KAHN Rodolphe [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean Maitron, notice complétée par Marianne Enckell, Dominique Petit

Né le 15 janvier 1851 à Lyon, 10 rue de la Barre, Alsacien d’origine ; résidant à Paris puis en Suisse ; communard, membre de la Fédération jurassienne puis anarchiste.

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York

Ex-franc-tireur garibaldien, ainsi que E. Raveaud, tous deux furent délégués à l’organisation d’un « bataillon des francs-tireurs de la Révolution » (cf. J.O. Commune, 16 mai 1871). Il appartint à la commission exécutive de la Fédération républicaine du Rhône — composée d’originaires de ce département habitant Paris — solidaire de la Commune de Paris.

Réfugié en Suisse, il épousa la fille du proscrit Armand Fournier en mars 1872 ; ils eurent une fille en janvier 1873, qui mourut jeune de la tuberculose, et Anne, Marie, Louise Fournier mourut elle-même le 12 janvier 1874 à Pully (canton de Vaud). À Lausanne, il reconstitua en février 1876, avec un jeune typographe allemand, August Reinsdorf, la section d’étude et de propagande de Lausanne de l’Internationale, qui adhéra à la Fédération jurassienne et organisa des séries de conférences avec Brousse, Lefrançais, Elisée Reclus entre autres. Kahn fut avec Chevillard à l’initiative de la commémoration de la Commune à l’hôtel de France, le 18 mars 1876, entendant montrer "aux réactionnaires stupides de Lausanne que malgré les entraves apportées à notre organisation, et malgré leurs colères impuissantes, nous avons réussi et que nous saurons le leur prouver par des actes avant qu’il soit longtemps".

Les ouvriers tailleurs de Lausanne étaient organisés dans une Société internationale adhérente à l’Arbeiterbund socialiste. En mai 1876, les patrons tailleurs exigèrent d’eux qu’ils n’en fassent plus partie ; sur leur refus, ils fermèrent les ateliers et allèrent chercher des ouvriers à Lyon. La Société fit appel à Kahn pour discuter avec ses compatriotes, mais à peine avait-il commencé qu’il fut arrêté sur la plainte d’un patron et gardé cinq jours en prison. Il fut condamné, le 31 juillet, à 20 F d’amende et aux frais pour atteinte à la liberté du travail. Plusieurs assemblées de protestation réaffirmèrent « le droit illimité d’association, tant sur le terrain local que sur le terrain international ». Kahn fut ensuite expulsé du territoire vaudois et s’établit à Genève. Les socialistes de l’Arbeiterbund l’invitèrent à porter plainte auprès du Conseil fédéral, ce qu’il refusa « d’abord parce que demander justice à une autorité, c’est reconnaître sa légitimité, et que des socialistes révolutionnaires ne peuvent se placer sur un terrain pareil ; et, en second lieu, parce que l’expérience a suffisamment démontré toute l’inanité d’une semblable manière de procéder ».

Les 6 et 7 août 1876, sans être délégué, il assista au Congrès jurassien de La Chaux-de-Fonds et joua le rôle de secrétaire avec le tapissier H. Ferré. Lui-même était dit « métallurgiste » en cette occasion.

Il fut ensuite délégué par la section d’études et de propagande de langue allemande de Lausanne au 8e Congrès général de l’AIT qui se tint à Berne du 26 au 29 octobre 1876. Il fut un des quatre secrétaires et participa à diverses commissions.

Kahn fut correspondant du Arbeiter-Zeitung (1876-1877), premier journal anarchiste de langue allemande en Suisse. Il signait ses articles [ K.]

En 1877, avec Joukovsky et Ralli, il forma le projet de lancer à Genève un périodique dont Paul Brousse se méfiait : « C’est une machine dirigée, en Suisse, contre le Bulletin, en France contre nos amis… je leur refuse catégoriquement et par lettre tout concours », écrivit-il à Kropotkine. Kahn était toutefois présent au congrès de la Fédération jurassienne en 1878, où il polémiqua avec Brousse sur le vote, estimant « que l’élection de Blanqui ne produirait pas plus d’effet qu’il n’en résulta de la candidature analogue de Raspail sous la seconde république… Il croit que l’emploi d’une tactique nouvelle mérite qu’on l’étudie avec soin avant de la réaliser ».

Le 1er février 1880, Kahn assistait parmi 600 personnes, à la réunion du Cercle d’études sociale des Ve et XIIIe arrondissements, salle du Vieux-Chêne, 69 rue Mouftard. Il était membre de ce groupe qui se réunissait le mardi au 17 rue de Jussieu.

