TURRONI Pio [dit Mario] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Françoise Fontanelli Morel

Né le 30 mai 1906, mort le 7 avril 1982 à Cesena (Marches, Italie) ; maçon, carreleur et mosaïste ; anarchiste ; anti-organisateur ; Comitato Pro Vittime Politiche d’Italia à Marseille.

Pio Turroni
Pio Turroni
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Fils de Giuseppe Turroni et de Virginia Magnani, Pio Turroni était d’une famille d’antifascistes connus des services de police italiens ; Mauro, Urbano dit Adolfo et Luigi Egisto, ses frères, furent tous trois fichés au Casellario Politico Centrale respectivement comme Républicains et Socialiste. Dès 14 ans, Pio aurait participé à un meeting d’Errico Malatesta venu à Cesena en 1920. En 1923, lors de violents affrontements contre les fascistes, deux de ses frères furent grièvement blessés et contraints de quitter Cesena.

En octobre 1923, Pio, Luigi Egisto et Urbano partirent pour la Belgique. Le 10 novembre 1925, il semble que Pio était toujours en Belgique, comme l’indique une déclaration du Consulat de Liège qui faisait part de son insoumission et le dispensait provisoirement de service militaire. Il faut souligner que les fréquents déplacements professionnels de Pio Turroni – il fut maçon plus particulièrement spécialisé dans le ravalement de façades – rendent difficiles l’établissement d’une chronologie fiable. Il s’installa vraisemblablement avec son frère à Garenne-sur-Eure près d’Évreux en 1923 et effectua des déplacements en Belgique avec l’entreprise qui l’employait.

Il arriva donc à Paris en 1926, ou peut-être en 1927, où il participa activement aux mouvements de protestation en faveur de Sacco et Vanzetti. Au début des années trente, il fréquenta le domicile de Bernardo Cremonini à Fontenay-Sous-Bois. Cremonini était alors un des libertaires italiens les plus en vue du fuoriuscitisme parisien, il devint aussi son beau-père et – mais Pio ne l’apprendra que dans les années 1970 lorsqu’il aura accès aux Archives de la Police Politique – un agent collaborateur de l’OVRA, le fameux informateur n°6, nom de couverture « Bero » ou « Solone ».

En 1933, Turroni s’installa avec sa compagne Nara Cremonini à Brest où il devint l’animateur du Gruppo Edizioni Libertarie fondé par Camillo Berneri, petite maison d’édition qui publia entre autres L’Operaiolatria de Berneri et La Guerra che viene de Simone Weil. Il y fonda une coopérative de maçonnerie artisanale pour venir en aide aux compagnons en exil. Il fut proche de Luigi Bernasconi, secrétaire de la LIDU (Ligue des Droits de l’Homme Italienne) et, selon le consulat italien de Nantes, il participa à toutes les réunions antifascistes de la région. D’après le témoignage de René Lochu*, Pio fut l’un des derniers à quitter Brest vers le milieu de 1935. Ce fut à ce moment qu’il quitta Nara et rompit les relations avec la famille Cremonini. Il assista Nestor Makhno* jusqu’à sa mort survenue à l’Hôpital Tenon de Paris, le 25 juillet 1934. Il séjourna ensuite à Bordeaux, à Vichy et sans doute à Marseille où selon la police, il aurait participé au cortège du 1er mai 1936, identifié comme « Lazzaro Turroni » aux côtés des compagnons Giulio Bacconi*, Cesare Fietta et Domenico Girelli.

