BOUDOUX Francis ou François ou J.-S. [Jean Sellenet, dit] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Guillaume Davranche

Né le 18 juillet 1881 à Saint-Étienne (Loire), mort le 17 mars 1941 à Argenteuil (Seine-et-Oise) ; forgeron puis charpentier en fer ; anarchiste et syndicaliste, puis anarcho-syndicaliste.

J.-S. Boudoux (1908)
J.-S. Boudoux (1908)
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Militant ouvrier rugueux, téméraire et parfois même sulfureux, Boudoux fut un personnage haut en couleurs. La constance de son engagement sur quarante ans en fait un passeur entre le syndicalisme révolutionnaire d’avant 1914 et l’anarcho-syndicalisme d’après 1922. Connu tout d’abord comme propagandiste de la CGT en Lorraine, il milita, après une affaire de corruption, au sein du Bâtiment de la Seine. Pacifiste durant la Grande Guerre et minoritaire de la CGT il devint, dans les années 1920-1930, une figure de l’anarcho-syndicalisme français.

Enfant naturel d’une lingère nommée Adèle Verney-Poncet, Jean Sellenet fut signalé pour la première fois comme anarchiste à la direction de la Sûreté générale lorsqu’il quitta Tullins (Isère) le 28 août 1901. Peu après, à Coursan (Aude), il épousa Joséphine, Pauline Doumen.

En septembre 1903, le service militaire l’appela au 157e régiment d’infanterie dans les Basses-Alpes. Là, parce qu’il incitait les autres conscrits à « ne pas accomplir leurs devoirs militaires », il fut affecté au 100e régiment d’infanterie à Narbonne. Le 2 août 1904, Sellenet déserta et se cacha à Marseille sous le nom de Ferdinand Monin. Puis il emprunta les papiers d’identité d’un de ses camarades parisiens, le ferblantier Boudoux, et c’est sous ce nom qu’il milita par la suite.

« Gréviculteur » émérite en Lorraine

De 1905 à 1910, Boudoux devint une des principales figures de la CGT en Lorraine. À l’instar de Cavallazzi, Varède, Merrheim, Uhry, Marius Blanchard et Hannosset, il fut de ces « commis voyageurs en grèves », particulièrement stigmatisés dans la presse locale car étrangers à la région, et accusés de « vivre » des conflits sociaux qu’ils attisaient. Bête noire du préfet de Meurthe-et-Moselle, il subit plusieurs condamnations pour des discours ou des violences.

Militant de l’Association internationale antimilitariste (AIA), c’est sous le nom de Boudoux que Jean Sellenet devint, en 1905, secrétaire de l’union des syndicats de Longwy. Il prit une part importante aux grèves de Lunéville (avril-mai), de Saulnes et d’Hussigny (juillet), et de Longwy (août). Sur les indications fournies par la direction de la Sûreté générale, sa véritable identité fut découverte et il fut arrêté comme déserteur à Auxerre, le 4 octobre 1905. Il fut alors traduit devant le conseil de guerre de Montpellier et condamné, le 17 octobre, à deux mois de prison avec sursis. Il fut alors dirigé sur le 12e régiment d’infanterie.

Le 29 mars 1906, suite à la grève de Neuves-Maisons, il fut condamné à Nancy à quatre mois de prison pour « entraves à la liberté du travail, port d’arme prohibé et usurpation d’état-civil ». Le 6 juin suivant, toujours à Nancy, il fut condamné un mois de prison pour entraves à la liberté du travail.

En 1907, il fut élu secrétaire du syndicat des métallurgistes de Jarville, et commença à écrire régulièrement dans la rubrique « Mouvement social » des Temps nouveaux. Le 5 avril, le tribunal correctionnel le condamna à quinze jours de prison pour coups et blessures. En mai, il soutint la grève des maçons de Lunéville. À l’époque, il collabora au Cubilot, le journal de la colonie anarchiste d’Aiglemont dirigée par Fortuné Henry.

