THUILLIER Jean-Louis [dit Louys] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Guillaume Davranche

Né le 20 mars 1870 à Bélabre (Indre) ; ouvrier tailleur de pierre ; anarchiste et syndicaliste ; secrétaire du CDS.

Secrétaire de l’union des syndicats de la Seine de 1908 à 1910, figure de la Fédération du bâtiment, Jean-Louis Thuillier était très respecté dans les rangs libertaires pour son intégrité, mais son anarchisme ostentatoire agaçait souvent les dirigeants syndicalistes révolutionnaires de la CGT. Son activité inlassable à la tête du Comité de défense sociale (CDS) de 1909 à 1923 permit à de nombreux militants emprisonnés d’être secourus, eux ou leur famille, de bénéficier du régime politique qu’on leur refusait, voire d’être libérés. Pendant la Première Guerre mondiale, il fut également un des leaders de l’opposition pacifiste au sein de la fédération du Bâtiment et de la CGT.

Ayant épousé le 30 août 1895, à Bélabre, Pauline Certain, de quinze ans son aînée, il eut d’elle deux enfants, dont Lucien (né le 22 février 1897 à Bélabre). Il eut également une fille, Simone, née le 25 avril 1908 à Paris 18e — sans doute d’une autre femme.

Installé à Paris vers 1901, Jean-Louis Thuillier habita 7, rue Diard à Paris 18e pendant deux ans. Il déménagea ensuite au 76, puis au 155, rue Marcadet.

En mars 1908, il fut élu secrétaire de l’Union des syndicats de la Seine en remplacement de Dubéros, démissionnaire. Assisté au secrétariat d’Aulagnier puis d’Auguste Savoie, il fut reconduit dans cette fonction en décembre 1908.

En octobre 1908, il fut délégué au congrès de la CGT à Marseille. Au nom de l’union des syndicats de la Seine, il présenta un ordre du jour antimilitariste et antipatriote, et souhaitant qu’en cas de déclaration de guerre, « les organisations ouvrières soient préparées pour y répondre par la grève générale, complétée, avec l’aide des réservistes mobilisés et des soldats de l’active, par l’insurrection militaire » (compte-rendu du congrès, pp. 179-180). Finalement, les supporters de cet ordre du jour le retirèrent au profit de la motion Luquet-Merrheim-Desplanques*-Ader, plus consensuelle et qui fut adoptée par 681 voix contre 421 et 43 abstentions. Thuillier collaborait à l’époque à La Guerre sociale.

Le 11 décembre 1908, il fut élu à la commission des grèves et de la grève générale de la CGT par la section des bourses du travail.

Le 4 avril 1909 au matin, Thuillier fut, avec Péricat, Merrheim, Janvion* et Pataud un des orateurs du grand meeting des postiers en grève, salle de l’Hippodrome. L’après-midi, accompagné de Léon Jouhaux, il parraina le congrès fondateur de la Fédération révolutionnaire (voir René de Marmande). Par la suite, Thuillier prit souvent la parole dans des meetings organisés par la Fédération révolutionnaire, puis par la FRC et la FCA.

S’engageant dans l’affaire Aernoult-Rousset (voir Émile Rousset), il fut parmi les 16 signataires de l’affiche « À bas Biribi » (voir Albert Dureau). Les 16 comparurent aux assises le 4 juillet et furent acquittés.

Au printemps 1910, il fut membre du Comité révolutionnaire antiparlementaire (voir Jules Grandjouan) et participa à sa campagne. À l’époque, il était abonné à Terre libre (voir Émile Janvion).

Le 9 décembre 1910, il fut élu à la commission des grèves et de la grève générale de la CGT par le comité fédéral de la section des bourses.

Critique du « fonctionnarisme syndical », Thuillier ne représenta pas sa candidature comme secrétaire de l’Union des syndicats de la Seine lors de l’élection du 11 janvier 1911, et s’en expliqua dans La Guerre sociale du 18 janvier 1911 qui titra « Un “meneur” de la CGT rentre dans le rang ». Il fut remplacé à ce poste par François Marie puis s’embaucha comme chef de chantier chez Clerget, 39, rue Cavé, à Levallois-Perret.

