Par Angel Pino
Né le 21 décembre 1903 à Shouzhou, province de l’Anhui (Chine), mort en mai 1999 à Taiwan ; bibliothécaire et enseignant, spécialiste de l’économie coopérative ; communiste libertaire.
On trouve une lettre de Wu Kegang dans la revue anglaise Freedom de juillet-août 1924, en remerciement à un envoi de brochures sur la Révolution russe. Il y annonçait la publication dans Freeman, l’organe des « camarades de Shanghai » (comprendre Ziyou ren [L’Homme libre], périodique qui parut de mars 1924 à octobre 1925), d’extraits, traduits par lui, du livre d’Augustin Souchy, The Workers and Peasants of Russia and Ukraine, how do they live ? (1922), et fournissait des informations sur les activités des anarchistes en Chine.
Wu Kegang vint ensuite en France pour y faire des études d’économie à la Sorbonne, qui lui permirent d’obtenir une licence.
Avec deux amis chinois également anarchistes, Li Feigan (le futur romancier Ba Jin*) et Wei Huilin*, et sous le pseudonyme de Junyi, il composa à Paris une brochure qui fut publiée en Chine : « Wuzhengfuzhuyi yu shiji wenti » [« L’Anarchisme et la question pratique »](Minzhong she, avril 1927). Tous trois collaboraient aux revues Minzhong [La Cloche du peuple] et Pingdeng [Égalité].
Wu Kegang séjourna un temps au collège de Bar-sur-Aube (Aube), établissement qui accueillait alors des jeunes Chinois dans la cadre du mouvement « mi-étude mi-travail », si on en juge par une lettre rédigée en anglais qu’il adressa de là-bas à Alexander Berkman le 20 mai 1925. On sait également qu’il écrivit au moins une fois à Emma Goldman, probablement en avril 1927, mais en français : celle-ci se plaignit à Ba Jin de n’avoir pas réussi à déchiffrer son griffonnage (lettre d’Emma Goldman, 26 mai 1927).
Début 1927, Wu Kegang participa au projet de création d’une Fédération communiste libertaire internationale fondée sur la « Plate-forme », et siégea, avec Nestor Makhno et Maxime Ranko* (Benjamin Goldberg) au bureau provisoire qui fut constitué à cet effet le 12 février — Wu Kegang est appelé Tchen ou Chen dans les relations historiques qui furent faites ultérieurement. Le 20 mars, il participa à la conférence internationale qui se tint à L’Haÿ-les-Roses autour de la « Plate-forme ». A l’instar d’une trentaine de militants libertaires étrangers, il fut arrêté par la police à cette occasion, et se vit notifier une mesure d’expulsion. Ba Jin, qui a narré l’épisode dans une de ses nouvelles, « Aniela Wolberg », s’empressa d’annoncer à Emma Goldman (lettre du 5 juillet 1927) et à Berkman (lettre du 18 juillet 1927) que Wu Kegang avait été chassé du territoire. En réalité, celui-ci ne quitta la France qu’à l’automne de 1927, à bord d’un bateau qui emmenait aussi vers Shanghai Jacques Reclus*.
De retour en Chine, Wu Kegang, disciple du pédagogue libertaire Shen Zhongjiu (1887-1968), dirigea l’école secondaire Liming [L’Aurore], à Quanzhou (Fujian), et s’occupa d’éducation pendant plusieurs années. En 1945, lors de la rétrocession de l’île par les Japonais, il partit pour Taiwan. Engagé comme conservateur en chef à la Bibliothèque provinciale, il enseigna à l’université nationale de Taiwan. Après quoi, en 1956, il fut nommé professeur au département d’économie coopérative de l’université nationale Chung-hsing, à Taichung, département qu’il dirigea jusqu’à son départ à la retraite, en 1968. En 1969, il fut invité à prendre la tête de celui de l’université Fengchia, établissement privé d’enseignement supérieur, toujours à Taichung. En 1989, il effectua un voyage sur le continent, qui lui fut l’occasion de revoir Ba Jin, mais sans qu’aucun des deux anciens amis n’évoque le passé.
Considéré comme le père de l’économie coopérative à Taiwan, Wu Kegang est l’auteur de nombreux travaux sur la question, traductions ou textes originaux, à commencer par ceux qu’il publia en revenant de France : la version chinoise d’un des cours professés par Charles Gide au Collège de France, présenté en deux fascicules séparés, Eguo hezhuo yundong shi [La Coopération en Russie] et Yingguo hezhuo yundong shi [La Coopération en Angleterre] (Shanghai, Shangwu yinshuguan, 1931) ; et un sien ouvrage paru chez le même éditeur, Faguo hezuo yundong shi [La Coopération en France] (1933). Bien plus tard, il traduisit encore les Principes d’économie politique de Charles Gide : Zhengzhi jingjixue yuanli (Taiwan yinhang jingji yanjiu shi, Taipei, 1977). Il a écrit ses mémoires : Yige hezuozhuyizhe jian wen lu [Choses vues et entendues par un coopérativiste] (Zhongguo hezuo xueshe, Taipei, 1999).
Par Angel Pino
SOURCES : Arch. PPo BA/1899 — The Emma Goldman Papers (University of California, Berkeley) — A. Berkman Papers (IISG, Amsterdam) — F. [Férandel], « Expulsion en masse de militants libertaires », Le Libertaire du 10 juin 1927 — Pa Kin, Le Secret de Robespierre, et autres nouvelles, divers traducteurs, Mazarine, coll. « Roman », Paris, 1980, pp. 155-165 (rééd. : Stock, coll. « La bibliothèque cosmopolite », Paris, 1997) — Shaokelu [Jacques Reclus], « Wo suo renshide Li Yuying xiansheng » [Monsieur Li Yuying tel que je l’ai connu], Zhuanji wenxue [Littérature biographique], 45, n° 3, sept. 1984, pp. 87-88 — Ba Jin, « Zhi Kegang » [(Lettre) à Kegang] (26 septembre 1993) et « Guanyu Kegang » [À propos de Kegang] (20 mai 1994), in Zaisilu [D’autres réflexions encore], Shanghai yuandong chubanshe, Shanghai, 1995 — Wu Kegang, « Ba Jin jijian shi » [Plusieurs choses sur Ba Jin], Ba Jin yanjiu [Recherches sur Ba Jin], 1995/2, pp. 10-11 — Zhang Weidong, « Wu Kegang (1903-1999), hezuozhuyizhe » [Wu Kegang (1903-1999), le coopérativiste], in Tushuguan renwu zhi [Dictionnaire biographique des bibliothécaires], Zhongguo tushuguan xuehui, Taipei, vol. 1, 2003, pp. 57-65 — Liao Yousheng, « Taiwan tushuguan shiye de Ouwen : Wu Kegang jiaoshou » [Le Owen de la cause bibliothécaire à Taiwan : le professeur Wu Kegang], in Taiwan tushuguan jingying shilüe [Brève Histoire de la gestion des bibliothèques à Taiwan], Guoli zhongyang tushuguan Taiwan fenguan, Taipei, 2005, pp. 85-97.