BADSI Mohamed

Par René Gallissot

Né le 19 janvier 1902 à Tlemcen (Algérie), mort le 21 février 1979 à Oran ; après émigration en Turquie, formé à l’École d’Orient à Moscou (1926-1928), envoyé en 1929-1930 à Tunis pour relancer le syndicalisme tunisien ; ouvrier militant à Paris dans les années 1931-1933 ; devenu membre du Comité dirigeant de la Région communiste Algérie en avril 1934, animateur des grèves en Oranie et du parti communiste àTlemcen avant et après le double mouvement du Congrès musulman et du Front populaire ; en conflit avec les responsables communistes PCF puis PCA, suspect de nationalisme depuis 1934, et avec lui, la cellule de Tlemcen, dissoute en 1937 ; après 1945, organisateur pour le PCA, de la Fédération des petits paysans autour de Tlemcen.

Tisserand ruiné, le père de Mohamed Badsi tenait à Tlemcen un petit café maure fréquenté par des Rifains. Il eut cinq enfants : deux filles et trois garçons. L’un, Hadj M’hamed, partisan du réformisme musulman, rejoint l’association des oulémas ; les deux autres deviennent des militants communistes actifs, en premier lieu Mohamed.

Après la mort du père en 1909, la famille est en difficulté, et suivant un courant d’exode important vers l’Orient, Mohamed Badsi passe au Maroc traversant la Moulouya, rêvant de partir pour Damas. Il arrive en fait à Izmir (Smyrne) avec sa mère et un de ses frères et ses soeurs. La révolution Jeune turque secoue alors l’empire ottoman qui est allié de l’Empire allemand. Tandis que son frère travaille comme cheminot, M. Badsi est assez longuement ouvrier dans des usines textiles puis dans l’atelier d’un dépôt de chemin de fer.
Après l’ouverture de la guerre de 1914, quand l’armée française, dite d’Orient, occupe Istanboul, il devient docker sur le port sous la surveillance des soldats sénégalais, baïonnette au fusil, et des gendarmes français armés. Il revient ensuite en famille à Izmir ; la ville estattaquée par l’aviation alliée puis occupée par l’armée grecque.

De retour en Algérie de 1919 à 1922, il fait un peu tous les métiers. En 1922, il accepte de faire son service militaire en France, à la base aérienne du Bourget ; il est mécanicien sur les avions et envoyé se perfectionner à Bordeaux. Démobilisé en 1924-1925, il travaille comme ouvrier dans la région parisienne et fréquente l’Union intercoloniale, l’organisation communiste pour la main-d’œuvre coloniale dirigée par Abdelkader Hadj Ali* et qui donnera naissance en 1926 à l’Étoile nord-africaine. Distingué pour son militantisme, adhérent au PC, il est en 1926 envoyé suivre les cours de l’École d’Orient à Moscou qui est le centre de formation des cadres communistes pour les pays dominés. Son pseudonyme est Lucien Durand.

De retour à Paris à la fin de 1928, il fait partie de la Commission coloniale du parti communiste. L’année suivante il est envoyé en Tunisie pour tenter de faire renaître la CGTT écrasée après le flamboiement de 1924 ; il travaille comme docker au port de Tunis et relance des grèves dans des briquetteries et minoteries. Dans cette période la plus dure pour le mouvement communiste, il est, autant dire, laissé à lui-même ; après 18 mois à Tunis, malade, il fait retour à Paris.

Travaillant à l’usine Emeri du 19e arrondissement, lançant le journal “les Emeris rouges”, distribué aussi à l’usine de Bobigny, il est arrêté à la porte de l’usine pour distribution de journaux et de tracts en français et en arabe, emprisonné et licencié ; il trouve du travail dans une chocolaterie du 15e arrondissement. À nouveau arrêté et licencié pour fait de grève, il travaille dans le bâtiment. Responsable, vraisemblablement pour la CGTU, des chômeurs nord-africains, il est aussi membre du bureau de rayon du PCF et animateur du cercle marxiste du 18e arrondissement où il réside.

Après un nouveau séjour de six mois à Izmir en Turquie quand se stabilise la révolution de Mustapha Kemal, mais sans travail, il rentre en cours ou à la fin de 1933 à Tlemcen où il va devenir l’animateur du rayon communiste. En 1934, il entre au comité de la Région communiste d’Algérie et rédige alors sa bio pour l’IC. C’est un moment de passage difficile pour le parti communiste en France comme en Algérie. Après l’échec de la création d’un Parti nationaliste révolutionnaire sous l’impulsion du secrétaire de la Région communiste, Belarbi Sid-Ahmed dit Boualem*, la région communiste perd ses militants qui continuent à se réclamer de l’Étoile nord africaine. Cependant à Tlemcen, M. Badsi réussit à reconstituer une section communiste d’une quinzaine de membres, qui diffuse La Lutte Sociale et El Ouma qui apparaît comme le journal de l’ENA continuée par Messali en France avec l’association des Amis d’El Ouma. Il y a indictinction entre les mouvements.

