SOUBIGOU Jean-Marie [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean-Yves Guengant

Né le 4 janvier 1904, Lampaul-Guimiliau (Finistère), mort le 10 janvier 1977 à Brest (Finistère)  ; militant libertaire brestois, syndicaliste de la métallurgie, Fédération des mutilés du travail.

Groupe anarchiste à Brest vers 1935 : au premier plan à droite : Jeanne Tréguer. Derrière elle Jean Soubigou, René et Henriette Martin, au fond en face, René Lochu. A gauche, Germaine et Auguste Le Lann, debout, Pio Turroni.
Cliché communiqué par Jean-Yves Guengant

Jean-Marie Soubigou est le fils de François-Marie, tanneur au bourg de Lampaul-Guimiliau, (33 ans) et de Jeanne-Yvonne Le Gall, son épouse, « ménagère » (25 ans). L’acte de naissance révèle la condition très modeste de la famille, le grand-père paternel est journalier, le grand-père maternel est tanneur, tous sont illettrés. Sa mère fait des travaux de couture à la demande chez les particuliers et le père est selon l’expression de son petit-fils, « très soumis aux injonctions religieuses ». Le recensement de 1911 indique que le père est journalier ; Jean-Marie est l’ainée d’une fratrie de deux garçons (lui et son frère Louis, né en 1907). La même année, la famille s’installa à Landivisiau. Jean-Marie obtint le certificat d’études en 1915. Il poursuivit en cours complémentaire, malgré le refus de son père, qui était alors mobilisé. La famille changea de lieu de résidence : elle habita désormais dans la banlieue brestoise, au Relecq-Kerhuon.
À quatorze ans, ce fut la fin de la scolarisation obligatoire pour Jean-Marie et l’entrée dans la vie active, d’abord dans une pharmacie puis en 1919 dans une entreprise industrielle, Nicoleau et Gouriou, constructeurs-mécaniciens à Saint-Marc, en apprentissage d’ajusteur.
En juin 1919, un vaste mouvement de grève contre la vie chère touche l’arsenal de Brest et les entreprises installées au port de commerce. En octobre, sous l’impulsion des métallurgistes, un nouveau mouvement fut déclenché : le 8 octobre, les manifestants défilèrent devant l’arsenal, les établissements Esnault, Bellion, Nicoleau, et obtinrent le soutien d’ouvriers de la pyrotechnie Saint-Nicolas et du Bâtiment. La grève se développa et s’accompagna de heurts entre grévistes et non-grévistes. La réquisition des forces armées fut levée le 14 octobre, après un mois de grève la sortie de la grève fut votée lors d’un dernier meeting sur la place du Champ-de-Bataille. C’était la toute première grève suivie par Jean-Marie Soubigou. Pupille de la nation au décès de son père en 1924 et soutien de famille, il fut dispensé du service militaire.
En 1923, il fut embauché aux chantiers navals Gourio au port de commerce, entreprise spécialisée dans le sauvetage en mer sise sur le quai de la Douane, dont le commandant Louis Malbert (Jean Gabin campe un personnage inspiré des sauvetages effectués par le commandant, dans le film Remorques, deJean Grémillon) assurait la direction. Jean Soubigou y implanta un syndicat avec l’aide de Jacques Damoy, secrétaire des jeunesses syndicalistes (1920-1924), ouvrier métallurgiste chez Bellion, et membre du conseil fédéral de la CGT.
Blessé à l’œil, Jean-Marie Soubigou participa en 1924 à la création de la section de Brest de la Fédération des mutilés du travail, animée par Jean Tréguer, militant anarchiste et membre de la Maison du peuple de Brest. Il se rapprocha du groupe anarchiste, structuré autour de René Martin (1887-1964), syndicaliste de la CGT Unitaire, puis Syndicaliste révolutionnaire, Jean Tréguer (1880-1963), dirigeant du syndicat des dockers, Jules Le Gall (1881-1944), quincailler et président de la société immobilière de la Maison du peuple, et Auguste Le Lann (1904-1974), militant syndicaliste.
À partir de 1925, Jean-Marie Soubigou s’investit dans la lutte syndicale : il était présent à la refondation du syndicat des métaux en janvier 1925, dans lequel il fut élu au bureau. Dès le départ le syndicat créa une caisse de solidarité en prévision des conflits futurs. Il connut les difficultés de responsable syndical dans les entreprises : il fut mis à pied chez Bellion une première fois, puis en mars 1926, alors qu’il avait entrepris de créer dans l’entreprise un syndicat, il fut mis à nouveau à pied (16 mars 1926). Il décida alors de changer d’entreprise.

