Par Sylvain Boulouque
Né le 11 août 1882 à Tikhvine (Russie), mort le 18 septembre 1945 à Paris ; militant et théoricien du mouvement anarchiste ; historien du mouvement makhnoviste.
Vsévolod Mikhaïlovitch Eichenbaum naquit dans une famille aisée. Son grand-père était un mathématicien et poète réputé. Son père Michel et sa mère Nadejda Glotova étaient médecins. Ils confièrent leurs enfants à une gouvernante et donnèrent à Vsévolod et à son frère Boris (qui devait devenir un célèbre chroniqueur littéraire, membre de l’Union des écrivains soviétiques) une solide formation. Il effectua ses études secondaires au collège « High School » de Voronej. Il parlait couramment le français et l’allemand avant d’entrer à l’université. C’est à la faculté de droit de Saint-Pétersbourg qu’il s’imprégna des idées du mouvement révolutionnaire russe.
En 1901, il rompit avec ses parents et abandonna ses études, alors qu’il allait devenir avocat. Pour vivre, il donna des cours et, parallèlement, anima un cercle d’instruction pour ouvriers.
Lorsqu’éclata la révolution de 1905, comme il l’expliqua dans La Révolution inconnue, il participa à l’insurrection et à la formation du premier soviet, constitué le 10 janvier 1905 pour recueillir des fonds en faveur des victimes de la répression. Il en refusa la présidence, estimant que ce rôle devait être rempli par un ouvrier et non par un intellectuel. Ce fut à cette époque qu’il prit le pseudonyme de Voline. Par la suite, il adhéra au Parti socialiste-révolutionnaire. Il donna au parti l’héritage de son père, considérant que ce bien était la propriété de tous. En 1906, il participa à l’insurrection de Cronstadt. Arrêté pour son activité révolutionnaire, Voline fut emprisonné à la forteresse Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg puis fut déporté en Sibérie d’où il s’échappa en 1907.
Voline se réfugia alors en France. Pendant ce premier exil, il fréquenta les cercles anarchistes-communistes et, vers 1911-1912, devint anarchiste.
Fin 1915, il fit partie du Comité d’action internationale contre la guerre (voir Paul Veber). Risquant une arrestation et l’expulsion, il quitta clandestinement la France pour les États-Unis, s’embarquant le 6 août 1916 à Bordeaux, comme soutier. Durant son séjour en France, il avait rencontré sa première compagne, Tatiana Solopova, membre du Parti socialiste-révolutionnaire, qui mourut en 1915, avec laquelle il eut deux enfants : Igor, né le 2 septembre 1910, qui fit partie de l’escadrille Normandie-Niemen pendant la Seconde Guerre mondiale, et Georges, né le 22 janvier 1912. Avec sa seconde compagne Anna Grigoriev, il eut quatre enfants : Natacha, née le 15 août 1915, Léo, né le 4 janvier 1917 — ce dernier est resté le plus proche des idées de son père, puisqu’il fut dynamitero dans une colonne anarchiste sur le front de Teruel et qu’il dessina dans Terre Libre —, Alexandre, né le 4 mars 1919, parti lui aussi en Espagne, et Dimitri, né le 30 octobre 1925.
Une fois arrivé aux États-Unis, Vsévolod Eichenbaum fit des conférences sur la Révolution de 1905 et collabora à Goloss Trouda (la Voix du travail), organe de l’Union des ouvriers russes des États-Unis et du Canada, forte de 10 000 adhérents. Puis il rentra en Russie grâce à la Croix-rouge anarchiste, organisée par Rudolf Rocker* et Schapiro*. Lors de son voyage de retour vers la Russie entre mai et juin 1917, il édita un journal ronéotypé : Poplavok (le Flotteur).
