Par Théo Roumier
Né le 12 juillet 1953 à Paris 17e ; postier puis cinéaste ; communiste libertaire et syndicaliste.
Il n’était encore qu’élève au lycée Claude-Bernard, un établissement bourgeois de Paris 16e qu’il avait rejoint pour son option « arts plastiques », quand Patrice Spadoni entra en politique, à l’aube des années 1970. Un temps attiré par la Ligue communiste il préféra rejoindre l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA) avec son ami Olivier Sagette. Bientôt il créa sur son lycée un Cercle Front libertaire (CFL), structure large et d’accueil de l’ORA. Dénommé « Auteuil-Boulogne », ce CFL fut rapidement intégré à l’ORA.
Au bout de quelques mois, Patrice Spadoni fut chargé du développement du secteur lycéen de l’ORA et c’est dans ce cadre qu’il rencontra Thierry Renard, pensionnaire du lycée Michelet, à Paris 15e. L’action militante de Patrice Spadoni se partageait alors entre les ventes à la criée du journal de l’ORA, Front libertaire, les manifestations, le soutien à la résistance antifranquiste en Espagne, les mouvements lycéens et les grèves ainsi que la participation aux assemblées générales de l’ORA, qui se tenaient au 33, rue des Vignoles.
À l’été 1973, après son baccalauréat et l’exercice de divers petits emplois, il intégra, avec d’autres militants lycéens de l’ORA, le centre de tri postal de Paris-Brune à Paris 14e en qualité d’auxiliaire de tri. Le militantisme à Paris-Brune devait être décisif dans son itinéraire politique. Plutôt rétif à l’action syndicale quand il était lycéen, il se syndiqua à la CFDT, qui se fixait alors pour but le socialisme autogestionnaire. Avec Thierry Renard, il fonda alors le bulletin du secteur PTT de l’ORA, Le Postier affranchi. Au sein de l’ORA, il militait à la fois dans le groupe d’entreprise de Paris-Brune, et dans sa « base arrière », le groupe de ORA de Paris 14e, lancé avec Thierry Renard.
Lors de la Rencontre nationale de l’ORA à la Pentecôte 1974, il soutint l’orientation « Pour qu’une force s’assemble », qui visait à rassembler largement la « gauche ouvrière et syndicale » et s’engagea dans la courte dynamique qui suivit l’adoption de cette orientation. C’est également lors de cette Rencontre nationale que Patrice Spadoni entra au comité national de l’ORA au poste des Relations extérieures : selon lui un simple « titre formel ». Il ne se sentit pas réellement intégré au groupe des militants plus âgés (Ramon Finster, Gérard Mélinand, Rolf Dupuy...) qui pilotait le comité national.
À l’automne 1974, Thierry Renard et lui participèrent activement à la grande grève des PTT. Le groupe ORA de Paris-Brune lança à cette occasion un « Comité d’animation culturelle ». Cette expérience d’action politique et syndicale conjointe à Paris-Brune amèneront Patrice Spadoni et Thierry Renard* à se poser en opposants au sein de l’ORA, jugeant que l’« équipe dirigeante » de l’ORA se perdait notamment dans une stratégie antisyndicaliste qui tournait le dos, selon eux, aux luttes ouvrières et d’entreprise. Ils formèrent alors, avec d’autres (Jean-Marc Izrine, Henri Célié, Olivier Sagette, Patrick Vélard...) une tendance officieuse au sein de l’ORA, baptisée Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL) et surtout influente dans les groupes de Paris 14e et 18e et parmi les syndicalistes de l’ORA (Banques, PTT, SNCF).
À la Rencontre nationale des 9, 10 et 11 novembre 1974 à Nîmes, Patrice Spadoni défendit un texte inspiré par la tendance UTCL, « Polariser nos forces vers les entreprises ». Si ce texte, qui prônait une intervention accrue dans le syndicalisme, fut adopté, la tendance UTCL jugea bientôt qu’il s’avérait impuissant à entraver la dérive antisyndicaliste de l’ORA.
En 1976, au congrès d’Orléans, la tendance UTCL fut exclue de l’ORA qui se rebaptisa alors Organisation communiste libertaire (OCL). La tendance devint alors le Collectif pour une UTCL dont Patrice Spadoni fut l’un des principaux animateurs, et lança le mensuel Tout le pouvoir aux travailleurs (TLPAT). En mars 1978, l’UTCL devenait une organisation à part entière. Patrice Spadoni en était la « plume », rédigeant nombre des textes de la nouvelle organisation et des articles de sa presse, TLPAT puis Lutter !.
