BI Xiushao (Pi Sieou Tsio) [Dictionnaire des anarchistes]

Par Angel Pino

Né à Linhai, province du Zhejiang (Chine) le 6 octobre 1902, et mort à Shanghai (Chine) le 12 mai 1992 ; connu aussi sous les noms de Zheng Shaowen et de Hua Su, et sous les pseudonymes de Bibo, Zhentian et Zhengtie. Traducteur de Bakounine, de Kropotkine, d’Élisée Reclus, de Malatesta et de Zola.

Bi Xiushao n’avait pas dix-huit ans lorsqu’il débarqua en France, en 1920, dans le cadre du programme « mi-étude mi-travail ». Bien que « baptisé par le mouvement du 4 mai 1919 », il arrivait, de son propre aveu, et hormis certains préjugés patriotiques, vierge de tout idéal social ou politique. Une fois à Paris, il fut envoyé en Normandie par l’Association d’éducation franco-chinoise (AEFC), afin d’y apprendre le français. Il ne resta là-bas que quelques semaines car, vers la fin de l’année, à bout de ressources, il lui fallut regagner la capitale pour y chercher un emploi. C’est ici, grâce à d’autres Chinois venus en France dans des conditions analogues et qui logeaient dans son hôtel, que Bi Xiushao découvrit l’anarchisme. Le Kropotkine d’Aux jeunes gens, dans la version de Li Shizeng (Li Yuying), l’émut profondément sans le convaincre tout à fait, mais de fil en aiguille, au gré des lectures, son intérêt pour la pensée libertaire s’affirma.

À Paris, Bi Xiushao participa à l’affaire dite du « 28 février 1921 », la manifestation des étudiants-travailleurs chinois protestant, devant l’ambassade de Chine, contre un prêt secret accordé par la France au gouvernement des Seigneurs de la guerre, qui fut dispersée par la police.

Au printemps de 1921, Bi Xiushao s’embaucha aux usines Schneider du Creusot. Il y eut pour collègue Li Lisan (1899-1967) — le futur dirigeant communiste —, dont il partagea le dortoir et à qui de vives discussions l’opposaient, notamment à propos de la révolution russe. Il s’y trouvait probablement encore à l’automne quand, dénoncé par l’interprète chinois de l’établissement comme « élément dangereux propageant l’anarchisme et incitant ses compatriotes à faire grève », il fut licencié. Il remonta à Paris, avant de partir travailler pendant plusieurs mois dans une usine du centre de la France qui fabriquait des carrosseries de wagons de chemin de fer. Le bruit ayant couru que le gouvernement provincial du Zhejiang accordait des bourses d’études, il démissionna de son poste et fila à Lyon, où il s’inscrivit au département d’architecture de l’université de Lyon. La rumeur était malheureusement fausse, et après avoir tiré la langue un mois durant sur des reproductions de plans de construction de la Grèce antique, Bi Xiushao dut se résoudre à reprendre la route de Paris. Dans le courant du premier semestre 1922, il entra aux usines automobiles Renault de Boulogne-Billancourt, en qualité de fraiseur, et c’est à compter de là qu’il se lança véritablement dans le militantisme. Il adhéra au groupe libertaire de Boulogne-Billancourt, affilié à l’Union anarchiste, ne ratant aucun meeting où un orateur anarchiste célèbre prenait la parole, défilant dans les cortèges du 1er mai, et se mêlant à ses compagnons d’armes dans les usines en grève. Tant et si bien que les autorités françaises ne tardèrent pas à le prendre dans leur collimateur. Parallèlement, il suivait les cours d’une université populaire et assistait, en tant qu’auditeur libre, à ceux de l’Institut des sciences sociales de Paris.

Bi Xiushao fit la connaissance de Jean Grave*, à qui il rendait visite régulièrement et avec lequel il entretint des relations épistolaires par la suite. C’est chez l’ancien cordonnier qu’il rencontra, à l’automne de 1923, la veuve de Kropotkine*, Sophie (1856-1938), de passage en France.