Jean-Louis Thuillier participa ensuite à l’organisation de la grève générale du bâtiment parisien, qui dura du 10 au 19 juillet 1911. En août, le Comité de défense sociale (CDS, voir René de Marmande), qui s’était quelque peu assoupi, fut remis sur pieds par Auguste Dauthuille*, Eugène Péronnet, Albert Dureau, André Girard*, Charles-Albert, Amirault*, Gaston Delpech*, Arthur Bodechon*, Grégoire Banghart* et Jean-Louis Thuillier (secrétaire). Le CDS coorganisa alors la campagne de soutien aux trois syndicalistes Viau, Dumont et Baritaud, poursuivis dans le cadre de la première affaire du Sou du soldat, ainsi que le soutien aux rédacteurs de La Guerre sociale poursuivis pour la séquestration de Bled, Dudragne* et Métivier*.

En mars 1912, Thuillier devint secrétaire permanent appointé du comité intersyndical du Bâtiment parisien. Il appartenait également à la commission exécutive de la fédération du Bâtiment.

De mars à mai 1912, il appartint au Comité antiparlementaire révolutionnaire — impulsé par la FRC — qui mena une campagne abstentionniste à l’occasion des élections municipales de mai. Ce comité, dont Henry Combes était le secrétaire et Lucien Belin* le trésorier, rassemblait 25 personnalités anarchistes et/ou syndicalistes révolutionnaires (voir Henry Combes).

Le 25 avril 1912, suite à une violente dispute avec Tissier* et Eugène Péronnet au sujet de l’affaire Bintz*, Thuillier donna sa démission du CDS. Il se ravisa néanmoins et continua d’assurer la marche du CDS, avec l’aide d’Henri Beylie. Ouvriériste, il défendait jalousement les prérogatives du CDS, ne voyant dans les comités concurrents (comité Rousset en 1912, comité de défense des soldats en 1913, comité Péan en 1914) que des officines intellectuelles.

Thuillier fut aussi membre de la commission de contrôle des comptes de l’Entr’aide, une caisse de solidarité avec les militants emprisonnés et leurs familles, impulsée par la FRC en juin 1912. Le comité de l’Entr’aide, dont Lacourte* était le trésorier, rassemblait une quarantaine de « personnalités » communistes libertaires et syndicalistes révolutionnaires.

En mai, au nom du comité intersyndical du Bâtiment, Thuillier fit parvenir à de nombreux conscrits de Paris et de la province une obole accompagnée d’une circulaire antimilitariste. Cela donna lieu à la « 2e affaire du Sou du soldat ». Jean-Louis Thuillier fut inculpé et comparut devant les assises de la Seine les 25 et 26 novembre 1912, ainsi que les 18 autres signataires de la circulaire. Les autres accusés étaient Augustin Lasseur, Jean Sellenet dit Boudoux, Jean-Baptiste Vallet, Lucien Philpin, Georges Herriot, Georges Salle, Louis Duchesne, Lucien Coussinet, Achille Hodot, Arcole Vauloup, Alfred Vacquier, Émile Lechapt, Ernest Bléron, Auguste Jos-Rolland, Hermann Amand, Léger Nardoux, Paul Dalstein et Albert Jenneur.

Assistés de Mes Berthon, Boucheron et Oustry, les inculpés firent citer comme témoins les syndicalistes Georges Dumoulin et Yvetot*, Nicolet, Ingweiler, Pedro ; le responsable du Libertaire Pierre Martin ; Charles-Ange Laisant*, Francis Delaisi, Henri Bricheteau*, Émile Rousset et Thérèse Taugourdeau. Les 19 inculpés furent condamnés à trois mois d’emprisonnement et à 100 francs d’amende.

Quelques semaines auparavant, le 7 novembre, Thuillier, avait été condamné par le tribunal de Douai à deux mois de prison, avec confusion des peines, pour outrages à commissaire de police et agents.

En décembre 1912, Jean-Louis Thuillier devint membre du conseil d’administration du Libertaire (voir Charles Keller).

En 1913, Jean-Louis Thuillier prit souvent la parole, au nom du CDS, dans des meetings contre la loi de trois ans. Le 11 octobre 1913, le tribunal correctionnel le condamna à six mois de prison par défaut pour « outrage » lors d’un discours antimilitariste prononcé le 21 juillet à Montreuil.

A l’automne 1913, il fit partie du comité de parrainage de la coopérative Le Cinéma du peuple (voir Yves Bidamant).

En 1914, Thuillier et le CDS lancèrent une campagne pour l’amnistie de Péan, Law* et Masetti. Le 19 mai 1914, il fut condamné par défaut à quatre mois de prison pour outrage à magistrat par la 9e chambre du tribunal correctionnel.

Lors de la crise européenne de juillet 1914, Jean-Louis Thuillier fut, avec d’autres militants du Bâtiment, un des initiateurs de la manifestation pacifiste sauvage du 27 juillet, qui fut un des derniers sursauts de résistance à la guerre imminente.

