RULLIÈRE Humbert, dit CASAS Laurent [Dictionnaire des anarchistes]

Par Dominique Petit

Né le 1er mars 1874 à Lyon (Rhône), mort le 11 juillet 1933 à l’hôpital de Villejuif (Seine) ; mineur émigré aux États-Unis ; syndicaliste, anarchiste.

Fils d’un couple de passementiers, Humbert Rullière perdit ses parents très jeune et fut élevé par ses grands-parents près de Saint-Étienne (Loire). Il commença à travailler à 13 ans comme apprenti mais la femme de son patron ayant voulu l’envoyer à la messe, il quitta son emploi.
N’ayant pas encore 16 ans, il n’avait pas l’âge pour entrer à la mine mais le maire de la commune ne lui ayant pas demandé d’acte de naissance, il put obtenir un livret d’ouvrier attestant qu’il avait l’âge requis. Il put dès lors travailler comme mineur et toucher un salaire d’ouvrier lui permettant de subvenir aux besoins de ses grands-parents.

Il adhéra au syndicat des mineurs de Villars (Loire) affilié à la Fédération des mineurs de la Loire. Il participa à la journée du 1er mai 1890 et à l’agitation pour les 8 heures de travail par jour. Cela le fit congédier de la Compagnie des mines de la Loire et mettre à l’index, ce qui ne l’empêcha pas d’être présent lors des actions du 1er mai 1891.

En avril 1892, la Fédération des mineurs de la Loire décida qu’une délégation rencontrerait le préfet le 1er mai, pour lui remettre une pétition demandant la réduction du temps de travail à 8 heures dans les mines, Rullière avait rédigé le texte, sans doute comme secrétaire du syndicat des mineurs de Villars.

Il réussit à se faire embaucher à la mine de Bourgeat à Villars qui avait la particularité de recruter des mineurs mis à l’index par les autres compagnies pour syndicalisme. Comme c’était là leur dernière chance de travailler, le directeur en profitait pour leur imposer des conditions de travail encore plus difficiles qu’ailleurs.
Cette mine qui comptait 300 ouvriers était dirigée par un chef porion nommé Chausson qui traitait les mineurs d’une façon ignoble et les obligeait à faire leurs provisions chez lui, exerçant en même temps l’activité de marchand de vins, d’épicier et de débitant de tabac. Non content d’exercer ces pressions, les mineurs devaient venir toucher leur paie dans son établissement.

Un contre-maître de la mine, Ravel, qui s’était présenté sur une liste conservatrice à la mairie, ayant été battu, en conservait une rancoeur contre le syndicat des mineurs qui s’était opposé à cette liste durant les élections.

Il semble bien qu’à cette époque Rullière était devenu correspondant du Père Peinard et qu’il y publia des articles sur les mines. Jouant de son homonymie avec la maîtresse de Ravachol, il se fit surnommer, involontairement ou pas, le fils de Ravachol, à cause de ses idées anarchistes. Il lisait des brochures anarchistes dont le célèbre Indicateur anarchiste.

Rullière exigea que Chausson choisisse entre ses deux activités et incita les mineurs à faire grève. Chausson et Ravel décidèrent alors de le congédier mais il leur fallait un prétexte, Rullière étant un excellent mineur. Chausson vint le provoquer sans raison et Rullière lui répondit, selon la presse : « Si vous me renvoyez un jour, si vous m’empêchez de gagner ma vie, moi le soutien de mes grands-parents, eh bien ! Je vous crèverai la peau ». Chausson eut peur et le laissa tranquille 3 ou 4 semaines.

Ravel insista auprès de Chausson pour faire partir Rullière mais celui-ci par crainte ne voulut pas en prendre la responsabilité, Ravel en faisant son affaire fit remplacer Rullière, celui apprenant son renvoi déclara à Ravel : « Vous êtes trois qui vous montez le coup pour me chasser de la mine à cause de mes opinions politiques. Prenez-y garde. Si vous me faites partir, je vous tuerai tous les trois. »
Le 20 août 1892, Rullière acheta, à St Etienne, un revolver pour 3,50 francs et le 26 août, il tira plusieurs coups de feu sur Chausson avec des balles à blanc ; en effet on ne retrouva aucune douille ou trace certaine de balles sur les lieux.

