Par Édouard Sill, Guillaume Davranche
Né le 30 septembre 1888 à Saint-Amand-Montrond (Cher), mort le 23 juin 1971 aux Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) ; jardinier, cimentier, correcteur d’imprimerie puis marchand ambulant ; militant anarchiste, syndicaliste, antimilitariste et pacifiste ; promoteur en France de l’objection de conscience.
D’une longévité exceptionnelle, le parcours politique de Louis Lecoin s’étale sur plus de soixante ans. Antimilitariste forcené et secrétaire intrépide de la FCA, prisonnier politique pendant dix ans et néanmoins « héros » de la résistance à l’union sacrée en 1914-1918, il fut un des principaux animateurs du mouvement anarchiste de l’Entre-deux-guerres avant de devenir, après 1945, un des porte-drapeaux du pacifisme et de l’objection de conscience.
Fils d’un ouvrier agricole berrichon qui eut sept enfants, Louis Lecoin vécut ses premières années dans la misère. Après avoir obtenu son certificat d’études, il entra chez un imprimeur-libraire comme apprenti typographe, puis passa trois années dans une ferme-école, « trois années perdues », devait-il déclarer plus tard. En octobre 1904, après avoir passé une année au service du régisseur d’un châtelain, il partit pour Paris et travailla chez un pépiniériste de la banlieue sud. C’est en 1905, d’après ses propres souvenirs, qu’après avoir hésité entre Jaurès et Sébastien Faure, il devint anarchiste. Il prit part à une grève au printemps de 1906, participa à la journée du 1er Mai et fut détenu quelques heures. Le 13 octobre 1909, il manifesta pour Francisco Ferrer aux abords de l’ambassade espagnole.
Antimilitariste forcené
En décembre 1909, Louis Lecoin se présenta à la caserne de Cosne-sur-Loire (Nièvre) pour accomplir son service militaire. La grève des cheminots d’octobre 1910 allait le rendre célèbre. Son unité étant mobilisée pour garder les voies de chemin de fer, le soldat Louis Lecoin refusa de participer à briser la grève et fut déféré à la prison militaire de Bourges pour y être jugé devant un conseil militaire. Condamné à six mois de prison, son action obtint un écho relatif dans la presse. Libéré en avril 1911, il fut versé au 10e R.I. d’Auxonne. Tandis que son régiment participait à la répression des grèves des vignerons et des mineurs, Lecoin était consigné à la caserne.
Quand il regagna Paris une fois libre, en mars 1912, il n’était plus un inconnu et adhéra immédiatement au Foyer populaire de Belleville, affilié à la Fédération communiste anarchiste (FCA). Le 6 juillet, il fut élu cosecrétaire de la FCA avec Édouard Boudot, et déploya une intense activité dans la campagne contre la guerre et contre la loi de trois ans.
En novembre 1912, un groupe de jeunes anarchistes refusèrent publiquement la conscription. La FCA accepta de couvrir de son sigle leur affiche et leur tract tiré à 100 000 exemplaires, intitulés « Aujourd’hui insoumis, demain réfractaire, plus tard déserteur ». Les poursuites devaient retomber sur Louis Lecoin qui, le 14 novembre, prononça de surcroît un discours appelant au sabotage de la mobilisation dans un meeting rue Cambronne, à Paris 15e.
Le 16 novembre, il fut interpellé par la police et bientôt inculpé avec d’autres militants pour « menées anarchistes » (voir Pierre Ruff). Il fut aussitôt remplacé au secrétariat de la FCA par Henry Combes.
L’année 1913 fut celle d’un marathon judiciaire pour Lecoin, défendu par Me Dupré.
Le 22 janvier, la Cour d’assises de la Seine le condamna par défaut, pour l’affiche des conscrits, à quatre ans de prison et à 3 000 francs d’amende. Sur opposition, le 31 mars, la peine devait être confirmée. Elle le serait encore en appel le 19 décembre.
Lecoin devait également comparaître le 28 janvier 1913, dans le cadre du procès du Mouvement anarchiste, pour son discours du 14 novembre. Soulevant l’incompétence du tribunal correctionnel et réclamant la cour d’assises, Ruff et lui ne se présentèrent pas à l’audience. La 9e chambre correctionnelle les condamna par défaut le 4 février 1913, à deux ans de prison et 100 francs d’amende. Ils firent opposition et, le 5 mars, repassèrent devant le même tribunal. Eugène Jacquemin, Georges Dumoulin et Pierre Martin témoignèrent en leur faveur. Fait extrêmement rare, le tribunal aggrava les peines prononcées par défaut et tous deux récoltèrent le maximum : cinq ans de prison et 3 000 francs d’amende.
Lecoin bénéficia heureusement de la confusion des peines. En février 1914 il fut transféré de Paris vers la centrale de Clairvaux, puis fut renvoyé à la Santé à sa demande en juillet 1914.
Aux législatives d’avril 1914, dans le cadre d’une campagne d’alerte sur la situation des détenus politiques, il fut un « candidat de la liberté » (voir Édouard Sené) à Paris 20e.
Résistant à la guerre
Durant le conflit mondial, Louis Lecoin fut emprisonné à Caen. Son opposition irréductible à la guerre allait asseoir sa réputation. En août 1915, il rédigea avec Ruff un appel pacifiste, « Aux anarchistes, aux syndicalistes, aux hommes », qui fut polycopié à une centaine d’exemplaires par des amis et qui circula dans les milieux libertaires.
Libéré en novembre 1916, il reçut son ordre de mobilisation immédiat pour Bourges dans une section disciplinaire de l’armée. Il se réfugia alors chez l’anarchiste Georges Reimeringer* non sans avoir adressé au gouvernement militaire de Paris une lettre dans laquelle il l’informait de son refus d’être incorporé.