Le 18 juillet 1907, Boudoux se rendit à Raon-l’Étape (Vosges) où il joua un rôle important dans la grève aux usines Amos. Le 31, il prononça un discours révolutionnaire aux obsèques de l’ouvrier Thirion. Arrêté le 22 août après une altercation avec un jaune, il fut condamné le 31 octobre, par le tribunal correctionnel de Saint-Dié, à six mois de prison et 100 francs d’amende « pour provocation au meurtre des non-grévistes », peine confirmée en appel à Nancy le 28 novembre. Il fut libéré le 21 février 1908.

À peine libéré, Boudoux fut élu, le 4 mars 1908, secrétaire de l’Union des syndicats ouvriers de Meurthe-et-Moselle. Il cofonda alors La Voix sociale pour remplacer Le Cri populaire (voir Eugène Mariatte) et continua à courir toutes les luttes ouvrières du département.

Du 5 au 12 octobre 1908, Boudoux fut délégué par une dizaine de syndicats lorrains au congrès confédéral de la CGT à Marseille. Il y déclara que « l’antimilitarisme et l’antipatriotisme forment partie intégrante du syndicalisme », et qu’il le disait avec d’autant plus de conviction que son union syndicale était active dans une région frontalière où vivaient mêlés des dizaines de milliers de travailleurs de toutes nationalités. Selon lui, la propagande antipatriote y était une nécessité pour les grouper ensemble. Selon la police, l’action de Boudoux en Lorraine s’appuyait alors principalement sur la fraction la plus radicale de la communauté minière italienne. C’est elle qui le fit secrétaire du syndicat des mineurs de l’Est, de tendance révolutionnaire.

En novembre 1908, Boudoux intervint dans la grève des mines d’Hussigny et, le 20 novembre, il se rendit à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire) avec Benoît Broutchoux pour haranguer les syndiqués hostiles à la direction réformiste de la Fédération des mineurs. À l’époque, il collaborait régulièrement à La Guerre sociale.

En avril 1909, Boudoux quitta la Lorraine et s’installa à Montceau-les-Mines chez l’anarchiste Claude Martin. Là, il voulut adhérer au syndicat des mineurs mais, comme il s’y attendait, ses dirigeants réformistes s’y opposèrent, en faisant porter sur lui le soupçon qu’il était un provocateur policier. Il tenta alors, sans succès, de mettre sur pied un syndicat de mineurs révolutionnaire. En juin, il quitta Montceau et revint s’installer en Meurthe-et-Moselle, où il fut élu secrétaire du syndicat des métallurgistes d’Auboué. Selon la police, il se montra alors « moins violent que jadis ».

Quand Émile Janvion lança Terre libre en novembre 1909, Boudoux y collabora, contribuant au débat sur le « fonctionnarisme syndical ». Cependant, dès février 1910, il fut indisposé par l’antifonctionnarisme absolu qu’y développait son camarade Marius Blanchard. Boudoux jugeait les « fonctionnaires » utiles, mais pensait qu’ils ne devaient pas être inamovibles.

Au printemps 1910 éclata « l’affaire Boudoux » qui devait conduire à son éviction de la Lorraine et des Temps nouveaux. À l’occasion des législatives d’avril-mai 1910, il participa à la campagne antiparlementaire (voir Jules Grandjouan) et fut candidat abstentionniste dans la région de Briey. Il fut alors accusé par le candidat radical d’être téléguidé par le candidat adverse, le maître de forges François de Wendel. La presse radicale publia deux photos où Boudoux apparaissait en conversation avec de Wendel ou avec son commis d’affaire, Rollet, dans un train et dans un restaurant. Les rapports de police attestent que Boudoux rencontrait régulièrement Rollet. Suite à ces révélations, à la veille du premier tour des élections, Boudoux s’enfuit à Sauvignes (Saône-et-Loire) avec la caisse du syndicat des métallurgistes d’Auboué. Le syndicat lui écrivit pour lui demander de venir s’expliquer. Sans réponse de sa part, il l’exclut au mois de mai. Le 19 juin 1910, le congrès de l’union des syndicats de Meurthe-et-Moselle vota également l’exclusion de Boudoux, à l’unanimité des 19 organisations présentes. Il fut établi que le trésorier du syndicat des métallurgistes d’Auboué, Pleignet, était complice de Boudoux et lui transmettait chaque semaine 50 francs, remis par Rollet au nom de François de Wendel. L’union des syndicats de Meurthe-et-Moselle exécuta publiquement Boudoux dans son journal, Le Syndicaliste et dans le journal de la Fédération des métaux, L’Union des métaux. Toutefois, l’organe confédéral La Voix du peuple n’évoqua pas l’affaire.

