FROMENTIN Alfred, Pierre [dit le millionnaire rouge] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Anne Steiner complétée par Rolf Dupuy

Né le 4 novembre 1858 à Nîmes, mort le 8 octobre 1917 à Genève ; homme d’affaires ; anarchiste individualiste.

Alfred Fromentin (1917)
Alfred Fromentin (1917)
Masque mortuaire, arch. familiales

Né à Nîmes dans un milieu modeste, Alfred Fromentin débuta dans la vie active comme employé des postes et du télégraphe. En juillet 1890, il fut envoyé au Venezuela comme chef de poste par la Société des câbles télégraphiques dont le siège était à Paris. Il rompit son contrat avant la date prévue et se vit réclamer par la Société une importante somme qu’ il était dans l’incapacité de verser.

De retour à Paris en 1891, il épousa Marie Ogereau, née en 1869, et commença à travailler comme directeur des ventes de l’important studio créé par son beau-frère Charles Ogereau*, un photographe déjà très réputé et de sensibilité anarchiste.Le 3 juillet 1895, il abattit dans les couloirs du Palais de justice son ancien fondé de pouvoir, Felix Anthelme, avec lequel, il était en procès. Il fut acquitté par le jury qui le reconnut responsable mais non coupable. A deux reprises, des villas lui appartenant brulèrent intégralement, ce qui lui permit de toucher de substantielles primes d’assurance (300 000 francs au total) car il possédait de nombreuses œuvres d’art.

Disposant d’une fortune considérable grâce à son épouse et à son sens des affaires, il apporta des subsides à plusieurs journaux anarchistes et leur livra quelques contributions. En 1902 il collaborait au journal L’Indiscutable (Royan, au moins 50 numéros en 1902). En 1904 il avait fondé avec son beau-frère le journal Le Balai Social (Mantes, 25 numéros du 15 décembre 1904 au 15 janvier 1906), organe individualiste sous-titré « tribune libre à tous les protestataires de l’arrondissement de Mantes », tiré à 1000 exemplaires, puis à 2300 (janvier 1906). Les autres rédacteurs étaient Antoine Antignac*, Albert Libertad* et André Lorulot*. Il collabora au début des années 1910 à l’organe individualiste de Lorulot L’idée Libre ainsi qu’à la revue d’E. Armand* L’Ere Nouvelle (Paris-Orléans, 1901-1911).

Il subventionna aussi de nombreuses conférences et installa à leur compte des militants anarchistes en leur confiant la gérance de boutiques lui appartenant (Antoine Gauzy* à Ivry et Pierre Cardi* à Maison-Alfort). Il fut lié à l’individualiste Paraf-Javal* dont il partageait les idées sur le transformisme universel et au pédagogue libertaire Francisco Ferrer* auquel il rendit visite à Barcelone en 1903. Après l’éxécution de ce dernier en octobre 1909, il fit paraître une brochure sur son œuvre. Lui-même s’intéressait beaucoup à la pédagogie expérimentale et fit instruire ses quatre enfants à domicile, l’école laïque comme l’école confessionnelle lui paraissant l’une et l’autre contradictoires avec une éducation libertaire.

Sa fortune lui permit d’acquérir en 1898 à Choisy le Roi de vastes parcelles de terrains agricoles sur lesquelles il édifia un lotissement pavillonaire après avoir fait percer des rues (rue Louise Michel, rue Babeuf, rue des frères Reclus, rue Jules Valles, rue Spinoza, ..). Lui-même s’y nstalla en 1902 avec sa famille. Certaines des maisons du lotissement, de belles constructions en meulière, furent louées prioritairement à des anarchistes. Des rassemblements en plein air y étaient parfois organisés. Ce qui valut aux habitants de faire l’objet d’une surveillance policière régulière. Ainsi des perquisitions eurent lieu le 1er mai 1906. Incarcéré pour complicité de rebellion, pillage et propagande anarchiste, Fromentin fut remis en liberté le 6 mai.