Vers la fin de 1922, ayant bénéficié d’une subvention obtenue de la municipalité de Pékin par Li Shizeng à l’attention des étudiants-travailleurs chinois, il quitta l’atelier pour quatre ou cinq mois, et, avec des compatriotes à lui, alla étudier le français et l’histoire de France au collège de Bar-sur-Aube, où l’occasion lui fut donnée de croiser l’anarchiste japonais Ôsugi Sakae (1885-1923), flanqué de Zhang Tong.

En France, les anarchistes chinois éditaient une revue, Gongyu [Après le travail] (1922-1925), dont s’étaient chargés à l’origine les deux fils de Chen Duxiu (1879-1942), le fondateur du parti communiste chinois, et qui était maintenant aux mains de Li Zhuo*. Bi Xiushao épaula Li Zhuo dans sa besogne et prêta sa plume à la publication.

À la fin de l’année 1925, rentré en Chine, Bi Xiushao s’installa à Linhai, avant de se transporter à Shanghai à compter de l’été de 1926. Pour gagner sa vie, il traduisit un premier Recueil de nouvelles de Zola (Zuola duanpian xiaoshuo ji, Shanghai chuban hezuo she, 1927). Après quoi, il créa dans la concession française une école où l’on enseignait le français. En avril 1927, il fut du groupe, avec Li Shizeng, Wu Zhihui* et Kuang Husheng (1891-1933), qui décida de la fondation de l’université nationale du travail (Guoli ladong daxue, ou Laoda), une université calquée sur le modèle de l’université belge de Charleroi et dont le mot d’ordre, inspiré du principe cher à Kropotkine d’une éducation intégrale, était : « Transformer les écoles en champs et en usines ; et les champs et les usines, en écoles. » L’établissement, où l’on usait du français et de l’espéranto, et où il était convenu que les anarchistes occuperaient les emplois les moins bien rétribués, ouvrit ses portes en septembre 1927 et les referma en juillet 1932. Bi Xiushao dispensa des leçons de français dans l’école secondaire qui lui était rattachée, avant de s’en retirer pour cause de différends avec ses homologues du Guomindang.

Il avait alors succédé à Shen Zhongjiu (1886-1968) à la tête de Geming [Révolution] (Shanghai, 1927-1929), mais les articles qu’il publia lui valurent des démêlés avec le Guomindang, et la revue cessa de paraître. Pour la société Geming, Bi Xiushao composa une plaquette, De la dictature du prolétariat (Lun wuchanjieji zhuanzheng, 1928), et contribua à deux ouvrages : Paroles du fils d’un paysan pauvre (Yige pinnong zi de hua, 1928) et Régionalisme et fédéralisme, pour et contre (Fenzhi hezuo wenti taolun ji, 1929). Pour elle aussi, il traduisit Le Gouvernement révolutionnaire de Kropotkine (Geming zhengfu, 1929), et les Trois conférences faites aux ouvriers de Saint-Imier de Bakounine (Bakuning de san yanjiang, 1929), tandis que la librairie Ziyou éditait sa version chinoise d’Au café de Malatesta (Kafeidian tanhua, Shanghai, 1929).

En mai 1930, sur proposition de l’Institut de recherche de Beiping — le nom de Pékin en ce temps-là — il prit la direction de l’Association de recherche sur les pays et habitants d’outremer. Cette même année, à l’instigation de Li Shizeng, il repartit en France avec pour mission de traduire L’Homme et la Terre, l’encyclopédie géographique posthume d’Élisée Reclus. Par crainte que les autorités françaises ne le repèrent, il préféra changer d’identité et se fit appeler Zheng Shaowen. Paul Reclus*, qui connaissait parfaitement l’ouvrage de son oncle pour en avoir préparé l’édition, enseignait au collège des Écossais fondé par Patrick Geddes (1854-1932) à Montpellier ; Bi Xiushao décida donc d’élire domicile non loin de chez lui afin de bénéficier de ses conseils et de son aide.

En 1935, de retour en Chine, Bi Xiushao entreprit de publier l’ouvrage sous le titre de Ren yu di. Des vingt-quatre fascicules prévus, seuls les sept premiers virent le jour, en 1937 (Wenhua shenghuo chubanshe, Shanghai, trad. par Zheng Shaowen), la collection ayant été interrompue par le conflit sino-japonais, qui débutait. Sans pour autant rejoindre les rangs nationalistes, Bi Xiushao devint rédacteur du Saodangbao [Journal du ratissage], publication basée à Wuhan puis à Chongqing qui était l’organe du département politique du Guomindang, et il intégra la commission de planification du département politique du comité militaire de ce même parti.

