SOUBRIÉ François, Auguste [Dictionnaire des anarchistes]

Par Guillaume Davranche, Dominique Petit

Né le 23 mai 1854 à Livinhac-le-Haut (Aveyron) ; mineur, puis brûleur de café ; anarchiste ; inculpé du « procès des Trente ».

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York

Fils de Auguste Soubrié, propriétaire cultivateur, et de Eugénie Labro, sans profession, François Soubrié était délégué mineur à Decazeville (Aveyron) au moment de la grande grève qui vit, le 26 janvier 1886, le lynchage du directeur de l’exploitation, Watrin.

Dans une réunion tenue le 2 mars 1886 à l’Hôtel-de-Ville, Soubrié, mineur et vice-président de la commission des délégués, avait déclaré que si l’un des délégués trahissait, on le « watriniserait » ; le parquet avait aussitôt ouvert une information contre Soubrié, il considérait que ce propos constituaient un délit aux termes de l’article 414 du code pénal ; Soubrié avait prétendu que l’expression incriminée lui avait échappé à cause de son inexpérience dans l’art oratoire.

Le 2 mars 1886, il fut arrêté par la police, les deux députés Basly et Camélinat et Duc-Quercy le rédacteur du Cri du Peuple avaient, tous les trois, avaient demandé au procureur général être entendus comme témoins ; ils étaient près du mineur lorsqu’il avait prononcé le discours pour lequel il était poursuivi, et ils déclarèrent que l’expression incriminée visait, non pas les traîtres qui pourraient se trouver parmi les mineurs, mais bien les quinze délégués, si l’un d’eux venait manquer aux engagements pris.

Une demi-heure avant le départ du train qui devait emporter l’inculpé, une compagnie de ligne avait occupé la gare. Des dragons arpentaient la Grande-Rue, la place et l’avenue de l’Église et la rue de la Gare. Une foule considérable stationnait sur le trajet que devait suivre Soubrié. Sa femme, escortée de MM. Basly, Camélinat et Duc-Quercy, était sur le quai au moment du départ de son mari. Au moment de monter en wagon, Soubrié, qui avait été gardé dans une salle d’attente où le public n’était pas admis, avait crié « Adieu, citoyens ! »

Le 8 mars, il comparut devant le tribunal correctionnel de Villefranche-de-Rouergue, pour atteinte à la liberté du travail. Soubrié n’était pas poursuivi en vertu de l’art. 24 de la loi du 29 juillet 1881 mais en vertu de l’art 414 du Code pénal. Il était pas prévenu de menaces tendant à maintenir une cessation concertée du travail, au lieu d’être prévenu de provocation au meurtre.

À l’audience, il eut pour témoins à décharge les socialistes Basly et Duc-Quercy . Questionné, il déclara avoir dit aux délégués : « Si l’un de vous trahissait, il mériterait d’être watriné. »

Le président lui demanda s’il regrettait ce qui s’est passé le 26 janvier (le meurtre de M. Watrin). Soubrié déclara ne pas le regretter. Mais à la fin du procès le président lui demanda de nouveau : « Regrettez-vous les faits qui se sont passés Decazeville, et notamment le meurtre de M. Watrin. Oui. je les regrette », répondit Soubrié.

Il fut condamné à quatre mois de prison. Il purgea sa peine à la prison de Villefranche où il était chargé de faire la cuisine pour tous les détenus.

Le 21 avril 1886, lors d’une réunion à Paris, des journaux et des comités socialistes, la Fédération des travailleurs socialistes de France (possibiliste) soutenait la candidature de Soubrié aux élections législatives du 2 mai. Mais Soubrié refusa la proposition : « Je n’accepte pas ; car la division dans le parti socialiste serait désastreuse. »

Dans Le Cri du peuple du 1er mai 1886, il renouvela son refus : « J e déclare formellement et en toute liberté d’appréciation que je n’accepte pas de candidature dans le département de la Seine. Je proteste contre l’abus fait de mon nom. Le devoir des socialistes est présentement de concentrer leurs votes sur le nom du citoyen Ernest Roche, ouvrier graveur. Soubrié. Prison de Villefranche, le 29 avril 1886. »

Malgré sa volonté, les possibilistes maintenaient jusqu’au bout sa candidature et il obtenait 5.602 voix. Ernest Roche en rassembla 100.820 contre 146.060 à l’élu radical-socialiste Gauthier.

A sa sortie de prison en juillet, un grand nombre de mineurs étaient allés l’attendre à la gare de Viviers (Aveyron). La population lui avait fait une véritable ovation et c’est aux accents de la Marseillaise qu’il fit son entrée dans la ville.