Passionné de voitures, Fromentin avait fait édifier un garage sur le lotissement et en avait confié la gérance à Jean Dubois*, un anarchiste d’origine russe, qui avait précédemment fondé un garage coopératif à Courbevoie. Celui-ci donna l’hospitalité à Jules Bonnot* après qu’il eut abattu Louis Jouin, le sous-chef de la sûreté, chez le soldeur Gauzy, autre protégé de Fromentin, à Ivry sur Seine le 24 avril 1912. C’est dans ce garage que Jules Bonnot tint son fameux siège et trouva la mort ainsi que Dubois le 28 avril suivant. Fromentin s’éloigna alors de Choisy le Roi et séjourna quelque temps au Maroc avant de rejoindre sa femme Marie dans sa propriété du Cannet du Luc dans le Var. En 1913, il perdit les procès en diffamation qu’il avait intentés à différents journaux l’ayant mis en cause dans l’affaire Bonnot, mais il ne fit l’objet d’aucune poursuite judiciare pour complicité.

Au début de l’année 1914, Fromentin s’installa en Suisse avec sa famille, près de Genève. Là encore, la résidence lui appartenant flamba malencontreusement, ce qui motiva une enquête de la police centrale de Genève qui suspectait une escroquerie à l’assurance. Pendant ces années d’exil, Fromentin ne resta pas inactif et écrivit plusieurs brochures à compte d’auteur : Traité de bio-sociologie, Théorie bio-sociale de sommeil, Réorganisation scientifique des rapports politiques et économiques des nations, et entreprit la rédaction d’un "traité de sociologie expérimentale" qui resta à l’état de manuscrit (des centaines et des centaines de feuillets appartenant à des cahiers d’écolier noircis d’une écriture serrée).

En 1917, il rédigea un projet détaillé de fondation d’une colonie libertaire à grande échelle (mille familles sur huit mille hectares) qu’il avait résolu de fonder au bord du lac Yojoa au Honduras, et commença à nouer des contacts avec le gouvernement hondurien. Ce projet qui n’a jamais eu le moindre commencement de réalisation, retint cependant l’intérêt de l’urbaniste américain d’origine norvégienne Hendrik Christian Andersen comme en témoigne une lettre datée du 15 octobre 1917 qui ne parvint jamais à son destinataire, décédé entre temps.

Alfred Fromentin est mort en effet le 8 octobre 1917, à Genève après une courte hospitalisation. La police helvétique remit à sa femme son masque mortuaire mais, selon ses petits-enfants, elle ne put voir sa dépouille, ni savoir où il avait été inhumé. Un mystère qui les tourmenta toujours. Contrairement à l’annonce publiée dans Ce Qu’il Faut Dire le 10 novembre 1917, Fromentin n’est pas mort dans la pauvreté même s’il avait dilapidé, en partie par les largesses dont il faisait profiter maints compagnons, une bonne partie de la fortune de sa femme.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155011, notice FROMENTIN Alfred, Pierre [dit le millionnaire rouge] [Dictionnaire des anarchistes] par Anne Steiner complétée par Rolf Dupuy, version mise en ligne le 3 avril 2014, dernière modification le 12 août 2020.

Par Anne Steiner complétée par Rolf Dupuy

Alfred Fromentin (1917)
Alfred Fromentin (1917)
Masque mortuaire, arch. familiales

ŒUVRE : Idées nouvelles. Appels aux hommes conscients, Groupe révolutionnaire anti-parlementaire de Rochefort-sur-Mer, Imp. H. Laugraud, Rochefort-sur-Mer, 1902 — Etude sur les causes de la misère. Cartouche, Mandrin et Cie, Imp. E. Arrault, Tours, 1909 — La Vérité sur l’œuvre de Francisco Ferrer, éd. du Groupe d’études scientifiques, Paris, 1909 — Dégénérés sociaux, éd. de l’Idée libre, Paris, 1913 — Réorganisation scientifique des rapports politiques et économiques des nations, Imp. A. Kundig, Genève, [1917 ?] — Sermon pour les pauvres ; Traité de bio-sociologie, Théorie bio-sociale de sommeil.

SOURCES : Ce Qu’il faut Dire, 10 novembre 1917 — Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier..., op. cit. — R. Bianco, Un siècle de presse..., op. cit. — Archives de la préfecture de police, dossiers Bonnot E140 ; E141 — Marc Blachère, Fromentin, le millionaire rouge et la naissance du quartier des hautes Bornes, Les cahiers de l’Association Louis Luc pour l’histoire et la mémoire de Choisy le Roi.

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