BAPAUME André

Par François Lagandré, Frank Georgi

Né le 30 novembre 1900 à Graville-Sainte-Honorine (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), mort le 13 octobre 2003 en Belgique ; ouvrier tourneur, dessinateur, puis ingénieur ; président (1944-1945), puis secrétaire général (1946-1965) de la Fédération française des syndicats d’ingénieurs et cadres (FFSIC-CFTC puis CFDT) ; membre du bureau confédéral (1946-1963) et du conseil confédéral (1953-1963) de la CFTC ; vice-président de la CFTC (1946-1953).

André Bapaume
André Bapaume

André Bapaume est le fils d’Henri Bapaume, meunier (d’abord à la rizerie du Havre, puis chez son père, lui-même meunier) et de Blanche Castel, femme de ménage. Ses parents eurent deux autres fils, Georges et Jean. Enfant de parents catholiques mais non pratiquants, le jeune André subit l’influence de l’abbé Auvray, curé de Saint-Léon du Havre, et participa à des activités de patronage de la paroisse, ainsi qu’à des cercles d’études et groupes d’Action catholique.
Après l’obtention de son certificat d’études primaires, André Bapaume suivit pendant deux ans les cours de l’Atelier d’apprentissage du Havre. La guerre ayant entraîné progressivement la suppression des cours généraux, il entra à seize ans chez Westinghouse (future Compagnie Électro-Mécanique) et commença à gagner sa vie comme apprenti tourneur. Il participa à sa première grève en 1917, pour défendre les intérêts des jeunes ouvriers, avant, expliquera-t-il plus tard, de pleurer sur le sort des pauvres soldats « auxquels sa grève avait fait du tort ». Les longues journées de travail furent la cause d’un épuisement très sérieux en 1918, qui le contraignit au repos pendant six mois. Son médecin et son curé le poussèrent alors à « faire autre chose ». Sur la recommandation de l’abbé Auvray, il entra comme apprenti dessinateur au bureau d’études de son entreprise et put suivre des cours du soir (mathématiques, dessin, mécanique, électricité). Durant ses deux années de service militaire (1921-1922) qu’il effectua dans un régiment du Génie à Strasbourg, il fut aidé dans ses études par correspondance par deux officiers, avant de retourner à la Compagnie Électro-mécanique (CEM). Il commença à militer au sein de l’Union des syndicats de techniciens (UST) puis au syndicat CFTC des dessinateurs de Nantes, pour lequel il travailla à recruter des adhérents au Havre. Il quitta la CEM volontairement, selon la stratégie de son organisation, afin de faire pression à la hausse sur les salaires. Il fut alors embauché aux Chantiers Augustin Normand, d’où il fut licencié au bout d’un an pour activité syndicale. Il travailla ensuite deux ans environ aux Docks du Havre, avant d’être repris en 1929 par la CEM, où il est devenu ingénieur par promotion interne. Dans les années vingt, sa première épouse, elle-même dessinatrice, et qui devait décéder en 1958, lui donna quatre enfants, dont deux allaient mourir en très bas âge. Sur le plan syndical, il exerça au moment du Front populaire des responsabilités interprofessionnelles : président de l’Union locale CFTC du Havre en 1936, vice-président de l’Union départementale de Seine-Inférieure l’année suivante. En 1943, à la suite des bombardements intensifs du Havre, la CEM déménagea au Bourget et la famille Bapaume s’installa en région parisienne, à Montfermeil.
À la Libération, quelques ingénieurs adhérant à la CFTC, dont André Bapaume, qui avaient milité le plus souvent avant-guerre au sein d’organisations relevant de la Fédération des Employés, décidèrent, avec l’accord de Gaston Tessier et du bureau confédéral reconstitué, de créer des syndicats d’ingénieurs et de cadres. Il s’agissait pour eux de s’insérer pleinement dans un mouvement d’ensemble des travailleurs, auxquels ils apporteraient leurs compétences, tout en maintenant leur spécificité et en défendant eux-mêmes leurs intérêts propres. Il fallait également faire pièce aux initiatives concurrentes, celle de la CGC, jugée catégorielle, et celle de la CGT, orientée vers la lutte des classes. Dès octobre 1944, les premiers syndicats, en région parisienne et dans le Nord, furent mis en place, et, à la fin du mois de novembre, une assemblée générale décida la création d’une Fédération française des syndicats d’Ingénieurs et Cadres (FFSIC-CFTC), sur le modèle interprofessionnel de la Fédération des Employés. Au sein du bureau provisoire, André Bapaume fut élu président et Guy Bohn, avocat salarié dans l’aéronautique, secrétaire général. Ce dernier ayant été licencié de son entreprise, selon André Bapaume, pour son appartenance à la CFTC dans un secteur sous tutelle d’un ministre communiste, et ayant refusé le poste de permanent syndical qui lui était proposé, c’est André Bapaume qui accepta en 1946 la fonction de secrétaire général permanent de la Fédération. Rendue nécessaire par la croissance rapide de l’organisation, la création d’un poste de permanent doté d’un secrétariat avait été permise par une politique volontariste de cotisations élevées.