En novembre 1880, Kahn fut délégué au congrès national du Havre par les Cercles d’études sociales des Ve, VIe et XIIIe arr. de Paris, et par l’Alliance des groupes socialistes révolutionnaires (voir Jeallot). A cette époque, il était employé et demeurait 6 cité du Vaux-Hall.
Le 14 novembre 1880, Emile Gautier rédacteur à la Marseillaise et Kahn, envoyé pour la Révolution sociale, partaient de la gare Saint-Lazare pour se rendre au Havre.

A la séance du 15 novembre 1880, Kahn donna lecture du procès-verbal de la séance d’ouverture du congrès qui avait eu lieu la veille, salle de l’Union lyrique, 9 rue Fécamp au Havre. Après quelques modifications, il était adopté.
Lorsque l’on procéda à la vérification des mandats, les seuls qui furent plus ou moins contestés étaient ceux des cercles d’études principalement anarchistes, n’ayant ni règlement, ni statuts. Néanmoins, tous les mandats furent validés, même ceux des anarchistes, dont les seuls statuts sont de ne pas en avoir, comme Kahn l’avait dit d’une façon humoristique.
Le 16 novembre, Kahn reçut mandat du groupe d’études sociales du 5e canton de Bordeaux, signé par le délégué à la correspondance Léglise, afin de le représenter au congrès : « Nous adhérons pleinement au programme de l’Alliance socialiste révolutionnaire en ce qui concerne la négation du suffrage universel, l’organisation des groupes d’actions. »
Le 16 novembre 1880, lors d’une séance privée des délégués, présidée par Chabert, une discussion s’engageait sur une proposition de Kahn qui avait reçu mandat express, pour demander à ce que les noms des délégués soient laissés de côté et qu’on ne nomme que les noms des groupes qu’ils représentaient, ceci afin d’éviter que le délégué ne profite du mandat qu’il avait reçu pour se faire une facile popularité et s’en servir de marchepied : « Les groupes qui m’ont délégué, veulent que les rapports écrits ou discours soient en réalité leur expression à eux et non celle de la personnalité du délégué. » La proposition était soutenue par Bordat mais rejetée à la majorité.
Concernant la représentation du prolétariat aux corps élus, la commission soumit au congrès, un texte prévoyant de « tenter une dernière expérience aux élections municipales et législative de 81, et, pour le cas où elle n’aboutirait pas, ne retiendrait purement et simplement que l’action révolutionnaire. » La minorité de la commission, représentée par Kahn et Leguillanton, n’accepta en aucune façon l’emploi du suffrage universel et proposa l’abstention pure et simple et de remplacer la propagande électorale par la propagande par le fait.
Kahn, devant le congrès, au nom des groupes communistes-anarchistes défendit l’abstention, « qui seule convenait aux travailleurs dans le régime bourgeois, tandis que le suffrage était un leurre, ne servant qu’à tromper les ouvriers et à les éloigner des moyens révolutionnaires qui assureront son émancipation. » Kahn n’était partisan que d’une action propre à créer l’agitation, comme le refus de l’impôt et du service militaire, la grève et l’émeute. Mais comme preuve de l’esprit de conciliation qui animait ses amis, il s’engagea en leur nom à ne pas susciter d’embarras jusqu’après les élections de 1881, comptant que ces élections démontreraient aux collectivistes que le suffrage universel n’est bon à rien.
Le rapport de la commission fut adopté par le congrès par 43 voix contre 10.
Massard dans le Citoyen pouvait commenter : « Les anarchistes du Congrès national ne sont pas comme ceux que nous avons rencontrés au Congrès régional du Centre : au moins, ils essaient de discuter et ne se cantonnent plus dans de misérables questions personnelles. »
Kahn se prononça pour le communisme libertaire, contre les collectivistes ce qui fut admis par le congrès.
A la séance du 17 novembre 1880, sur la question de la propriété, Kahn, signa avec Louis Hébrard la motion des anarchistes, celle-ci prévoyait que « tous les produits doivent être mis à la libre disposition de tous, par la réalisation du communisme anarchiste, but de la Révolution. » Cette motion de fut pas adoptée, la motion majoritaire ayant été adoptée par 48 voix contre 7.
Le 18 novembre 1880, Paule Minck aurait eu une discussion avec Kahn, Serraux et Gautier qui l’aurait amené à accentuer encore ses idées anarchistes.
Le 25 novembre 1880, à la salle des Ecoles, rue d’Arras, Kahn et d’autres délégués du Congrès du Havre rendirent compte de leur mandat devant une assistance de 1000 personnes.
C’est lui qui, selon Jean Grave, rédigea l’année suivante La Question électorale, brochure de propagande pour la « grève des électeurs » publiée par l’Alliance.
Le 28 janvier 1881, le Comité général exécutif des résolutions du Congrès du Havre communiquait que « le citoyen Kahn ayant été averti plusieurs fois de faire parvenir au comité les rapports qui sont en sa possession et n’ayant pas répondu aux décisions du comité, celui-ci, après discussion, décide d’écrire aux groupes que représentait le citoyen Kahn ».
Le 22 février 1881, dans une lettre à Arsène Crié, Emile Gautier écrivit : « Kahn semble convaincu d’escroquerie en Suisse et en France. J‘ai une lettre d’Elisée Reclus, écrasante contre lui, et dont je suis à la veille d’être forcé de faire usage. »
Le 2 avril 1881, il se remaria à Cosne-Sur-Loire (Nièvre) avec Louise, Honorine, Stéphanie Letors. Il demeurait 60 rue du Château-d’Eau (Paris Xe arr.).
Le 9 novembre 1887, sa femme accoucha d’un fils Rodolphe, Joseph, Gabriel, chez sa mère à Cosne-Sur-Loire. Kahn était alors négociant à Paris.

