MORAY Henri, Joseph [dit Jean de l’Ourthe] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Henri Manceau, Rolf Dupuy, Dominique Petit

Né le 24 mars 1867 à Spa (Belgique) ; ferronnier, plâtrier puis journaliste ; militant libertaire dans les Ardennes françaises et belges.

Henri Moray
Henri Moray

Fils de Mathieu Moray (1829-1900), employé des chemins de fer, et de Marie-Thérèse Englebert (1836-1921), Henri Moray avait une sœur, Marie-Thérèse. Il fréquentait régulièrement la bibliothèque de Charleville (Ardennes), « s’occupant de littérature », cette expérience d’autodidacte, lui sera utile afin d’élaborer, plus tard, une méthodologie pour organiser des bibliothèques au service du peuple.
En novembre 1887, il était secrétaire de la commission d’organisation des bals de solidarité à la salle de la Manufacture à Charleville, en faveur des grévistes de Vivier-au-Court (Ardennes).
Le 8 janvier 1888, il fut nommé secrétaire de la commission de propagande de la Fédération socialiste des Ardennes. À ce titre les billets pour le banquet de l’Étincelle, vendus 2 francs, à l’occasion de l’anniversaire du 18 mars, pouvaient être retirés chez lui, 53 route nationale.
Le 26 avril 1888, il fit une conférence à Monthermé avec Jean-Baptiste Clément, à l’invitation de la chambre syndicale, pour les élections municipales du 6 mai.
En juin 1888, il participait à l’organisation d’une soirée de solidarité avec les grévistes des ardoisières de Rimogne.
En août 1888, Moray était à Rimogne, pour un meeting électoral, ce qui lui valut des reproches d’un groupe d’ouvriers républicains socialistes qui estimaient que ce n’était pas à un belge de venir leur donner des conseils sur ce sujet, puisqu’il ne pouvait pas voter.
Lors de la réunion de la fédération socialiste le 4 novembre 1888, le secrétaire fit la lecture d’une lettre de L. Besse de la Ligue des jeunes travailleurs socialistes de Paris demandant une allocation pour continuer ses conférences, avec Moray, dans les Ardennes. La proposition fut refusée par manque d’argent et Besse continua seul ses réunions.
La même année, il participa à Sedan à la rédaction du journal La Révolution dont le gérant était Achille Baicry ; il y rédigea des articles sur les questions générales du socialisme et diffusa le journal à son domicile.
Un entrefilet paru dans La Révolte du 8 août 1891, montrait qu’il se rapprochait des anarchistes : « Moray à Charleville. Envoyez-nous le montant des numéros que vous désirez ».
Il adhéra au groupe anarchiste "Les Sans-Patrie" créé à Charleville le 18 octobre 1891.
Le 20 février 1892, une perquisition fut opérée au domicile de trois membres du groupe. Le commissaire de police saisit chez Moray deux lettres d’Arthur Loriette (écrit parfois Lorriette), le compagnon de sa sœur, soldat au 132e de ligne, en garnison à Reims. Dans ces lettres, Loriette critiquait le colonel de son régiment. Ces lettres furent remises au colonel qui fit convoquer Loriette pour le réprimander. Celui-ci s’affola et prit la décision de déserter. Il écrivit à Moray en ce sens.
Le 13 mars les anarchistes de Charleville se réunirent, il fut décidé d’aider Arthur Loriette à déserter. Le 14 mars, Moray écrivit, en ce sens, au compagnon Leroux de Reims. Paulin Mailfait était chargé par le groupe d’aller porter cette lettre à Leroux, un compagnon de Reims qui consentait à favoriser la désertion. Le 16 mars, Loriette se rendit chez Leroux qui lui remit des vêtements civils puis il déserta, se rendit à Charleville où il fut arrêté et fit des aveux complets.
Moray s’enfuyait alors en Belgique en compagnie de Paulin Mailfait. Tous deux trouvèrent de l’ouvrage dans une chaudronnerie de Flémalle-Haute où ils arrivèrent le 23 mars 1892. Ils logeaient dans un cabaret où se réunissaient les anarchistes. Le tribunal correctionnel de Charleville le condamna le 30 mars, par défaut, à 3 ans de prison, pour l’affaire de désertion.
En Belgique, Moray prit la parole dans une réunion publique, il fut arrêté par la police belge à la suite des attentats de Liège, puis relâché. La police belge l’avait pris pour Mathieu, le complice de Ravachol.
Le 11 avril, le juge d’instruction de Charleville rendit une ordonnance de non-lieu à propos d’une affaire d’outrage au commissaire de police et d’association illicite, dans laquelle Moray était inculpé. Au cours de l’instruction, la police découvrit chez Moray, une lettre de Bourguer de Reims datée du 19 février 1892, dans laquelle l’anarchiste rémois expliquait qu’il venait d’être condamné à un an de prison par défaut et qu’il allait s’enfuir en Belgique.
Dans la nuit du 1er au 2 mai 1892, un soldat du bataillon des chasseurs éclaireurs rentrait chez lui à Liège, vers 2 heures du matin, lorsqu’il fut suivi par trois anarchistes qui tentaient de le ridiculiser : « Voilà, certes, un fameux défenseur de la patrie » disait l’un, « donne-moi ton fusil, je te montrerai comment on devrait s’en servir » disait l’autre, les quolibets allaient bon train. Agacé, le soldat finit par les mettre en joue, baïonnette au canon. L’un des trois anarchistes tira un coup de feu, sans l’atteindre. Une mêlée s’engagea et un autre coup de feu fut tiré. Arrêtés, on trouva un revolver sur Jamotte mais pas sur Moineau qui avait eu le temps de cacher son arme. Moray fut arrêté en leur compagnie. Il comparut le 18 mai devant le tribunal correctionnel avec Moineau et Jamotte, pour menaces à main armée et rébellion. Moray fut acquitté, Jamotte était condamné à 4 ans de prison, Moineau à 3 ans.