André Bapaume et son équipe, après la « remise en ordre » des salaires en 1945-1946, s’engagèrent dans plusieurs chantiers importants : négociation du régime de retraite complémentaire des cadres (AGIRC) en 1947, préparation de la loi sur les conventions collectives de 1950, élaboration, en 1961, d’un premier projet sur la formation permanente, ignoré à ce moment par le patronat, mais dont les orientations allaient être reprises et généralisées après 1968. Siégeant aux commissions du Plan et autres organismes officiels, administrateur au CIERP (Centre intersyndical de recherches sur la productivité), André Bapaume fut très impliqué dans les « missions de productivité » aux États-Unis. Séduit par l’efficacité technique du syndicalisme américain, il proposa à la CFTC la création d’un bureau d’études économiques autonome (le BRAEC, créé en 1956, dont il fut vice-président, et dont l’un des animateurs fut Jacques Delors). Membre du bureau confédéral durant une vingtaine d’années, il y défendit une politique revendicative qu’il voulait économiquement réaliste. De tendance « majoritaire » dans les débats confédéraux, à l’image de sa fédération, André Bapaume dut faire face à deux mutations décisives, et non désirées. La première, structurelle, fut celle de la généralisation des fédérations d’industrie, revendiquée depuis la Libération par les fédérations ouvrières et adoptée en 1959 par la CFTC, qui remettait en cause l’existence même d’une fédération interprofessionnelle des cadres. Un rapport d’André Bapaume en 1964 proposa une double affiliation pour les syndicats de cadres et ouvrit la voie à un regroupement de type nouveau, qui allait déboucher en 1967 sur la création d’une Union confédérale des cadres (UCC-CFDT). La seconde mutation, idéologique, fut la déconfessionnalisation de la CFTC. André Bapaume était très attaché au titre et à la référence chrétienne. Mais, en 1963, jugeant le combat perdu, il publia dans l’organe fédéral un éditorial expliquant les raisons du changement. Il ne fut suivi que par une très courte majorité. Mais la coupure en deux de la Fédération ne se traduisit pas par des départs massifs (moins d’un cinquième des effectifs).
En 1965, André Bapaume abandonna ses responsabilités à la tête de la FFSIC. Déjà chevalier de la Légion d’honneur depuis 1953, il fut promu officier en 1965. Sur le plan politique, il avait adhéré au MRP, mais sans y exercer de responsabilité. En 1980, il se remaria avec une syndicaliste belge, Miette Pirard, et s’installa définitivement à Braine-l’Alleud, près de Bruxelles. Il y célébra son centenaire, entouré de son épouse et de ses deux enfants, Odile et Pierre. Il devait s’éteindre dans sa cent troisième année et une cérémonie religieuse fut célébrée en l’église Saint-Sébastien de Braine-l’Alleud.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article15592, notice BAPAUME André par François Lagandré, Frank Georgi, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 21 août 2019.

Par François Lagandré, Frank Georgi

André Bapaume
André Bapaume

ŒUVRE : Cadres dans une centrale ouvrière. La Fédération des Ingénieurs et cadres de la CFDT 1944-1965, 1985, 123 p. dactyl.

SOURCES : Arch. conf. CFDT : entretien, 12 septembre 1986 ; notes de Louisette Battais. — Arch. fédérales UCC-CFDT : entretiens 5 mai 1984, 10 juillet 1984, 10 avril 1989 ; renseignements fournis par André Bapaume à François Lagandré ; notes de François Lagandré. — Cadres CFDT, numéro spécial « 50 ans », nov. 1994. — Guy Groux, Les Ingénieurs et Cadres dans le mouvement ouvrier : le cas de l’UCC-CFDT, Paris, CNAM, 1982. — Frank Georgi, L’Invention de la CFDT 1957-1970, Paris, L’Atelier/CNRS, 1995. — Renseignements communiqués par Pascal Clerc.

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