Arrivé en Russie, Voline se rendit à Petrograd. Il géra Goloss Trouda devenu l’organe de l’Union pour la propagande anarcho-syndicaliste. D’abord hebdomadaire, le journal devint quotidien avant d’être interdit par les bolcheviks. Au printemps 1918, Voline condamna violemment le traité de Brest-Litovsk, « coup d’arrêt à la révolution ». Il quitta Pétrograd, démissionna de son poste au journal, en disant « lorsque j’appelle la foule au combat, je dois marcher avec elle », et partit pour le front en compagnie de militants anarchistes afin de lutter contre les armées de Dénikine. De retour du front, il séjourna quelque temps à Moscou. Après avoir refusé un poste de directeur à l’éducation, Voline quitta la capitale pour l’Ukraine, où il savait retrouver sa compagne et ses quatre enfants. Il fonda la Confédération Nabat (le Tocsin), organisation qui regroupait les trois tendances historiques de l’anarchisme (individualisme, communisme et syndicalisme). Le quartier général de l’organisation était situé à Bobrow et Voline travailla au soviet de la ville, gérant les problèmes d’éducation et de culture, ainsi que la rédaction du journal Nabat. Une fois celle-ci transférée à Koursk, Voline s’y rendit et assista aux assises de la Confédération Nabat, le 5 janvier 1919. Durant l’été 1919, il rejoignit le mouvement makhnoviste (voir Nestor Makhno) et s’occupa dans un premier temps d’éducation, de culture, d’organisation de meetings, de conférences et d’éditions. Il fit quatre cents conférences durant la Révolution russe. En août 1919, il fut nommé président du conseil militaire insurrectionnel. Victime du typhus, il se dirigea vers Moscou pour y être soigné et fut arrêté par la 14e Armée rouge, remis à la Tchéka et emprisonné. Libéré en octobre 1920, grâce à l’accord passé entre Makhno et les bolcheviks, il fut de nouveau emprisonné le 24 décembre 1920 ainsi que l’ensemble des responsables de Nabat, qui devaient tenir leur congrès le jour suivant. Voline commença alors une grève de la faim qui dura dix jours, avec d’autres militants dont Maximov et Flechine. Condamné à mort, il dut sa libération à l’intervention des délégués syndicaux venus assister aux travaux préparatoires à la fondation de l’Internationale syndicale rouge.
Finalement banni et expulsé vers l’Allemagne, il fut pris en charge par la section berlinoise de l’Union libre des ouvriers d’Allemagne (FAUD). Courant 1922, Voline participa à la rédaction de la brochure La Répression de l’anarchisme en Russie soviétique. Mettant à profit ses capacités linguistiques, il la traduisit en français, de même qu’il traduisit le livre d’Archinov Histoire du mouvement makhnoviste qu’il préfaça. Il apporta aussi sa collaboration à plusieurs journaux anarchistes français. Dans le Libertaire, il lava Nestor Makhno des accusations d’antisémitisme lancées contre lui par Joseph Kessel dans son roman Les Cœurs purs et, dans la Revue anarchiste, il témoigna sur l’expérience soviétique (articles publiés sous le titre Choses vécues). Pendant son séjour à Berlin, Voline rédigea l’hebdomadaire Rabotchee anarkhist (l’Ouvrier anarchiste), « revue d’expression anarcho-synthésiste ».
En 1925, à la demande de Sébastien Faure*, il vint en France et vécut 85 cité-jardin à Gennevilliers (Seine). Il adhéra au Groupe d’études sociales et traduisit le texte d’Archinov, Plateforme d’organisation de quelques anarchistes russes en exil. Ce texte suscita de vives protestations, qui marquèrent le début, dans le mouvement libertaire, d’un débat sur le mode d’organisation devant être adopté. Voline et sept autres militants russes répondirent à ce projet en soulignant les dangers d’avant-gardisme et de « bolchévisation », dans Réponse de quelques anarchistes russes à la plateforme. La Plateforme partait du constat d’échec du mouvement anarchiste. Elle voulait être, au nom de l’efficacité, le groupement de la tendance anarcho-communiste qui, avec une ligne définie, devait créer une homogénéité idéologique et tactique. Elle fut condamnée par la quasi-unanimité des militants importants dans le mouvement anarchiste international. Voline réaffirma la nécessité de la « synthèse », pensant que les querelles de tendances étaient néfastes à l’organisation anarchiste qui avait besoin de l’ensemble de ses courants de pensée : le syndicalisme comme méthode pour la révolution, le communisme comme base d’organisation et l’individualisme comme but de développement personnel. Ces visions devaient s’enrichir mutuellement par le débat. Ce conflit idéologique mit fin à ses relations d’amitié avec Nestor Makhno dont il avait traduit et préfacé les mémoires.