Insoumis, Louis Lecoin ne se cacha pas et fit montre au contraire d’une grande activité. Avec Pierre Ruff et Claude Content, il rédigea un tract signé du Libertaire et intitulé « Imposons la paix ». Il le distribua seul à Belleville le 11 décembre, ce qui entraîna immédiatement son arrestation puis celle de ses deux camarades. Tous trois comparurent le 5 mars 1917 devant la 10e chambre du Tribunal correctionnel pour « propos alarmistes » et furent condamnés : Lecoin et Ruff à un an de prison et 1000 francs d’amende ; Content à 6 mois de prison et 500 francs d’amende.
De sa prison, il collabora à l’édition clandestine d’un numéro du Libertaire datée du 15 juin 1917 (voir Claude Content).
Libéré le 12 septembre 1917, il envisagea un attentat contre l’ex-révolutionnaire Gustave Hervé mais fut arrêté dès le 16 comme insoumis. Pour cela, il fut condamné le 18 décembre à 5 ans de prison par le 2e tribunal militaire de Paris et envoyé au Cherche-Midi, puis à la maison de force de Poissy pour deux mois, puis enfin au fort du Kremlin-Bicêtre où il entama une grève de la faim. À l’été 1918, il fut envoyé au camp militaire de travaux forcés de Monge (Auvergne) où il resta jusqu’en mars 1919, date à laquelle il fut transféré au pénitencier d’Albertville.
De là, en octobre 1920, il rédigea une lettre qui fut lue par la défense lors du procès d’Alphonse Barbé*, poursuivi pour avoir déserté en 1916. La lettre fut également publiée dans Le Libertaire du 1er novembre 1920. Le cas d’Alphonse Barbé fut à l’origine d’un mouvement en faveur de la reconnaissance du « cas de conscience » — bientôt rebaptisé « objection de conscience » — qui devait occuper les pacifistes et, de plus en plus, les libertaires jusqu’à la fin des années 1930.
Ne pouvant assister au congrès national anarchiste des 14-15 novembre 1920, Lecoin écrivit une lettre, lue en séance, qui affirmait que les anarchistes, tout en soutenant la Révolution russe, devaient absolument rester critiques vis-à-vis du modèle de socialisme développé par les communistes russes.
Acteur de la scission confédérale CGT-CGTU
Après sa libération d’Albertville, le 24 novembre 1920, Louis Lecoin reprit sa place au sein de la CGT et de l’Union anarchiste, où il milita pendant plusieurs années sous le pseudonyme transparent de Léonic. Dès décembre 1920, il fut nommé administrateur du Libertaire et de la librairie de l’UA. Il devait assister à presque tous les congrès de l’UA jusqu’en 1937.
En juillet 1921, il fut délégué (minoritaire) au congrès confédéral de Lille. Lors des échauffourées entre le service d’ordre et les minoritaires, il tira des coups de feu en l’air. À la séance suivante, il dénonça le ralliement confédéral à l’Union sacrée en 1914.
Quand la scission syndicale fut consommée, lors de l’assemblée extraordinaire tenue du 22 au 24 décembre 1921 à Paris, Louis Lecoin fut élu à la commission administrative provisoire de ce qui allait devenir la CGT unitaire (CGTU). Sur les 19 membres de cette CA, 10 étaient de la tendance syndicaliste « pure » ou anarchiste (voir Pierre Besnard).
Peu après, en janvier 1922, il devint secrétaire de rédaction du Libertaire.
Lors du Ier congrès confédéral de la CGTU, tenu du 25 juin au 1er juillet 1922 à Saint-Étienne, Louis Lecoin fut un des principaux orateurs de la tendance « anarcho-syndicaliste », pour reprendre le quolibet en usage chez leurs adversaires. Au congrès, les syndicalistes pro-Moscou emportèrent la majorité et Lecoin fut, à l’instar de l’ensemble des libertaires, éliminé de la CA.
Trois semaines plus tard, Le Libertaire du 28 juillet 1922 annonça que Lecoin quittait le secrétariat de rédaction de l’hebdomadaire.
Âme des comités de défense
Dès lors, et tout en restant un adhérent fidèle, Louis Lecoin développa son action en marge de l’UA, se spécialisant dans la défense de camarades emprisonnés ou menacés d’extradition. Il devint ainsi, dans l’entre-deux-guerres, le maître d’œuvre de campagnes politico-humanitaires qui parfois secouèrent la France. Cela lui valut une notoriété dépassant de loin le mouvement anarchiste, et un volumineux carnet d’adresses. La méthode — qu’il perfectionna à chaque campagne — consistait à créer un comité dédié à une cause précise, que Lecoin, pour percer le mur médiatique, faisait parrainer par un aréopage de personnalités des arts et des lettres, du barreau, du monde syndical ou politique. L’alignement de noms célèbres au bas des manifestes et pétitions permit de remplir les salles de meeting à une période où le mouvement anarchiste était dans un trou d’air. Le plus souvent il s’agissait de personnalités humanistes liées au monde des arts et des lettres, à la Ligue des droits de l’homme, à la CGT, voire à la SFIO et au Parti radical. Les « petites mains » (colleurs d’affiches, distributeurs de tracts) étaient constituées de militants libertaires mobilisés par la cause.
La première de ces campagnes politico-humanitaires fut menée dès 1922 par le comité Nicolau-Mateu, animé par Lecoin pour empêcher l’extradition de deux anarchistes accusés d’avoir assassiné le président du gouvernement espagnol, Eduardo Dato. Louis Lecoin prononça à ce sujet un discours violent lors d’un meeting de la CGTU le 7 juillet 1922, qui lui valut d’être arrêté par la police puis relâché. Le 10 octobre 1922, l’UA et le comité Nicolau-Mateu organisèrent une grande manifestation pour l’amnistie à l’issue de laquelle Lecoin pénétra dans le Palais-Bourbon pour y lancer des tracts. Il fut une nouvelle fois appréhendé.