En septembre 1936, il s’enrôla en Espagne dans la section italienne du IVème Bataillon de la colonne Ascaso. Blessé à Tardiente le 20 octobre 1936, il fut transféré à l’hôpital de Lerida puis à l’hôpital de la Generalitat de Barcelone où il demeura jusqu’en décembre 1936. À la fin du mois de décembre, il rejoignit la colonne Ascaso sur le front de Huesca. Vers la fin du mois de janvier 1937, il intégra la section internationale de la colonne Ortiz sur le front de Caspe à Teruel. Blessé une seconde fois, il fut transféré à l’hôpital de Tarragone le 3 mars 1937 et s’établit à Barcelone à la fin du même mois. Le 3 mai 1937, il fut désigné avec Emilio Canzi comme représentant des anarchistes italiens et entra en contact avec le commandant de la colonne Tierra y Libertad pour la réorganisation des forces italiennes en Espagne. Lorsque la Telefónica fut attaquée, il était le délégué du quartier Sants. En mai 1937, avec Attilio Bulzamini, ils présentèrent à la CNT un projet d’attentat contre Mussolini qui ne fut pas retenu.

De retour à Marseille en septembre 1937, Turroni y travailla semble-t-il tout en gardant le contact avec Germinal de Souza puis Pedro Herrera de la CNT, à qui il soumettra son second projet d’attentat contre Mussolini. Certaines sources le présentèrent comme le commissaire politique de la Caserne Spartacus à Barcelone au printemps 1938, bien qu’aucun document ne l’atteste dans l’état actuel de la recherche. Il demeura cependant en contact avec le comité des relations extérieures de la CNT, Martin Gudell et Augustin Souchy*, durant toute sa période marseillaise. En juillet 1938, son projet d’attentat fut accepté par la CNT. Avec Domenico Ludovici*, ils mirent sur pied un attentat qui aurait dû survenir à Riccione, résidence d’été de Mussolini sur l’Adriatique. La CNT organisa l’acheminement des armes par la frontière espagnole jusqu’à Marseille où attendait un employé de la compagnie Paquet pour le transport jusqu’en Italie. Les armes auraient dû être embarquées sur le Florida jusqu’à Gênes. Les Espagnols furent retardés à la frontière, le Florida partit sans les armes et l’attentat fut ajourné. Certaines sources font état d’un troisième projet d’attentat qui était prévu à Rome avec le concours de Leonida Leoni et le soutien de Giustizià et Libertà, plus précisément d’Emilio Lussu.

C’est également à partir de juillet 1938 qu’apparaissent les premières mentions du Comité Anarchico Pro Vittime Politiche de Marseille dans lequel Turroni joua avec Italo Del Proposto un rôle de premier plan. En novembre 1939, lors de son interrogatoire, il déclara que le Comité fut créé en février 1939 par Étienne Chauvet*, arrêté en 1943 à Marseille avec René Arru*, et Ferrucio Girolimetti. Par ailleurs Enrico Acciai le présente comme le dirigeant du Comité Pro Spagna de Marseille. Ce fut à cette période qu’il commença à faire de fréquents aller-retour entre Marseille et Perpignan où avec le concours de Louis Montgon*, militant anarchiste perpignanais, il organisa le secours et l’assistance aux libertaires italiens prisonniers des camps de rétention administrative des Pyrénées-Orientales. Dans les camps de Saint-Cyprien et d’Argelès-Sur-Mer se formèrent même des Comité Pro Vittime Politiche internes à l’initiative de Giovanni Dupuis, Dario Castellani* et Enrico Borgo.

Au début du mois de novembre 1939, la commission de contrôle postal international de Bellegarde informa les services de la Sûreté de Marseille que Pio entretenait une relation épistolaire régulière avec Luigi Bertoni* de Genève, ce dernier lui adressant des transferts de soutiens en provenance des groupes italo-américains. Le 13 novembre 1939, Pio fut arrêté et son domicile fut perquisitionné le 19. De la correspondance "en langue étrangère" et quelques brochures furent saisies ainsi que des mandats en provenance de Genève et de Paris. Il fut écroué sous le chef d’accusation d’atteinte à la sûreté de l’État. Incarcéré à la prison militaire du Fort-Saint-Jean, il ne sera libéré que le 11 mars 1940 à la délivrance d’un non-lieu concluant : « il est incontestable que Turroni constituait l’un des rouages d’une vaste organisation à tendances extrémistes, mais son activité quelque opportune qu’elle puisse paraître ne semble pas tomber sous le coup de l’inculpation dont il est l’objet ».

