiment.
En 1982, le massacre des camps palestiniens de Sabra et Chatila l’interpella profondément et personnellement. Lors d’une manifestation, il défila dans Toulouse derrière une banderole sur laquelle était inscrit : « Les morts de Beyrouth pèsent sur nos consciences juives ». Si jusque là l’itinéraire militant de Jean-Marc Izrine s’était construit sous la double étoile de Bakounine et Durruti, les années 1980 furent, pour lui, le moment de la redécouverte d’une filiation juive qui lui fut propre.
Son antisionisme de départ fut avant tout idéologique car il ne comptait pas défendre plus l’État d’Israël que l’État français ou d’un autre pays du monde.
Suite à la première intifada de 1987, Jean-Marc Izrine créa en 1989 un collectif de juifs antiracistes et non-sionistes, affirmant leur soutien au peuple palestinien : l’association culturelle juive Pitchkepoï. Jean-Marc et Pitchkepoï se fixèrent également pour but de défendre l’héritage du mouvement révolutionnaire yiddish.
Jean-Marc Izrine eut deux enfants : une fille en 1983 puis un fils en 1987. Très impliqué dans l’éducation de ses enfants, il le traduisit de façon militante par la création de l’Association des parents d’enfants en crèche puis adhéra activement à la FCPE.
Professionnellement, Jean-Marc Izrine était plombier à son compte depuis 1987. En 1991, ce fut sur un nouveau coup de tête qu’il décida de changer de métier. Il fut alors engagé comme responsable technique de la régie du quartier de la Reynerie à Toulouse. Cette même année, aux côtés de ses camarades de l’UTCL, il participa à la fondation d’Alternative libertaire.
Suite aux grandes grèves de 1995, il commença à tisser un réseau informel rassemblant les militants de la gauche sociale du quartier de la Reynerie.
Entre 1996 et 1997, alors qu’il était militant à Ras l’Front et à AL, il ressentit un malaise certain lors de l’affaire Serge Quadruppani-Gilles Dauvé, qui posait l’existence d’un révisionnisme d’ultra-gauche, et du soutien que leur apporta Gilles Perrault, alors dirigeant de Ras l’Front (soutien qui fut dénoncé par Didier Daeninckx). À la suite de cette affaire, la commission antifasciste d’AL le chargea d’un travail sur le mouvement anarchiste juif. Ce fut l’occasion de rédiger son premier livre, Les Libertaires du Yiddishland.
En décembre 1998, suite à la mort d’un jeune du quartier impliquant les forces de l’ordre, la Reynerie entra en émeute. Jean-Marc Izrine coorganisa une marche jusqu’au Capitole, la place centrale de Toulouse, en mars 1999. Cette marche qui rassembla 1500 personnes, se faisait derrière une banderole réclamant « Justice, emploi, éducation ».
Dès lors, Jean-Marc Izrine, syndiqué à SUD, s’engagea résolument dans l’organisation de mouvements sociaux de quartier. En compagnie de Michel Desmars, un ancien de l’UTCL, il fit la connaissance des membres du groupe de musique Zebda et allait participer à la construction de la campagne des Motivé-e-s aux élections municipales de 2001. Il figurait en 17e position sur la liste et défendit la rupture de la liste Motivé-e-s d’avec la LCR.
En 2002, il participa à une mission civile en Palestine sous l’égide des Motivé-e-s, à Naplouse, voyage dont il revint profondément ébranlé. En 2005, auprès de ses enfants, il appuya très activement les mouvements lycéens lors des luttes contre la loi Fillon et le projet de CPE.
Durant les années 2000, Jean-Marc Izrine fut également régulièrement sollicité pour faire des communications publiques sur l’histoire des libertaires juifs. En 2000 il fut invité successivement au colloque de Venise sur l’anarchisme juif sous la direction d’Amedeo Bertolo, puis au colloque « un autre futur » organisé par la CNT en mai. En 2003, suite à la sortie de son livre Les Libertaires dans l’affaire Dreyfus, il intervint au colloque « Bernard Lazare » organisé par Philippe Oriol à la Sorbonne. Ces questions du rapport entre mouvement libertaire et identité juive, tout comme celles posées par son travail militant dans les quartiers, fournirent à Jean-Marc Izrine la matière de nombreux et réguliers articles pour le mensuel Alternative libertaire et Débattre, la revue de réflexion d’AL.
Jean-Marc Izrine participa au processus qui aboutit en juin 2019 à la fusion d’Alternative libertaire (AL) et de la Coordination des groupes anarchistes (CGA) au sein de l’Union communiste libertaire (UCL).
Devenu retraité, il coordonna les liaisons et adhésions militantes sur la région Occitanie Ouest, se déplaçant sur place si nécessaire. Il s’impliqua activement au sein du groupe UCL de Toulouse. Ses activités militantes se recentrant sur l’action locale, dans le dernier quartier populaire de l’hyper centre de Toulouse où il réside. Il participera à la quasi totalité des manifestations des Gilets jaunes sur sa ville.
Par Théo Roumier
ŒUVRE : Les Libertaires du Yiddishland, coédition AL/Le coquelicot, 1998, réédition augmentée en 2014 — Les Libertaires dans l’affaire Dreyfus, coédition AL/Le coquelicot, 2004.
SOURCES : Archives UTCL — Archives AL — Archives de La Dépêche du Midi. — Philippe Dubacq, Anarchisme et marxisme dans l’après 68. Le cas de l’organisation révolutionnaire anarchiste (ORA), mémoire de maîtrise de sociologie politique, Paris-X, 1992. — Théo Rival, Syndicalistes et libertaires. Une histoire de l’UTCL (1974-1991), Alternative libertaire, 2013.