À la même époque, il intervint en soutien à sa belle-sœur, Jeanne Morand, condamnée le 5 mai 1922 à dix ans de prison pour son action pacifiste durant la Grande Guerre. Quelques détenus faisaient la grève de la faim pour qu’on lui reconnaisse le statut politique. Afin de faire connaître leur action, Louis Lecoin imagina de profiter d’une visite à ces prisonniers pour refuser de quitter les lieux, accompagné d’une trentaine de personnes dont une moitié de journalistes. L’action fut menée à bien, mais sans avancées pour la détenue.
Lecoin fit ensuite campagne en faveur d’Émile Cottin* emprisonné pour un attentat contre Clemenceau en février 1919. Il cosigna avec deux camarades dans Le Libertaire un article intitulé « Bonne et inopérante vengeance d’un gouvernement de fripouilles et d’assassins » à propos du refus du statut politique à Cottin. Lecoin et ses camarades voulaient être incarcérés afin de réclamer, si besoin était, par le biais d’une grève de la faim, le régime politique pour Cottin et pour eux mêmes. Mais Lecoin fut finalement le seul appréhendé et condamné à six mois de prison le 21 décembre 1922. Il se lança donc seul dans une grève de la faim et, après six jours, obtint satisfaction pour lui-même et pour Cottin. Il fut transféré après noël 1922 dans des quartiers politiques de la Santé. Peu de temps avant sa libération, il entama une seconde grève de la faim, en faveur de Jeanne Morand et obtint cette fois satisfaction au bout de cinq jours.
Toujours en 1922, dans la continuité de l’action en faveur d’Alphonse Barbé, Louis Lecoin créa plusieurs comités nominaux de soutien à des insoumis et objecteurs incarcérés. Le 4 juillet 1923 il créa avec Maurice Pfister* le Comité général d’action pour l’amnistie.
Lecoin restait pendant ce temps très actif syndicalement. Du 12 au 17 novembre 1923, il fut délégué du SUB de la Seine et des terrassiers de Melun au congrès confédéral CGTU de Bourges, où il apparut une nouvelle fois comme un des porte-parole de la minorité.
Le 11 janvier 1924, il se trouvait au cœur des affrontements entre communistes et « anarcho-syndicalistes » à la Grange-aux-Belles, qui firent deux morts (voir Clos et Poncet) et sonnèrent l’heure de la rupture. Dès le 18 janvier, à la réunion d’urgence de la Minorité syndicaliste révolutionnaire (MSR), Lecoin prôna, avec Boudoux, le départ de la CGTU, mais ne fut pas suivi.
En 1924, il fut à l’origine du comité Makhno, afin d’empêcher l’extradition du célèbre révolutionnaire ukrainien. Cette même année, le 24 février, il devint trésorier du groupe des Amis du Libertaire. Le 11 mai, il fut candidat abstentionniste aux élections législatives dans le deuxième secteur de la Seine.
Sa fille Josette naquit le 3 juin 1924 à Paris.
En 1925, il rencontra le théoricien anarchiste Camillo Berneri, réfugié en France. Jusqu’en 1936, il parvint à lui éviter l’extradition vers l’Italie. Du 18 au 20 juin 1925, Louis Lecoin fut délégué du SUB de la Seine au congrès de la Fédération autonome du bâtiment à Paris et soutint la motion d’autonomie provisoire de la fédération (voir Louis Boisson).
En juin 1926, il cofonda avec Nicolas Faucier le Comité de défense Sacco-Vanzetti, en allant chercher des soutiens supplémentaires auprès de la SFIO, de la CGT, de la Ligue des droits de l’homme (LDH), et même plus loin, puisque la pétition adressée « Au peuple américain » rédigée par Lecoin accueillit les signatures d’une centaine de parlementaires et d’avocats de toutes tendances politiques. En novembre 1926, il s’installa avec Marie Morand à Crosnes (Seine-et-Oise). En avril-mai 1927, sous l’impulsion de Lecoin, le Comité Sacco-Vanzetti parvint à rassembler 3 millions de signatures dans tout le pays en faveur de l’amnistie des 2 condamnés. Deux semaines après que, le 23 août 1927, Sacco et Vanzetti aient été exécutés, Lecoin décida de perturber, seul, le congrès de l’American Legion (association fascisante d’anciens combattants américains) au Trocadéro. S’étant introduit dans la salle, il cria par trois fois : « Vivent Sacco et Vanzetti ! » Immédiatement arrêté et inculpé pour apologie de meurtre, il fut libéré au bout d’une semaine sous la pression unanime de la SFIO, du Parti radical, du PCF, de la Libre Pensée et de la LDH.
Parallèlement à la campagne en faveur de Sacco et Vanzetti, en 1927, il fut le principal animateur en France du Comité international du droit d’asile (CIDA) pour empêcher l’extradition vers l’Argentine des anarchistes du groupe Los Solidarios (voir Buenaventura Durruti).
À l’époque, l’opinion de Lecoin avait évolué au sujet de l’objection de conscience qu’il qualifia, dans Le Libertaire du 17 septembre 1926, de « méchante solution individuelle » et de « thèse hautement dangereuse, salement égoïste et nettement antirévolutionnaire que nous regrettons maintenant de n’avoir pas combattue alors ». Il reconsidérera sa position lors du procès pour insoumission de son ami Odéon*. Dans Le Libertaire du 28 décembre 1929, tout en restant critique, il expliquait qu’« Odéon n’est pas un de ces objecteurs de conscience à la mode avec lesquels les gouvernants les plus guerriers pourront s’entendre. Odéon est un révolutionnaire. [...] Mais il ne pense pas qu’en attendant cette révolution, il soit interdit d’agir individuellement [...]. » Par la suite, il se montra beaucoup plus favorable à l’objection de conscience.
