BA Jin, ou PA Kin [Li Feigan, dit] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Angel Pino

Né Li Yaotang (nom social : Li Feigan) le 15 novembre 1904 à Chengdu (Sichuan, Chine), mort le 17 octobre 2005 à Shanghai (Chine) ; romancier, éditeur, traducteur ; anarchiste.

Avant de devenir un immense écrivain, alors qu’il n’était encore qu’un étudiant anarchiste, Li Feigan séjourna en France de février 1927 à octobre 1928. C’est lors de ce séjour qu’il choisit le pseudonyme sous lequel il allait devenir célèbre : Ba Jin — ou Pa Kin — qui, contrairement à la légende, n’était nullement un double hommage à Bakounine et à Kropotkine.

Parti de Shanghai le 15 janvier 1927, à bord d’un paquebot de la Compagnie des messageries maritimes, l’Angers, Li Feigan débarqua à Marseille un mois plus tard, le 18 février, pour gagner Paris dès le lendemain. Un de ses compatriotes déjà sur place, Wu Kegang*, avait réservé une chambre à son intention dans un hôtel près du Panthéon, au 5 de la rue Blainville. Il partagea ce logement pendant un mois avec un de ses intimes, Wei Huilin*, en compagnie de qui il avait effectué le voyage depuis la Chine. Après quoi les deux amis, rejoignant Wu Kegang, déménagèrent à quelques pas de là, au 2 de la rue Tournefort, dans un second hôtel où chacun avait sa chambre.

Ba Jin s’installait en France pour y entreprendre des études de sciences économiques auxquelles il renonça très vite, comme il abandonna, presque immédiatement, les cours qu’il suivait à l’Alliance française, faute d’en pouvoir assumer les frais.

C’est à Paris, avec deux autres anarchistes chinois, Wu Kegang* et Wei Huilin*, qu’il rédigea le texte qui fut publié en Chine sous le titre de « Wuzhengfuzhuyi yu shiji wenti » [« L’Anarchisme et la question pratique »](Minzhong she, avril 1927). Et c’est à Paris encore qu’il participa, mais de loin, aux débats autour de la « Plate-forme » initiés par le groupe du Dielo Trouda (voir Piotr Archinov), avec un article intitulé « Zhongguo wuzhengfuzhuyi yu zuzhi wenti » [« L’Anarchisme chinois et la question de l’organisation »] sous le pseudonyme de Renping, paru dans Pingdeng [Equality], San Francisco, vol. 1, n° 2, 1er août 1927.

Cinq mois à peine s’étaient écoulés quand, en juillet 1927, aux alentours du 20, il quitta Paris pour Château-Thierry (Aisne). Son médecin lui avait en effet conseillé de changer d’air, car il souffrait des poumons. Ba Jin transporta ses pénates sur les bords de la Marne, dans cette petite ville où la vie présentait l’avantage d’être moins chère qu’à la capitale. Mais il était peut-être aussi plus prudent pour lui de quitter la capitale, alors que Wu Kegang, après avoir été arrêté par la police lors de la conférence anarchiste internationale de L’Haÿ-les-Roses (voir Nestor Makhno), faisait l’objet d’un arrêté d’expulsion.

Ba Jin, bien qu’âgé alors de 23 ans seulement, avait déjà derrière lui un long passé de militant anarchiste. À Chengdu, sa ville natale, il avait appartenu au petit groupe qui diffusait Banyue [La Quinzaine], revue à laquelle il avait confié en 1921 sa première œuvre, « Comment fonder une société véritablement libre et égalitaire ».

Si Ba Jin n’a jamais été très disert sur ses activités politiques en France, les personnes et les lieux fréquentés, on sait qu’il participa à un banquet de la revue Plus loin, qu’il rencontra Alexander Berkman (il lui rendit visite chez lui, à Saint-Cloud), Paul Reclus et son fils Jacques Reclus, et probablement Sébastien Faure, voire même, une fois au moins, Nestor Makhno, et que Jean Grave et sa compagne le reçurent à leur domicile. On suppose, sans pour autant être en mesure de le certifier, qu’il croisa également Aniela Wolberg, Maxime Ranko (Benjamin Goldberg) et la future Ida Mett, ainsi que Luigi Fabbri : leurs noms sont cités dans deux des nouvelles que lui inspira sa période parisienne. Mais Ba Jin, dont Wei Huilin nous révèle qu’il était un jeune homme tranquille, lisant beaucoup et parlant peu, et qui n’avait pas de petite amie, semble avoir plutôt privilégié les échanges épistolaires avec des camarades vivant à l’étranger : Emma Goldman (Canada) et Thomas Keell (Angleterre), avec lesquels il avait commencé de correspondre avant son arrivée en France — c’est un des ses compatriotes, Bao Pu, un ancien de l’Université communiste des travailleurs de l’Orient, de retour de Russie où il l’avait vue, qui l’avait mis en contact avec Emma. Il correspondit également avec Max Nettlau (Autriche) et Diego Abad de Santillán (Argentine), ou encore avec Bartolomeo Vanzetti (États-Unis), qui, du fond de sa prison, lui adressa deux lettres, dont une qui figure dans l’ouvrage édité par Marion Denman Frankfurter et Gardner Jackson, The Letters of Sacco and Vanzetti (The Viking Press, 1928).

