Par Jean Maitron, notice revue par Guillaume Davranche
Né le 18 décembre 1870 à Paris, mort le 2 janvier 1933 ; typographe puis correcteur ; anarchiste et syndicaliste.
Après une trépidante jeunesse d’insoumis anarchiste, Albin Villeval fut, pendant plus de trente ans, une des chevilles ouvrières du syndicat des correcteurs de la CGT. Il contribua à façonner ce syndicat qui devait occuper une place à part au sein de la CGT, en y représentant, jusque dans les années 1990, l’ultime foyer de syndicalisme révolutionnaire.
Fils de Joseph (dit Albin) Villeval, communard déporté en 1872 en Nouvelle-Calédonie, Albin Villeval fut élevé par ses oncles Paul et Denis Villeval. Il fit des études primaires, puis entra à 14 ans comme apprenti typographe à la maison Lahure où travaillaient ses oncles. Il se syndiqua dès ses 17 ans.
Son oncle Denis fonda un groupe socialiste dans le quartier Plaisance, à Paris 14e, durant l’hiver 1888-1889, dont Albin fut membre avec un camarade d’école, Paul Delesalle. De ce groupe se détacha un noyau anarchiste animé par les Villeval. Il semble qu’ils aient alors fréquenté alors le Cercle anarchiste international qui, fondé à Paris en 1888, était le plus important lieu de rencontre et d’échanges entre militants à l’époque (voir Alexandre Tennevin).
En juillet 1891, Albin Villeval fut gérant du numéro unique d’une feuille anarchiste, Le Forçat, qui lui valut d’être condamné dès le 29 juillet devant la cour d’assises de la Seine, à six mois de prison et à 100 francs d’amende, pour « provocation au meurtre et au pillage ». Il habitait alors au 10, rue Roger, à Paris 14e. Il fut ensuite l’unique rédacteur d’un bulletin anarchiste, La Misère.
Insoumis au service militaire, il s’exila en Belgique. Son oncle Denis l’y rejoignit et, courant 1892, ils fondèrent ensemble une imprimerie sise 35, rue Saint-François, puis 58, rue Linné, à Saint-Josse-Ten-Noode, près de Bruxelles. L’Imprimerie Villeval mit sous presse de nombreuses brochures anarchistes (voir Denis Villeval).
Albin Villeval fonda aussi un groupe d’« art social » et imprima sa revue, La Lutte pour l’art, de décembre 1892 à mai 1893.
Il habitait alors 26 rue de Prusse, à Saint-Gilles, et subit plusieurs condamnations pour délit de presse mais put quitter le pays, avec l’aide de militants du Parti ouvrier belge. La Révolte du 5 février 1893 indiquait : « La cour d’assises du Brabant a condamné la semaine passée le compagnon Albin Villeval à deux ans de prison et les frais, pour articles parus dans le journal anarchiste La Misère. C’est la deuxième condamnation du camarade. Heureusement qu’il a su filer. Cela lui fait en tout cinq ans. »
Il vécut alors dans la clandestinité à Chimay (Wallonie), puis au Cateau (Nord) en travaillant, sans pouvoir faire de propagande. Après un séjour rapide à Paris, il gagna Barcelone, mais, ignorant la langue, ne put s’y établir et se rendit à Cette puis à Béziers, à Nîmes, de nouveau à Cette, enfin à Montpellier. Il fut tour à tour garçon de café, colleur de papiers peints, figurant de théâtre. Découvert, il fut condamné à deux ans de prison, rapidement amnistié, mais aussitôt poursuivi pour insoumission et condamné à six ans de travaux publics qu’il accomplit.
Rendu à la liberté, il revint à Paris, où il travailla comme typographe et, à partir d’août 1898, fit reparaître La Misère pour 14 numéros. Engagé dans l’Affaire Dreyfus, il travailla ensuite pour Le Journal du peuple de Sébastien Faure. Il y rencontra Gustave Franssen qui le persuada d’entrer au syndicat des correcteurs pour y faire de la besogne révolutionnaire.
Le Syndicat des correcteurs était alors en conflit avec la très réformiste fédération du Livre. Il prit son autonomie après le congrès fédéral de 1900 et se constitua en syndicat national. Admis au sein de la CGT, Albin Villeval en fut le représentant au comité confédéral. Cependant, ses effectifs étant trop faibles, il demanda, dès février 1903, à réintégrer la fédération du Livre. Mais entre-temps, le Livre avait constitué un nouveau syndicat des correcteurs en son sein, ce qui compliquait ce retour.