En 1978, il devint fonctionnaire des PTT, d’abord comme facteur, puis comme manutentionnaire de nuit et quitta Paris-Brune pour la recette principale du bureau de Poste de Paris 17e où il fut nommé secrétaire de la section CFDT. Quelques temps plus tard, il était un des responsables départementaux du syndicat des services postaux de la CFDT, chargé de la formation. Il devait bientôt apparaître comme une des figures parisiennes de l’opposition cédétiste de gauche à la ligne confédérale.
Parallèlement à son militantisme syndical, Patrice Spadoni continuait à être un militant-clef de l’UTCL. Avec Daniel Guérin, il fut un des organisateurs en 1981 du colloque "1921-1981, de Cronstadt à Gdansk, soixante ans de résistance au capitalisme d’État", colloque auquel participèrent entre autres Marcel Body, Ante Ciliga, Cornelius Castoriadis, Georges Fontenis et Marc Ferro.
Il fut un des principaux rédacteurs du Projet communiste libertaire, (avec notamment Marco Candore), texte adopté collectivement par l’UTCL en mars 1986 après plusieurs années de débats collectifs. Aux PTT, il « retourna à la base » en 1988 et fut nommé au bureau de poste de Paris-Louvre. C’est donc sans responsabilités syndicales particulières qu’il participa à la création du nouveau syndicat Solidaires Unitaires Démocratiques des PTT (SUD-PTT) en 1988. Il en suivit néanmoins l’accouchement de près : soit par le biais des nombreuses relations syndicales tissées chez les oppositionnels du syndicat des postaux parisiens, soit par celui des autres militants UTCL des PTT, tels Thierry Renard, Patrick Velard ou Martine Donio.
Il participa par la suite aux débats qui précédèrent la création en 1993 d’Agir ensemble contre le chômage (AC !). Dans la foulée des grèves de novembre-décembre 1995, il allait également suivre avec attention la création des syndicats SUD (voir Christian Mahieux) dans lesquels il décelait « un esprit de démocratie directe, d’autogestion, tout à fait d’actualité. »
Alors que la perestroïka était en train de bouleverser le paysage politique et anticapitaliste sur toute la planète, Patrice Spadoni avait initié l’idée qu’il était temps de dépasser le cadre organisationnel formé par l’UTCL pour regrouper largement tous les communistes libertaires, dispersés alors entre l’UTCL, l’OCL, la TAC, le CJL, le COJRA et une partie de la FA. Le débat lancé dans l’UTCL à cette occasion aboutit au lancement, en mai 1989, de l’Appel pour une alternative libertaire qui devait aboutir à la fondation, en 1991, d’une nouvelle organisation politique, Alternative libertaire (AL). Patrice Spadoni fut alors un des principaux rédacteurs du Manifeste pour une alternative libertaire, adopté la même année.
Au sein d’AL, il occupa successivement plusieurs postes au secrétariat national, et ce jusqu’en 2003. Il rédigea également de nombreux articles pour le mensuel Alternative libertaire ainsi que plusieurs textes d’orientation, notamment à l’occasion du Ve congrès tenu à Paris en 2000, axé sur le « tournant vers la visibilité » d’AL. Brillant orateur, il fut également très demandé pour animer les réunions publiques de l’organisation, à Paris comme ailleurs.
Dans les années 1990, après plus de quinze ans de militantisme UTCL et CFDT à la Poste, la vie militante de Patrice Spadoni prenait un cours nouveau. Avec les militants d’AC ! il imagina d’organiser la Marche contre le chômage du printemps 1994. AC !, transforma l’essai et organisa, avec d’autres organisations et associations européennes de lutte contre le chômage, dont la CGT anarcho-syndicaliste espagnole, les Marches européennes de 1997 sur Amsterdam et de 1999 sur Cologne.
Cette même année 1999 se structura un Réseau des marches européennes contre le chômage, la précarité et les exclusions dont Patrice Spadoni, membre du secrétariat, rédigea, en collaboration avec Claire Villiers, le manifeste. Il relata également la marche de 1997 dans son livre Les Sentiers de la colère, coécrit avec Bertrand Schmitt.
