GROS Louis, Marie, François, Xavier [Dictionnaire des anarchistes]

Par Dominique Petit, Thierry Bertrand, Rolf Dupuy

Né le 8 mai 1858 à Nantua (Ain), ouvrier tisseur à Vienne (Isère) et portefaix à Port Saint Louis (Bouches du Rhône). Anarchiste de Vienne.

Le 24 novembre 1876, le tribunal de Fontainebleau avait condamné Louis Gros à un mois de prison pour vagabondage, le 18 août 1877 et le 22 décembre 1877, le tribunal de Paris lui infligea deux amendes de 50 francs pour pêche.
Le 1er novembre 1879, il rejoignit le 61ème de ligne à Toulon. Le 10 décembre 1880, le Conseil de guerre de Marseille le condamna à 2 mois de prison pour s’être endormi en faction. Envoyé, sur sa demande, dans l’infanterie légère d’Afrique, il devint sergent. Gros quitta l’armée au 1er bataillon d’infanterie légère à Mascara le 1er septembre 1884.
A son retour du service militaire, il travailla à Lyon dans un magasin de nouveautés Au nouveau monde jusqu’à la faillite de cet établissement. Gros s’était marié à Claudine Chavrier en novembre 1885, il était père de trois enfants.
Le couple vint s’installer à Vienne où habitait le père de Gros ; il travailla dans la fabrique de draps Ladavières, rue du Fort de la Bastie, jusqu’en 1890. Il avait son métier chez lui et pouvait réaliser un gain moyen de 3 francs à 3, 25 par jour. Sa femme était dévideuse et son salaire était de 1 franc à 1,25 chaque jour.
Gros présida la réunion publique du 30 avril au théâtre de Vienne et y présenta le compagnon Tennevin et Louise Michel à l’assemblée. Il aurait tenu les paroles suivantes : « II faut mettre la maison du fabricant Isérable à l’index et, le jour de la revendication de nos droits, il faudrait y joindre la peau de l’animal ! » Puis encore lors d’une manifestation le 1er mai : « L’usine est une insulte à l’ouvrier. Les châteaux de vos maîtres vous appartiennent , c’est vous qui les avez gagnés : ils sont à vous. Pour obtenir quelque chose, il faut le prendre. »
Il fut élu secrétaire de la commission d’organisation du 1er mai.
Gros fut condamné par contumace à dix ans de travaux forcés pour avoir pris part à l’émeute et pour avoir proféré ces propos. Il s’était enfui de Vienne pour échapper à la prison préventive et pour assurer des ressources à sa famille. Il travailla à Genève chez un confiseur pendant un mois, puis en Italie à Mosso Santa Maria, comme tisseur. Enfin il alla à Port Saint Louis (Bouches du Rhône) comme portefaix, pendant deux ans à la Compagnie de navigation.
Le 7 novembre 1892 il fut arrêté chez un filateur de Marseille où il était employé. Au moment de son arrestation il s’arma d’un couteau mais fut vite maîtrisé par les policiers.
Le 26 novembre 1892, il comparut devant la cour d’assises de l’Isère, accusé d’avoir provoqué directement au pillage, au dégât de denrées, marchandises, propriétés mobilières, commis en réunion ou bande et à force armée, au préjudice du sieur Brocard, provocation suivie d’effet ; d’avoir provoqué directement au meurtre du sieur Isérable, provocation non suivie d’effet.
Dans son interrogatoire, l’accusé affirma qu’il n’était pas anarchiste en 1890, mais simplement socialiste. « Aujourd’hui, dit-il, je suis un militant ; alors, je n’en étais pas un. L’accusation dénature les paroles que j’ai prononcées. J’ai fait voter que la manifestation du 1er mai serait pacifique. »

Gros se défendit avec beaucoup d’énergie. Il fit le tableau de la condition des ouvrières dans les ateliers de tissage, où elles feraient une concurrence terrible aux ouvriers. Elles sont moins payées, et les patrons s’enrichissent ainsi rapidement, tandis que les ouvriers sont des plus misérables.
Les témoins confirmèrent que Gros avait bien dit « il faut se rendre chez Isérable » et qu’il avait provoqué au meurtre et au pillage.

Les jury rendirent un verdict négatif sur la provocation au pillage et affirmatif, avec circonstances atténuantes, sur la provocation au meurtre non suivie d’effet. Le tribunal condamna Gros à trois mois de prison.