En 1902, Albin Villeval fut gérant de la Revue sociale des travailleurs du Livre qui fut, pendant un an, l’organe mensuel de la minorité révolutionnaire du Livre.
Au congrès confédéral de Bourges, en septembre 1904, Albin Villeval fut délégué par le Syndicat national et s’opposa violemment à Auguste Keufer et aux réformistes du Livre. À ce même congrès, son père, Joseph Villeval, était délégué par le syndicat des correcteurs affilié au Livre.
En 1905, le Syndicat national des correcteurs finit par réintégrer le Livre. Le duo Villeval-Franssen prit alors rapidement l’ascendant sur l’organisation réunifiée. En quelques mois, avec une équipe de militants jeunes et dynamiques — Pierre Monatte, Syffert, Girard, Delcourt, Chapey*, Grandfils, Lacroix, Halzir Hella*, Robin, etc. —, ils réorganisèrent le syndicat, ses statuts, assouplirent le mode de recrutement et le firent évoluer du corporatisme vers le syndicalisme révolutionnaire. Ce fut le véritable point de départ du syndicat des correcteurs tel qu’on devait le connaître pendant plus de quatre-vingts ans.
Jusqu’à la Grande Guerre, le syndicat mena de nombreuses luttes collectives qui améliorèrent grandement la condition des correcteurs. Le salaire, qui était de 6 francs par jour en 1904, était passé en 1914 à 10 francs pour le service de jour, et à 13,50 francs pour le service de nuit.
Albin Villeval fut secrétaire du syndicat de 1905 à 1909, puis fut remplacé par Franssen, et reprit le secrétariat de 1913 à 1920. Au moment des événements de Villeneuve-Saint-Georges, il fit partie des orateurs de la CGT qui s’exprimèrent sur la tombe de l’ouvrier Marchand, le 4 août 1908. En octobre, il représenta le syndicat au congrès confédéral de Marseille.
Ce n’est pas lui qui entra dans la franc-maçonnerie en novembre 1909, mais son oncle Paul, contrairement à ce qui a pu être écrit.
À partir de 1911, il collabora à La Bataille syndicaliste, quotidien officieux de la majorité syndicaliste révolutionnaire de la CGT.
En 1913, il s’engagea dans l’affaire Couriau. Le 15 décembre, au grand meeting féministe des Sociétés-savantes qui en fut le point d’orgue, il attaqua la politique misogyne de la fédération du Livre aux côtés d’Avril de Sainte-Croix, de Maria Vérone et d’Élisabeth Renaud.
Pendant la Grande Guerre, Albin Villeval approuva dans un premier temps l’union sacrée, et organisa les secours pécuniaires aux familles des correcteurs victimes de guerre. En avril-mai 1918, il collabora néanmoins au journal pacifiste La Plèbe.
Cependant, quand il participa à l’unique conférence fédérale que le Livre organisa pendant la guerre, du 12 au 14 juillet 1918 à Paris, il n’exprima nulle voix dissidente. Au congrès confédéral de Lyon, en septembre 1919, il apparaissait encore comme majoritaire et vota pour le rapport moral.
En janvier 1920, il quitta le secrétariat du syndicat des correcteurs pour devenir secrétaire adjoint de la fédération du Livre, Liochon étant secrétaire. Là, ses positions évoluèrent. Son attachement fondamental à l’unité syndicale lui fit désapprouver la politique d’exclusion des minoritaires menée par les majoritaires, et il s’opposa de plus en plus à Liochon.
Au congrès confédéral d’Orléans, du 27 septembre au 2 octobre 1920, Villeval fut mandaté par deux syndicats majoritaires franc-comtois, et par le syndicat des correcteurs de la Seine qui, lui, se détachant du bloc majoritaire, vota pour la motion Verdier*.
En mars 1921, il donna des souvenirs sur Kropotkine pour le numéro spécial des Temps nouveaux consacré à la mort du grand théoricien. La même année, il adhéra au Parti communiste.