Patrice Spadoni fut également, en 1998, à l’instigation de l’Appel pour l’autonomie du mouvement social avec Thierry Renard, Annie Pourre, Pierre Contesenne, ainsi que Jacques Toublet et Gérard Mélinand. Appel qui rejoignit également les préoccupations de Pierre Bourdieu.
« Né dans la peinture », fils de parents artistes peintres vivants d’expédients, Patrice Spadoni avait toujours porté une vocation artistique. Avant de quitter la Poste en 1992, il avait repris des études et obtenu un DEA d’études audiovisuelles à l’université Paris-VIII. En 1996, il réalisait son premier film, un court-métrage de fiction, suivi trois ans plus tard d’un moyen-métrage documentaire, Daniel Guérin, 1904-1988, combats dans le siècle. Il consacra également plusieurs articles à la personnalité de ce militant d’envergure, qu’il avait connu à l’ORA dans les années 1970.
Ce cheminement personnel allait rencontrer celui des Marches européennes et réorienter sa vie professionnelle et son action militante. Dès la première Marche européenne de 1997, des marcheurs, équipés de caméras, furent invités à tenir des carnets-vidéos. Patrice Spadoni impulsa le projet et signa la réalisation d’En marche, le moyen-métrage documentaire tiré de cette expérience. Ce fut le coup d’envoi de la création de l’association Canal Marches, dont Patrice Spadoni, désormais réalisateur et intermittent du spectacle, fut le principal animateur.
Dans ce cadre il anima de nombreux ateliers d’expression vidéo, essentiellement à Paris 20e et en 2009, il fut l’une des chevilles ouvrières de la fondation de l’Université populaire audiovisuelle (UPOPA), pour laquelle il multiplia les interventions, les formations et les ateliers de création.
Par Théo Roumier
ŒUVRE : « Trente ans après », postface à la réédition du Manifeste communiste libertaire de la FCL, éditions L, 1984 — préface (signée Patrice Lindbergh) à la réédition d’Un projet de société communiste libertaire, AL, 1993 — Les Sentiers de la colère, 105472 kilomètres à pied contre le chômage (avec Bertrand Schmitt), L’Esprit frappeur, 2000 — « Cronstadt ou la tragique erreur de Lénine et Trotsky », préface à 1921, l’insurrection de Cronstadt la rouge, AL, 2002
ARTICLES (sélection) : « Lettre ouverte à l’OCL (ou : le calumet) », dans Lutter ! n°21 de novembre 1987 — « Affirmer une troisième force syndicale », contribution aux débats du Cercle Fernand Pelloutier, reproduit dans Lutter ! n°26 de mars 1989 — « Les mirages du sectarisme (à propos des relations entre SUD et la CNT) », dans Alternative libertaire n°43 de mai-juin 1996 — « La synthèse entre l’anarchisme et le marxisme », sur Daniel Guérin, dans le hors-série que lui a consacré Alternative libertaire en 1998 — « Contre-pouvoir ou gestion réformatrice du capitalisme ? », sur l’appel pour l’autonomie du mouvement social, dans Alternative libertaire n°69 de novembre 1998 — « Un rayon de SUD », dossier en deux parties dans Alternative libertaire n°71 de janvier 1999 et n°73 de mars 1999
FILMOGRAPHIE : Ombres magiques, court-métrage de fiction, 1996 — En marche, moyen-métrage documentaire, 1998 — Daniel Guérin, 1904-1988, combats dans le siècle (avec Laurent Mulheisen), 1999 — Fernand Pelloutier et les Bourses du Travail, moyen-métrage documentaire, 2002 — Les Garçons Ramponeau, long-métrage documentaire, 2007 — Paroles de sans-papiers, série documentaire, 2008 — SUD-PTT 20 ans (avec Thibault Duffour), long-métrage documentaire, 2009.
SOURCES : Archives Roland Biard (IISG) — Archives UTCL — Archives AL — témoignage de Patrice Spadoni — Philippe Dubacq, « Anarchisme et marxisme dans l’après 68. Le cas de l’organisation révolutionnaire anarchiste (ORA) », mémoire de maîtrise de sociologie politique, Paris-X, 1992 — sites web de Canal Marches et d’Agir ensemble contre le chômage ! (AC !) — Théo Rival, Syndicalistes et libertaires. Une histoire de l’UTCL (1974-1991), Alternative libertaire, 2013.