BERTRAND Jean-Pierre, André, Marie [Dictionnaire des anarchistes]

Par Elisabeth Claude

Né le 2 décembre 1939 à Herblay (Val-d’Oise), mort à Paris le 22 août 2008 ; militant syndicaliste libertaire du Livre et pacifiste, correcteur.

Sa scolarité s’est déroulée jusqu’au bac philo, notamment au séminaire de Versailles. Il a vécu à Herblay jusqu’en 1983, puis à Paris. D’abord marié avec Françoise Leroux, il eut une belle-fille et un fils, ainsi que deux petits-enfants. Après un divorce, il se remaria avec Michèle Crès, correctrice et militante du Syndicat des correcteurs.

Quelques mois manutentionnaire, puis employé de bureau, puis régleur dans la métallurgie (entreprise Sarrazin à Houilles), il a surtout été correcteur : chez Georges-Lang (Paris 19e arr.) à partir de 1966, puis « rouleur » en presse, puis « piéton » aux Echos jusqu’à sa retraite en 1994.

Il fut non seulement un militant syndical convaincu, d’abord délégué CGT dans la métallurgie (ce qui lui valut un licenciement), puis adhérent et militant du Syndicat CGT des correcteurs, mais également un militant pacifiste et antinucléaire et un peu plus qu’un compagnon de route du mouvement libertaire. Il a aussi participé, avec de nombreux libertaires de sa génération, à l’aventure du Mouvement indépendant des auberges de jeunesse (MIAJ), dont il fut un adhérent fidèle.

A partir de 1965, Jean-Pierre Bertrand s’investit dans le MCAA (Mouvement contre l’armement atomique), créé en 1963 par Claude Bourdet et Jean Rostand. Ce mouvement organisait une marche annuelle qui partait de Taverny (siège du poste de commandement des forces nucléaires stratégiques) vers Londres et revenait à Paris (dernière étape : Herblay). Hébergement et accueil logistique des marcheurs étaient organisés par Daniel Monjanel, ami d’enfance de Jean-Pierre Bertrand.

Une anecdote racontée sur un ton moqueur par Jean-Pierre Bertrand dans les dernières semaines de sa vie : Daniel Cohn-Bendit, présent à une de ces marches, voulait casser les carreaux de l’usine Dassault de Colombes devant laquelle passait le cortège. Des militants l’en empêchèrent.

En 1965, ou 1966, Jean-Pierre participa au dépôt d’une banderole sur l’Arc de Triomphe à Paris ; chaque participant portait une lettre du slogan « Non à la bombe ». En novembre 1967, il renvoya son livret militaire, avec une lettre expliquant les raisons de son engagement, publiée dans Anarchisme et non-violence d’avril 1968. Ce qui ne fut pas un hasard puisqu’il participait aux réunions du groupe, et même aux débats en petits comités. Par ailleurs, les réunions en province lui étaient familières : il servait souvent de chauffeur. A la suite du renvoi de son livret, la deuxième chambre correctionnelle de Pontoise le condamna, le 27 mars 1968, à un mois de prison avec sursis et 500 francs d’amende. Cette lettre est consultable sur le site www.la-presse-anarchiste.net ; elle a été re-publiée, à l’occasion de son décès, dans le Monde libertaire du 4 septembre 2008 et dans le bulletin des correcteurs CGT de septembre 2008, Cantonade.

Jean-Pierre Bertrand adhéra au Syndicat des correcteurs CGT en 1966 et, sous la pression de son ami Freddy Gomez, se présenta à l’élection du comité syndical en 1983, où il fut réélu tous les ans jusqu’à la fin statutaire de son mandat en 1988. Il y assurait la responsabilité de la trésorerie, comme adjoint de Bernard Morin pendant un an, puis comme titulaire pendant trois ans, et encore une année comme trésorier adjoint de Nelly Derré. Il partit à la retraite en 1994 et, en 1998, posa sa candidature au bureau des retraités, où il fut réélu chaque année jusqu’à sa mort en 2008, assumant la charge de trésorier de la section à partir de 2000. A chaque élection, il a été élu avec le maximum de voix.

