Par Guillaume Davranche
Né le 1er juillet 1879 à Paris, mort le 28 avril 1954 à Paris ; ouvrier allumettier ; secrétaire général de la CGT à partir de juillet 1909 ; syndicaliste et anarchiste, puis réformiste.
Petit-fils de quarante-huitard, fils du communard Adolphe Jouhaux, Léon Jouhaux grandit à Aubervilliers. En 1894, il commença à fréquenter le groupe libertaire et, en 1895, entra comme ouvrier à la manufacture d’allumettes. L’année suivante, il vécut sa première grève. Sachant lire et écrire, contrairement aux ouvriers plus âgés, il rédigeait les tracts et les procès-verbaux des réunions. Son univers était alors le syndicat, le groupe libertaire et une association sportive et musicale locale, La Vigilante.
En juin 1901, en compagnie d’Albert Libertad, il fut mêlé à une bagarre à Noisy-le-Sec. Condamné à trois mois de prison, il fut gracié le 12 mais licencié de la manufacture. Il exerça alors pendant quatre ans toutes sortes de métiers et créa un syndicat d’ouvriers non qualifiés où se côtoyaient figurants de théâtre, hommes-sandwich, etc.
Francis Jourdain, qui le fréquenta quelque temps au Libertaire, garda de lui ce souvenir : « Léon Jouhaux, jeune allumettier d’Aubervilliers, long, maigre, ne fumant pas encore la pipe, et à qui le mégot collé sur sa lèvre inférieure faisait faire une grimace désabusée et méprisante. Il avait l’air dégoûté du gros homme qu’il allait devenir. »
L’année 1905 fut pour lui importante : il entra au comité confédéral de la CGT comme représentant de la bourse du travail d’Angers (les allumettiers d’Angers-Trélazé étaient en relation avec ceux d’Aubervilliers, dont de nombreux migrants angevins). Cette même année, Léon Jouhaux fut réintégré à la manufacture d’Aubervilliers et devint représentant des Allumettiers au comité confédéral de la CGT.
De 1906 à 1909, appartenant à la majorité syndicaliste révolutionnaire de la CGT, Léon Jouhaux fut un militant discret. Cette discrétion ne fut pas étrangère à son élection comme secrétaire général de la CGT, le 12 juillet 1909. Trésorier confédéral intérimaire à ce moment (en remplacement de Charles Marck, emprisonné), sa candidature fut mise en selle par Victor Griffuelhes et ne provoqua pas d’opposition des réformistes (35 voix pour Jouhaux et 20 bulletins blancs). Après une période de forts tiraillements au sein de la CGT, le titre de son premier article dans La Voix du Peuple, le 22 juillet 1909, se voulait rassembleur : « Pour l’unité ouvrière ».
Quelques mois auparavant, en avril 1909, Léon Jouhaux avait parrainé, avec Jean-Louis Thuillier, la naissance de la Fédération révolutionnaire (FR, voir René de Marmande). Il avait même brièvement figuré au comité fédéral de la FR comme délégué du groupe libertaire d’Aubervilliers. Après son élection comme secrétaire général de la CGT, il n’en fut plus question. Jouhaux conserva néanmoins des liens épisodiques avec l’organisation anarchiste. En janvier 1913, il intervint par exemple dans une réunion privée de la Fédération communiste anarchiste pour un exposé sur la politique de la CGT.
Cependant, en tant que secrétaire général, Léon Jouhaux contribuait à l’évolution de la ligne de la CGT.
D’un côté il reconduisit la politique classique de la majorité révolutionnaire : action directe, antimilitarisme, grève-généralisme, indifférence vis-à-vis du parlementarisme. De l’autre, il s’opposa à ce que la CGT endosse les orientations défendues par les anarchistes, comme l’antipatriotisme, l’antiparlementarisme ou la non-rééligibilité des permanents syndicaux. En 1911, désireux de voir la CGT reprendre son allure de 1905-1906, il s’efforça de lancer une campagne confédérale en faveur de la « semaine anglaise ».
Le 30 mai 1910, il donna la controverse à l’anarchiste et syndicaliste suisse Luigi Bertoni qui, lors d’une conférence à Paris, avait critiqué l’évolution de la CGT. À cette occasion, Les Temps nouveaux considérèrent que Jouhaux s’était exprimé comme un « réformiste sous étiquette révolutionnaire ».
Dans La Bataille syndicaliste du 20 août 1912, il cosigna, avec Bled, Savoie, Griffuelhes et Voirin, un manifeste intitulé « Notre position » — surnommé L’Encyclique syndicaliste — qui opposait une fin de non-recevoir à la campagne de Gustave Hervé en faveur d’un rapprochement PS-CGT. Puis, dans une lettre ouverte à Jaurès, le 29 août, les cinq signataires déclarèrent : « Un parti comme le vôtre n’a sa raison d’être que s’il gravite autour de l’État ; un mouvement comme le nôtre ne se justifie que s’il agit au sein même du prolétariat, dressé contre l’État. »
Malgré tout, après le congrès du Havre de septembre 1912, les anarchistes jugèrent l’attitude de Jouhaux ambiguë. Le divorce intervint après la conférence de la CGT des 13, 14 et 15 juillet 1913, dont les décisions furent considérées comme une « rectification de tir » de la CGT. Face aux critiques très véhémentes des anarchistes, Léon Jouhaux réaffirma l’indépendance de la CGT. Dix jours après le congrès national anarchiste de la mi-août 1913, il fut ainsi le premier signataire d’une « déclaration à propos de l’action confédérale » — dite « manifeste des 22 » — dans La Bataille syndicaliste du 27 août 1913, qui affirmait que la CGT poursuivrait son évolution malgré ses « censeurs ». Le texte était signé de Jouhaux, Dumoulin, Lapierre, Lenoir, Merrheim, Labbé, Blanchard, Lefèvre, Voirin, Bled, Minot, Vignaud, Savoie, Puyjalon, Sarda, Monatte, Gautier, Monnier, Moulinier, Ranty, Delzant et Charbonnier.
Il s’éloigna alors définitivement de l’anarchisme de sa jeunesse. Il conserva néanmoins certaines affinités avec le mouvement libertaire, en particulier dans l’Entre-deux-guerres, face à l’ennemi commun qu’était le PCF. Sollicité par Louis Lecoin à plusieurs reprises, il intervint pour éviter des expulsions de libertaires étrangers. Son poste au Bureau international du travail à Genève lui permit également de faire recruter quelques anarchistes en exil.
Pour une biographie complète et plus détaillée de Léon Jouhaux, consulter sa notice dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.
Par Guillaume Davranche
SOURCES : Arch. PPo BA/1513 et 1514. — Les Temps nouveaux du 11 juin 1910. — La Bataille syndicaliste et L’Humanité d’août 1913. — Francis Jourdain, Sans remords ni rancune, Corrêa, 1953. — Bernard Georges et Denise Tintant, Léon Jouhaux, tome 1, PUF, 1962 — Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914), L’Insomniaque/Libertalia, 2014.