CHARBONNEAU Lucien, Georges, Luther [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean-Luc Pinol, notice revue par Rolf Dupuy et Guillaume Davranche

Né le 18 septembre 1896 à Paris (XVIIIe arr.), mort le 1er février 1984 à Villeparisis (Seine-et-Marne) ; ouvrier plombier ; anarcho-syndicaliste.

Lucien Charbonneau (1920)
Lucien Charbonneau (1920)
Coll. Franck Thiriot.

À sa naissance Lucien Charbonneau bénéficia d’un « baptême républicain ». Il était le fils d’une sage-femme et d’un militant socialiste fort réputé : Georges Charbonneau, plombier comme lui, et cofondateur de L’Humanité (voir sa notice dans le DBMOF). Pour sa part, Lucien s’orienta vers le syndicalisme révolutionnaire, puis l’anarcho-syndicalisme.

Élève brillant, primé en 1904 à Paris, puis l’année suivante a Boran-sur-Oise (Oise) où ses parents se sont retirés pour vivre de leurs rentes, il obtint son certificat d’études en 1909, puis étudia dans une pension privée aux Lilas, une institution sans doute franc-maçonne, fondée par Carnot, ou il obtint le premier prix du conseil général, remis a la Sorbonne. Ses parents le voulaient architecte... mais il fugua, vécut quelque temps dans la rue, puis s’embaucha dans le bâtiment.

Incorporé le 12 avril 1915 au 82e régiment d’infanterie, il participa aux batailles de Verdun et du Chemin des Dames, au cours de laquelle il fut blessé, le 10 juin 1917, par un éclat de grenade. Il fut ensuite envoyé dans les Balkans, en Bulgarie. Il y reçut une médaille de la Roumanie pour « service rendu à la paix en temps de guerre ». Démobilisé le 8 octobre 1919, il s’installa au 134, rue du Temple, à Paris 3e, et adhéra à l’Association républicaine des anciens combattants.

Le 5 septembre 1921, il fut élu membre du conseil du syndicat des plombiers couvreurs de la Seine. Après la scission confédérale de décembre 1921, il fut dès janvier 1922 secrétaire du syndicat CGTU des couvreurs-plombiers de Paris.

Du 25 juin au 1er juillet 1922, il fut délégué au Ier congrès de la CGTU, à Saint-Étienne. Le 14 décembre, à Paris 18e, il épousa Anne-Marie Guillou, née en 1904, qui partageait ses idées. Ils devaient avoir deux filles : Nancy, en mai 1923 et Simone, en mai 1926. L’aînée fut anarchiste. Veuf en janvier 1936, il devait se remarier, le 20 septembre 1941, à Paris 18e, avec Lucienne Dauly, veuve Martin.

En mars 1923, il fut élu secrétaire du Syndicat unique du bâtiment (SUB) de la Seine, qui unifiait la plupart des corporations du Bâtiment. Le 24 juillet, entra à la commission exécutive du Comité de défense syndicaliste (voir Pierre Besnard). Ce même mois, il devint locataire d’un appartement situé 22, rue des Roses, à Paris 18e, dans un immeuble appartenant à ses parents. Il devait y rester jusqu’à sa retraite.

Lors du IXe congrès fédéral du Bâtiment CGTU à Paris, du 4 au 7 juillet au 1923, les « anarcho-syndicalistes » comme les qualifiaient leurs détracteurs, confirmèrent leur majorité. Lucien Charbonneau déposa une motion hostile aux commissions syndicales du Parti communiste, également signée par Blois, Emile Hubert* et Lechapt*. Le texte précisait : « en s’opposant à une telle pénétration occulte et incontrôlable du Parti communiste, qui met en danger les fondements mêmes du syndicalisme, le congrès interdit aux autres partis et sectes de se prévaloir de l’attitude condamnable du Parti communiste et dont l’action aurait pour résultat de détruire l’unité de la fédération et de faire du syndicalisme le champ d’expérience des disputes des partis politiques et des sectes extérieures ». Teulade*, porte-parole des communistes, combattit en vain cette motion, qui fut adoptée à l’unanimité moins deux voix.

Lors de l’assemblée générale du SUB de la Seine tenue le 21 octobre 1923, Lucien Charbonneau fut désigné avec Louis Lecoin et Julien Le Pen comme délégué au congrès confédéral de la CGTU, qui devait se tenir à Bourges du 12 au 17 novembre. Il y plaida pour que de strictes règles encadrent le fonctionnarisme syndical à la CGTU.

Après avoir assisté à l’assassinat de Clos* et de Poncet* par les communistes, le 11 janvier 1924, Charbonneau s’était prononcé, dans Le Libertaire du 3 mars, pour que la fédération du Bâtiment rompe avec la CGTU et fasse l’unité dans l’autonomie avec le Bâtiment CGT. Finalement, la fédération du Bâtiment, ultime bastion de l’anarcho-syndicalisme au sein de la CGTU, finit par rompre les amarres en novembre 1924. Elle se maintint dans l’autonomie quelque temps puis, en novembre 1926, cofonda la CGT-SR. Cependant, Lucien Charbonneau ne croyait pas au succès de la CGT-SR. Dès le 17 juillet 1927, lors de l’assemblée générale du SUB de la Seine, il déposa une motion, cosignée de Couture*, appelant le SUB à rejoindre la CGT. L’assemblée générale suivante, le 18 août, vota le maintien du SUB au sein de la CGT-SR. Loyal, Charbonneau continua d’y militer.