En novembre 1921, il démissionna de son poste de secrétaire adjoint de la fédération du Livre pour protester contre la politique scissionniste de la majorité. Avec Gustave Franssen et le nouveau secrétaire du syndicat, Georges Yvetot, il s’efforça d’empêcher la scission confédérale et défendit la ligne syndicaliste révolutionnaire.
Lorsque la scission fut consommée, Villeval participa, avec Le Guéry*, à une ultime tentative pour maintenir l’unité. Il anima, entre janvier et septembre 1922 un bulletin, Le Trait d’union syndicaliste, réclamant un congrès extraordinaire pour débattre « non sur des personnalités mais sur des programmes ». L’initiative laissa la CGT indifférente, et fut jugée sympathique mais « superfétatoire » par L’Humanité du 29 janvier 1922.
À l’assemblée générale du syndicat des correcteurs du 5 février 1922, Albin Villeval, toujours attaché à l’unité, fit voter le maintien du syndicat à la fois dans la fédération du Livre CGT et dans l’union des syndicats de la Seine CGTU. Le 14 avril, Liochon écrivit au syndicat des correcteurs qu’il serait exclu de la fédération du Livre s’il continuait à cotiser à l’union unitaire de la Seine. Finalement, un référendum fut organisé au sein du syndicat, portant sur trois choix d’affiliation : CGT (73 voix), CGTU (40 voix), autonomie (46 voix). Les syndiqués ayant choisi la CGT, Albin Villeval et tout le bureau du syndicat démissionnèrent. Ils revinrent cependant rapidement sur leur démission, personne n’étant susceptible de prendre la relève.
Le syndicat des correcteurs se maintint donc au sein de la CGT, et Albin Villeval y fut un des animateurs de la minorité révolutionnaire. En décembre 1924, en vue des élections pour le renouvellement du comité fédéral du livre, il emmena une liste alternative à celle de Liochon, mais fut battu.
Après la crise de la fin 1924, qui vit Monatte, Rosmer et Delagarde exclus du PCF, Albin Villeval donna sa démission du parti et appartint au « noyau » de La Révolution prolétarienne. En 1930-1931, approuva l’appel à l’action du Comité des 22 pour la réunification syndicale.
Cependant, après le traumatisme de la scission de 1921, le syndicat des correcteurs était entré en « hibernation » et, pendant plusieurs années, son activité fut résiduelle et routinière. Les assemblées trimestrielles devinrent annuelles, le bulletin interne se raréfia, et le bureau du syndicat ne publia même plus de rapport moral ni financier.
Le réveil vint en mai 1932 quand Gustave Franssen, appuyé par Villeval, Monatte et Louis Lecoin, fit voter le retour aux assemblées trimestrielles et le redémarrage de l’action. L’élection d’Albin Villeval au secrétariat fut alors symbolique de cette renaissance du syndicat des correcteurs, plus que jamais syndicaliste révolutionnaire, et qu’il avait tant marqué de sa personnalité. Il occupa ce poste jusqu’à sa mort, début 1933.
Au congrès confédéral CGT tenu à Paris en septembre 1933, le délégué des correcteurs, Louis Lecoin, lui rendit un hommage appuyé.
Par Jean Maitron, notice revue par Guillaume Davranche
ŒUVRE : Les Amours d’un communard, roman-feuilleton dans L’Humanité en 1911.
SOURCES : Le Journal des débats du 30 juillet 1891 ― La Presse du 5 août 1908 ― Le Gaulois du 18 décembre 1913 ― L’Humanité du 13 juillet 1918, du 6 février 1922 ― Paul Delesalle, « Albin Villeval », La Révolution prolétarienne du 25 février 1933 — compte rendu du congrès confédéral CGT de 1933 ― Bulletin du syndicat des correcteurs, 21e section du Livre, novembre, décembre 1932, janvier-février 1933 — Le Cri du peuple, 25 janvier 1931. — Yves Blondeau, Le Syndicat des correcteurs de Paris et de la région parisienne (1881-1973), supplément au Bulletin des correcteurs n°99, 1973 (confus sur la période 1900-1905) ― René Bianco, Cent ans de presse..., op. cit. ― Constance Bantmann, Anarchismes et anarchistes en France et en Grande-Bretagne, 1880-1914, thèse soutenue à l’université Paris-XIII, 2007 ― Notes de G. Lerouvillois.