Louis Gros fut extrêmement actif de 1892 à 1907 d’abord dans les groupes anarchistes puis dans les syndicats à Toulon, puis surtout à Marseille où il fut fiché comme "militant violent et dangereux". Le 1er janvier 1894, son domicile 14 rue Guérin, comme celui de nombreux militants, avait été perquisitionné. Il organisa de nombreuses conférences publiques qu’il présida parfois et prit notamment la parole avec Sébastien Faure le 11 janviers 1894 au meeting de protestation contre la répression des anarchistes tenu salle de l’ancien Asile de nuit, auquel participèrent 2000 personnes et qui était présidé par C. Menvielle. Lors d’une soirée familiale le 14 janvier et selon la police qui le prénomme Joseph, il y parla « des perquisitions et des tracasseries policières dont les anarchistes étaient l’objet » et ajouta que « le procès de Vaillant, reproduit par tous les journaux anarchistes, a servi beaucoup la cause de l’Anarchie » ; il termina par ces mots du compagnon Lyonnais Bordat : « S’il faut des millions de coups de pioche pour démolir la société actuelle, nous serons des milliards pour les donner et le vieux monde croulera ». Il figura également comme membre du bureau lors des conférences données à Marseille par Sébastien Faure (décembre 1893, janvier 1894, mars 1897, etc).

Délégué par les anarchistes de Marseille au congrès socialiste tenu à Londres en 1896, il en donna un compte rendu à son retour, qualifiant ces assises de « vaste fumisterie combinée à l’avance par des ambitieux et des marchands de boniments » au nombre desquels il rangeait Guesde, Millerand et Jaurès.

Le domicile qu’il occupait 26 rue Guérin, avec sa compagne Claudine Chabrier qui était également militante, fut perquisitionné à de nombreuses reprises, ce qui ne ralentit pas son activité. Sur le plan syndical il prit la parole aux meetings du 1er mai 1896 et 1897 et au cours de ces mêmes années organisa deux conférences sur « le capitalisme » et « les syndicats : passé, présent, avenir ». En novembre 1896, lors de la grève des ouvriers mouleurs-noyauteurs, il prit la parole avec Imbert et Marcellin pour exhorter les ouvriers à poursuivre leur mouvement. En 1898 il donna une conférence sur « l’affaire Dreyfus et l’évolution sociale ». Il participa également à toutes les campagnes d’agitation et de solidarité et, selon la police « préconisait partout la grève générale, se répandant en propos violents contre le patronat, la magistrature et la police ». Le 8 février 1899 il fut condamné à 2 mois de prison et 50 francs d’amende pour "apologie de faits qualifiés de crimes" : lors d’une réunion le 18 janvier au sujet de l’affaire Dreyfus et de l’antisémitisme au bar de l’Alhambra, présidée par les anarchistes Lévy et Chaumel, où anarchistes et socialistes avaient été appelés par un intervenant à s’unir aux républicains, il avait violemment interrompu l’orateur, déclarant notamment à propos des républicains qu’ils considéraient comme des bourgeois : "Cassez-leur la gueule à tous ; ce n’est pas par le bulletin de vote, mais à coup de tampons", que voter en leur faveur c’était "se prostituer pour leur faire des rentes" et terminé son intervention par "Que l’on nous rende ceux qui sont au bagne !".

Il prit part activement en mars 1901 à la grève des dockers au cours de laquelle il prit la parole avec notamment Gourdouze. Le 21 novembre 1906, il était condamné avec Edourd Barrat pour « entrave à la liberté du travail » par le Tribunal correctionnel de Tarascon.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article156213, notice GROS Louis, Marie, François, Xavier [Dictionnaire des anarchistes] par Dominique Petit, Thierry Bertrand, Rolf Dupuy, version mise en ligne le 11 mars 2014, dernière modification le 22 juillet 2021.

Par Dominique Petit, Thierry Bertrand, Rolf Dupuy

SOURCES : Le Temps, 27 novembre 1892, Le Figaro, 13 août 1890, Le Constitutionnel, 9 novembre 1892, Gallica. — « Les anarchistes contre la République, par Vivien Bouhey , Annexe 49. — Arch. dép. de l’Isère 4 U 658. — AD Marseille M6/3347 A, 3347B, 3349, 3350, 3352, 3391, 3392, 3395, 3397, 3400, 3406, 4692 — AD Aix 14U95 quinto — Arc. Nat. BB 186450, F7 12506, 12508. — L’Ouvrier du port, 15 décembre 1906 & 28 février 1907 = R. Bianco « Le Mouvement anarchiste… », op. cit. — AD Var 4M275.

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