ROBERT Fernand [Dictionnaire des anarchistes]

Par Guillaume Davranche, Marie-Louise Goergen et Guillaume Trousset

Né le 7 septembre 1918 à Saint-Bazile-de-Meyssac (Corrèze), mort le 30 novembre 1990 à Brive-la-Gaillarde (Corrèze) ; cheminot ; anarchiste et syndicaliste.

En 1942, Fernand Robert était manœuvre chez Car & Cie, une entreprise d’huile synthétique. Aucune trace d’activité politique n’est relevée sur cette période mais, désigné par son patron pour le STO, il y échappa en quittant son emploi pour se réfugier chez des cultivateurs à Ligneyrac jusqu’à la Libération.

Le 12 janvier 1945 il fut embauché aux PTT comme conducteur de presse aux chèques postaux. Il rejoignit peu de temps après la SNCF à Paris-Austerlitz.

Militant CGT, il participa à sa tendance anarcho-syndicaliste, groupée au sein de la Fédération syndicaliste française (FSF). Les 4 et 5 mai 1946, il prit part à la conférence qui décida de scissionner de la CGT et de fonder la CNT française. C’est sans doute de cette époque que date son adhésion à la Fédération anarchiste et sa rencontre avec Raymond Beaulaton, avec lequel il allait former un binôme militant pendant plusieurs décennies.

Il collabora alors au Libertaire sous le pseudonyme de René Guy ou sous son propre nom.

À la CNT, Robert et Beaulaton animèrent la Fédération des travailleurs du rail (FTR).
Lors du IIe congrès confédéral, à Toulouse, les 24-26 septembre 1948, Fernand Robert intégra le comité de rédaction du Combat syndicaliste et la commission administrative (CA) de la CNT. La CNT avait, lors de ce congrès, décidé d’une stratégie d’autodépassement dans une « nouvelle centrale » révolutionnaire plus large, intégrant les syndicats autonomes détachés de la CGT depuis 1946. Fernand Robert fut un fervent partisan de cette stratégie. Pourtant la CNT ne la suivit pas longtemps et, le 29 mai 1949, elle claqua la porte du Cartel d’unité d’action syndicaliste (CUAS) où elle côtoyait entre autres le Comité d’action syndicaliste des Métaux, l’École émancipée et la tendance Unité syndicale animée par le Parti communiste internationaliste (PCI).

Le bureau de la FTR-CNT refusa ce tournant et décida de se maintenir dans le CUAS. Fernand Robert utilisa alors la page syndicale du Libertaire pour polémiquer avec la majorité de la CNT dont il incrimina le « sectarisme » qui faisait selon lui « plus de mal au syndicalisme que toutes les pantalonnades des réformistes » (8 juillet 1949) car « l’état actuel du syndicalisme ne permet pas la politique du tout ou rien » (19 août 1949). Provocateur, Robert fut alors la cible de violentes attaques au sein de la CNT. Cela ne l’empêcha pas d’être élu administrateur du Combat syndicaliste au IIIe congrès confédéral de la CNT, les 30 octobre et 1er novembre 1949.

Décidé à maintenir la FTR dans le CUAS, Fernand Robert et Raymond Beaulaton participèrent à la 2e conférence du CUAS, les 12 et 13 novembre 1949. Et dès le 27 novembre, ils formaient, avec des militants CGT et FO, le Cartel d’unification syndicaliste des cheminots (CUSC). La sanction ne tarda pas à tomber et, lors du CCN de la CNT du 29 janvier 1950, les responsables de la FTR, Beaulaton, Robert, Pillerault et Regnault furent exclus de la CNT.

Fernand Robert recentra alors son activité sur la FA, dont il animait le groupe d’Angers-Trélazé, et prit la relève de Jean Boucher* à la page syndicale du Libertaire. Cela contribua encore à refroidir les relations entre la CNT et la FA qui continuait à désigner le CUAS comme le lieu où se jouait l’avenir du syndicalisme révolutionnaire.

En plus de sa collaboration au Libertaire, Fernand Robert collaborait, au titre du CUSC, à Unité syndicale, bulletin animé par les trotskistes du PCI, et qui polarisait surtout dans la gauche de la CGT-FO. Robert rejoignit bientôt la CGT-FO.

Il ne resta que quelques mois à l’animation de la page syndicale du Lib. Lui et Beaulaton en furent écartés par le comité national (CN) de la FA en octobre 1950, suite à des révélations publiées dans Le Combat syndicaliste du 8 septembre 1950, affirmant que, pendant la grève de 1947, le bureau de la FTR avait pris contact avec le ministre des Transports pour demander que cinq militants de la CNT – dont Robert et Beaulaton – ne soient pas considérés comme grévistes. Le Combat syndicaliste détenait la preuve de cette compromission : une réponse ironique du ministre à la FTR, en date du 8 décembre 1947. Après avoir fourni des documents prouvant leur bonne foi, tous deux furent blanchis au congrès FA de Lille, en mai 1951.