À Château-Thierry, Ba Jin résida au collège Jean-de-La-Fontaine, établissement qui, pour améliorer ses recettes, recevait de jeune Chinois dans le cadre de ce qu’on a appelé le mouvement « mi-étude mi-travail ». La situation de Ba Jin, toutefois, était particulière, puisqu’il était venu en France par ses propres moyens. Il mit à profit son séjour dans l’Aisne pour perfectionner son français, sans grand résultat à l’en croire, et pour s’initier à l’allemand. En fait il s’adonna totalement à l’écriture et à la traduction, car l’engagement de Ba Jin, dès cette date, fut un engagement par la plume. Il composa de nombreux articles destinés à la revue Minzhong [La Cloche du peuple] paraissant à Shanghai, et surtout à la revue Pingdeng [Égalité], une publication anarchiste d’expression chinoise basée à San Francisco (États-Unis) à laquelle il collabora régulièrement et qu’il contribua même à fonder — c’est Lau Chung-si (Liu Zhongshi), alias Red Jones, l’animateur de Pingdeng, un Chinois ayant émigré aux États-Unis, qui lui fournit l’argent nécessaire pour rentrer au pays.

Ba Jin traduisit également à tour de bras : L’Éthique de Kropotkine, The Story of a Proletarian Life de Vanzetti, la section consacrée au théâtre scandinave dans The Social Significance of the Modern Drama d’Emma Goldman, un chapitre du livre de Jaakoff Prelooker, Heroes and Heroines of Russia, et un autre de celui de Stepniak, Underground Russia, une nouvelle de Leopold Kampf, Vera, et même un essai de Trotski sur Tolstoï.

Enfin, c’est à Château-Thierry, sous le coup de l’émotion après l’exécution de Sacco et Vanzetti, qu’il acheva son premier roman, Miewang [Destruction], ébauché à Paris pour tromper son cafard. Il s’inventa pour l’occasion le pseudonyme sous lequel il devait accéder à la célébrité.

Ba Jin reprit la mer à Marseille le 18 octobre 1928, et rallia Shanghai au début du mois de décembre, au moment où l’on annonçait la sortie en feuilleton de son livre dans le Xiaoshuo xuebao [Le Mensuel du roman]. Le succès remporté par cette œuvre auprès de la jeunesse, il l’ignorait encore, allait pour toujours bouleverser le cours de sa vie, en faisant de lui l’un des écrivains chinois les plus renommés en Chine comme dans le reste du monde. Ayant embrassé la carrière des Lettres, Ba Jin n’en abjura pas pour autant sa foi libertaire, qu’il s’efforça d’entretenir jusqu’au début des années 1950, en s’employant notamment à l’édition chinoise des œuvres de Kropotkine.

Voir également sa notice dans le Dictionnaire Chine

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154721, notice BA Jin, ou PA Kin [Li Feigan, dit] [Dictionnaire des anarchistes] par Angel Pino, version mise en ligne le 7 mars 2014, dernière modification le 9 septembre 2020.

Par Angel Pino

Pa Kin (1938)
Pa Kin (1938)
DR

ŒUVRE (sous le nom de Pa Kin) : Destruction, trad. par A. Pino et I. Rabut, Bleu de Chine, Paris, 1995 — « Ariana » et « Ariana Volberg », in Le Secret de Robespierre, et autres nouvelles, divers traducteurs, Mazarine, coll. Roman, Paris, 1980 (rééd. : Stock, coll. La bibliothèque cosmopolite, Paris, 1997 ; les noms des personnages, qui apparaissent ici sous leur véritable identité, ont été mal décryptés — il est vrai que Ba Jin les donne en chinois dans une méchante transcription phonétique —, et il faut lire Aniela Wolberg et non Ariana Volberg, Ranko et non Handke).

SOURCES : Angel Pino, « Ba Jin, autour d’une vie » et « Ba Jin, la France et Château-Thierry », in Ba Jin, un écrivain du peuple au pays de Jean de la Fontaine, musée Jean-de-La-Fontaine, Château-Thierry, mai 2009, pp. 12-51 et 182-205 — Angel Pino, « Ba Jin, sur l’origine d’un nom de plume », Études chinoises, vol. IX, n° 2, automne 1990, pp. 61-74 — Angel Pino, « Ba Jin, sa première œuvre », Réfractions, n° 3, hiver 1998-1999, pp. 127-142.

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