PRUDHOMMEAUX André, Jean, Eugène [dit Jean Cello, André Prunier] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Charles Jacquier

Né le 15 octobre 1902 à Guise (Aisne), mort le 13 novembre 1968 à Versailles (Yvelines) ; militant communiste ultra-gauche puis libertaire ; poète, écrivain et traducteur.

André Prudhommeaux (1952)
André Prudhommeaux (1952)
cc Itinéraire n°13 (1995)

André Prudhommeaux naquit au Familistère de Guise fondé par J.-B. Godin. Sa mère, née Marie Dollet, était liée à la famille de Godin et son père, Jules Prudhommeaux (voir le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français), était un militant pacifiste et coopérateur actif.

Il passa son enfance à Guise, Nîmes, Sens puis Versailles. Après ses études secondaires, il entra à l’École d’agriculture de Grignon (Seine-et-Oise) puis fut étudiant à la faculté des sciences de Paris. Il milita aux Jeunesses communistes de Paris 7e, adhéra à l’Alliance défensive des étudiants antifascistes et fréquenta la revue communisante Clarté à laquelle il collabora en 1927.

En 1926-1927, il fut préparateur-auxiliaire au laboratoire de recherches et d’analyses du ministère de l’Agriculture, avant d’être renvoyé de son poste de micrographe-chimiste en raison de son action politique. Il fut membre du groupe oppositionnel d’Albert Treint, le Redressement communiste, jusqu’au 1er décembre 1928, puis fréquenta des militants de Contre le courant.

Le 6 octobre 1928, il se maria à Paris 20e avec la Suissesse Dora Ris, dite Dori. Ils ouvrirent, au 67, boulevard de Belleville, à Paris 11e, la Librairie ouvrière, qui fut fréquentée par les communistes oppositionnels proches de la gauche italienne. Avec des Italiens venus du bordiguisme tel Michelangelo Pappalardi, il participa, avec Jean Dautry, à L’Ouvrier communiste (août 1929-mai 1930), organe des groupes ouvriers communistes, qui prit la suite du Réveil communiste. Ce groupe condamnait radicalement la stratégie léniniste de nécessité d’un parti bolchevique, l’alliance avec les sociaux-démocrates et certaines couches de la bourgeoisie, l’utilisation du Parlement et des syndicats. Ces réflexions étaient inspirées des thèses du communiste hollandais Hermann Gorter, dont Prudhommeaux traduisit la Réponse à Lénine, éditée par la Librairie ouvrière en juillet 1930. Le groupe était en liaison avec les mouvements communistes de conseil allemands et hollandais, et avec la revue littéraire Die Aktion de Franz Pfemfert.

Pendant l’été 1930, les époux Prudhommeaux firent un voyage en Allemagne afin d’y rencontrer des militants de la Kommunistische Arbeiter Partei (KAP) et de l’Allgemeine Arbeiter Union Deutschlands (AAUD) et d’y rechercher des documents sur les mouvements révolutionnaires issus du spartakisme. Cette enquête aboutit à la publication de trois numéros d’un nouveau périodique intitulé Spartacus (mai-juillet 1931), dans lequel Prudhommeaux se livrait à une étude approfondie de la Révolution allemande et des conséquences idéologiques et tactiques à tirer de cette première tentative révolutionnaire dans un pays capitaliste avancé. Il publia notamment les derniers articles de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht ainsi qu’une traduction du Manifeste des ouvriers et marins de Cronstadt, texte qui exerça une forte influence dans son orientation ultérieure vers l’anarchisme.

Après la fermeture de sa librairie, André Prudhommeaux exerça les professions de laveur de vitres et de chauffeur, avant d’être appelé en 1931 à la tête de l’imprimerie coopérative La Laborieuse, à Nîmes (Gard). Cette imprimerie employait huit personnes, d’opinions différentes.

En septembre 1932, avec Jean Dautry, il fit paraître un nouveau bulletin bimensuel, La Correspondance internationale ouvrière, inspirée par « une vue non-systématique, non-doctrinaire du mouvement prolétarien et de la révolte sociale sous toutes ses formes », qu’il publia jusqu’en mai 1933.
Il entra à cette période en correspondance avec René Lefeuvre, et écrivit pour sa revue Masses.

Un ultime voyage en Allemagne, en 1934, avec Dori, leur valut une arrestation et une courte incarcération à la prison de Dortmund. Il fit ses adieux « au marxisme, même spontanéiste et sans parti » dans l’unique numéro du journal Le Soviet et devait encore s’en expliquer dans Ce qu’il faut dire n° 33, en septembre 1946.

Après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il livra ses réflexions sur les origines et les responsabilités de la tragédie allemande dans une série d’articles au Libertaire (n° 390 à 392, 17 mars-31 mars 1933). Sa vie durant, il devait défendre avec passion l’incendiaire présumé du Reichstag, Marinus Van der Lubbe (aujourd’hui réhabilité). En désaccord avec Le Libertaire, qui considérait ce dernier comme « un agent d’Hitler », Prudhommeaux — sous le nom de Jean Cello — poursuivit sa défense dans La Revue anarchiste de Fernand Fortin et Le Semeur d’Alphonse Barbé ainsi que dans le Bulletin spécial de correspondance édité par la section française du Comité international Van der Lubbe. En Hollande, il rencontra Jan Appel et Anton Pannekoek, pour obtenir leur témoignage.

Cette campagne l’amena définitivement au militantisme anarchiste. Il représenta le groupe anarchiste de Nîmes et la fédération du Gard au congrès de l’Union anarchiste communiste révolutionnaire (UACR) à Orléans les 14-16 juillet 1933. Désormais Prudhommeaux allait s’exprimer dans Terre libre, dont le 1er numéro parut dans L’Éveil social comme organe mensuel de l’Alliance libre des anarchistes du Midi. En juillet 1934, Terre libre prit la succession de L’Éveil et compta plusieurs éditions régionales. En juin 1935, le journal fut sous-titré "organe fédéraliste libertaire". Enfin en février 1937, il devint le journal de la Fédération anarchiste de langue française (FAF), fondée l’année précédente, les 15-16 août 1936 par un congrès à Toulouse. Terre libre édita également des cahiers sous forme de brochures mensuelles qui publièrent notamment l’article de Simone Weil « Sur le tas, souvenirs d’une exploitée » (n° 7, 15 juillet 1936).

Prudhommeaux fut, avec Voline, un des principaux animateurs de la FAF. Fidèle à la tradition de solidarité avec les révolutionnaires persécutés en URSS, Terre libre publia régulièrement des informations sur la répression stalinienne tandis que Prudhommeaux signait en 1935 un appel à l’opinion révolutionnaire mondiale pour les déportés russes, avec Sébastien Faure, Robert Louzon, Jacques Mesnil et Magdeleine Paz (Le Libertaire du 15 mai 1935). Mais à partir de 1936, les événements espagnols devinrent prioritaires pour Prudhommeaux et ses amis.

En 1936, il se trouvait à Barcelone où il tenta de publier, du 22 août au 3 septembre, les premiers numéros de L’Espagne antifasciste, saisis à la frontière française. En octobre, il rentra à Nîmes, L’Espagne antifasciste étant désormais publiée à Paris sous l’égide du « Comité anarcho-syndicaliste pour la défense et la libération du prolétariat espagnol » qui réunit depuis l’été les trois principales organisations anarchistes françaises (Union anarchiste, Fédération anarchiste de langue française et CGT-syndicaliste révolutionnaire) avec le soutien financier de la CNT-FAI. Après la suspension de la parution en janvier 1937, L’Espagne nouvelle lui succéda de février 1937 à juillet 1939. Rédacteur-gérant, Prudhommeaux fit alterner sa parution avec celle de Terre libre, considérant les deux journaux comme complémentaires. Selon Jean Maitron, il fut, « avec Voline, un de ceux qui exprimèrent avec le plus de force le courant contestataire au sein du mouvement anarchiste français », en opposition aux concessions et à la participation de la CNT-FAI au gouvernement républicain. Devant l’accumulation des défaites et la montée vers une guerre européenne, Prudhommeaux écrivait : « Le recul est trop général depuis juillet 1936 pour nous laisser une chance de pouvoir combattre efficacement pour notre propre cause. » Et il ajoutait : « Quant à nous faire crever la peau pour le capitalisme, trop des nôtres sont déjà tombés en Espagne et ailleurs » (L’Espagne nouvelle, 15 avril 1939).

En août 1939, il quitta Nîmes pour se réfugier chez ses beaux-parents en Suisse, suivi de sa femme et de sa fille. L’activité politique lui étant interdite, il se tourna, après maintes difficultés, vers la critique littéraire pour des publications de Suisse romande ou pour la radio de Genève, et la traduction poétique. En mars 1942 parut un choix de ses propres poèmes : Les Jours et les Fables. Il noua de nombreuses amitiés avec notamment Louis Bertoni, l’éditeur du Réveil anarchiste, Jean-Paul Samson, réfractaire français de la Première Guerre mondiale, qui devait publier la revue Témoins à partir du printemps 1953 et à laquelle Prudhommeaux collabora aux côtés d’Albert Camus, René Char, Louis Mercier, Pierre Monatte, Ignazio Silone, etc.

À la fin de 1946, le couple Prudhommeaux et leurs filles Jenny et Michèle s’installèrent à Versailles. Prudhommeaux milita à la FA sous le nom d’André Prunier, et participa à la rédaction du Libertaire. A partir de janvier 1947, il en assura le secrétariat de rédaction en remplacement de Georges Brassens. Il anima également le Cercle libertaire des étudiants.

Entre 1948 et 1958 il fut secrétaire général de la Commission de relations internationales anarchistes (CRIA) avec Ildefonso Gonzalez*, Renée Lamberet et Clément Fournier notamment. Cette commission, fondée lors d’une conférence anarchiste européenne à Paris en mai 1948, prenait la suite du Secrétariat provisoire aux relations internationales (SPRI) constitué pour rétablir les relations entre groupes et fédérations anarchistes après la guerre. Elle publia une quarantaine de bulletins en plusieurs langues (français, allemand, espagnol, esperanto en tout cas) et cessa ses activités en 1958 pour être remplacée par la Commission internationale anarchiste, dont le siège fut à Londres, avec pour secrétaire Giovanni Baldelli (dit John Gill).

