BADIA Gilbert [BADIA Théodule, Gilbert, Adolphe]

Par Marie-Louise Goergen, Isabelle Kalinowski

Né le 11 septembre 1916 à Causses-et-Veyran (Hérault), mort le 5 novembre 2004 à Paris (Ve arr.) ; professeur d’allemand à l’Université Paris VIII (1972-1985, traducteur de littérature marxiste et d’auteurs allemands ; résistant ; militant communiste, journaliste à Ce soir (1944-1950) ; cofondateur et rédacteur en chef de Connaissance de la RDA (1973-1990) ;

Gilbert Badia.
Gilbert Badia.

Espagnols tous les deux, les parents de Gilbert Badia étaient originaires du Val-d’Aran en Catalogne. Son père, José Badia, ouvrier maçon, était venu s’installer à Roquebrun où il avait fait la connaissance de Pilar Coll, dont il eut trois fils, Gilbert étant le second. La famille, qui s’installa à Causses-et-Veyran non loin de Béziers au début de la Première Guerre mondiale, vivait des revenus modestes que rapportait le père, sans pour autant connaître la misère. Néanmoins, la situation économique de la famille, dans un village où tous les « propriétaires » – c’est ainsi qu’on appelait les viticulteurs – étaient français et les ouvriers agricoles en très grande majorité espagnols, contribua au développement d’un début de conscience politique chez le jeune garçon.

Bon élève, tout comme son frère aîné, Gilbert Badia, dont la mère mourut de la turberculose alors qu’il était à l’école primaire, fut encouragé par son instituteur à se présenter à l’examen des bourses et entra comme pensionnaire au lycée Henri IV à Béziers. Résistant à la volonté de son père, qui voulait le voir rentrer à la maison pour gagner sa vie, il put poursuivre ses études et être reçu au baccalauréat avant d’avoir atteint l’âge de dix-sept ans.

En 1933, il sollicita un poste d’instituteur mais ne l’obtint pas, parce qu’il était trop jeune. Un professeur lui suggéra de poursuivre ses études au lycée de Montpellier et de préparer la licence d’allemand. Ce choix de la langue lui avait été recommandé par son frère aîné qui lui-même avait entamé des études d’anglais. Peu de temps avant la fin de la licence, Gilbert Badia obtint un poste d’assistant Austauschlehrer en Allemagne, où il resta pendant deux ans. Durant la première année, il enseigna dans un établissement privé, fondé par le pédagogue Hermann Liez à Spiekeroog, une île frisonne au nord-ouest de l’Allemagne, puis à Haubinda en Thuringe. La deuxième année, il enseigna à Hambourg, où il fut logé chez une veuve qui lui raconta qu’elle n’achetait rien dans un magasin de confection tenu par des juifs, parce que des clientes y auraient disparu à jamais dans l’arrière-boutique. Durant ces deux années passées en Allemagne, Gilbert Badia, qui avait fait connaissance de la Gestapo dès son arrivée à Wilhelmshafen en octobre 1936 et avait été interpellé par la police pour n’avoir pas crié Sieg-Heil, comme tous ses voisins allemands, lors d’une soirée organisée par Goebbels au lendemain de l’annexion de l’Autriche, avait été le témoin direct de la montée du nazisme.

De retour en France, il passa le certificat d’aptitude à l’enseignement des langues vivantes et obtint un poste de maître d’internat au collège Chaptal à Paris (boulevard des Batignolles), où il prépara l’agrégation. Admissible une première fois, il avait été mobilisé en septembre 1939 à Montpellier, à Sète (Hérault), puis à Rennes (Ille-et-Vilaine). Il avait fait la connaissance de Simone Thévenon, qu’il épousa en 1939. Militante du Parti communiste, elle le persuada d’y adhérer. La signature du pacte germano-soviétique, si elle avait été très discutée dans leur groupe, ne les avait finalement pas ébranlés dans leurs convictions ; ils l’interprétaient comme une ruse de Staline pour gagner du temps, compte tenu du refus anglais et français de signer un accord militaire avec l’URSS.