Cette affaire laissa des traces chez les cégétistes lorrains. Ainsi, en janvier 1922, Auguste Mougeot confia à Pierre Monatte le mauvais souvenir que lui laissait Boudoux : « il n’a qu’un but, ne pas travailler ».

Syndicaliste du Bâtiment de la Seine

En septembre 1910, Boudoux vint à Paris où il fut quelque temps employé du métro. Il s’installa au 56, rue Diderot, à Asnières, et la préfecture de la Seine l’inscrivit au Carnet B le 15 novembre.

En 1912, Boudoux était membre du syndicat des charpentiers en fer et du comité intersyndical du bâtiment. Il n’assista vraisemblablement pas au congrès confédéral de la CGT, du 16 au 23 septembre 1912 au Havre. Un « Boudoux », délégué du Bâtiment de Nevers, fut enregistré mais il s’agit plus vraisemblablement de Bondoux.

Les 25 et 26 novembre 1912, il comparut devant les assises de la Seine dans le cadre de la « 2e affaire du Sou du soldat » (voir Jean-Louis Thuillier). Il fut condamné à trois mois de prison et 100 francs d’amende. À l’époque, il donna un article au Mouvement anarchiste (voir Pierre Ruff).

Dans Le Mouvement anarchiste de janvier-février 1913, il revendiqua son adhésion à la Fédération communiste anarchiste.

Pendant la Première Guerre mondiale, Boudoux fut mobilisé au 17e régiment d’infanterie et fit campagne pendant vingt mois environ. Il obtint la croix de guerre avec très élogieuse citation pour avoir sauvé la vie à son officier. Il était sergent-fourrier lorsque, en 1916, il fut mis en sursis d’appel et affecté à la maison Alix & Laute, fabrique d’aéroplanes à Courbevoie (Seine).

Résistant à la guerre et minoritaire de la CGT

Rendu à la vie civile, Boudoux reprit aussitôt ses activités politiques. Il contribua à reconstituer le syndicat des charpentiers en fer, dont il fut élu secrétaire, et collabora au journal pacifiste CQFD (voir Sébastien Faure).

Le 1er mai 1916, il prit la parole à la bourse du travail de Paris, dans un meeting conjoint des terrassiers et des charpentiers en fer.

Boudoux s’engagea ensuite au sein du Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI), formé en janvier 1916, et qui regroupait les minoritaires pacifistes de la CGT et du PS. La section syndicaliste du CRRI, dominée par les libertaires, manifesta cependant très vite des velléités de séparation d’avec la section socialiste, à laquelle elle reprochait de vouloir se cantonner à la publication de manifestes. C’est la raison pour laquelle, dès avril 1916, la section syndicale du CRRI se rebaptisa Comité de défense syndicaliste (CDS, voir Paul Veber). Le CDS se détacha progressivement du CRRI et, en novembre 1916, il avait pris sa complète autonomie. Le 31 mai 1917, Raymond Péricat en devint secrétaire, avec Boudoux comme secrétaire adjoint et Pierre Le Meillour comme trésorier.