Après avoir été correcteur, Prudhommeaux entra à la revue Preuves et y écrivit de 1951 à 1957. On lui en fit le reproche, et les colonnes du Libertaire lui furent interdites. Il appartint au noyau de militants qui, les premiers, s’opposèrent à la mainmise de la tendance de Georges Fontenis (Organisation pensée-bataille) sur la FA. Ces militants constituèrent le 11 octobre 1952 au Mans, l’Entente anarchiste, dont Prudhommeaux fut l’un des principaux animateurs.

Après la transformation de la FA en Fédération communiste libertaire en décembre 1953, il participa à la fondation d’une nouvelle FA au congrès des 25-27 décembre 1953. Dans cette nouvelle fédération, Prudhommeaux fut mandaté secrétaire aux relations internationales en 1956, puis au congrès de Nantes en juin 1957. Il représenta la FA au congrès anarchiste international de Londres, du 25 juillet au 1er août 1958.

Collaborateur de nombreux périodiques libertaires indépendants comme L’Unique d’Armand*, Contre Courant de Louis Louvet ou Défense de l’homme de Louis Lecoin, Prudhommeaux avait aussi fondé le journal bimensuel Pages libres en 1956. Au niveau international, il collaborait aux revues Freedom (Grande-Bretagne) et Volontà (Italie), Cahiers de Pensée et Action (Belgique), l’Adunata dei Refratteri (Etats-Unis). Ses travaux de traducteur l’amenèrent à livrer notamment les versions françaises de plusieurs œuvres d’Alexandre Herzen, de La Pensée captive de Czeslaw Milosz (Gallimard, 1954) et de La Nouvelle Classe de Milovan Djilas (Plon, 1957).

Les pays de l’Est furent au centre de ses préoccupations dans les années 1950, avec en particulier l’insurrection hongroise de 1956 (il écrivit à son sujet un article dans Le Contrat social de septembre 1957).

En 1960, il ressentit les premiers symptômes de la maladie de Parkinson qui devait l’emporter huit ans plus tard après de terribles souffrances. Malgré la maladie, il continua ses travaux de traduction, notamment du sociologue américain David Riesman. Prudhommeaux fut incinéré le 16 novembre 1968.

Hanté toute sa vie par ce qu’il nommait « l’antique querelle entre le réformateur physiocrate [...] et le révolutionnaire apocalyptique », il avait adopté successivement, avec autant de passion, l’une et l’autre attitude. Marginal parmi les marginaux, l’œuvre multiforme, mais encore dispersée, du « plus libéral des libertaires » reste à découvrir.

Ses archives et celles de la CRIA sont déposées au CIRA de Lausanne et à l’IISG d’Amsterdam.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155496, notice PRUDHOMMEAUX André, Jean, Eugène [dit Jean Cello, André Prunier] [Dictionnaire des anarchistes] par Charles Jacquier, version mise en ligne le 9 mars 2014, dernière modification le 18 juillet 2021.

Par Charles Jacquier

André Prudhommeaux (1952)
André Prudhommeaux (1952)
cc Itinéraire n°13 (1995)

ŒUVRE : Spartacus et la Commune de Berlin, 1918-1919 (avec Dori Prudhommeaux), Masses, juin 1934 [réédition Spartacus, 1949, 1972 puis 1977] — « Catalogne libre 1936-1937 », Cahiers de Terre libre, mars 1937 [Repris par Les Humbles, mars 1937, et par Spartacus] — « Où va l’Espagne », Les Humbles, février 1938 — L’Effort libertaire, le principe d’autonomie, Spartacus, 1978 [textes présentés par R. Pagès] — Préface à Georg Glaser, Secret et Violence, Corrêa, 1951 [rééd. Agone, 2005].

SOURCES : Archives du Gard, Fond Prudhommeaux et 1M756-, 1W174 — Arch. Dép. Aisne. registre de Guise — Contre le courant, 15 décembre 1928. — Le Monde libertaire, n° 146, décembre 1968 [nécrologie par Maurice Laisant] — La Révolution prolétarienne, décembre 1968 — La Rue, n° 4, 1969 — Henri Dubief, « Un homme : Jean Dautry (1902-1968) », Annales historiques de la Révolution française, n° 193, 1968 — Jocelyne Blancheteau, « A. Prudhommeaux, un militant anarchiste (1902-1968) », mémoire de maîtrise, université de Nanterre, 1972 — Jean Rabaut, Tout est possible ! Les gauchistes français 1929-1944, Denoël, 1974 — Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome II, Gallimard, 1975 — Bulletin du CIRA-Marseille n° 23/25, 1985 — Notes de Daniel Vidal, Marianne Enckell et Julien Chuzeville.

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