Dans le même temps, Voline collabora à des réalisations de la synthèse anarchiste. Il rédigea plusieurs articles pour l’Encyclopédie anarchiste : Anti-étatisme, Autorité, État, Biologie, Création, Déterminisme, Lutte de classes, Matérialisme historique, Soviet, Nihilisme, Pogrome, Antisémitisme et Synthèse anarchiste. L’article sur la Révolution russe fut repris dans un tiré à part intitulé La Véritable révolution sociale, composé des articles de Sébastien Faure, Victor Méric* et L. Barbedette.
En 1934, il rédigea le Fascisme rouge (éditions Pensée et Action), brochure dans laquelle il comparait fascisme et bolchevisme, ces systèmes ayant en commun l’idée « de mener les masses par une « minorité », par un parti politique, un dictateur ». Voline se rapprocha d’André Prudhommeaux* et collabora régulièrement à Terre libre en écrivant des articles sur la Russie et la répression dans ce pays. Il rejoignit la Fédération anarchiste de langue française (FAF), fondée à Toulouse les 15 et 16 août 1936. Il anima des groupes : la Synthèse anarchiste et le groupe du IIIe arrondissement de Paris.
Lorsque la Révolution espagnole éclata, Voline fit partie des animateurs du Comité de défense du prolétariat espagnol. Ce comité, composé de militants de l’Union anarchiste, de la CGT-SR et de la FAF se scinda, la FAF et la CGT-SR fondant le Comité anarcho-syndicaliste. Alors que Prudhommeaux se rendit à Barcelone pour assurer la publication des sept premiers numéros de l’Espagne antifasciste, Voline géra la version française du journal, qui fut ensuite publié à Paris, puis sous le nom d’Espagne nouvelle à Nîmes, en alternance avec Terre Libre — Voline avait été mandaté par le congrès de Lyon de la FAF de 1937, comme membre du comité de rédaction. La FAF s’attira les reproches des dirigeants de la CNT-FAI pour ses attaques « contre tous les dirigeants de la CNT-FAI qui trahissent notre cause ». Elle se rapprocha de la Fédération ibérique des Jeunesses libertaires et des militants de la FAI critiquant la « collaboration de classes ». En 1938, Voline fit paraître aux Cahiers de Terre libre qui avaient pris le titre Vie et Pensée, une brochure La Révolution est en marche dans laquelle il expliquait que l’Europe connaissait une phase de destruction barbare commencée avec la guerre de 1914 et qui se terminerait par la révolution sociale.
Avec l’invasion nazie, Voline dut faire face à un triple danger en raison de son militantisme, de ses origines juives et enfin de son appartenance à la Franc-maçonnerie. A Paris, il était membre de la loge Clarté du Grand Orient de France — il avait été initié le 27 janvier 1930 et était devenu maître le 22 mars 1932 — puis d’une loge nîmoise et de la loge de la Parfaite Union lorsqu’il vint s’installer à Marseille en 1939, après avoir séjourné à NÎmes. Logeant d’abord dans le quartier de La Timone, puis, au centre ville, 1 rue Edmond Rostand, il vécut dans des conditions matérielles très difficiles en donnant des leçons de russe et d’allemand, ainsi que des leçons de français à des étrangers. Sa deuxième compagne était morte à Aix-en-Provence le 15 décembre 1939. A partir de décembre 1941, avec André Arru*, il anima un groupe anarchiste international composé d’un Tchèque, d’Espagnols, d’Italiens et de Français. Tous deux rédigèrent des tracts et une brochure : Les Coupables, un journal : la Raison, ainsi que des affiches : Mort aux vaches et A tous les travailleurs de la pensée et des bras. Cette propagande fut effectuée sous le sigle Fédération internationale syndicaliste-révolutionnaire et, malgré son âge, Voline apporta son concours aux collages et distributions de tracts organisés sans toutefois se faire remarquer (il y en a eu en fait très peu). Sollicité par l’Inspection générale des services de la police judiciaire de Vichy le 6 février 1942, l’intendant de police régional, reprenant un rapport de police, répondit en donnant des renseignements très favorables à Voline. Celui-ci avait affirmé aux enquêteurs avoir coupé avec toutes ses anciennes relations et avoir abandonné toute activité, tout en restant libertaire. Il préparait alors un ouvrage sur l’Ukraine dont il était favorable à l’autonomie. Il affirma que sa famille n’était pas en accord avec ses idées. La perquisition qui accompagna l’entretien fut négative. Ses élèves donnèrent sur lui de très bons renseignements, affirmant qu’il ne leur parlait jamais de politique.
