Par Jean Maitron, notice revue par Guillaume Davranche
Né le 13 avril 1879 à Mâcon (Saône-et-Loire), mort à Paris le 30 octobre 1931 ; tourneur sur cuivre ; anarchiste et syndicaliste, puis réformiste.
Anarchiste et syndicaliste révolutionnaire « ultra » dans les années 1900, Marius Blanchard fut, de 1909 à sa mort, un des secrétaires inamovibles de la fédération des Métaux, avec laquelle sa trajectoire se confond.
Tourneur-robinettier à Lyon, marié et père d’un enfant, Marius Blanchard était en 1903 membre du groupe anarchiste La Coopération des idées (Lyon 2e) et fréquentait aussi, à l’occasion, le groupe libertaire Germinal. Devenu secrétaire du syndicat des travailleurs sur cuivre de Lyon, il représenta son syndicat, du 12 au 20 septembre 1904, au congrès confédéral CGT à Bourges. Il s’y montra un militant actif, et prit part à plusieurs commissions de travail.
En 1905, ayant gagné la capitale, il était secrétaire du syndicat des décolleteurs et fraiseurs sur métaux de Paris, membre du comité de l’Union fédérale des ouvriers métallurgistes (Ufom) et membre de la commission exécutive de l’union des syndicats de la Seine.
En novembre 1905, l’Ufom le nomma secrétaire régional permanent en Lorraine, afin d’aider à constituer des syndicats CGT dans une région jugée prometteuse. C’est dans ce cadre que, à l’instar de Cavallazzi, Varède, Merrheim, Uhry, Boudoux ou Hannosset, Marius Blanchard fut de ces « commis voyageurs en grèves », particulièrement stigmatisés dans la presse locale car étrangers à la région, et accusés de « vivre » des conflits sociaux qu’ils attisaient. Se livrant à une intense propagande, présent dans tous les conflits sociaux, il écrivit à l’époque de nombreux articles pour Le Cri populaire et La Vie sociale, qui constituent aujourd’hui une des sources principales de l’histoire ouvrière en Lorraine durant les années 1906-1907.
Le 9 avril, il fut arrêté pour s’être battu avec un ouvrier jaune et, le 25 avril, fut condamné, à Briey, à quatre mois de prison. La peine fut confirmée en appel, à Nancy. Le 17 novembre, toujours à Nancy, il fut condamné pour tapage nocturne.
En octobre 1906, il fut délégué au congrès confédéral CGT d’Amiens, et vota la motion antimilitariste et antipatriote de Georges Yvetot.
Le 10 janvier 1907, il fut condamné, à Briey, à un mois de prison pour outrage au commissaire spécial de Villerupt. Il devait bénéficier d’une amnistie le 10 avril 1908.
Le 21 avril, lors d’un meeting à Saulnes, il préconisa l’action directe, l’antimilitarisme et l’antipatriotisme.
En juillet 1907, il joua un rôle actif dans la grève de Raon-l’Étape (Vosges). Le 5 juillet, à Villerupt, il prononça un discours violemment antimilitariste, salua le geste des mutins du 17e R.I. à Béziers et appela de ses vœux la grève générale et la révolution sociale. Après la fusillade du 28 juillet, Blanchard prononça un discours au nom de l’Ufom aux obsèques de l’ouvrier Thirion.
Malgré tous ses efforts, la répression et les divisions du mouvement ouvrier ne permirent pas à Marius Blanchard de multiplier les syndicats ni même de maintenir en activité tous ceux qui existaient à son arrivée à Nancy. Le XIIIe congrès national des ouvriers métallurgistes, tenu à Paris en septembre 1907, discuta longuement de son action en Lorraine et, au vu des maigres résultats enregistrés, décida de supprimer le poste de secrétaire régional. Le congrès, considérant néanmoins que Blanchard n’avait pas démérité, lui confia la propagande au niveau fédéral. Dès lors, il fit de nombreuses tournées dans l’Hexagone, mêlant souvent dans ses meetings syndicalisme, antimilitarisme et antipatriotisme.
Le 1er mai 1908, il représenta la CGT à Bourges. En juin, il appuya la grève de Draveil-Vigneux. Le 13 juin, à Nancy, il prononçait un discours violent contre les « renégats » Briand, Clemenceau et Viviani et appela les ouvriers grévistes à ne pas aller en manifestation sans être armés. Le 27 août, il participa, à Dunkerque, à un meeting de protestation contre la répression de Villeneuve-Saint-Georges. Le 15 septembre, il était à Calais, le 7 décembre à Lille.
À cette époque, il représentait l’union des syndicats de Meurthe-et-Moselle au comité confédéral de la CGT. En octobre 1908, il participa au congrès confédéral CGT de Marseille.