Les traces écrites du militantisme de Jean-Pierre sont rares : outre la lettre accompagnant le renvoi de son livret militaire en 1967, on peut citer l’hommage rendu à Robert Savanne, chef correcteur des Échos, décédé en novembre 2007, paru dans le bulletin des correcteurs retraités, Entre nous, de février 2008, et le témoignage de son expérience des événements de mai 1968 dans un article de la revue anarchiste Réfractions publiée en mai 2008. On peut également lire ses rapports de trésorier parus régulièrement dans le Bulletin des correcteurs – ainsi appelé avant de prendre le titre de Cantonade en 1991 – de juin 1984 à mars 1987 et dans Entre nous (2002-2008), déjà mentionné. Il disait : « Je ne suis pas un politique, je ne suis qu’un gestionnaire. » Il voulait s’effacer devant « le » politique. Ce à quoi on pourrait répondre : « Mais la gestion, c’est politique ! Et sans gestion, pas de politique ! »

Parfois, il s’autorisait un commentaire, comme dans son rapport paru dans le n° 145 du Bulletin des correcteurs : « En conclusion, nous ne pouvons que nous excuser sincèrement d’avoir écrasé les camarades sous une avalanche de chiffres… Espérons que, un jour, un trésorier humoriste (est-ce possible ?) se découvrira le talent d’un Raymond Queneau ou d’un Pierre Desproges !... »

Jean-Pierre Bertrand a toujours assuré ses engagements sur son temps personnel, sans jamais bénéficier de temps de délégation.

On peut s’interroger sur son appartenance au mouvement libertaire dans la mesure où il n’a jamais adhéré à une organisation précise, mais faut-il absolument être encarté pour participer d’un tel mouvement ? De plus, l’esprit non violent de Jean-Pierre et son effacement volontaire s’accordaient mal à une quelconque tonitruante organisation. Cependant, Jacky Toublet*, secrétaire du syndicat, ne s’y était pas trompé quand il convoqua Jean-Pierre et André Bernard* à une réunion, que l’on peut dire fractionnelle, même si Jacky Toublet préférait employer le terme de « contre-fraction », pour discuter entre libertaires des affaires et de l’avenir du syndicat. Pour les libertaires militants du Syndicat des correcteurs, il ne faisait aucun doute que Jean-Pierre Bertrand, qui assistait régulièrement à leurs rencontres internes, était des leurs et, comme eux, souhaitait maintenir le syndicat au plus près de sa tradition libertaire des origines.

Jean-Pierre libertaire ? Sans aucun doute pour ses amis, même si, lorsque la question lui a été posée en juillet 2008, il a répondu : « C’est aux autres de le dire. » Cette phrase un peu énigmatique révèle sa conception de l’engagement, toute en discrétion et loin des tribunes. Il aura « compté » pour le mouvement syndical et libertaire ; certes, pas pour ses écrits dans des revues ou ses discours à des tribunes ou à des congrès, mais au sens propre du terme, lui qui a été si souvent trésorier. Y compris dans une association de la Nièvre (département où il a passé une partie de sa retraite) dans laquelle il s’était engagé : le MERLE (Mouvement pour l’écologie, le respect de la Loire et de son environnement). Car, sans trésorerie ni comptes correctement tenus, et en toute confiance, quel mouvement survivrait ?

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154878, notice BERTRAND Jean-Pierre, André, Marie [Dictionnaire des anarchistes] par Elisabeth Claude, version mise en ligne le 16 avril 2014, dernière modification le 16 octobre 2019.

Par Elisabeth Claude

SOURCES : Témoignages de Jean-Pierre Bertrand, Michèle Crès-Bertrand, André Bernard et Freddy Gomez. « Renvois de livrets », Anarchisme et non-violence, n° 13, avril 1968, p. 22. — Nécrologie de Robert Savanne, Entre nous - Bulletin de liaison des correcteurs retraités et préretraités, n° 44, février 2008, p. 7. « Rapport du trésorier », Bulletin des correcteurs, n° 140, juin 1984, p. 2 ; n° 141, novembre 1984, p. 3 ; n° 142, mars 1985, p. 4 ; n° 143, juin 1985, p. 3 ; n° 144, novembre 1985, p. 4 ; n° 145, mars 1986, p. 3 ; n° 146, juin 1986, p. 4 ; n° 147, novembre 1986, p. 3 ; n° 148, mars 1987, p. 3. « Rapport du trésorier », Entre nous - Bulletin de liaison des correcteurs retraités et préretraités, n° 35, mars 2002, p. 3 ; n° 37, avril 2003, p. 37 ; n° 40, avril 2004, p. 5 ; n° 41, novembre 2005, p. 7 ; n° 43, mars 2007, p. 17 ; n° 44, février 2008, p. 9. — « Quarante ans après. Témoignages », Réfractions - Recherches et expressions anarchistes, « De Mai 68 au débat sur la postmodernité », n° 20, mai 2008, p. 37. — « Les paroles en actes », le Monde libertaire, n° 1523 (4 au 10 septembre 2008), p. 17. — « Adieu Jipé », Cantonade - Bulletin du Syndicat des correcteurs et des professions connexes Filpac CGT , n° 215, septembre 2008, p. 72.

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