Il anima une rubrique occasionnelle dans l’hebdomadaire Le Cri du peuple, le journal du député socialiste Émile Goude, rubrique consacrée aux mutilés du travail. Par ailleurs il rejoignit le groupe théâtral et musical de la Maison du peuple : en juin 1925, un concert fut donné en faveur de la caisse de la Jeunesse syndicaliste brestoise, dont il assurait désormais la direction. Ses actions multiples ajoutées aux longues journées de travail, allaient l’épuiser. Fin 1926, il fit une congestion pulmonaire qui l’immobilisa deux mois et le conduisit à un repos forcé au sanatorium.

En 1928, il rejoignit la rédaction du tout nouveau Flambeau, créé en 1927 en réaction aux grandes manifestations catholiques, présidées par l’évêque, Mgr Duparc, surtout celle du Folgoët, un haut lieu de la foi chrétienne en Bretagne. Dans cette période de tension très forte, une vingtaine de libertaires avaient de lancer Le Flambeau(Sur l’histoire du Flambeau, Jean-Yves Guengant, « Nous ferons la grève générale », éditions Goater, Rennes 2019. Pp. 1 43-154). Il se désigna comme l’organe mensuel du Comité de libre pensée et d’action sociale de l’Ouest. Puis il devint mensuel d’éducation, de libre pensée et de combat. Dès le premier numéro, paru à la mi-juin 1927, le journal affiche la devise "Ni dieu, ni maître !" Le dessin qui accompagne la devise est significatif : Le prêtre fait le lien entre le militaire et le bourgeois.

Ce type de feuille n’enthousiasma pas les responsables de l’Union anarchiste communiste : il épuise les militants et rince leurs finances, tout en les enfermant dans des combats trop réducteurs. Il reflète surtout le manque de cohésion des groupes locaux et la difficulté pathologique des anarchistes à se trouver une ligne commune. Le journal allait être un projet trop lourd à porter et dont les conséquences financières et humaines furent terribles (Si le tirage en décembre 1927 est de 3500 exemplaires, seuls 400 abonnés existent sur le grand Ouest, et vite les groupes locaux arrêtent de diffuser un journal qui met l’anticléricalisme en avant, sans dégager place et moyens pour couvrir les conflits sociaux et les luttes politiques). Encouragé par Jean Tréguer Jean-Marie Soubigou tint une rubrique juridique, dans le Flambeau et signer quelques articles à caractère social et anticlérical.

Il s’investit progressivement dans sa tâche de responsable de la section brestoise des mutilés du travail, et devint le trésorier départemental puis le secrétaire départemental à partir de 1929. Il entra en 1931 à la commission exécutive nationale de l’association. Il en fut membre jusqu’à sa retraite en 1969.

Il participa activement aux combats de la Ligue internationale des combattants pour la paix (LICP) fondée par Victor Méric en 1931 - Brest est l’une des premières villes à créer un groupe local en mars 1931. Il diffusa le journal de la Ligue, La Patrie humaine, et organisa les conférences de la Ligue à la maison du peuple de Brest, dont celle de Marcelle Capy en février 1932.

En 1934, en réaction à la manifestation d’extrême-droite le 6 février, la CGT confédérée (socialistes et libertaires) organisa une grande manifestation, avec Jules Le Gall, Jean Tréguer, Jacques Damoy, secrétaire de la Fédération des travailleurs de la Marine et Charles Berthelot, secrétaire du syndicat CGT de l’arsenal. En août 1935, les manifestations contre la baisse des salaires (Décrets-lois Laval) réunissaient des milliers d’ouvriers dans la rue. Elles dégénérèrent et on déplora deux morts, tués par les forces de l’ordre. Le choc fut immense et il accéléra la réunification entre confédérés et unitaires de la CGT.