Après la déclaration de guerre, Thuillier travailla au camp retranché de Paris où il participa probablement aux activités des Amis du Libertaire. Le 5 mai 1915 il fut mobilisé, reconnu inapte puis affecté à la 3e section des commis et ouvriers militaires d’administration (COA) détachée à l’île Lacroix à Rouen. Il fut libéré début 1917. Il reprit aussitôt son activité au sein du syndicat de la maçonnerie-pierre, qu’il fit adhérer au Comité de défense syndicaliste le 13 mai 1917. Il devint alors un des animateurs du CDS.

En janvier 1918, revenu habiter au 155, rue Marcadet à Paris 18e, Jean-Louis Thuillier relança le Comité de défense sociale, dont il fut à nouveau secrétaire, Larapidie* étant trésorier. En février 1918, il participait au conseil d’administration du journal pacifiste de Sébastien Faure, Ce qu’il faut dire, au 69, bd de Belleville. À la même époque, il écrivit dans La Vague et participa au lancement de La Plèbe de Fernand Desprès*.

Du 10 au 13 juillet 1918 à Paris, Jean-Louis Thuillier fut délégué au congrès du Bâtiment par le syndicat de la maçonnerie-pierre de Paris. Il y fut le porte-parole de la minorité pacifiste avec Jean-Baptiste Vallet et Émile Hubert. Il y déposa, au nom de la minorité, un ordre du jour qui déclarait notamment : « L’attitude de la fédération depuis la mobilisation n’a pas été ce qu’elle devait être, il est indispensable pour l’avenir que des sanctions soient prises contre ceux qui sont responsables de cette situation. » La motion obtint 46 voix contre 50 à celle de Cordier, et les majoritaires conservèrent la direction de la fédération.

Aussitôt après, au congrès confédéral qui se tint à Paris du 15 au 18 juillet 1918, il attaqua la politique de défense nationale suivie par la majorité. Il fit partie de la commission de 15 membres — majoritaires et minoritaires — chargée de rédiger un texte de bilan de l’action confédérale pendant la guerre. La majorité de la commission aboutit à un texte consensuel qui scellait la réconciliation de Merrheim, Jouhaux et Dumoulin, et que seuls 4 militants désapprouvèrent : Thuillier, Dejonkère, Boutet et Tommasi. Le texte fut ensuite approuvé par la majorité du congrès confédéral.

Thuillier collabora au Libertaire dès sa reparution début 1919. À la tête du CDS, il joua un rôle important en 1922-1923 dans la campagne pour l’amnistie d’André Marty et des marins de la mer Noire. Il résidait alors 93, rue de Paris à Ivry-sur-Seine et était devenu marchand de tissu.

Le 8 mai 1921, alors que la France menaçait d’occuper la Ruhr, Thuillier prit la parole au nom du CDS, au grand rassemblement contre la guerre au Pré-Saint-Gervais coorganisé par le PCF, l’Arac, le CDS et l’Union des syndicats de la Seine.

À la fin de 1924, Thuillier s’installa au 28, place du Marché à Auxerre, où il devint gérant d’un débit de boissons. En 1925, il publia dans Le Travailleur du 24 juin une lettre ouverte au commissaire de police d’Auxerre (Yonne), lui reprochant de s’intéresser à son passé. À cette date, il était toujours inscrit au Carnet B. En mai 1928, il résidait à Pontaubert, près d’Avallon, et semblait avoir cessé de militer. Son fils Lucien Thuillier* fut quelque temps militant dans l’Entre-deux-guerres.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155089, notice THUILLIER Jean-Louis [dit Louys] [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche, version mise en ligne le 18 mars 2014, dernière modification le 25 novembre 2022.

Par Guillaume Davranche

SOURCES : Arch. Com. Ivry-sur-Seine ― AN F7/13053, 13616, 13972 et 13973, rapport du 18 février 1910 — Arch PPo BA/1513, 1514, 882 — dossier Thuillier CAC Fontainebleau — La CGT, op. cit., p. 579 — Le Libertaire du 7 décembre 1912 — Congrès CGT de 1908 et 1918 — Congrès de la fédération du Bâtiment de 1918 — Bulletin du CDSL’Humanité, 21 décembre 1920, 11 avril 1921 — Le Travailleur, 24 juin 1925 — Notes de J. Girault — Annie Kriegel, Aux origines du communisme français 1914-1920, Mouton & Co, 1964 — Jean-Louis Robert, Les Ouvriers, la patrie et la révolution. Paris 1914-1919, Annales littéraires de l’université de Besançon, 1995. — Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914), L’Insomniaque/Libertalia, 2014

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