Rullière se réfugia en Espagne. Le correspondant de l’agence Havas publia une dépêche donnant foi à la légende du Rullière, fils de Ravachol et même complice pour l’assassinat de l’ermite de Chambles et le climat anti-anarchiste du moment le fit condamner le 30 mars mars 1893 à la peine de mort par contumace par la cour d’assises de la Loire.

Arrêté le 24 avril 1894 en Espagne à Cadix pour vagabondage, sous le nom de Luiz Gisbert, il fut suspecté d’anarchisme. Le 3 mai le gouverneur de Cadix prit un arrêté d’expulsion à son encontre.

Le 26 juin, des gardes civils se jetaient sur lui, lui mettaient les « poucettes » et des bracelets de fer, le conduisirent en prison. Il mit trois mois pour arriver sous bonne escorte à Madrid, subissant les mauvais traitements de la garde civile. Il resta enfermé 3 mois à la prison modèle de Madrid puis fut dirigé vers la frontière, mis au cachot le soir, les fers aux pieds.

Arrivé en France, il refusa de répondre aux questions de la justice, se réservant le droit de s’expliquer devant la cour d’assises. Lors de son procès qui se déroula le 29 mars 1895, il déclara : « Je ne pense pas avoir jamais été bien dangereux. Je ne suis qu’un travailleur. Et d’ailleurs, si j’avais été dangereux, mes principes anarchistes m’eussent ramené dans la bonne voie. » La plaidoirie de son avocat Me Lagasse faillit emporter l’acquittement mais le procureur, pour impressionner les jurés au dernier moment, lut un passage sur le fabrication des explosifs tiré de l’Indicateur anarchiste, saisi à son domicile. Cette lecture dut influencer les jurés qui le condamnèrent, tout en lui accordant les circonstances atténuantes, à 8 ans de travaux forcés.

Il arriva dans les premiers jours du mois d’août 1895 aux Iles du Salut en Guyane.

A sa libération, astreint à la résidence perpétuelle en Guyane, il entra au service d’un négociant de Cayenne, chez qui il resta durant neuf mois afin d’amasser un pécule lui permettant de payer son voyage dans un pays où il serait libre de ses gestes. Il partit sur un navire anglais puis un steamer qui le conduisit aux USA.

Arrivé à New York le 4 octobre 1902, Humbert Rullière y travailla comme caviste, plongeur et homme à tout faire, et adopta le pseudonyme de Laurent Casas.
Après New-York, il travailla dans une fonderie à Granite City (Illinois) ; trois mois plus tard, il trouva à s’employer aux travaux de construction de l’exposition universelle à St Louis (Missouri) où il resta jusqu’au mois de mai 1904. Puis il partit à San Francisco et ses environs où il resta de juin 1904 à juin 1907, travaillant l’été comme terrassier et manœuvre dans les chantiers de construction et l’hiver comme commis de cuisine dans les restaurants. C’est à cette époque (juillet 1904) qu’il commença à publier des articles dans les Temps nouveaux. Syndiqué à l’AFL, puis aux IWW, il habitait alors 1092, Stanford Avenue à Oakland.

En juin 1907, il partit dans l’Etat de Washington sur un chantier d’abattage du bois et y resta dix mois. Puis il alla pendant deux mois travailler en Colombie britannique, près de Vancouver où les salaires étaient plus élevés. Il revint en Californie et fut employé dans les mines de cuivre du comté de Shasta. En août 1909, il était de retour à San Francisco. Il trouva le 28 août une place de rédacteur en chef dans un nouveau journal en français, L’Echo de l’Ouest, hebdomadaire puis bi-hebdomadaire.