Le 29 mai 1893, de 18 à 19h, se réunissaient à la terrasse de l’établissement « Au canon de la Bastille », place de la Bastille, rendez-vous habituel de militants anarchistes, un certain nombre de compagnons : Cottée, Denéchère, Kahn, Gillot et Leblond. Il s’agissait d’établir une correspondance active avec des personnalités anarchistes en France et à l’étranger. Les démarches allaient être entreprises par Kahn et Denéchère.
A mois de juillet 1893, Kahn donnait son adhésion à un projet de quotidien anarchiste, tout au moins pendant la campagne électorale législative.
Le 22 septembre 1893, il assistait à une réunion d’abstentionnistes, 102 rue de Paris. Guérineau demanda si l’on avait reçu les manifestes contre l’alliance franco-russe. Kahn répondit : « Quand nous les aurons, nous prendrons une décision. »
Le 8 mars 1894, il fut perquisitionné à son domicile 170 rue Saint-Antoine et arrêté dans le cadre des rafles d’anarchistes pour association de malfaiteurs. Il fut transféré à Mazas, la Préfecture de police envoya sa notice individuelle au juge d’instruction le 3 avril. Il fut libéré le 7 mai.
Kahn figurait sur l’état récapitulatif des anarchistes au 31 décembre 1894, avec comme prénoms Rodolphe, Raoul ; sur celui au 31 décembre 1896, le prénom indiqué était Raoul et l’adresse 195 rue Saint-Antoine, comme sur celui de 1901. Son dossier à la Préfecture de police portait le n°30.887.

Il continua de correspondre avec Jacques Gross jusqu’à la fin du siècle au moins.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155451, notice KAHN Rodolphe [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, notice complétée par Marianne Enckell, Dominique Petit, version mise en ligne le 4 décembre 2020, dernière modification le 2 avril 2021.

Par Jean Maitron, notice complétée par Marianne Enckell, Dominique Petit

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Fiche photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Document Ficedl - Affiches

SOURCES : État civil. — J. Guillaume, L’Internationale, t. III et t. IV. — Feuille d’Avis de Lausanne, 22 août 1876. — L’Avant-Garde, La Chaux-de-Fonds, août-septembre 1878, n° 32-34. — Max Nettlau, Der Anarchismus von Proudhon zu Kropotkin et Anarchisten und Sozialrevolutionäre, Berlin, 1927 et 1931. — Jacques Gross Papers, IISG Amsterdam — Archives Fédération jurassienne, IISG Amsterdam. — La Révolution sociale, 21 novembre, 28 novembre, 5 décembre 1880. — Archives de la Préfecture de police Ba 38, 78, 1500, 1505. — Archives nationales BB 18 6447. — L’Intransigeant 26 novembre 1880. — Le Citoyen 21 octobre 1880 et 1er février 1881. — Les anarchistes contre la république de Vivien Bouhey. Annexe 56 : les anarchistes de la Seine. — Archives départementales de la Nièvre. Etat-civil

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