Lucien Charbonneau fut très engagé dans les actions de solidarité internationale. En 1924, il participa à la campagne de défense des révolutionnaires emprisonnés en Russie et, par la suite, il devait accueillir quelque temps Nestor Makhno quand celui-ci se réfugia en France. Il fut également, dans les années 1920, lié au groupe espagnol Los Solidarios (Durruti, Ascaso, Jover...), qu’il reçut chez lui, et auquel il rendit des services. En 1924 par exemple, il était chargé de recueillir des fonds pour le journal Liberion, organe de la Fédération des groupes anarchistes de langue espagnole, financé en grande partie par Los Solidarios. Pendant la dictature de Primo de Rivera, Charbonneau fit office de boîte aux lettres aux responsables en exil de la CNT espagnole. En mars 1930 encore, un rapport de police signalait qu’il recevait « de Barcelone des colis contenant des brochures et des journaux espagnols » ainsi que des « sommes d’argent assez élevées ». Un autre rapport de police, de 1933, signale  : « Il est en relations épistolaires avec Sandoval Felippe, expulsé de France pour menées anarchistes, détenu à la prison modèle de Madrid. On croit qu’il n’est pas étranger à l’évasion de cette prison, en octobre 1931, du mécanicien Rada Pablo et de deux autres détenus politiques, Jacinto Clemente et Leonardo Gomez Mora. »

En 1929, Charbonneau adhéra au Groupe des amis de l’Encyclopédie Anarchiste de Sébastien Faure, et fut chargé de recevoir les versements effectués pour la diffusion de l’Encyclopédie.

De janvier 1930 à 1936 environ, il fut le trésorier du Comité d’entraide, dont Auguste Huet* était le secrétaire. Il habitait alors 22, rue des Roses, à Paris 18e, et collaborait au Libertaire. Un rapport de police signale qu’en 1931, par l’intermédiaire de leurs avocats, il fit parvenir de la presse révolutionnaire à plusieurs bagnards en Guyane.

En 1931, Charbonneau était toujours au SUB puisque c’est à ce titre qu’il intervint à la Conférence des « 22 » pour l’unité syndicale réunie le 11 janvier 1931 à la bourse du travail de Paris.

Porté sur la culture prolétarienne, Lucien Charbonneau déclamait volontiers les poèmes de Gaston Couté aux soirées de la Muse rouge ou dans les « grandes matinées artistiques et théâtrales » de L’Entraide. Il maniait parfaitement l’accent beauceron, entretenu par ses fréquents séjours à Pithiviers (Loiret), dont ses parents étaient originaires, et où ils vivaient désormais. À la fin de sa vie, il devait d’ailleurs enregistrer, en février 1970, plusieurs textes de Couté et de Maurice Hallé pour un disque édité bien plus tard (1993) par Radio libertaire.

Durant la Seconde Guerre mondiale, Lucien Charbonneau participa au réseau de résistance Libération-Nord. Dirigeant des réfractaires au STO vers les maquis, il fut perquisitionné, mais jamais arrêté. À la Libération, il fut nommé, en novembre 1944, lieutenant-chef de section des Milices patriotiques de la garde civique républicaine (Paris 18e, carte 2204 E), puis fit partie du comité d’épuration qui siégeait à la mairie de Paris 18e.

En 1946, il accompagna la fondation de la CNT française.

Des années 1950 aux années 1980, Lucien Charbonneau soutint Le Combat syndicaliste de la CNT, Contre Courant de Louis Louvet*, Liberté de Louis Lecoin et Le Réfractaire de May Picqueray. Fidèle en amitié, il garda contact avec Maurice Rémond*, un ancien bagnard proche de la Bande à Bonnot, qui mourut en 1964 de la tuberculose.

Au début des années 1960, il soutint le combat de son vieil ami Louis Lecoin en faveur de l’objection de conscience.

En 1962, il prit sa retraite à Villeparisis (Seine-et-Marne), puis socialisa le contenu de sa bibliothèque militante auprès du bibliobus de la Libre-Pensée de Seine-et-Marne. Dans les années 1970, il était toujours membre de la CNT-F.

Avant de mourir, il avait souhaité être mis en fosse commune, comme Élisée Reclus avant lui, mais celle ci n’existait déjà plus... Sans fleurs ni couronnes, suivant sa volonté, il fut enterré au cimetière municipal de Villeparisis, à côté de sa seconde épouse. Il était le grand-père du militant libertaire Franck Thiriot.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155645, notice CHARBONNEAU Lucien, Georges, Luther [Dictionnaire des anarchistes] par Jean-Luc Pinol, notice revue par Rolf Dupuy et Guillaume Davranche, version mise en ligne le 9 avril 2014, dernière modification le 15 octobre 2014.

Par Jean-Luc Pinol, notice revue par Rolf Dupuy et Guillaume Davranche

Lucien Charbonneau (1920)
Lucien Charbonneau (1920)
Coll. Franck Thiriot.

DISCOGRAPHIE : La Parole libertaire de Gaston Couté et Maurice Hallé dite par Lucien Charbonneau. Poésies libertaires et textes drôles. (1993) Radio Libertaire/Éditions du Monde.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13586 et 13647. — Arch. PPo. 49 et 50. — Carte avec photo de la Garde Civile Républicaine, bureau militaire, 16, avenue Junot, Paris 18e (en 1944). — Contre Courant, année 1953 — Boris Ratel, L’anarcho-syndicalisme dans le bâtiment en France entre 1919 et 1939, mémoire de maîtrise, université Paris-I, 2000. — François Hombourger, Makhno, Éditions libertaires, 2002. — Notes de Franck Thiriot.

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