Après la défaite commença la vie militante clandestine du couple. Simone distribuait des tracts dans la région, leur maison fut perquisitionnée par la police et Gilbert Badia fut arrêté en rentrant de son travail. Mais ni Simone ni lui ne furent jugés. Seul fut condamné à cinq ans de prison le camarade qui imprimait les tracts dans la « Zone » (il fut rejugé, condamné à mort et exécuté plus tard sur ordre du gouvernement de Vichy).

Libéré au cours de l’été 1940, au lendemain de la défaite, Gilbert Badia rejoignit sa femme à Gentilly (Seine, Val-de-Marne). Il se présenta de nouveau à l’agrégation (qui eut lieu en décembre 1940) et fut reçu. Alors qu’il avait été classé huitième, le gouvernement Pétain lui refusa un poste d’enseignant dans un lycée. Il avait été naturalisé à l’âge de neuf ans et mobilisé comme ses camarades en 1939-1940, mais Vichy ne tolérait pas qu’un fils d’espagnol pût enseigner le français. Il fut détaché au Service de réquisition et d’occupation de la ville de Paris, chargé de fournir aux Occupants allemands les logements, mobiliers et matériels divers qu’ils revendiquaient.

La règle du Parti communiste était alors de couper les liens avec les personnes qui avaient eu affaire avec la police. C’est seulement en septembre 1943 que le contact fut rétabli. Ordre fut donné au couple de se séparer, pour éviter en cas d’arrestation d’être arrêtés tous les deux. Gilbert Badia fut alors chargé d’assurer la liaison entre le Travail Allemand (TA), une organisation des communistes allemands en France qui essayait de gagner les soldats allemands à la Résistance, et le Secteur 75, dont était responsable Le Tiec. Arrêté en septembre 1943, confronté à Le Tiec, qui se tut et allait être fusillé avec ses camarades, Gilbert Badia fut emprisonné à la Santé en septembre 1943, puis à la Caserne des Tourelles jusqu’à fin décembre, enfin au camp de Rouillé (Vienne), d’où il réussit à s’évader avec l’aide du Parti au bout d’un mois. Il rejoignit Paris, où il s’occupa des contacts avec les responsables d’autres secteurs parisiens et fut chargé de la sécurité.

Paris libéré, Gilbert Badia entra comme journaliste au quotidien communiste Ce soir, où il collabora avec Louis Aragon et Jean-Richard Bloch et dont il assuma le secrétariat général, avant de diriger un temps le journal. Critiqué par la direction du Parti pour avoir laissé publier une photo de la fille de Joanovici, lisant l’Humanité dans sa cellule de prison -, il fut muté à l’Union française d’information (UFI), chargée de fournir des articles aux journaux communistes. Soucieux de retrouver son métier de professeur, il quitta l’UFI, obtint un poste de professeur d’allemand en banlieue, avant d’être muté au lycée Charlemagne à Paris puis chargé d’enseigner l’allemand à la faculté des lettres d’Alger de 1964 à 1967.

Revenu en France, Gilbert Badia enseigna à l’université de Nanterre jusqu’en 1971, où il soutint sa thèse en 1972, sur "Rosa Luxemburg. Journaliste, polémiste, révolutionnaire", puis à l’Université Paris VIII jusqu’à sa retraite en 1985. Il s’intéressa à la gauche allemande, plus particulièrement à des figures féminines comme Rosa Luxemburg – dont il publia de nombreux écrits –, et Clara Zetkin (texte traduit en allemand, italien, et plus récemment en brésilien). En 1962, il publia une Histoire de l’Allemagne contemporaine en deux volumes, rééditée pendant plus de vingt ans. Dans les années 1970 furent publiés sous sa direction, avec l’aide de nombreux collègues, trois volumes consacrés aux Allemands exilés en France après 1933 et, en 1985, une Histoire de l’Allemagne contemporaine à laquelle participèrent Jean-Marie Argelès, Françoise Joly, Jérôme Vaillant, Jean-Philippe Mathieu et Jean Mortier.