Quant à Moray, il se retrouvait en Belgique sur le pavé, sans un sou. Comble de malheur, il tomba malade et dut entrer à l’hôpital. À peine convalescent, il chercha du travail, mais, sans force, il abandonnait le chantier où il était employé. Il se résigna alors à revenir en France et se constitua prisonnier à la gendarmerie de Vireux (Ardennes), le 7 août 1892. Il fut écroué à la maison d’arrêt de Rocroi (Ardennes) puis à celle de Charleville qu’il dut quitter quelques jours plus tard pour entrer à l’hôpital, où, atteint de la fièvre typhoïde, il fit un long séjour. Là, il écrivit le récit de son voyage en Belgique, odyssée navrante, toute de souffrance et de misère. Moray eut à se plaindre du régime de l’hôpital de Charleville car confia-t-il « à part l’eau bénite, tout le reste manque ». Il sortit de l’hôpital le 28 septembre.
Le tribunal de Charleville le condamna le 6 octobre 1892 à 8 mois de prison, pour complicité dans la désertion de Loriette. Il purgea sa peine dans les prisons de Charleville et de Rethel. Libéré le 22 janvier 1894, il fut reconduit à la frontière, le 10 juin, vers la Belgique, à la suite de l’arrêté du 29 mai 1893. Le père de Moray qui demeurait à Charleville rue du Daga, sollicita auprès du maire, l’autorisation pour son fils de revenir en France mais le préfet refusa cette mesure de clémence.
Il rentra clandestinement en France où, sous le nom de Henri Moreau, il aurait travaillé comme terrassier à Paris, il y fréquentait Bastard. En novembre 1893, il fut hébergé par Jules Balle avec Romans à Hiraumont, écart de Rocroi. Sur dénonciation de l’indicateur de police Henri Cornet, compagnon de Marie Diseur. il fut arrêté le 22 novembre et condamné à 2 mois de prison, pour infraction à l’arrêté d’expulsion qu’il accomplit à la prison de Rocroi. Il fut à nouveau expulsé le 22 janvier 1894. La police saisit sur lui une liste d’adresses, dont celle de Madame Leroux (son mari avait participé à Reims à l’affaire de désertion, puis s’était jeté à l’eau lors d’un transfert avec les gendarmes et était décédé).
Revenu en Belgique, il collabora à plusieurs journaux anarchistes, La Bataille éditée à Namur en 1895-1902, puis l’Insurgé publié à Herstel-Liège en 1903-1909. Il envoya également des articles à La Misère parue à Paris en 1898, à L’Union des Travailleurs éditée à Charleroi (USA) et à l’Insurgé, organe anarchiste de Liège.
En janvier 1895, alors qu’il était colporteur de journaux à Esneux (Belgique) il avait adressé le 31 janvier, une lettre au président de la République française pour demander la levée de son interdiction de séjour afin de lui permettre d’aider ses vieux parents restés en France mais le procureur général de Nancy s’opposa à sa demande, le 14 mars 1895.
Les 7 au 8 avril 1901 il avait, semble-t-il, participer au congrès anarchiste tenu à Bruxelles auquel avaient assisté une trentaine de délégués dont Chapelier, Mestag et Peuchot. Il résidait à cette époque à Liège.
Lors de "l’enquête sur les tendances actuelles de l’anarchisme" lancée dans Le Libertaire par Jean Marestan, il avait répondu : "Mon idéal est une société où tous seraient garantis de la faim, de la soif, de la guerre, de l’ignorance par leur travail qui ne serait plus salarié comme il l’est aujourd’hui...La société de demain, fondée sur la solidarité de tous ses membres, doit être une société d’hommes conscients, respectueux de la vie, de la liberté d’autrui..." Pour y parvenir il préconisait "la suppression de toute armée permanente ou non...faire reconnaître par chacun que les sexes sont égaux et que par conséquent la femme doit avoir les mêmes droits que l’homme...l’éducation en commun des filles et des garçons...combattre les Églises, les dogmes par tous les moyens susceptibles de terrasser les croyances puériles...par la propagande écrite et parlée...le groupement économique de tous les salariés...ma fondation de ligues pour la paix, le désarmement..."
En décembre 1911, il sollicita de nouveau, le retrait de son arrêté d’expulsion mais cette requête fut refusée par le président du conseil.
Sur l’acte de décès de sa mère le 11 mai 1921, il était indiqué qu’il exerçait le métier de surveillant des travaux publics à Charleville. Arthur, Ernest Loriette, tourneur en fer, signait comme gendre de la défunte,
En mai 1949, Moray entra à la maison de retraite La Quiétude au château de Fallais à Braives (Belgique), propriété de la Prévoyance sociale.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article156116, notice MORAY Henri, Joseph [dit Jean de l'Ourthe] [Dictionnaire des anarchistes] par Henri Manceau, Rolf Dupuy, Dominique Petit, version mise en ligne le 16 mars 2014, dernière modification le 29 mars 2021.