Lors du congrès d’unification des 28, 29 et 30 mai 1909, l’Union fédérale des ouvriers métallurgistes fusionna avec la fédération des Mouleurs et la fédération des Mécaniciens pour donner naissance à la fédération des Métaux. Quatre secrétaires furent élus : Merrheim, Galantus, Lenoir et Verliac. Blanchard semble être resté délégué à la propagande, car il continua de tenir de nombreux meetings en France, sans adoucir le ton.
Du 1er au 3 juin 1909, il représenta les bourses du travail de Grenoble et de Nancy à la conférence des bourses et fédérations. Très remonté contre Griffuelhes à propos de l’affaire de la Maison des fédérations, il déposa, avec Tendero, une motion réclamant la nomination d’une commission d’enquête, et une information détaillée à chaque bourse et fédération. Sa motion recueillit 44 voix, dont celles des réformistes, contre 52 à une motion Luquet plus indulgente.
Marius Blanchard semble à l’époque avoir traversé une grave crise de confiance dans la CGT, et se rapprocha d’Émile Janvion, à qui il donna plusieurs articles pour le journal qu’il lança le 15 novembre 1909, Terre libre. Il y estimait que les catégories « réformiste » et « révolutionnaire » ne signifiaient plus rien à la CGT, et dénonça férocement le fonctionnarisme. Son camarade Boudoux, actif comme lui en Lorraine en 1905-1906, lui répliqua que sa critique était excessive. Blanchard cessa rapidement d’écrire dans Terre libre, quand le journal vira au conspirationnisme antisémite et antifranc-maçon.
Après la démission de Galantus, fin 1909, Blanchard le remplaça. Au secrétariat fédéral, Henri Labbe, Raoul Lenoir, Alphonse Merrheim et lui-même allaient désormais être « les quatre des Métaux » pour plus de dix ans.
Il continua ses tournées de meetings pour la fédération, ne cessant de vilipender le « gouvernement d’assassins » responsable des tueries de Longwy, Raon-l’Étape, Draveil-Vigneux, etc. Le 6 décembre 1909 il était à Lille, le 17 janvier 1910 à Briey. En février, il réorganisa le syndicat des métallurgistes d’Anzin, puis organisa deux grèves dans la région. Du 24 mars au 5 mai, il fit de la propagande dans le Nord. Le 9 juin 1910, il participa au meeting de protestation contre l’arrestation d’Ingweiller* à la Maison commune de la rue de Bretagne. Dans un discours toujours aussi antimilitariste et antipatriote, il vanta la détermination des grévistes du Chambon-Feugerolles (voir Jean-Baptiste Tyr) et d’Hennebont. En juin 1910, il dirigea la grève des métallurgistes de Fraisans (Jura).
Les 4 et 5 juillet 1910, il comparut devant les assises pour avoir été l’un des 16 cosignataires de l’affiche « À bas Biribi » (voir Albert Dureau). Il fut acquitté.
En octobre 1910, il participa au congrès confédéral CGT de Toulouse. De nouveau, il réclama de complets éclaircissements sur l’affaire de la Maison de la fédération et menaça de dire tout ce qu’il savait à la presse, si on esquivait à nouveau un débat public. Dans une longue allocution, il se plaignit ensuite amèrement de l’opacité qui avait entouré cette affaire depuis 1908-1909, et des « procédés dégoûtants » dont on avait usé à l’égard de ceux qui demandaient des comptes : « Eh bien, quand nous avons voulu savoir ce qui se passait, ah ! de suite on a vu qu’il ne faisait pas bon s’attaquer à certaines personnalités. J’ai eu pour ma part toutes les insultes » : réformiste, agent de Briand, etc. Après les explications données par Griffuelhes, Marius Blanchard se déclara satisfait (page 160 du compte rendu) et vota l’ordre du jour lavant l’ex-secrétaire général de la CGT de tout soupçon de malversation. Trente ans plus tard, commentant cet épisode, René de Marmande devait écrire dans Syndicats du 27 avril 1939 : « Costaud, l’œil pétillant de malice et dur à volonté, la lèvre forte sachant porter la santé et découvrir, dans un sourire, des dents serrées qui mordaient à l’occasion, Blanchard, prompt à la riposte, avait pourtant avec Griffuelhes un trait commun : le goût de l’indépendance syndicaliste. »
Le 26 novembre 1910, dans un meeting à Belfort, Blanchard encouragea, à mots couverts, le sabotage. En décembre, il fit campagne en faveur de Jules Durand*.