En octobre 1886, Soubrié, étant allé au Gua (Aveyron) vendre des exemplaires du Révolté, de la Lutte Sociale et du placard Mort aux voleurs, il fut arrêté par deux gendarmes. Il était emmené à Aubin et 6 exemplaires du placard avaient été saisis par les agents de la force publique.

En traversant Aubin et le long de la route, il continua à vendre Le Révolté et La Lutte Sociale, malgré ses deux « compagnons » qui voulaient l’en empêcher. Ils avaient même poussé l’amabilité jusqu’à lui déclarer que s’ils ne l’avaient pas enchaîné, c’était uniquement parce qu’ils n’avaient pas de menottes.

En octobre 1886, privé de travail par les Houillères de l’Aveyron, il vint à Paris, avec sa famille pour trouver du travail.

Par la suite, il changea de métier avec l’aide d’Auguste Lucas, qui lui donna du pain, de l’argent et l’aida à trouver du travail.

Il entra dans le mouvement anarchiste parisien. Il y fréquenta le Cercle anarchiste international qui, fondé en 1888, était le plus important lieu de rencontre et d’échanges entre militants à l’époque (voir Alexandre Tennevin).

Lors du procès de Lucas dans l’affaire de la fusillade du mur des Fédérés le 27 mai 1888, il témoigna : « J’ai vu Lucas après la scène du 27. Il m’a raconté que la vue de la couronne de L’Intransigeant l’avait indigné. Il a ajouté qu’il avait tiré au hasard et qu’il était peiné d’avoir blessé des personnes. “Ce n’est pas un homme que j’ai voulu tuer”, m’a-t-il dit, “c’est un parti ! le parti boulangiste !” » . Il expliqua qu’il avait hébergé Lucas car il était très bon pour les camarades et qu’il lui devait sa situation. Soubrié était alors employé à la société coopérative La Belleviloise.

En avril 1893, il demeurait 113 rue de Ménilmontant et il figurait sur l’état récapitulatif des anarchistes au 26 décembre 1893, sur celui au 31 décembre 1894 (noté dangereux) et au 31 décembre 1896. Sur l’état de 1901, il demeurait 29 cité industrielle. Son dossier à la Préfecture de police portait le n°290.751.

Il fut arrêté le 14 mars 1894, lors de la perquisition à son domicile, la police trouva un cahier donnant le compte-rendu de plusieurs réunions anarchistes du Cercle international. Au cours de celle du 1er août 1892, à laquelle assistait Soubrié, l’un des orateurs faisant allusion à la saisie faite par la police d’un dépôt de matières explosives, avait dit « que si rien n’avait été découvert, on aurait eu à bref délai de joyeuses surprises ».

Du 6 au 12 août 1894, il comparut devant les assises de la Seine dans le cadre du « procès des trente » (voir Élisée Bastard). Poursuivit pour entente dans le but de préparer ou de commettre des attentats contre les personnes ou les propriétés. Soubrié déclara : « Je n’ai jamais assisté à ces réunions ; je n’étais pas à Paris à l’époque où ces dernières, notées sur mon carnet, ont eu lieu. »

Défendu par Me Albert Crémieux, il fut acquitté.

En 1896 il travaillait toujours comme brûleur de café à La Bellevilloise et, selon la police, « ne fréquentait plus personne tout en restant anarchiste ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155984, notice SOUBRIÉ François, Auguste [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche, Dominique Petit, version mise en ligne le 27 mars 2014, dernière modification le 13 novembre 2022.

Par Guillaume Davranche, Dominique Petit

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Fiche photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
François Soubrié conduit à la prison de Villefranche. Le Cri du Peuple 8 mars 1886.

SOURCES : Le Journal des débats du 3 au 9 mars 1886, du 15 juillet 1894 et du 7 au 13 août 1894 — Album photographique des individus qui doivent être l’objet d’une surveillance spéciale aux frontières, Paris : Imprimerie Chaix, 1894. — Archives de la Préfecture de police Ba 75, 77, 80, 1500 — Le Matin 3, 9 mars 1886 — Le Petit Provençal 3 mars 1886 — Le Cri du peuple 8 mars, 11 juillet 1886 — La Dépêche 6 avril 1886, 7 août 1894 — Le Gaulois 22 avril 1886 — L’Écho de Paris 4 mai 1886 — Le Révolté 23 octobre 1886 — L’Intransigeant 29 octobre 1886 — Le Droit 7 septembre 1888 — Le Petit Journal 7 août 1894 — Le Soir 7 août 1894 — Le Figaro 9 août 1894 — Notice François Soubrié du Dictionnaire des militants anarchistes.

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