Soubigou écopa d’une amende pour participation à un rassemblement interdit. Après une enquête serrée de la police, neuf militants furent au total déférés devant le tribunal correctionnel, les rumeurs de présence de professionnels révolutionnaires à Brest et de fonds versés pour favoriser les désordres et pillages, portées par les enquêteurs furent démenties par la Justice.

En décembre 1935, les deux fédérations CGT finistériennes – confédérée et unitaire – se réunirent en congrès de fusion. Le secrétaire fédéral fut Charles Berthelot (conf.), le secrétaire adjoint, Auguste Havez (Un.), Jean-Marie Soubigou entra à la commission administrative de l’union départementale, au titre de l’union locale de Brest (responsable J. Damoy). Il fut délégué au congrès de la réunification de la CGT, en mars 1936 à Toulouse, aux côtés du secrétaire fédéral du Finistère, Charles Berthelot. En 1937, il fut le secrétaire départemental de la fédération des mutilés du travail du Finistère.

Bientôt la guerre d’Espagne allait bouleverser la vie de Jean-Marie : membre du comité pour l’Espagne libre (CEL) à Brest, il participa à la création en octobre 1937 de Solidarité internationale antifasciste (SIA) et au soutien organisé vers la Catalogne révolutionnaire. En mai 1937, il fut l’un des organisateurs des réfugiés basques, venus par bateau de Bilbao à La Pallice (La Rochelle). Le paquebot Habana débarqua le 7 mai 2483 personnes dont 2273 enfants. Avec leurs accompagnateurs les enfants furent répartis entre les départements de l’Ouest. Quarante réfugiés furent pris en charge au patronage laïque du Pilier-Rouge (Lambézellec). Jean-Marie Soubigou organisa leur participation au défilé du front populaire le 14 juillet, enfants et femmes espagnols portent une pancarte « Las refugiadas españolas saludan la República Francesca » (les réfugiés espagnols saluent la république française » (La Dépêche de Brest, 15 juillet 1937).

Le 11 octobre 1937, il épousa Pilar Errazquin Ibaretta (1913-2009) à la mairie du Pilier-Rouge (Lambézellec - Aujourd’hui Brest), le 12 la mère et les deux sœurs de Pilar furent reconduites à la frontière, côté Catalogne. À la même période, le colonel Troncoso passa devant le tribunal de Brest, il est accusé d’avoir voulu s’emparer du sous-marin républicain C2, réfugié à Brest le 29 août. Le couple participa par la suite à l’accueil de réfugiés, surtout après l’effondrement de la Catalogne en janvier 1939. Selon Marcel Soubigou, leur fils, l’appartement devint un lieu fréquenté par la colonie espagnole de Brest.

Jean-Marie Soubigou pâtit de son passé libertaire pendant la guerre 1939-1945. Il fut pris comme otage en mars 1942 par l’Occupant dans le cadre de la répression contre les anarchistes et les communistes et interné un mois à la prison maritime et civile de Pontaniou. Il fut par la suite réquisitionné pour assurer la garde de voies ferrées. Il décida de se réfugier avec sa famille dans la Sarthe (département choisi pour accueillir les familles brestoises victimes des bombardements). Il se réfugia à Vernie, un petit village sarthois. La Fédération des mutilés du travail lui confia la mission de réorganiser clandestinement les groupes de l’Ouest et le salaria pour qu’il puisse survivre. Il prit contact avec les responsables syndicaux (Charles Berthelot s’était réfugié à Auray) et retissa des liens coupés par la guerre et la répression.