À la fin de la guerre, Bi Xiushao retourna à Shanghai et se remit à traduire Zola — six volumes du romancier français sortirent des presses en 1948 — tout en assumant des fonctions administratives aux éditions Wenhua shenghuo, pour lesquelles il rendit en chinois le livre d’Édouard Simmel, Comment l’homme forma son dieu (Shangdi shi zenyang zaocheng de, 1946). Pour la librairie Pingming de Shanghai, il traduisit également L’Évolution, la Révolution et l’idéal anarchique d’Élisée Reclus (Jinhua yu geming, 1947), et deux textes de Kropotkine : La Science moderne et l’Anarchisme et Paroles d’un révolté (Jinshi kexue yu annaqizhuyi et Yige fankangzhe de hua, 1947).

En 1949, quand les communistes prirent le pouvoir en Chine, Bi Xiushao, qui était père de quatre enfants, fut tenté de s’enfuir à Taiwan, pourtant il renonça finalement à son projet, et s’absorba dans la traduction des œuvres de Zola. En 1957, lors du mouvement antidroitier, il fut arrêté en raison de son passé et condamné à sept ans de réclusion, ce qui lui valut de surcroît d’être traité en « contre-révolutionnaire historique » durant la Révolution culturelle et de perdre toutes ses archives : celles qu’il n’avait pas détruites de son chef par prudence lui furent confisquées et jamais restituées.

Dans les années 1980, Bi Xiushao appartenait à l’Institut de littérature et d’histoire de la municipalité de Shanghai, et il dirigeait le Centre de recherche en littératures étrangères de l’École normale de Shanghai. On ne le connaissait plus désormais que pour ses traductions de Zola, dont neuf encore inédites parurent en 1993, juste après son décès.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155539, notice BI Xiushao (Pi Sieou Tsio) [Dictionnaire des anarchistes] par Angel Pino, version mise en ligne le 27 mars 2014, dernière modification le 7 octobre 2020.

Par Angel Pino

Traductions de Zola : L’Attaque du moulin (contes, 1948), Contes (1948), Contes à Ninon (1948), Madeleine Férat (1948), Naïs Micoulin (contes, 1948), Nouveaux Contes à Ninon (1948), La Débâcle (1951), Travail (1951), Germinal (1953), Thérèse Raquin (1948), La Bête humaine (1993), La Joie de vivre (1993), La Terre (1993), Le Docteur Pascal (1993), Lourdes (1993), Paris (1993), Pot-Bouille (1993), Rome (1993), Une page d’amour (1993).

SOURCES : Bi Xiushao, « Wo xinyang wuzhengfuzhuyi de qianqian houhou » [Toute l’histoire de ma foi anarchiste] (Shanghai, mai 1980), in Ge Maochun, Jiang Jun et Li Xingzhi (éd.), Wuzhengfuzhuyi sixiang ziliao xuan [Choix de documents sur la pensée anarchiste], Beijing daxue chubanshe, Pékin, 1984, vol. 2, pp. 1022-1038 ; « Zhentian yu Faguo wuzhengfu zhuyizhe Gelafude tongxin » [Correspondance de Zhentian (Bi Xiushao) avec l’anarchiste français Grave], Minzhong [la Cloche du peuple], n° 24-25, mai 1927 ; repris in Ge Maochun, Jiang Jun et Li Xingzhi (éd.), Wuzhengfuzhuyi sixiang ziliao xuan, vol. 2, pp. 729-734 ; Shaokelu [Jacques Reclus], « Wo suo renshide Li Yuying xiansheng » [Monsieur Li Yuying tel que je l’ai connu], Zhuanji wenxue [Littérature biographique], 45, n° 3, sept. 1984, pp. 87-88 ; Zhongguo fanyijia cidian [Dictionnaire des traducteurs chinois], Zhongguo duiwai fanyi chuban gongsi, Pékin, 1988, pp. 118-119.

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