Dans la controverse sur la « Plate-forme » et la « Synthèse » (voir Piotr Archinov), Louis Lecoin fut synthésiste. Cependant, quand l’organisation adopta la « Plate-forme » au congrès de novembre 1927 et se rebaptisa Union anarchiste communiste révolutionnaire (UACR), il ne suivit pas les scissionnistes de l’Association des fédéralistes anarchistes (AFA) et se maintint dans la minorité synthésiste de l’UACR.
En 1928, il fut admis au syndicat des correcteurs CGT.
À l’approche du congrès UCAR d’avril 1930, Louis Lecoin et la minorité synthésiste firent pression pour que le congrès soit élargi aux abonnés du Libertaire et à l’AFA. Il corédigea notamment un « Manifeste des anarchistes communistes » critiquant certains aspects de la « Plate-forme » et cosigné par une trentaine de militants. Finalement, le congrès d’avril 1930 fut élargi, et l’UCAR abandonna la référence à la « Plate-forme ». Louis Lecoin devint alors secrétaire de l’organisation et participa régulièrement à sa commission administrative. Entre-temps, il avait assuré le secrétariat de rédaction du Libertaire du 1er juin au 20 août 1929.
À l’été 1931, il s’installa avec Marie Morand dans le pavillon n°184 de la Cité Jardins, aux Lilas (Seine).
Partisan de l’unité antifasciste
Cependant, l’activité syndicaliste de Louis Lecoin allait crescendo. Du 15 au 18 septembre 1931, il fut délégué par le syndicat des correcteurs au congrès confédéral CGT de la salle Japy. Il y défendit une motion d’unité CGT-CGTU concurrente de celle dite des « 22 », manière de saboter l’initiative de Pierre Monatte auquel il n’avait pas pardonné d’avoir aidé les communistes à s’emparer de la CGTU en 1922. Finalement, sa motion ne fut pas mise aux voix, mais diluée dans une motion d’unité concoctée par la majorité confédérale, que finalement il soutint. Cette motion sur l’unité fut adoptée à la quasi unanimité, signant l’échec de l’initiative des « 22 ».
En 1932, il fut élu au comité du syndicat des correcteurs et reprit son action en faveur des objecteurs de conscience. En septembre 1932, sous les auspices de l’UACR, il relança le Comité général d’action pour l’amnistie, sous le nom de Comité pour l’amnistie la plus large. Il créa alors la feuille L’Amnistie, destinée à être diffusée dans les organisations de gauche et dont le premier numéro, tiré à 4 000 exemplaires, sortit le 11 janvier 1933. Quelques semaines plus tard, en mars 1933, il s’installa à Vanves (Hauts-de-Seine).
Cette année-là, il représenta le syndicat des correcteurs à l’union des syndicats de la Seine. Du 26 au 29 septembre, il fut délégué au congrès confédéral CGT de Paris, où il soutint une nouvelle motion des correcteurs en faveur de l’unité CGT-CGTU, en insistant particulièrement sur la situation internationale. « Camarades, déclara-t-il, si vous ne réalisez pas l’unité, d’abord dans l’action, ensuite organiquement, craignez d’aller aux échecs continuels, craignez que le fascisme passe par-dessus nous et que la guerre ensuite déferle sur le monde. » La motion des correcteurs, édulcorée en commission, fut de nouveau adoptée.
Après la nuit du 6 février 1934, Louis Lecoin représenta l’UACR, avec Anderson*, Faucier* et Frémont* à la réunion que tint à son siège, le 7 février, la direction de la CGT, et qui décida de la grève générale du 12 février. Lecoin insista particulièrement pour que la CGTU et le PCF soient associés à cette journée, à laquelle participa également l’UACR.
Lors du congrès d’unité anarchiste de mai 1934, sous les auspices de l’antifascisme, Lecoin défendit avec ferveur la fusion de l’UACR et de l’AFA. Il obtint également que l’organisation participe aux comités d’unité d’action antifasciste, dans la mesure où ils seraient placés sous direction syndicale. En revanche il n’accepta, à l’issue de ce congrès, aucune fonction à l’UA ni au Libertaire.
Aux premiers signes de détente entre la SFIO et le PCF, il renouvela son appel à l’unité syndicale, signant dans Le Libertaire du 16 novembre 1934 un article au titre sans équivoque : « Plutôt perdre l’indépendance syndicale que la vie ».
En 1936, Lecoin représenta de nouveau le syndicat des correcteurs à l’union des syndicats de la Seine. Jusque-là, il avait été employé dans les journaux Le Soir, La Volonté, Le Quotidien et L’Écho de Paris. À partir de juillet 1936 cependant, la Révolution espagnole et ses conséquences allaient accaparer son action et, pendant plusieurs années il allait être secrétaire appointé, à plein temps, d’organismes de soutien à la CNT-FAI.
Avec Odéon, en avril 1931, il avait déjà rencontré en Espagne les membres de la Fédération anarchiste ibérique (FAI). Dès le mois d’août 1936, il mit sur pied le Comité de ravitaillement des milices antifascistes pour acheminer de l’aide matérielle aux colonnes de la CNT-FAI, et fit très vraisemblablement partie du Comité anarcho-syndicaliste pour la défense et la libération du prolétariat espagnol (CASDLPE), qui regroupait l’UA, la FAF et la CGT-SR.
Cependant, dès le début, des divergences naquirent au sein du CASDLPE. En effet Lecoin, avec l’aval de la CNT-FAI, mais au grand dam de la CGT-SR et de la FAF, voulait élargir la campagne de soutien.
Ces dissensions conduisirent Louis Lecoin et l’UA lancer, le 12 octobre 1936, le Comité pour l’Espagne libre (CEL), installé d’abord rue d’Alesia à Paris 14e puis au 26 rue de Crussol à Paris. La naissance du CEL fit éclater le CASDPLE dès son congrès des 24 et 25 octobre à Paris.