Il imprima à ce journal une ligne éditoriale progressiste, républicaine et patriotique non chauvine, qui lui valut d’être durement pris à partie par les anarchistes francophones de Californie. Ces derniers, qui se sentaient trahis, révélèrent publiquement son passé. Il démissionna alors de l’Écho de l’Ouest et trouva un emploi à San Francisco dans une société qui construisait une ligne de chemin de fer.

Il tenta alors de résoudre sa situation personnelle vis à vis des Etats-Unis, où il désirait obtenir le droit d’asile. Pour ce faire il devait démontrer qu’il avait été simplement condamné pour tentative de meurtre et répudier les théories anarchistes. Dans ce but il rédigea un mémoire, pour obtenir des autorités françaises, la remise de l’obligation de résidence (relégation) en Guyane et fit un courrier en ce sens au ministre de la justice le 4 janvier 1911.
Il aurait contracté un engagement volontaire dans l’armée canadienne en 1916 et aurait combattu en France jusqu’à l’armistice. Il serait titulaire de la médaille militaire anglaise.

Venu à Paris en janvier 1919, il entra le 31 mars suivant, comme rédacteur à la Revue Mondiale. Il fut congédié le 31 mars 1920 en raison de ses agissements révolutionnaires et syndicalistes dans l’entreprise : le 18 juin 1919, il avait saisi à la gorge le secrétaire général de la revue, lui disant : « Vous êtes un homme de l’ancien temps. Si vous ne vous soumettez pas, je vous ferai votre affaire. »
Il collabora également à la Revue du travail. Il travailla ensuite comme traducteur à L’Annuaire industriel. Il tint une chronique régulière dans les Temps nouveaux jusqu’en juillet 1920.
Le journal La Bataille des 3 juin et 31 octobre 1920 publia, sous la signature de Dumoulin, deux articles réclamant la remise de son interdiction de séjour. Celle-ci lui fut accordée le 4 octobre 1920.
Rullière aurait été élu secrétaire trésorier de la Fédération nationale Unitaire des travailleurs du sous-sol au congrès de Saint-Etienne en 1922. Mais il contesta par la suite, disant qu’il s’agissait d’une homonymie.

En avril 1923, il était compositeur linotypiste à la maison Georges Lemonnier.

Par lettre du 2 janvier 1925, il demanda au préfet de police de Paris d’enquêter sur lui pour démontrer qu’il ne militait plus chez les anarchistes depuis 1909 et que depuis son retour à Paris, "je n’ai cessé de faire une propagande purement anti-révolutionnaire".
Il était alors secrétaire de la 2e section de l’Union nationale des combattants et faisait partie du comité électoral de M. Taittinger dans le 2e arrondissement. De temps en temps, il faisait paraître des articles dans L’Âme gauloise. Il voulait alors lancer une revue L’Entente sociale et recherchait des capitaux dans les milieux du centre et de la droite.
En 1931, il était secrétaire du syndicat unioniste des ouvriers et employés de garage (Union du capital et du travail).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154891, notice RULLIÈRE Humbert, dit CASAS Laurent [Dictionnaire des anarchistes] par Dominique Petit, version mise en ligne le 14 avril 2014, dernière modification le 6 avril 2020.

Par Dominique Petit

SOURCES : Mémoire : le transporté libéré Rullière Humbert dit Casas Laurent, expose pourquoi il fut condamné aux travaux forcés et comment il fut injustement qualifié d’anarchiste. Il sollicite du gouvernement de la République française la remise de la résidence dans la colonie pénitentiaire dans Varia [manuscrits] Leroux Jules (1805-1883) Gallica – Le Stéphanois, 29 et 30 mars 1895, Mémoire et actualité en Rhône-Alpes – Le Matin, La Presse, le Figaro, le Journal des débats, Les Temps nouveaux, Gallica — Michel Cordillot, La Sociale en Amérique, Editions de l’atelier – notes Guillaume Davranche – Almanach du Père Peinard pour 1894, Paris, aux Bureaux du Père Peinard, 1893, p. 22. – articles dans les Temps nouveaux en 1920 — Arch. PPo Ba 2026. — Etat civil.

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