A la Pentecôte 1943, Voline participa avec Arru et Laisant* au congrès anarchiste clandestin de Toulouse, puis l’année suivante (octobre 1944), il se rendit à Agen, au congrès de préparation de la future Fédération anarchiste. Bien que malade, il acheva la rédaction de son oeuvre majeure : La Révolution inconnue, et assura la rédaction de quatre brochures intitulées Les Petits cahiers, publiées sous l’égide de la Fédération libertaire Région-Sud.
Voline mourut le 18 septembre 1945, à l’hôpital Laennec, de tuberculose, maladie contractée à la suite de ses emprisonnements. Il fut incinéré au Père-Lachaise en présence de nombreux militants anarchistes.
La Révolution inconnue, le « devoir de conscience » de Voline, fut édité peu après par l’Association des amis de Voline et la publication assurée par Jacques Doubinsky. Lors de sa parution l’ensemble du mouvement anarchiste rendit un vibrant hommage à Voline. La dernière version de l’ouvrage publiée en 1986, fut enrichie par des manuscrits donnés par son fils Léo.
Par Sylvain Boulouque
ŒUVRE : La Répression de l’anarchisme en Russie soviétique, éditions de la Librairie sociale, 1923 (traduction) — Comme au temps des Tzars, l’exil et la prison, parfois la mort contre les meilleurs révolutionnaires, éd du Comité international de défense anarchiste, 1927 — La Véritable révolution sociale, éd. de L’Encyclopédie Anarchiste, 1934 — Fascisme rouge, éd. Pensée et Action, 1934 — La Révolution est en marche, Cahiers de Terre libre, 1938 — La Révolution inconnue, éd. Les Amis de Voline 1947 (rééditions Belfond 1968 et 1986 ; Tallandier, 1969 [icon.] ; Genève, Entremonde, 2010).
SOURCES : Arch. dép. Bouches-du-Rhône 5 W 369. — Arch. PPo. 50. — Arch. Grand Orient de France. — J. Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, op. cit. — R. Bianco, Th., op. cit. —L. Schapiro, Les Bolchéviks et l’opposition. Origine de l’absolutisme communiste 1917-1921, Les Iles d’or, 1958—L. Campion, Les Anarchistes dans la Franc-maçonnerie, Marseille, Culture et Liberté, 1969 —D. Guérin, Ni dieu, ni maître, F. Maspero, 1972—V. Serge, Mémoires d’un révolutionnaire, Le Seuil, 1978 — Les Anarchistes dans la Révolution russe, La Tête de Feuille, 1973 —P. Avrich, Les Anarchistes russes, F. Maspero, 1979—May Picqueray, May la réfractaire, Atelier Marcel Jullian, 1979 (rééd. Traffic, 1992) — A. Skirda, Nestor Makhno. Le Cosaque de l’Anarchie, AS, 1982 ; Autonomie individuelle et force collective, AS, 1987 G. Manfredonia, « La Révolution espagnole », les Oeillets rouges, n° 1 et n° 2, 1987—Le Libertaire, 5 octobre 1945, 4 octobre 1946, 23 octobre, 6 novembre 1947 — Le Monde libertaire, juin 1973, décembre 1975 et 14 janvier 1988 [icon.] — Le Réfractaire, juin-juillet 1974 [icon.] — Ce qu’il faut dire, septembre 1945 et décembre 1946 [icon.] — Cenit, juillet-août 1967 [icon.] — Bulletin du CIRA-Marseille, n° 21-22 et 23-25, 1985 (témoignage de A. Arru-Saulière) — Notes de D. Dupuy, C. Jacquier, J. Maitron et J.-M. Guillon. —Témoignages de Léo, Yvette et Natacha Eichenbaum-Voline —Voline, Itinéraire, n° 13, 1996.