Le 5 mars 1917, Boudoux fit partie des militants venus assister au procès de Louis Lecoin, Pierre Ruff et Claude Content, jugés devant la 10e chambre correctionnelle pour la distribution du tract pacifiste « Imposons la paix ! ». Cité comme témoin, il affirma que les charpentier en fer, qu’il représentait, approuvaient les inculpés : « Ils sont écœurés, affirma-t-il, de voir des mercantis s’enrichir pendant qu’ils se font tuer. »

Le 24 mai 1917, pendant la grève des midinettes, Boudoux fit partie d’un comité désigné par l’union des syndicats de la Seine pour épauler les grévistes. Au sein de ce comité figurèrent également deux autres minoritaires — Lepetit et Hubert — et deux majoritaires — Gonzales et Fenot.

Lors de la conférence de la CGT à Clermont-Ferrand du 23 au 25 décembre 1917, Boudoux se présenta comme délégué de l’UD de l’Isère, mais l’UD de Meurthe-et-Moselle contesta sa présence au nom de l’affaire de 1910. Benoît Broutchoux dénonça une manœuvre de la majorité pour évincer un minoritaire, mais la conférence trancha : Boudoux ne siègerait pas cette fois, et son cas serait réglé sur le fond ultérieurement, devant le comité confédéral.

L’« affaire Boudoux » arriva donc devant le comité confédéral du 12 janvier 1918, puis devant la commission exécutive des métaux du 12 octobre 1918. Entre-temps, il avait participé, avec Péricat, au congrès des minoritaires de la CGT à Saint-Étienne, les 19 et 20 mai 1918.

Une commission d’enquête fut mise sur pied par la CGT. Ses conclusions furent débattues par le comité confédéral lors de sa session du 23 au 25 mars 1919, qui décida de généraliser la mesure d’exclusion prise par le syndicat d’Auboué, l’UD de Meurthe-et-Moselle et la fédération des Métaux. Le syndicat des charpentiers en fer de la Seine prit la défense de son secrétaire et affirma publiquement que « jamais ladite commission n’a entendu Boudoux, qu’elle s’est toujours refusée à entendre ses explications » et que « seuls les calomniateurs et les accusateurs ont fait entendre leur voix ». En conséquence de quoi, le syndicat considérait comme « non avenues toutes décisions prises » et renouvelait sa confiance à Boudoux (Le Libertaire du 6 avril 1919). Cela n’empêcha pas Léon Jouhaux d’adresser à l’ensemble des syndicats confédérés une circulaire datée du 10 avril 1919, déclarant que « Boudoux ne pourra plus exercer, où que ce soit, aucun mandat syndical ». Boudoux publia une « Réponse à des menteurs » dans Le Libertaire du 30 avril 1919. La minorité de la CGT ne tint pas compte de la décision confédérale puisque, le 8 mai 1921, Boudoux fut un des orateurs de l’union des syndicats de la Seine au grand rassemblement contre la guerre coorganisé au Pré-Saint-Gervais par le PCF, l’Arac, le CDS et la minorité de la CGT.

À l’époque, Boudoux était adhérent à l’Union anarchiste (UA) et collaborait à son hebdomadaire, Le Libertaire. Avec Havane, il prit la parole, pour l’UA, dans un meeting unitaire « contre la réaction mondiale » à Saint-Denis le 27 janvier 1921, et s’engagea en faveur de Sacco et Vanzetti. Il n’était plus, alors, secrétaire du syndicat des charpentiers en fer.

Du 22 au 24 décembre 1921, Boudoux participa à la conférence de la minorité de la CGT, à Paris, qui décida la fondation de la CGTU. Il assista également au Ier congrès confédéral de la CGTU, du 25 juin au 1er juillet 1922 à Saint-Étienne, où il soutint la motion Besnard. À Semard qui dénigrait la CGT d’avant 1914, il répliqua : « Pour moi, je déclare que ce syndicalisme n’a pas fait faillite. Des hommes seulement ont fait faillite. Des hommes seulement ont essayé, en raison de leur fonctionnarisme inamovible, en raison de l’influence qu’ils pouvaient exercer dans leurs milieux, d’entraîner des camarades ouvriers dans cette voie. » Après que les syndicalistes pro-Moscou eurent acquis la majorité dans la CGTU, Boudoux rejoignit le Comité de défense syndicaliste, qui structurait une partie de la minorité.