Lecoin fut le secrétaire — d’abord bénévole puis appointé 400 francs — du CEL, Nicolas Faucier l’administrateur et Odéon le factotum, à la fois coordinateur, chauffeur et secrétaire. Plus tard, l’équipe fut complétée par Pierre Le Meillour et Marcel Bullier. Cinq jours après la création du CEL, le 17 octobre 1936, Lecoin épousa à Vanves sa compagne Marie. En novembre, il fut invité aux obsèques de Durruti à Barcelone par la CNT-FAI, mais ne put s’y rendre et fut remplacé par Louis Anderson*.
Le CEL fut marqué du sceau de la méthode Lecoin, qui démarcha des personnalités d’horizons divers — principalement de la CGT, de la SFIO et de la Ligue des droits de l’homme — pour remplir les meetings de soutien à l’Espagne libre. Pour le reste, son activité fut de convoyer du ravitaillement et du matériel vers l’Espagne — dont des armes, comme Lecoin l’écrivit ouvertement dans Le Libertaire du 20 novembre 1936, au retour d’un séjour en Catalogne. Le CEL envoya également en Espagne trois ambulances, négociées directement par Louis Lecoin auprès du ministre de la Guerre Daladier, par l’intermédiaire de Léon Blum et en échange du recul de la date d’un grand meeting.
Le CEL patronna ensuite le Comité de liaison international des combattants antifascistes mis en place par la sœur et la femme du défunt Francisco Ascaso, avec lesquelles Lecoin était en contact depuis la campagne contre l’extradition des membres de Los Solidarios en 1927. Il servit également durant l’automne 1936 de bureau d’engagement pour les volontaires et forma un convoi vers l’Espagne dénommé Centurie Sébastien Faure (voir Pierre Odéon). Enfin, le CEL organisa au début de l’année 1937 la colonie pour orphelins de Llansa, en Catalogne, qui fonctionna jusqu’en janvier 1939.
À l’automne 1937, le CEL se transforma, selon le vœu de la CNT-FAI, en section française de la Solidarité internationale antifasciste (SIA), et Lecoin demeura son secrétaire. L’annonce en fut faite dans une circulaire du 11 novembre 1937. À partir du 2 décembre 1937, la SIA loua chaque semaine deux pages (une en français et une en espagnol) dans Le Libertaire.
Pacifiste pur face à Munich et sous l’Occupation
À partir de mai 1938, Louis Lecoin participa aux activités du Centre syndical d’action contre la guerre (CSACG), dont la ligne politique se partageait entre pacifistes et révolutionnaires. En effet, à mesure que l’Espagne libre perdait du terrain et que la menace de guerre européenne se rapprochait, l’ensemble du mouvement ouvrier français se divisait en trois tendances : les « défensistes » partisans d’une nouvelle union sacrée contre l’Allemagne ; les « pacifistes purs » tenants d’une union sacrée pour « sauver la paix » ; les « révolutionnaires » refusant toute forme d’union sacrée, qu’elle soit belliciste ou pacifiste.
La crise des Sudètes entraîna, le 27 septembre 1938, l’inculpation de Louis Lecoin comme responsable de SIA pour l’affiche intitulée « Mobilisation générale pour la paix », éditée par le CSACG, et pour un article paru dans Le Libertaire du 15 septembre. Cependant, la crise avait révélé une divergence croissante entre la direction de l’UA, campant sur la ligne révolutionnaire dans Le Libertaire, et Louis Lecoin qui, dans les pages louées à la SIA, inclinait de plus en plus vers ce qu’on peut qualifier, non de pacifisme intégral — car il soutenait les combattants espagnols — mais bien de pacifisme pur, puisqu’il était favorable à une action interclassiste contre la guerre.
À partir du 10 novembre 1938, la SIA quitta donc Le Libertaire et édita son propre journal, éponyme, dont le gérant fut Fernand Vintrigner*. Le 12 décembre 1938, Lecoin et Faucier furent condamnés par défaut pour « provocation de militaires à la désobéissance », pour un article dans Le Libertaire du 15 septembre. Désormais « munichois » et de plus en plus détaché de l’UA, Lecoin défendit des positions pacifistes pures au sein du CSACG.
Le 22 février 1939, les époux Lecoin s’installèrent à Antony, dans un pavillon dont ils étaient propriétaires à crédit.
Le 14 avril 1939, lors de la réunion du Centre de liaison contre la guerre (CLCG), qui prit la suite du CSACG, les deux tendances — pacifiste pure et pacifiste révolutionnaire — se confrontèrent. Louis Lecoin se rangea dans la première, contre le représentant de l’UA (voir René Frémont).
Le 31 juillet 1939 Lecoin fut condamné à deux mois de prison, 1 000 francs d’amende pour divers articles non signés « tendant à discréditer la France dans son œuvre coloniale ». À l’époque, les relations s’étaient profondément détériorées entre Lecoin et les responsables de l’UA (Frémont, Anderson) mécontents de la gestion de la SIA. Ils reprochaient essentiellement à Lecoin de consacrer un budget disproportionné à la parution du journal SIA au détriment de l’aide aux réfugiés, et le soupçonnaient d’avoir, à ces fins, détourné une importante somme d’argent envoyée d’Argentine par la Fora. Pour touts ces raisons, la CA de l’UA demanda à plusieurs reprises à Lecoin de mettre fin à la parution de SIA, qui concurrençait dangereusement Le Libertaire — en vain.
Le 13 septembre 1939, dix jours après la déclaration de guerre, Louis Lecoin usa une dernière fois de la politique du carnet d’adresses, et obtint la signature de 31 personnalités pour un tract pacifiste intitulé « Paix immédiate ! ». Avec Nicolas Faucier et Albert Dremière*, il l’imprima à 100 000 exemplaires et en fit envoyer des paquets à de nombreuses adresses. Incriminé pour le passage « Que les armées, laissant la parole à la raison, déposent donc les armes ! », il fut arrêté à Angers 29 septembre 1939 et incarcéré au Cherche-Midi.
Lors de son procès, en novembre 1939, la plupart des signataires se renièrent et accusèrent Lecoin de les avoir trompés (Emery, Pioch, Gérin, Margueritte, Vigne, Alain, Déat) tandis certains le soutinrent courageusement (Louzon, Poulaille, Yvetot, Giroux, Challaye, etc.).
En juin 1940, il fut transféré au camp de Gurs (Basses-Pyrénées). Le 9 octobre, il obtint un non-lieu, mais ne put être libéré. Selon son propre témoignage, le jour même de sa libération, il fut immédiatement renvoyé au camp de Gurs pour avoir trop vertement apostrophé l’officier du camp. Selon d’autres sources, il s’agissait d’un maintien en séjour surveillé.
En décembre 1940, il fut envoyé avec d’autres politiques au camp de détention agricole de Nexon (Haute Vienne) où il retrouva Robert Louzon. Fin février 1941, il fut envoyé en Algérie, au fort de Djelfa puis au camp de Bossuet en internement administratif, près de Sidi-bel-Abbès. Protestant contre sa détention arbitraire, il écrivit aux autorités de Vichy, notamment à Maurice Sicard, rédacteur en chef de L’Émancipation nationale qu’il avait connu au Soir de Frossard, qui transmit la requête à Doriot. En outre, en septembre et en décembre 1940 une délégation de syndicalistes parisiens était reçue par le secrétaire d’État à l’Intérieur et par Pierre Laval, et obtenait la promesse de sa libération prochaine.
Enfin, le 14 août 1941 sa mesure d’internement fut rapportée. Libéré, Louis Lecoin rentra le 3 septembre 1941 à Antony. Soumis à une surveillance assidue, il s’était engagé sur l’honneur à ne pas prendre contact avec des organisations antigouvernementales, ni à conduire d’activités « antinationales ».
En novembre 1941, il assista à la Conférence nationale syndicale organisée par le Centre syndicaliste de propagande (voir Aimé Rey). Il participa également aux réunions du syndicat des correcteurs et à l’assemblée des travailleurs du livre. Il y critiqua souvent ses anciens camarades séduits par le discours gaulliste ou devenus sympathisants communistes. Il travaillait alors au journal Comœdia. Le 26 mars 1942, il fut condamné par le tribunal militaire de Périgueux pour « infraction à la censure » ; l’intervention de Marcel Déat lui évita un nouvel emprisonnement. Il démissionna de Comœdia en novembre 1942 et devint contrôleur aux Restaurants communautaires, rue de Richelieu à Paris 2e, où il avait été introduit par Henri Sirolle. Il y resta jusqu’en 1944.
Vieil humaniste en marge de la FA
À la Libération, hormis quelques souscriptions, Louis Lecoin se tint en marge du mouvement anarchiste français en reconstruction. Il assista apparemment à certains congrès de la Fédération anarchiste (FA), mais il apparaissait comme un homme du passé, et la jeune génération le tenait en suspicion pour son « neutralisme » sous l’Occupation et son pacifisme jugé sentimental.
Ayant pris sa retraite de correcteur, il fut, de juin 1945 à 1956, inscrit au registre du commerce en tant que commerçant ambulant en bonneterie, lingerie et tissus. Cependant, en octobre 1948, il travaillait dans une maison d’édition parisienne.
En 1946, il auto-édita ses Mémoires, qui parurent sous le titre De prisons en prisons. Le Libertaire en fit une critique bienveillante, tout en rappelant les critiques formulées à l’égard de ses méthodes.
En octobre 1948, il lança une revue de tendance pacifiste et humaniste, Défense de l’homme, dont le directeur de publication de 1948 à 1955 fut son propre gendre, Jean Béringer, qui avait épousé sa fille Josette. Défense de l’homme se distingua par l’éclectisme de ses collaborateurs. On y releva la signature de nombreux vieux libertaires souvent retirés du militantisme comme Le Meillour, Mualdès, Nicolas Faucier, Doutreau, Aurèle Patorni et Charles-Auguste Bontemps, mais aussi de plumes émergeantes comme Paul Rassinier.
En 1949, alors que le procès de Céline pour collaboration se préparait, Louis Lecoin fut contacté par son épigone Albert Paraz, qui le convainquit d’adresser Défense de l’homme à Céline dans son exil danois, et de faire campagne contre ce qui était présenté comme un procès en sorcellerie. Lecoin et Céline échangèrent alors une brève correspondance, courtoise, et l’écrivain se vit proposer les colonnes de Défense de l’homme, mais déclina l’invitation. La lune de miel entre Lecoin et Céline semble avoir cessé lorsqu’en juillet 1952, Albert Paraz publia dans Défense l’homme une chronique du roman de Céline Féérie pour une autre fois qui, selon Paraz, mécontenta Lecoin.
En 1949, la création par Lecoin du Comité Garry Davis — un jeune déserteur états-unien qui se disait « citoyen du monde » — donna l’occasion à la FA de se démarquer du style Lecoin. Elle participa au meeting du 13 octobre avec Garry Davis, mais y critiqua l’insuffisance de ses positions humanistes. Suite à cela, Lecoin attaqua Georges Fontenis dans Défense de l’homme de novembre 1949. Ce différend n’empêcha pas Lecoin d’intervenir de nouveau en faveur de l’objection de conscience le 5 février 1950 dans un meeting de la FA à Boulogne-Billancourt, puis le 17 février à la Mutualité sur le même thème.
Les 28, 29 et 30 septembre 1951, Louis Lecoin participa au congrès fondateur des Forces libres de la paix (voir Maurice Laisant) et fut élu au conseil exécutif avec 10 autres militants dont, côté libertaire, Maurice Laisant et Charles Devançon.
En novembre 1951, Louis Lecoin s’installa à Vence (Alpes-Maritimes) avec sa femme, et Défense de l’home fut dès lors imprimé à Cannes.
Les guerres coloniales furent un nouveau sujet de désaccord entre Lecoin et la FA. Dans Défense de l’homme d’octobre 1952, il condamna, au nom de l’éthique libertaire, l’attitude de la FA qui soutenait la lutte d’indépendance en Indochine et au Maroc. La FA répliqua à Lecoin qu’il n’était qu’un « marchand de papier », évoqua son attitude jugée ambiguë sous l’Occupation, et sa librairie cessa de distribuer Défense de l’homme et le livre De prisons en prisons.
En juillet 1955, Lecoin confia la direction de Défense de l’Homme à son ami Louis Dorlet. Il pensait alors se retirer définitivement du militantisme et vivre une retraite paisible. Les événements allaient en décider autrement.
Apôtre de l’objection de conscience
Son épouse Marie mourut le 29 décembre 1956 d’une angine de poitrine foudroyante. Cet événement inattendu bouleversa Lecoin, puis le fit basculer dans une nouvelle et ultime période d’activité militante, qu’il consacra notamment à la lutte pour l’obtention d’un statut d’objecteur de conscience.
Dès 1957, Louis Lecoin regagna la région parisienne, où il fut accueilli quelque temps chez son gendre, à Pantin. Il demanda au Monde libertaire de se faire le pivot d’une campagne en faveur de l’objection de conscience mais, devant l’indécision de la nouvelle FA, il cofonda avec le pacifiste Pierre Martin le bimensuel Liberté sous-titré « Tout ce qui est humain est nôtre », et dont le premier numéro parut le 31 janvier 1958. L’adresse du journal était au domicile de Lecoin, 16, rue Montyon, à Paris 9e. Quand, fin 1959, Lecoin déménagea au 20, rue Alibert, à Paris 10e, Liberté le suivit.
Courant 1957, Lecoin — par ailleurs membre de l’Union pacifiste de France (UPF) —constitua un Comité de patronage et de secours aux objecteurs de conscience (CPSOC) pour soutenir Edmond Schaguené, un témoin de Jéhovah emprisonné pour insoumission depuis la fin des années 1940. Il fut le secrétaire du comité, qui regroupa entre autres Charles-Auguste Bontemps, André Breton, Lanza del Vasto, l’abbé Pierre et le pasteur Roser. Ce comité incluant des religieux provoqua des réactions sévères dans les milieux anarchistes, et Lecoin leur répliqua dans Liberté du 14 mars 1958.
Très vite, le journal encourut les foudres de la justice. Lecoin passa en correctionnelle les 24 octobre et 8 novembre 1959 pour un article paru dans le numéro du 14 février 1958, puis encore en mars 1962 pour diffamation et une dernière fois le 15 janvier 1963, poursuivi cette fois par le conseiller de Paris Michel Moscovitch.
Liberté tira tout d’abord à 32 000 exemplaires, tirage financé par une collecte où figurèrent Vlaminck, Picasso, Bernard Buffet et Jean Cocteau. Mais très vite le tirage diminua et le journal connut des difficultés. Il devint un mensuel tirant à 3 000 exemplaires, avant de n’être plus distribué que sur abonnement. Finalement, il ne subsista que grâce à la ténacité de Louis Lecoin, alors âgé de 72 ans, qui lança des souscriptions et organisa des galas de soutien. Le 29 novembre 1958, il créa l’association d’entraide des Amis du journal Liberté (déclarée le 28 avril 1959) dont il fut le trésorier général.
Le 15 octobre 1958, le CPSOC présentait par le biais de Liberté une « Proposition de statut pour les objecteurs de conscience » accompagnant un « Projet d’ordonnance tendant à affecter les pacifistes au service international ou à la protection civile » rédigé par Louis Lecoin, Alexandre Croix* et Albert Camus*. À l’automne 1958, le projet était étudié officieusement par le gouvernement Mollet et 10 objecteurs ayant accompli au moins cinq ans de leur peine, furent élargis.
Le 16 janvier 1962, Lecoin déposa à l’Institut national de la propriété intellectuelle le titre Le Libertaire, celui-ci étant en déshérence depuis la disparition de la Fédération communiste libertaire en 1957. Mais il n’en fit pas usage.
Cependant, face à l’hostilité de l’armée, le gouvernement tergiversait. Le 1er juin 1962, soutenu par Le Canard enchaîné, Louis Lecoin entama une grève de la faim. Le 15 juin il fut admis de force à l’hôpital Bichat. Le soir même, 28 objecteurs étaient libérés. Louis Lecoin obtint finalement le 22 juin la promesse de l’examen du statut d’objecteur en Conseil des ministres et quitta l’hôpital le 5 juillet. Il fallut néanmoins une nouvelle mobilisation en février et mars 1963, dont une pétition de personnalités, pour que le projet soit effectivement étudié durant l’été 1963. Lecoin menaça de reprendre sa grève de la faim et le statut, amendé, fut adopté le 22 décembre 1963 à l’Assemblée nationale. Le lendemain, tous les objecteurs de conscience étaient libérés.
Avant même cette victoire, Louis Lecoin mit en route une nouvelle campagne, sur un autre front : l’antifranquisme. Le 13 octobre 1963, il organisa un gala de soutien à Liberté à la Mutualité avec des vedettes comme Colette Renard, Yves Montand et Raymond Devos. Il y annonça la création d’un nouveau Comité pour l’Espagne libre (CEL).