Peu de temps après sa libération, il se vit notifier son expulsion du territoire français. Il vécut dans la clandestinité jusqu’à son arrestation le 8 juillet 1940 pour infraction à arrêté d’expulsion ; il fut alors écroué à la prison Saint-Pierre de Marseille. Il semblerait qu’il ait été transféré dans le camp de Rémoulins puis dans celui de Villemagne, dans le Gard. Lors de la visite de l’organisme de contrôle de la Commission Italienne d’Armistice, le 30 septembre 1940, Pio Turroni aurait accepté d’’être rapatrié en Italie. Le 22 octobre 1940, le Préfet des Bouches-du-Rhône émit son arrêté d’internement au camp du Vernet. Le 26 octobre 1940, il s’évada en compagnie de six autres détenus du camp de triage du Brébant Marseillais où l’État français l’avait détenu avant son transfert pour le camp du Vernet. En effet, Emilio Lussu, membre fondateur de Giustizià e Libertà, parvint à lui faire savoir qu’il lui avait obtenu un passeport d’apatride délivré par le consulat mexicain et la possibilité d’embarquer pour le Maroc au départ duquel partait un bateau pour le Mexique.

Turroni s’était réfugié chez une institutrice de ses connaissances, peut-être Marie Mayoux* ou bien Mme Jullien, lorsqu’il se fit arrêter de nouveau le 18 décembre 1940. Il fut incarcéré à la prison Chave de Marseille pour son évasion du Brébant Marseillais jusqu’au 9 janvier 1941.
Il y eut deux tentatives d’embarquement sur le bateau qui le conduisit en Algérie. Une première infructueuse, en novembre 1940, en compagnie d’Aldo Garosci, appartenant également à Giustizià e Libertà. Selon Pio Turroni ils furent dénoncés par un marin français envieux de son collègue qui leur avait permis d ’embarquer moyennant la somme de 6 000 francs chacun. Le lendemain, ils furent traduits devant le juge d’instruction. Il fut semble-t-il condamné à quatre ou huit mois de prison en conditionnelle pour évasion tandis qu’Aldo Garosci fut immédiatement relâché, peut-être le 20 novembre 1940. Turroni fut alors renvoyé au Brébant Marseillais dont il s’évada quelques jours après en pleine nuit. Il s’embarqua en compagnie du futur député Leo Valiani, quelque trois semaines après. Il est assez difficile de retracer son parcours exact durant cette période de clandestinité et les sources manquent pour pallier les oublis et les confusions dans la reconstruction de cette fin d’année 1940.

Arrivés à Oran, ils passèrent, huit jours après, la frontière de Marnia (Algérie) à Oujda (Maroc) avec l’aide de résistants dont faisait partie Alphonse Alonso*, français né à Oran en 1916. Pio Turroni avait côtoyé et connaissait les membres des noyaux anarchistes existant en Algérie et au Maroc, ce qui devait permettre aux membres de Giustizià e Libertà d’arriver à Casablanca, seule enclave « libre » à partir de laquelle on pouvait encore embarquer. Le navire portugais Serpa Pinto effectuait deux voyages par an en Amérique au départ de Casablanca, le voyage était organisé à l’initiative de la Croix-Rouge Internationale de Genève et battait pavillon neutre. De la fin janvier au 19 novembre 1941, Turroni vécut clandestinement à Casablanca où toutefois il travailla, vraisemblablement dans le Bâtiment en compagnie des compagnons Dino Angeli* et un des frères Persici*. C’est également durant ce séjour qu’il fit la connaissance de Cipriano Mera avec qui il entretiendra une correspondance suivie après 1945. Au terme d’un périple d’un mois, le Serpa Pinto arriva à Vera Cruz le 20 décembre 1941. Le parcours de Pio Turroni devient alors difficile à retracer de Vera Cruz aux États-Unis en passant par Halifax et Londres où, semble-t-il, il fut interné dans un camp en périphérie de la capitale anglaise.