Dans le débat sur les ghildes, qui anima la Fédération CGTU du bâtiment en 1922, il se prononça contre ce qu’il considérait comme une dérive vers la « collaboration de classes ». Le projet ne vit pas le jour.

Figure de l’anarcho-syndicalisme

Lors du IXe congrès de la Fédération du bâtiment CGTU, du 4 au 7 juillet 1923 à Paris, où les communistes furent minoritaires, Boudoux déclara que « les anarcho-syndicalistes sont ceux qui considèrent, sur le terrain économique, que pour le mouvement ouvrier toute la vie, toute l’action ne doivent pas avoir pour objectif la dictature du travail, mais doivent tendre à la révolution intégrale ». C’était une des premières fois que le terme « anarcho-syndicaliste » était publiquement assumé, dans une acception non péjorative. Au terme du congrès, il fut élu comme suppléant à la commission exécutive de la fédération.

Boudoux fut délégué au IVe congrès de l’UA des 12 et 13 août 1923 à Paris.

Au IIe congrès confédéral de la CGTU, du 12 au 17 novembre 1923 à Bourges, il fut délégué par trois syndicats du bâtiment. Il attaqua le « bluff » du PCF au sujet de la Révolution allemande et opposa aux communistes le « syndicalisme défendu par les vieux syndicalistes. Ce syndicalisme-là n’a jamais failli, n’a jamais été en déroute nulle part. Seuls, des fonctionnaires inamovibles, des fonctionnaires à perpétuité sont arrivés quelquefois à faire dévier le mouvement ouvrier » (p. 33 du compte-rendu). Après Bourges, le CDS fusionna avec un autre regroupement oppositionnel, les Groupes syndicalistes révolutionnaires (GSR, voir Broutchoux) et forma la Minorité syndicaliste révolutionnaire (MSR).

Le 11 janvier 1924, au cours de l’altercation à la Grange-aux-Belles durant laquelle les communistes tuèrent les ouvriers libertaires Clos et Poncet, Boudoux fut lui-même sévèrement blessé par balle à la gorge. Dans la violente polémique qui éclata ensuite au sujet de cet événement, L’Humanité concentra ses attaques sur lui, « maillon faible » de la MSR en raison de son passé sulfureux. Reprenant le dossier de 1910, le quotidien communiste suggéra qu’il avait été payé par la police pour provoquer la bagarre.

Dès le 18 janvier, à la réunion d’urgence de la MSR, Boudoux prôna, avec Lecoin, la scission de la CGTU, mais ne fut pas suivi. La conférence de la MSR évoqua également les accusations portées contre lui par L’Humanité et, « se référant aux témoignages de ses militants ayant eu à connaître de l’affaire Boudoux », l’assura de sa solidarité (Le Libertaire du 19 janvier 1924). Boudoux envoya ensuite une lettre au Libertaire, dans laquelle il se défendait des accusations portées contre lui, mais le journal décida de ne pas l’insérer, « simplement pour ne pas l’engager dans une voie qui pourrait voir pour lui et pour d’autres de pénibles conséquences » (Le Libertaire du 21 janvier 1924).

Pendant quelques années, L’Humanité, renseigné par des syndicalistes lorrains sur le passif de Boudoux, allait faire de lui sa tête de Turc, et brandir son nom pour discréditer Le Libertaire qui désormais ne serait plus nommée que « le journal de Boudoux-Colomer » ou « le journal de Boudoux-Bastien ».

La Fédération du bâtiment rompit officiellement avec la CGTU le 31 octobre 1924.