Il revint à Brest en septembre 1945. Il reprit ses activités militantes, et tenta de sauvegarder l’esprit social des organismes de sécurité sociale. Il devint administrateur de la caisse primaire d’assurance-maladie de Brest et de plusieurs caisses et d’administrateur de l’hôpital psychiatrique de Quimper. En 1963, trésorier de l’association des Amis de la maison du peuple de Brest, il posa en compagnie du président, Édouard Edern, la première pierre de la nouvelle maison du peuple, symbole d’un passage de relai entre la première maison du peuple, à laquelle il avait participé en 1924 et la nouvelle, fruit de la reconstruction de la ville sinistrée. Il était par ailleurs délégué à l’action sanitaire et sociale des personnes âgées et de l’enfance handicapée. Il travailla comme secrétaire juridique jusqu’à sa retraite en 1969.
En 1947, de nouveau confronté à la division du mouvement syndical, il s’opposa à la direction communiste de la CGT. Contrairement à son ami Auguste Le Lann qui rejoignit la Confédération nationale du travail (CNT), il participa à la création de la CGT – Force ouvrière, dans le respect de la charte d’Amiens, non-soumission du syndicat à un quelconque parti.
Il décéda à Brest le 10 janvier 1977.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155610, notice SOUBIGOU Jean-Marie [Dictionnaire des anarchistes] par Jean-Yves Guengant , version mise en ligne le 9 avril 2014, dernière modification le 20 janvier 2022.

Par Jean-Yves Guengant

Groupe anarchiste à Brest vers 1935 : au premier plan à droite : Jeanne Tréguer. Derrière elle Jean Soubigou, René et Henriette Martin, au fond en face, René Lochu. A gauche, Germaine et Auguste Le Lann, debout, Pio Turroni.
Cliché communiqué par Jean-Yves Guengant
Maison du Peuple, souvenirs de l’inauguration, février 1924.
« Le syndicat est la meilleure arme du progrès individuel et social ». Au fond, la maison allouée aux Tréguer.
Portrait de Jean-Marie Soubigou – coll. Marcel Soubigou
Clichés années 1920, théâtre de la maison du peuple, « Manants, voici le soleil », pièce de Jules le Gall. Derrière la table : à gauche, Jean-Marie Soubigou, à droite, Jean Tréguer, derrière debout : René Lochu. Coll. Marcel Tréguer
Cliché, 14 juillet 1937, Les réfugiés espagnols saluent la République Française, Brest. Soubigou est à droite de la photographie. Coll. M. Soubigou.
Photographie : 1934, groupe anarchiste, Soubigou, accroupi au centre, à l’extrême-droite, l’anarchiste italien Pio Turroni. Coll. Marcel Tréguer.

ICONOGRAPHIE :
Portrait de Jean-Marie Soubigou – coll. Marcel Soubigou
Clichés années 1920, théâtre de la maison du peuple, « Manants, voici le soleil », pièce de Jules le Gall. Derrière la table : à gauche, Jean-Marie Soubigou, à droite, Jean Tréguer, derrière debout : René Lochu. Coll. Marcel Tréguer
Cliché, 14 juillet 1937, Les réfugiés espagnols saluent la République Française, Brest. Soubigou est à droite de la photographie. Coll. M. Soubigou.
Photographie : 1934, groupe anarchiste, Soubigou, accroupi au centre, à l’extrême-droite, l’anarchiste italien Pio Turroni. Coll. Marcel Tréguer.

SOURCES : Archives départementales du Finistère, état-civil, 3 E 117/45, recensement de 1911, 6 M 371. État-civil de Lampaul-Guimiliau, 3 E_117_0045, 1904, vue n°2, acte en ligne des archives départementales du Finistère – Les professions de journalier et de tanneur caractérisent des populations très pauvres en Basse-Bretagne. — Matricule militaire, 1 R 01076, n°2350, archives départementales du Finistère. — Journaux, Le cri du Peuple, Le Flambeau, quotidien La Dépêche de Brest, association de la maison du peuple (archives municipales de Brest) — Remerciements à Marcel Soubigou pour son témoignage et les photographies ; à Marcel Tréguer, pour les photographies. — Jean-Yves Guengant, « Nous ferons la grève générale – Jules Le Gall, les anarchistes et anarcho-syndicalistes à Brest et en Bretagne, XXe siècle ». Editions Goater, 2019. — M. N. Salaun « Les anarchistes dans le Finistère… », op. cit. — R. Bianco, Un siècle de presse anarchiste, op. cit. — Arch. Mun. Quimper. — Force ouvrière, hebdomadaire de la CGT-FO, 9 juin 1955, 19 juin 1958. — Notes de Jean Maitron, Rolf Dupuy, Louis Botella et Georges-Michel Thomas.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable