CHIERICOTTI Paul [Pierre, Paul, Jacques, dit ; aussi Chericotti, Ricotti, Paul LAURENT] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Guillaume Davranche, Dominique Petit

Né à Milan (Piémont. Italie) le 1er mars 1858 ; cordonnier, puis vendeur de volailles ; anarchiste illégaliste ; inculpé du procès des Trente, bagnard en Guyane.

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York

Chiericotti était arrivé à Paris en 1883. Il se maria à Paris, le 21 février 1885, à la mairie du XVIIIème, avec Annette Soubrier.
Le 5 juillet 1887, vers trois heures du matin, une explosion formidable retentissait dans la rue Berthe, située dans le quartier Clignancourt.
Dans la maison portant le n°6 de cette rue, les boiseries de la devanture de M. Viguier épicier et marchand de comestibles étaient brisées et projetées à une grande hauteur, tandis que toutes les vitres des maisons voisines volaient en éclats.
Plusieurs personnes, terrifiées par cette explosion, s’enfuyaient dans la direction du boulevard Rochechouart.
Les habitants du n° 16, croyant que la maison, ébranlée par cette violente secousse, menaçait de s’effondrer, déménageaient à la hâte tout ce qu’ils possédaient de précieux.
Le premier moment de frayeur passé, on s’aperçut qu’une longue perche gisait sur le trottoir, devant la boutique et que des débris de plomb étaient mêlés sur la chaussée aux morceaux de verres cassés. L’enquête avait établi rapidement qu’une tentative criminelle avait été dirigée contre M. Viguier. En effet, une cartouche de dynamite avait été déposée sous la fenêtre de la chambre à coucher du marchand de comestibles. Il fallait donc chercher le coupable parmi les ennemis de Viguier. Celui-ci, en dehors de sa profession d’épicier, exerce celle de loueur de garni.
Au mois de janvier dernier, il logeait plusieurs Italiens avec lesquels il avait eu maintes fois maille à partir à l’époque du terme.
Ne pouvant obtenir le paiement de ses loyers, M. Viguier s’était décidé à expulser ses locataires italiens. Mais ceux-ci ne voulaient pas déguerpir : une lutte s’engagea entre eux et le propriétaire, au cours de laquelle M. Viguier fut violemment frappé au visage.
Plainte fut déposée par le blessé, et le tribunal correctionnel condamnait l’agresseur, par défaut, à quelques jours de prison pour coups et blessures.
A plusieurs reprises les Italiens expulsés par M. Viguier avaient, parait-il, proféré contre lui des menaces de mort.
C’est donc dans ce sens que le commissaire dirigea ses recherches. Dans la matinée, ce magistrat a procédé à l’arrestation de Magnani et Chiericotti, 22 de la rue Norvins, à celle de Jogeri 13 rue de Lavieuville.
Tous trois étaient cordonniers et avaient été aussitôt désignés par plusieurs témoins comme ayant eu de graves démêlés avec M. Viguier.
Ils faisaient partie d’un « Groupe anarchiste italien du Panthéon. » et des Antipropriétaires. Au domicile de Jogeri, 32, rue Gabriel, M. Gazalas avait découvert de nombreuses brochures anarchistes, en langue italienne, et saisi une certaine quantité de poudre de mine. Le fil qui avait communiqué le feu à la cartouche de dynamite était un fil enduit de poix, semblable à celui dont se servaient les ouvriers cordonniers.
M. Atthalin, juge d’instruction, procéda à leur interrogatoire.
Les trois inculpés, ayant pu justifier de leur présence dans leurs domiciles respectifs au moment de l’explosion, avaient été mis en liberté provisoire.
Dans les années 1890, il demeurait au 2 rue du Ruisseau. Il était alors marchand de volailles et fréquentait notamment le compagnon Vittorio Pini. Il avait fait l’objet d’un arrêté d’expulsion de France le 29 mars 1892 qui n’avait pu lui être notifié. Il avait gagné la Grande Bretagne où l’avaient sans doute rejoint sa compagne Annette Soubrier et leur enfant, puis sous le nom de Paul Laurent était rentré clandestinement en France et s’était intégré au groupe de cambrioleurs d’Ortiz.
Il fut soupçonné d’avoir participé le 29 janvier 1893, avec Ortiz, au cambriolage au château de M. Demagnier, à Nogent-les-Vierges (Oise).
En octobre 1893, Chiericotti, sa femme , Victorine Belloti et son fils Louis, Marie Milanaccio s’installaient au 1 boulevard Brune (XIVe arr.) où une partie du butin des cambriolages était entreposé.
Le 27 mars 1894, les agents de la 3e brigade de recherches se rendirent à la gare du Nord, à l’arrivé du train, ils filèrent sa femme qui arrivait de Londres.
Tous deux prirent la rue Dancourt et entrèrent dans la maison portant le n° 4 bis. Aussitôt l’immeuble fut cerné, et c’est au moment où Chiericotti et sa femme gagnaient le boulevard Rochechouart, par la seconde issue, qu’ils furent arrêtés au passage et amenés au poste de police de la place du Théâtre. Chiericotti n’avait plus alors sa valise, M. Orsatti, commissaire de police fut appelé aussitôt ; il pénétra dans la maison cernée et au premier étage, il y arrêta Louis Selle et François Liégeois. C’était chez lui que Chiericotti avait déposé sa valise. Dans une autre pièce, M. Orsatti découvrit cinq autres valises pleines d’objets volés, pendules, bijoux, argenterie, etc. Toutes ces valises étaient ficelées, étiquetées et étaient prêtes à partir pour Londres.
C’était Liégeois qui avait présenté Chiericotti à Selle. Sachant ses opinions anarchistes, il lui avait demandé de cacher pendant quelques jours les bagages du compagnon qui était recherché par la police. Selle ignorait ce que contenaient les valises apportées chez lui.
La perquisition opérée an domicile de Selle avait amené la découverte d’une certaine quantité d’objets volés, parmi lesquels de nombreux débris de métaux et un bloc de métal paraissant être en argent. On avait, de plus, découvert des vêtements, des objets de toilette, ainsi qu’un attirail complet, de cambrioleur. Selle, interrogé sur leur provenance, avait déclaré qu’ils appartenaient tous à Chiericotti qui les a laissés chez lui.
Lors du procès des trente en août 1894 mêlant illégalistes et théoriciens anarchistes, où il comparaissait pour vol, il fut interrogé par le président :
D. Vous êtes depuis longtemps anarchiste ?
— R. C’est inexact. J’ai connu Pini et suis devenu anarchiste plus tard.
D. Vous étiez l’agent principal d’un groupe qui avait pour but de commettre des vols en France et d’en écouler le produit à l’étranger. Vous êtes complice d’Ortiz dans le vol de Nogent-les-Vierges.
— R, Je ne connais pas Ortiz et je n’ai pas commis ce vol.
D. Les témoins vous ont vu avec Ortiz, ils disent que, vous l’avez reçu chez vous.
— R. C’est inexact. Je n’ai jamais connu Ortiz.
D. Vous avez donc une raison pour nier ? On a trouvé chez vous dans la chambre que vous occupiez à Paris, un couvre-pied et un réveille-matin qui viennent de chez M. Demagnez. Vous prétendez n’avoir jamais habité boulevard Brune, mais Charlier déclare vous avoir loué un cabinet dans cette maison sous le nom de Laurent, on vous a reconnu.
— R. Ils se trompent ou ont un intérêt. Je n’ai jamais été boulevard Brune, je ne connais pas ce que vous me dites.
D. Le 24 mars 1894, on a découvert, chez Liégeois, une grosse valise. C’est vous qui l’avez remise à Liégeois.
— R. Je le reconnais.
D. Dans cette valise se trouvait un grand nombre d’objets venant de Nogent-les-Vierges.
— R. Je ne sais pas. Cela m’a été remis, pour être emporté à Londres, par un individu que je ne connais pas. Je devais laisser la valise à la consigne, à Londres.
D. Vous connaissez son nom ?
— R. Non, parmi nous, nous ne nous donnons pas notre nom de manière à éviter les policiers qui se glissent parmi nous.
D. C’était un anarchiste.
— R. Je le suppose.
D. On a trouvé chez un nommé Selle plusieurs objets.
— R. Des petits sacs.
D. Dans une caisse on a trouvé des instruments de cambrioleurs en grand nombre.