Boudoux assista au congrès extraordinaire de l’UA du 1er au 3 novembre 1924 à Paris. Militant au groupe anarchiste de Bezons, il appartenait alors au SUB de Carrières-sur-Seine (Seine-et-Oise). Sans y jouer de rôle notable, il devait rester membre du groupe local l’UA pendant tout l’entre-deux-guerres.

Du 18 au 20 juin 1925, Boudoux fut délégué au congrès de Lyon de la Fédération autonome du bâtiment qui devait trancher un important débat : maintien dans l’autonomie ou retour à la CGT. La motion cosignée de Barthès, Pommier, Le Pen, Alliet et Cotinaux qui préconisait « la fusion immédiate » avec la CGT obtint 29 voix. La motion cosignée par Boisson*, Vagneron, Simon, Boudoux, Juhel, Pastergue et Malgloire obtint 30 voix. Il y eut également 3 abstentions. À une voix près, la Fédération du bâtiment demeura donc dans l’autonomie. À l’issue du congrès, Boudoux fut élu à la commission exécutive.

En 1925 et 1926, Boudoux fut secrétaire du SUB de la Seine. Lors du conseil national fédéral des 17 et 18 juillet 1926, il présenta avec Barthès et Jouve une motion — adoptée à l’unanimité moins 2 voix — proposant la fondation d’une « 3e CGT ». Celle-ci vit le jour, sous le nom de CGT syndicaliste révolutionnaire (CGT-SR), au congrès que l’Union fédérative des syndicats autonomes (UFSA) tint à Lyon les 16 et 17 novembre 1926. Lors du meeting de présentation de la nouvelle centrale, le 17 novembre au soir, Boudoux figura parmi les orateurs (voir Pierre Besnard).

Dans la foulée du congrès fondateur de la CGT-SR, Boudoux s’installa à Lyon. Dès le 12 décembre 1926, il fut blessé (2 dents cassées) lors d’une très violente bagarre à la bourse du travail entre communistes et anarcho-syndicalistes. En 1927, il militait dans la section des charpentiers en fer du SUB de Lyon et était secrétaire adjoint de l’union régionale CGT-SR. Il intervint pour elle au meeting du 1er mai 1928 à Lyon.

Boudoux laissa un fort souvenir à ses camarades lyonnais. Celui d’un personnage truculent, volontiers violent, qui ne reculait pas devant l’usage du « manche de pioche » qui faisait la réputation des « subards ». Tous les témoins de cette période interrogés par Claire Auzias pour ses Mémoires libertaires le dépeignirent « haut en couleur, homme de tous les coups de main dans le mouvement syndical comme libertaire : un subard de la meilleure trempe » (p. 120). Boudoux voyait d’ailleurs dans la violence un critère d’authenticité du syndicalisme révolutionnaire. Au congrès de 1925 de la Fédération autonome du bâtiment, il avait ainsi été jusqu’à déclarer que « la brutalité syndicale est l’expression du syndicalisme ». Il devait réitérer à plusieurs reprises des considérations de ce genre.

En septembre 1928, il fut arrêté pour escroquerie à l’assurance en compagnie de Paul Allegré, Léon Cadoret, Antoine Guillet, André Guillaud et Lucien Sirac.

En 1932, Boudoux militait de nouveau au SUB de Carrières-sur-Seine, avec Louis Boisson. En 1934, il était secrétaire du comité de chômeurs local, très proche de la CGT-SR.

Au moment des législatives de mai 1936, Boudoux fut candidat abstentionniste dans la première circonscription de Versailles, avec le soutien de son syndicat et du groupe local de l’UA. Le 29 mai, ils tinrent un meeting commun.

Pendant les grèves de juin 1936, la Fédération CGT-SR du bâtiment envoya Boudoux épauler le SUB de Toulouse, très présent dans la lutte. En juillet, il rejoignit le secrétariat à la propagande de la fédération, avec Félix Gandillet et Alex Lucas.