Il rentra en Italie à la fin de l’année 1943 où il s’employa immédiatement à la recherche des compagnons de la zone libérée par les Alliés cherchant à promouvoir et à établir des contacts nécessaires à la reprise du mouvement parmi les compagnons. Pour son activité après 1943, se référer à la notice biographique de Paolo Sensini dans le Dizionario Biografico Degli Anarchici Italiani.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155992, notice TURRONI Pio [dit Mario] [Dictionnaire des anarchistes] par Françoise Fontanelli Morel, version mise en ligne le 28 mars 2014, dernière modification le 9 septembre 2020.

Par Françoise Fontanelli Morel

Pio Turroni
Pio Turroni
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Groupe anarchiste à Brest vers 1935 : au premier plan à droite : Jeanne Tréguer. Derrière elle Jean Soubigou, René et Henriette Martin, au fond en face, René Lochu. A gauche, Germaine et Auguste Le Lann, debout, Pio Turroni.

ŒUVRE : « Gli anarchici e gli altri sotto Vichy » et « I campi di concentrazione sotto Vichy », L’Adunata Dei Refrattari des 24 janvier 1942 et 31 janvier 1942.

SOURCES : Centro Studi Libertari-Archivio Giuseppe Pinelli (Milano) Fondo Pio Turroni. — Arch. Cent. Roma Casellario Politico Centrale busta n° 5253 Fasc. 114599 et Fascicolo personale b 1387. —Service Historique de la Défense, Vincennes 13 J 0764 Registre d’écrou Marseille condamnés du 29 janvier 1938 au 23 décembre 1939. —Dépôt Central de la Justice Militaire (Le Blanc) procédure Pio Turroni non-lieu n° 156 tribunal militaire de Marseille—Arch. Dép. (13) 63 W1 Minutes audience tribunal correctionnel Marseille 9/01/1941 ; 1871 W 5 Registre d’écrou prison Chave décembre 1940 + rapport Nina Genovese— Arch. Dép. (30) 1 W 270 Rapp. n°P/34665 octobre 1940— CIRA Marseille Fonds René Bianco Dossier bio. Alonso Alphonse—Bollettino Archivio Pinelli n° 11 Agosto 1998 et n° 7 Luglio 1996. —Marzocchi Umberto, E morto Pio Turroni, Umanità Nova, 25 aprile 1982. — Farinelli Luigi, Il muratore dell’anarchia, L’Internazionale, maggio 1982—Bertolo Amedeo, Pio Turroni. Muratore dell’anarchia, Libertaria, luglio-settembre 2003. — DBAI, notice de P. Sensini, Biblioteca Franco Serantini, Pisa, 2004—Canali Mauro, Le spie del Regime, Bologna, Il Mulino, 2004. —« Gli anarchici italiani in Ispagna nei fatti del maggio 1937 » in L’Adunata Dei Refrattari, 13 août 1938. —Fontanelli Morel Françoise, « I comitati Pro Vittime Politiche d’Italia » à Marseille dans l’entre-deux-guerres. Histoire d’une organisation anarchiste en exil, Master II, Aix-Marseille I, 2011. —Fontanelli Morel Françoise, Dal movimento anarchico marsigliese a Pio Turroni ; Riferimenti cronologici 1906-1943. Lavori in corso et Il Comitato anarchico Pro Vittime Politiche di Marsiglia. in Bollettino Archivio Pinelli, Luglio 2012.
Pio Turroni apparaît sous le nom de Mario dans La Chevauchée anonyme de Louis Mercier*.

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