Cependant, Robert cessa définitivement d’écrire dans le Libertaire et, avec Beaulaton, il entama une guerre d’usure contre le CN de la FA. En juillet 1951, ils se joignirent à la Commission d’études anarchistes (CEA), une fraction « dedans-dehors » créée pour déstabiliser le CN. Dans cette CEA on trouvait – outre Robert – des militants de sensibilités différentes et parfois contradictoires, appartenant ou non à la FA, mais ayant en commun de rejeter son orientation majoritaire : Henri Bouyé*, Jo Lanen*, Louis Louvet*, E. Armand*, Aristide et Paul Lapeyre*, André Arru*, Georges Vincey*, Maurice Joyeux*, André Prudhommeaux*, Robert François* et Raymond Beaulaton. Georges Fontenis* voyait alors en Fernand Robert un « aventurier bavard » et un « excité ».

La coalition qu’incarnait la CEA fut battue au congrès FA de Bordeaux, en juin 1952, et Fernand Robert et Raymond Beaulaton quittèrent l’organisation. Ils participèrent alors à la publication du bulletin de la CEA, L’Entente anarchiste, qui sortit cinq numéros du 30 octobre 1952 au 8 février 1953.

Par la suite Robert et Beaulaton créèrent plusieurs petites structures éphémères autour de leurs personnes. En avril 1953, ils essayèrent ainsi de fonder une Alliance syndicale des cheminots anarchistes de France et de l’Union française (ASCA) qui édita jusqu’en juin 1954 Le Rail enchaîné, qui avait été le titre du bulletin de la FTR en 1947. Le siège de l’ASCA était chez Fernand Robert, au 20 rue Santeuil, à Paris 5e.

Le 25 décembre 1953 ils participèrent au congrès fondateur de la nouvelle Fédération anarchiste. En parallèle, ils publièrent, à partir de janvier 1954, un périodique, L’Anarchie, censé être l’organe d’une Union syndicale du travail anarchiste (USTA). Cependant, Robert et Beaulaton dénoncèrent bientôt la nouvelle FA comme étant elle-même autoritaire, noyautée par la franc-maçonnerie et compromise avec le Parti socialiste. À l’occasion d’une rencontre internationale à Bruxelles, le 25 novembre 1956, ils fondèrent alors l’Alliance ouvrière anarchiste (AOA), censée être la section française d’un « Mouvement anarchiste mondial » et dont L’Anarchie devint l’organe officiel.

L’AOA se réduisait en fait à une poignée de militants autour de Fernand Robert et de Raymond Beaulaton qui, dès l’époque de la guerre d’Algérie, évoluèrent vers l’extrême droite. L’influence de l’AOA dans le mouvement libertaire fut négligeable, et L’Anarchie continua d’être publiée, de façon confidentielle, jusqu’à la mort de Raymond Beaulaton, en 1994.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154514, notice ROBERT Fernand [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche, Marie-Louise Goergen et Guillaume Trousset , version mise en ligne le 2 mai 2014, dernière modification le 4 septembre 2022.

Par Guillaume Davranche, Marie-Louise Goergen et Guillaume Trousset

ŒUVRE : Vers un monde nouveau, préf. du Dr Ad. Ferrière, éd. Fustier, Paris, 1936, 185 p. — Pour un monde nouveau. L’union des hommes, Imp. de G. Subervie, Rodez, 1937, 31 p. — La SNCF doit-elle disparaître ? préface de Maurice Joyeux, s. éd., s.l., 1950, 32 p. — Le Petit Monde bien brave de l’anarchisme d’aujourd’hui, s.n., Paris, 1956, 18 p. — avec Jean Perrin, Raymond Beaulaton, Ennio Mattias, Les Origines du Premier Mai, Paris, 1964.

SOURCES : État civil de Saint-Bazile-de-Meyssac — Le Libertaire de 1947 à 1950 — Guillaume Trousset, « Libertaires et syndicalistes révolutionnaires dans la CGT-Force ouvrière (1946-1957) », mémoire de Master en Histoire, Paris-I, 2007 — Georges Fontenis, Changer le monde, 2008, Éditions d’AL — Jean Maitron, Histoire du mouvement anarchiste… — René Bianco, « Un siècle de presse… », op. cit. — Julien Loncle, « Histoire d’un courant anarcho-syndicaliste français : la CNT de 1945 à 1995 », mémoire de maîtrise d’histoire, université de Bourgogne, 2002 — Sylvain Boulouque, Les Anarchistes français face aux guerres coloniales (1945-1962), ACL, 2003 — Guillaume Davranche, « 1948 : Les anarchistes rejoignent à regret la CGT-FO », Alternative libertaire d’avril 2008.

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