Ce CEL « 2e manière » fut officiellement créé en janvier 1964. Son premier meeting à la Mutualité, le 14 mars, fut un vrai succès, avec 2 500 auditeurs. Après cela, il périclita pour plusieurs raisons : d’abord des dissensions entre anarchistes espagnols et français ; ensuite les positions pacifiques de Lecoin qui estimait qu’il fallait, en Espagne, une « république sociale [...] influencée par les syndicalistes et les libertaires », mais qui réprouvait l’idée d’une révolution ; enfin, le retrait de plusieurs personnalités qui reprochaient au CEL de ne s’intéresser qu’au sort des prisonniers anarchistes.
En 1964, un groupe se constitua pour proposer la candidature de Louis Lecoin au prix Nobel de la Paix ; il refusa du fait de la présence de la candidature de Martin Luther King. En 1966, nouvelle tentative et, cette fois Louis Lecoin retira sa candidature en octobre, pour favoriser celle du Birman U. Thant en raison de « ses efforts pour mettre fin au plus vite à la guerre du Vietnam » (Le Monde du 5 octobre 1966).
Cette même année, Louis Lecoin était le secrétaire d’un Comité d’action pour l’abolition de l’esclavage.
En décembre 1967, Louis Lecoin fonda le Comité pour l’extinction des guerres, pour le désarmement unilatéral de notre propre nation, dont il fut le secrétaire. Y adhérèrent Claude Autant-Lara, Luc Bérimont, Pierre-Valentin Berthier*, Georges Burgat*, Bernard Clavel, Alexandre Croix*, le pasteur Cruse, René Dumont, le docteur Ferdière, Max-Pol Fouchet, Jean Gauchon*, Jérôme Gauthier, Jean Goss, Henri Jeanson, Joseph Jolinon, Robert Jospin*, Alfred Kastler, le père Lelong, Pierre Martin (homonyme du « petit bossu »), docteur Martinet, Louis Mollion, Théodore Monod, Yves Montand, Maurice Nadeau, May Picqueray, Robert Proix*, Raymond Rageau, le pasteur Roser, Simone Signoret.
Le 11 décembre 1970, il intervint pour la dernière fois en public au meeting de Liberté, devant 2 000 personnes.
Louis Lecoin mourut le 23 juin 1971. Une semaine plus tard paraissait l’ultime numéro de son journal Liberté, dont Lecoin avait voulu qu’il s’éteigne avec lui. Il fut incinéré au Père-Lachaise le 29 juin en présence de 500 personnes dont Bernard Clavel, Eugène Descamps, Yves Montand et Simone Signoret, mais aussi de délégations de la FA, de l’UPF et des Citoyens du monde. Si la presse communiste libertaire (Front libertaire, Guerre de classes, Tribune anarchiste communiste) ne mentionna pas sa mort, Le Monde libertaire lui consacra une nécrologie élogieuse.
Après sa mort, Maurice Joyeux lui consacra dans La Rue une nécrologie éclairante sur sa dernière période. « Oui, Lecoin est probablement le dernier de ces personnages hors du commun qu’a sécrétés l’anarchie, écrivait-il. Les temps ne s’y prêtent plus. Il fut le prolongement du romantisme révolutionnaire dans la nouvelle société. Dans l’amour qu’il suscita hors de nos milieux,il y a le goût nostalgique des temps révolus et, finalement, Lecoin est mort seul, entouré d’une foule d’amis, d’admirateurs. Une certaine jeunesse l’admirait sans bien le comprendre [...]. Il était un vieux sage, Gandhi, ou quelque autre un peu radoteur, un peu moralisant [...]. Oui, avec Lecoin c’est une page de notre mouvement libertaire qui se tourne, une manière de voir et d’agir qui ne survivait que par la grandeur de celui qui en avait fait des réalités concrètes. »
L’esprit de l’action de ce militant historique fut perpétuée par l’association des Amis de Louis Lecoin qui édita, d’avril 1974 à décembre 1983, Le Réfractaire, mensuel « social, pacifiste, libertaire », puis « organe libertaire pour la défense de la paix et des libertés individuelles » (voir May Picqueray).
Par Édouard Sill, Guillaume Davranche
ŒUVRE : De prison en prison, 1946 (réédition avec une couverture de Vlaminck en 1947) — Le Cours d’une vie, 1965 (reprise augmentée de De prison en prison. — Écrits de Louis Lecoin, Union pacifiste, 1974.
SOURCES : Arch. Nat. F7/13061 et Arch. Nat. F7/13348 — CAC Fontainebleau carton 19940460 (dossiers Lecoin et SIA) — Arch. Jean Maitron. — CIRA de Lausanne — Yves Blondeau, Le Syndicat des correcteurs, op. cit. — Sylvain Garel, Louis Lecoin et le mouvement anarchiste, Volonté anarchiste, 1982 (extrait de « Louis Lecoin, le dernier des grands anarchistes », mémoire de maîtrise soutenu à Paris X-Nanterre en 1979) — Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, op. cit. — Roland Lewin, « Essai sur le militant libertaire Louis Lecoin », Institut d’études politiques de Grenoble, 1964-1965 — Maurice Joyeux, « Louis Lecoin », La Rue, 3e trimestre 1971 — René Bianco, Un siècle de presse..., op. cit. — Nicolas Faucier, Dans la mêlée sociale, La Digitale, 1983 — Bulletin du CIRA, Marseille, n°23-25, 1985 ― Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Seuil, 2000 ― May Picqueray, May la réfractaire, Éditions libertaires, 2003 — Ronald Creagh, L’Affaire Sacco et Vanzetti, Editions de Paris/Max Chaleil, 2004 — Entrée « Louis Lecoin » dans Philippe Alméras, Dictionnaire Céline. Une œuvre, une vie, Plon, 2004 — Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Albert Paraz 1947-1957, Gallimard, 2009 — Louis-Ferdinand Céline, Lettres, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2009 — Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914), L’Insomniaque/Libertalia, 2014.