— R. Cela m’est venu du même Monsieur qui m’a demandé d’emporter le tout à Londres. Ce n’était pas à moi.
D. Selle est témoin, il déclare que vous avez pris dans un sac une chemise et une cravate.
— R Je les ai prises à cet étranger je les aurais rendues après.
D. Selle dit que c’était à vous tous ces objets
— R. II ne peut pas le dire, car il ne le sait pas.
D. C’était si bien à vous, qu’on vous a vu faisant emballer deux pendules que vous aviez été chercher chez Liégeois.
— R. L’individu que je ne connais pas m’a dit d’envoyer les pendules à une adresse qu’il m’a indiquée.
D. Les agents, quand ils vous ont arrêté, vous ont demande d’où elles venaient : « De mon grand-père avez-vous répondu.
— R. c’était une plaisanterie.
D. Indépendamment de ce vol, vous en avez commis beaucoup d’autres ?
— R. Je n’en sais rien c’est vous qui le dites, pourquoi ne m’accuse-t-on pas de tous les vols !
Chericotti : Alors c’est tout ce dont je suis accusé ?
M. le président : Oui.
L’accusé : Alors pas d’association de malfaiteur ?
M. le président : Si.
L’accusé : Mais vous n’avez parlé de rien de cela.
M. le président : Je vous ai dit que ces vols étaient destinés à la propagande de votre association. Ils vous lient à tous les autres accusés.
Ortiz et Chericotti étaient accusés d’avoir fait partie d’un groupe secret d’action ayant son siège à Londres et qui avait pour but le cambriolage sur le continent.
Il fut condamné à huit ans de travaux forcés. Jean Grave écrivait à son propos : "...Parmi les cambrioleurs était un ouvrier cordonnier italien, nommé Chericotti. Quand était venu son tour de parler, il se contenta de déclarer qu’il avait toujours travaillé pour vivre, que quelle sue soit l’issue du procès, il aurait à continuer à travailler. Au ton dont il prononça ces quelques mots, on sentait la sincérité. Il y avait quelque chose de pathétique. J’ignore s’il avait participé aux cambriolages. Mais c’était chez lui que l’on avait trouvé le matériel d’imprimerie que possédait la bande".
Il fut détenu comme droit commun aux îles du Salut, avec le matricule 26866/8426. Il y rencontra Auguste Liard-Courtois à l’île Saint-Joseph et lui confectionna une paire de chaussures avec de la toile d’un vieux hamac.
Vers 1900, il avait bénéficié d’une grâce d’un an, il passa à la relégation en 1901.
En 1911, sa compagne Annette vivait à Londres avec ses trois enfants et le compagnon Cesare Cova.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155840, notice CHIERICOTTI Paul [Pierre, Paul, Jacques, dit ; aussi Chericotti, Ricotti, Paul LAURENT] [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche, Dominique Petit, version mise en ligne le 20 mars 2014, dernière modification le 8 février 2022.

Par Guillaume Davranche, Dominique Petit

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Fiche photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York

SOURCES : Le Journal des débats du 31 mars 1892, du 15 juillet 1894 et du 6 au 13 août 1894 — Jean Grave, Quarante ans de propagande anarchiste, Flammarion, 1974 — Constance Bantman, « Anarchismes et anarchistes en France et en Grande-Bretagne, 1880-1914 : Échanges, représentations, transferts », thèse en langues et littératures anglaises et anglo-saxonnes, Paris-XIII, 2007. — FR ANOM COL H 3940, matricule 26866 / 8426 — Etat signalétique des anarchistes étrangers expulsés de France, n°1, mars 1894 — Archives de la Préfecture de police Ba 77, 138 — Les Temps Nouveaux, année 1901 — Notice Pierre, Paul Chiericotti du Dictionnaire des militants anarchistesLe Cri du peuple 7 juillet 1887 — Le Figaro 6 juillet 1887 — Le Français 7 juillet 1887 — La Petite République 8 juillet 1887 — La Gazette des tribunaux 8 août 1894 — Le Temps 7 août 1894 — Souvenirs du bagne par Auguste Liard-Courtois, Les Passés simples. 2005, p. 389.

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