Par Henri Manceau, Rolf Dupuy, Dominique Petit

Henri Moray
Henri Moray

OEUVRE : Causeries libertaires, I ; L’Esclave moderne, 1re causerie : le travail, le travailleur, Namur : L. Roman, 1900, 31 p. (Bibliothèque du journal La Bataille). — Causeries libertaires, I ; L’Esclave moderne, 2e causerie : de la réhabilitation du travail, dégénérescence par excès de travail, Namur : L. Roman, 1900, 36 p., (Bibliothèque du journal La Bataille). — Causeries libertaires : bibliothèques ouvrières et socialistes. Namur : L. Roman, 1902, 32 p. (Bibliothèque du journal La Bataille). — Causeries libertaires : l’esclave de l’esclave, Namur : L. Roman, 1902 ? [(Bibliothèque du journal La Bataille)].

SOURCES :
Le Père Peinard, 10 avril 1892 — Etat signalétique des anarchistes étrangers expulsés de France, n°1, mars 1894 — Archives Nationales F7 12504, 12507, BB18 6453 — Archives de la Ville de Bruxelles POL 209-3 — Le Libertaire, 16 janvier 1904 — La Meuse 3, 6, 20 mai 1892 — Médiathèque Voyelles Charleville-Mézières. Archives de la Fédération socialiste des Ardennes. Le Courrier des Ardennes — Archives de la Préfecture de police de Paris, Ba 1499, 1503. — Archives Départementales des Ardennes, 4U 289, 4 U 206, 4 J 4, 2 J 30 (ville de Charleville, état des étrangers). Le Petit Ardennais 23 novembre 1887, 1er mars, 30 avril, 21 juin, 22 août 1888, 7 octobre 1892, 25 décembre 1893 — Archives Départementales de la Marne, 30M74 — Archives Départementales de Meurthe et Moselle, 2U 647 — La Révolte. — Bianco René, 100 ans de presse anarchiste, — Dominique Petit, Terres ardennaise, n° spécial, n° 46, Visages du mouvement ouvrier, mars 1994. — Notes de Marianne Enckell. — Renseignements et photo transmis par Philippe Lambert, de la famille d’Henri Moray. — Notice Henry Moray du Dictionnaire des militants anarchistes.

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