Dès 1950, Gilbert Badia s’intéressa de très près au « deuxième » État allemand, la République démocratique allemande (RDA). Il y effectua son premier voyage et devait y retourner ensuite presque tous les ans. Profondément marqué par la non-reconnaissance et la méconnaissance, en France, de la RDA, il lui arriva dans les premières années de son existence, de prendre pour argent comptant ce qu’écrivaient les dirigeants de la RDA, mais il reconnut à la fin des années 1970 que l’on ne pouvait pas écrire l’histoire de la RDA sans évoquer ses zones d’ombre, tels que le 17 juin 1953, les affaires Wolf Biermann et Rudolf Bahro, la confusion entre le Parti et l’État, etc. Lui et quelques-uns de ses collègues contribuèrent, en les traduisant et en les publiant, à la reconnaissance d’auteurs est-allemands qui comptaient parmi les meilleurs de la RDA (Anna Seghers, Volker Braun, Christoph Hein, Heiner Müller, Stephan Hermlin, Christa Wolf, etc.) trop ignorés par les lecteurs français. Longtemps encore après la disparition de la RDA et de la revue, Gilbert Badia consacrera de nombreux articles à l’histoire de leur réception (Rezeptionsgeschichte) en France. Dès avant la reconnaissance officielle de la RDA par la France, en 1973, Badia avait lancé à l’Université de Vincennes (Val-de-Marne) la revue bilingue Connaissance de la RDA, qui se donnait comme objectif une meilleure appréciation des réalités sociales et culturelles et de la vie intellectuelle de ce pays sans pour autant se faire le relais de la propagande est-allemande ; du coup il arriva que les rapports de la revue avec l’ambassade soient rendus difficiles.

En dehors des écrivains est-allemands, Gilbert Badia traduisit d’autres écrivains de langue allemande, en particulier Martin Walser (Gallimard), Georg Lukacs et Bertolt Brecht (L’Arche, éditeur). Traducteur de plusieurs textes de Karl Marx et de Friedrich Engels, il fut en relation avec l’Institut du marxisme-léninisme à Berlin, qui participait à l’édition des Marx-Engels-Werke (MEW).

En retraite à partir de 1985, Gilbert Badia fut élu professeur émérite de l’Université Paris VIII. À la fin du XXe siècle, il avait pris ses distances avec le Parti communiste, mais restait profondément préoccupé par un monde dominé par le libéralisme capitaliste dans lequel l’exigence de justice sociale restait largement insatisfaite. L’Humanité l’ayant sollicité en 2004 pour rendre compte d’ouvrages d’auteurs allemands et de raconter l’arrivée au pouvoir de Hitler, il accepta volontiers de le faire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article15456, notice BADIA Gilbert [BADIA Théodule, Gilbert, Adolphe] par Marie-Louise Goergen, Isabelle Kalinowski, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 20 septembre 2021.

Par Marie-Louise Goergen, Isabelle Kalinowski

Gilbert Badia.
Gilbert Badia.

ŒUVRE CHOISIE : Les Spartakistes. 1918 : L’Allemagne en révolution, Julliard, 1966 [repris ensuite par Gallimard]. — Le Spartakisme, les dernières années de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, L’Arche, 1967. — Les Barbelés de l’exil (dir.), PUG, 1979. — Exilés en France, Maspero, 1982. — Les Bannis de Hitler (dir.), EDI-Presses universitaires de Vincennes, 1984. — Histoire de l’Allemagne contemporaine (dir.), 2 vol., Messidor-Éditions sociales, 1985 [réédition]. — Clara Zetkin, féministe sans frontières, Éditions ouvrières, 1993, 336 p. — De nombreuses publications de Rosa Luxemburg dont, outre la thèse, Rosa Luxemburg. Textes, Éditions sociales, 1982, 380 p. et Rosa Luxemburg épistolière, Éditions de l’Atelier, 1995, 255 p. — Ces Allemands qui ont affronté Hitler, Éditions de l’Atelier, 2000, 254 p.

SOURCES : Entretiens avec Gilbert Badia, 16 janvier 1999, 2 avril 2003. — Le Monde, 10 novembre 2004.

PHOTOGRAPHIE : Arch. PPo. GB 141 cliché du 16 septembre 1943.

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