Quand il vient reconstituer la Région communiste d’Algérie, André Ferrat*, s’il écarte Boualem*, a fait entrer Mohamed Badsi au Comité régional (conférence d’avril 1934). André Ferrat reste partisan du Front antiimpérialiste au moins dans les colonies, et se montre réservé sur la stratégie de Rassemblement populaire. Il envoie en Algérie comme instructeur, Jean Chaintron sous le nom de Barthel* qui préconise la mobilisation sur deux fronts, le Front populaire pour les Européens et un front anti impérialiste pour les Algériens en maintenant pour l’Algérie colonisée, l’objectif de l’indépendance nationale (circulaire Barthel disant que la nation algérienne n’est pas la France et dénoncée par la presse coloniale qui la publie avec tapage en octobre 1935).
Or l’Internationale communiste et le PCF ont changé d’orientation en appelant les communistes à la défense nationale de la France (accords Laval-Staline) et en faisant campagne pour un Front populaire rassemblant les courants se prononçant contre le fascisme. En 1935, l’action de M. Badsi à Tlemcen, se trouve en porte-à-faux. La section tomberait à sept membres. Datée du 22 septembre 1935, une note de commentaire très critique figure dans le dossier Badsi aux “archives de Moscou” (RGASPI, archives de l’IC), première mise en cause de M. Badsi pour “nationalisme” algérien.
“Ce camarade était contre notre politique de front unique avec les nationaux réformistes qu’il considérait comme réactionnaires et niait leur influence de masse”. Jusqu’en 1934, le front unique anti-impérialiste ne s’adressait qu’aux “nationalistes révolutionnaires” ; de là en Algérie, le projet de PNR reposant sur les militants de l’ENA ; il rejetait l’alliance avec les “réformistes”, en Algérie : la Fédération des élus composée de candidats bourgeois partisans de la collaboration au sein de l’Algérie française. C’est la ligne que continue à suivre M. Badsi, selon sa formation à l’École de Moscou. Ce qui explique la remarque, peut-être juste, sur ses frustrations : “Le camarade semble aigri parce qu’il n’a jamais eu de poste de fonctionnaire du PC, et considère que tous ceux qui sortent du KOUTF (école d’orient de l’IC à Moscou) doivent obligatoirement pour le PC, être fonctionnaire du parti”.

Mais la question de fond renvoie bien à la question nationale sacrifiée par le primat de l’antifascisme. “Ce camarade semble isolé de tout le mouvement algérien (ici algérien signifie en Algérie et n’a pas de sens national algérien), et ne considère que la situa tion de sa propre localité. Son attitude est étroitement sectaire vis-à-vis des éléments européens du PC et des syndicats. Pour lui, tous sont colonialistes et hostiles aux Arabes.” Et la note conclut sur son caractère : “Tempérament brutal qui fait dresser contre lui beaucoup de camarades du PC”. Ces accusations sont identiques, en arguant du sectarisme brutal, que celles adressées au même moment à Camille Larribère*, initiateur du parti en Oranie, et réduit au silence à Saint-Denis du Sig. La note reconnaît cependant que M. Badsi “a à son actif un bon travail pendant les élections municipales de mai 1935”. En fait d’isolement, tout au contraire, les frères Badsi conduisent un mouvement populaire à Tlemcen et dans la région.
Mohamed Badsiapplique la double mobilisation en s’adressant à la fois aux Européens par le Front populaire et aux Algériens nationaux par le mouvement parallèle qui prendra le nom de Congrès musulman. Délégué pour assister au VIIe congrès de l’Internationale communiste à Moscou, dans son intervention, M. Badsi se démarque des positions ambigües sur la question coloniale, de la délégation du Parti communiste métropolitain. Sur place dans le vignoble d’Oranie, à Tlemcen et dans sa région, il impulse le mouvement de grèves qui culmine dans l’été 1936, y compris sur des fermes coloniales. Il conduit notamment les grèves dans le secteur du bâtiment et impose l’ouverture de chantiers pour les chômeurs. Arrêté, libéré à la suite de manifestations de masse, il est porté en triomphe dans les rues, à sa libération. À la création par autonomisation du Parti communiste algérien en 1936, il devient responsable de la section communiste de la ville. Il est aussi, vice-président du comité local du Congrès musulman, le front algérien qui accompagne le Front populaire et comprend communistes et mouvement des Oulémas ; les trois frères Badsi se retrouvent ensemble.

Au moment où à la fin de 1937, sous la férule de Robert Deloche*, envoyé du PCF, et suivant l’orientation de l’Internationale communiste, le PCA fait de l’union antifasciste du peuple de France et du peuple algérien, une priorité exclusive, en marginalisant la question nationale, la cellule de Tlemcen des frères Badsi est frappée de dissolution ; elle est condamnée pour nationalisme. Aussi le PCA cesse de mettre en avant, voire tout simplement n’évoque et n’évoquera plus leur action ; cependant ceux-ci continuent à animer les luttes syndicales. En 1938, Mohamed Badsi organise les ouvriers agricoles dans la CGT et devient secrétaire du syndicat des ouvriers agricoles du département d’Oran.

Arrêté et interné dans le sud sous le gouvernement de Vichy, il est libéré comme les autres prisonniers communistes en 1943, à l’époque où De Gaulle s’installe à Alger ; il reprend son action tant à la CGT qu’au PCA. Après guerre, il se consacre à l’organisation de la Fédération des fellahs algériens qui aura quelque importance dans la région de Tlemcen ; ils seront un certain nombre à monter au maquis dans la guerre d’indépendance.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article15465, notice BADSI Mohamed par René Gallissot, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 8 juillet 2021.

Par René Gallissot

Première page de son autobiographie rédigée à Moscou en 1926.

Mohamed Badsi a laissé des souvenirs sous le titre Mon combat, inédit.

SOURCES : Arch. Wilaya d’Oran. — La Lutte Sociale et presse locale. — Deux bobines d’enregistrement du témoignage deMohamed Badsià la veille de sa mort, et notes d’A. Taleb-Bendiab. — J.-L. Planche, "Le parti communiste d’Algérie entre deux nationalismes (1920-1962)", Cahiers du GREMAMO, n° 7, Université de Paris 7, 1990. — O. Carlier, Entre nation et Jihad, op. cit. — RGASPI (arch. de Moscou), dossier 495 189 21 : en français, bio de M. Badsi (écrite au printemps 1934) et note d’un cadre communiste rédigée juste après mai 1935 (recueilli par Claude Pennetier).

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