En novembre 1936, la fédération le délégua en Espagne révolutionnaire. Il parla à la radio CNT-FAI de Barcelone et dans différents meetings de solidarité organisés par la CNT. Il resserra également les liens avec les syndicats du bâtiment de la CNT, surtout avec celui de Barcelone.

Contrairement à une légende tenace, Boudoux ne trouva pas la mort sur le front d’Aragon. Il s’agit d’une confusion avec Rémy Boudou (ou Boudoux), dont le nom figure dans une liste de volontaires tué à Perdiguera le 16 octobre 1936 publiée dans Le Libertaire du 23 octobre.

Boudoux assista au VIe congrès de la CGT-SR en 1937. Jusqu’en 1939, il resta un de ses principaux orateurs, effectuant des tournées de conférences dans tout le pays. « Jean le vieux », comme il signait parfois ses articles mourut à Argenteuil sous l’Occupation.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155637, notice BOUDOUX Francis ou François ou J.-S. [Jean Sellenet, dit] [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche, version mise en ligne le 7 mars 2014, dernière modification le 1er septembre 2022.

Par Guillaume Davranche

Boudoux (1928)
Boudoux (1928)
Source : Arch. Nat. Dossier Boudoux
J.-S. Boudoux (1908)
J.-S. Boudoux (1908)
DR
Arrestation de Boudoux en 1905
Arrestation de Boudoux en 1905

SOURCES : Arch. Nat. F7/13053, 13569, 13576, 13608, 13617, 19940474/222 — État civil de Saint-Étienne — AD de Meurthe-et-Moselle ― AD de Seine-et-Oise, 2 M 11/26 ― État-civil de Saint-Étienne ― La Voix du peuple du 15 mars 1908 ― La Guerre sociale du 10 février 1909 ― Le Mouvement anarchiste de janvier-février 1913 — CQFD du 24 février 1917 ― lettres de l’UD de Meurthe-et-Moselle en date du 18 novembre et du 10 décembre 1917 (reproduites dans L’Humanité du 17 janvier 1924) ― Le Libertaire du 6 et du 30 avril 1919 ― La Voix du travail, août 1926 ― Annie Kriegel, Aux origines du communisme français, Mouton & Co, 1964 ― Robert Brécy, Le Mouvement syndical en France, 1871-1921, Mouton & Co, 1964 ― Syndicalisme révolutionnaire et communisme, les archives de Pierre Monatte, Maspéro, 1968 — Samuel Jospin « La CGT-SR à travers son journal Le Combat syndicaliste, 1926-1937 », mémoire de maîtrise, Paris-I, 1974 ― René Bianco, Cent ans de presse..., op. cit. — Serge Bonnet, Roger Humbert, La Ligne rouge des hauts-fourneaux, Denoël-Serpenoise, 1981 ― Daniel Colson, Anarcho-syndicalisme et communisme. Saint-Étienne 1920-1925, Atelier de création libertaire, 1985 ― Claire Auzias, Mémoires libertaires. Lyon 1919-1939, L’Harmattan, 1993 ― Jean-Louis Robert, Les Ouvriers, la patrie et la révolution. Paris 1914-1919, Annales littéraires de l’université de Besançon, 1995 ― Boris Ratel, « L’anarcho-syndicalisme dans le bâtiment en France entre 1919 et 1939 », mémoire de maîtrise d’histoire sociale, université Paris-I, 2000 ― David Berry, A History of the French Anarchist Movement 1917-1945, Greenwood Press, 2002 ― Julien Loncle, « Histoire d’un courant anarcho-syndicaliste français : la CNT (1945-1995) », mémoire de maîtrise, université de Bourgogne, 2002 ― Sylvain Boulouque, « 11 janvier 1924, 33, rue de la Grange-aux-Belles », Le Monde libertaire hors série de l’hiver 2003-2004 ― Antoine Gimenez et les giménologues, Les Fils de la nuit, L’Insomniaque, 2006 — Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914), L’Insomniaque/Libertalia, 2014.

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