Les 22, 23 et 24 juin 1911, Marius Blanchard fut délégué par l’union des syndicats de l’Isère à la conférence des bourses et des fédérations. Dans le débat sur les retraites ouvrières, il s’opposa à ce que la CGT choisisse entre capitalisation et répartition, et proposa la fiscalisation, selon une assiette pesant exclusivement sur la bourgeoisie. Il fut de nouveau délégué par l’Isère à la conférence des bourses et des fédérations d’octobre 1917.
Le 18 mars 1912, la Cour d’assises des Deux-Sèvres le condamna à trois mois de prison pour diffamation contre l’armée, suite à un discours prononcé le 15 septembre 1911 à Thouars. En septembre 1912, il participa au congrès confédéral CGT du Havre.
En 1913, il apparut que Marius Blanchard, qui était jusque-là apparu comme un « ultra » de la CGT, avait mis de l’eau dans son vin. À cette époque, la fédération des Métaux, sous l’impulsion de ses quatre secrétaires, fut à l’avant-garde de la « rectification de tir » de la CGT. Elle se manifesta d’abord à la conférence des bourses et des fédérations de la mi-juillet 1913, puis au congrès fédéral des Métaux, tenu du 8 au 11 septembre 1913 à Paris.
Lorsque, en janvier 1914, le syndicat des métaux de la Seine exclut Merrheim de ses rangs, Labbe, Lenoir et Blanchard se solidarisèrent avec lui et refusèrent de le renvoyer du bureau fédéral. C’est finalement le syndicat des métaux de la Seine qui fut exclu de la fédération.
Au début de la Grande Guerre, Marius Blanchard fut réformé (selon un rapport du CDS de novembre 1917). Il put ainsi rester au secrétariat de la fédération des Métaux, qui devait jouer un rôle de premier plan dans la résistance à la guerre et à l’union sacrée. Avec Alphonse Merrheim, il fut également le délégué des Métaux au comité confédéral de la CGT.
De 1915 à 1919, Marius Blanchard connut une évolution politique similaire à celle de Merrheim : opposant ferme à Léon Jouhaux jusqu’en décembre 1917, puis plus conciliant au nom de l’unité ouvrière, il se rallia à la majorité confédérale à partir de juillet 1918, enfin freina les grèves de la métallurgie parisienne de juin 1919 quand elles prirent une allure révolutionnaire.
Après avoir été la première fédération à oser protester publiquement contre la guerre et la politique d’union sacrée de la CGT, la fédération des Métaux s’engagea au sein du Comité pour la reprises des relations internationales puis du Comité de défense syndicaliste (CDS, voir Paul Veber). Puis elle encouragea l’action revendicative. Ainsi, dès le 12 janvier 1917, Blanchard fit partie de la délégation qui, en pleine grève des usines de guerre, négocia avec le ministre Albert Thomas. En décembre 1917, il était à Firminy (Loire) pour soutenir la grève des métallurgistes.
Blanchard assista ensuite à la conférence des bourses et des fédérations tenue les 24 et 25 décembre 1917 à Clermont-Ferrand, qui vit un début d’entente entre Léon Jouhaux et Alphonse Merrheim. Blanchard, de même que Lenoir et Labbe, soutinrent cette réconciliation, et dès lors la politique de la fédération des Métaux devint beaucoup plus prudente. Celle-ci refusa d’appeler au congrès des syndicats minoritaires convoqué par le CDS et l’UD de la Loire les 18 et 19 mai 1918 à Saint-Étienne. D’où le divorce entre les militants de la Loire, radicalisés, et le secrétariat des Métaux, accusé de trahison. Durant la grève de mai 1918, Marius Blanchard, envoyé par la fédération à Saint-Étienne, faillit être lynché par une foule de 1 500 ouvriers en colère. Il en conçut un profond ressentiment contre les « extrémistes » du CDS, à qui il imputa ce « guet-apens ».
Blanchard fut délégué au congrès fédéral des Métaux, du 10 au 14 juillet 1918, où les délégués de la Loire expliquèrent qu’il avait été maltraité parce que les militants pensaient qu’il venait pour étouffer le mouvement. Au congrès confédéral qui s’ensuivit, du 15 au 18 juillet 1918, il apparut que les pacifistes modérés, dont les « quatre des Métaux », devaient choisir entre l’union avec les « extrémistes » du CDS et la réconciliation avec Jouhaux. En conclave avec Labbe, Lenoir, Merrheim, Bourderon et Georges Dumoulin, Blanchard se montra « haineux » contre le CDS, selon Dumoulin. L’entente avec la majorité confédérale fut alors réalisée sur le dos du CDS.
La semaine précédant le 1er mai 1919, Marius Blanchard fut délégué par la CGT pour une tournée de meetings en Aquitaine.
En juin 1919, les grandes grèves de la métallurgie parisienne accélérèrent la mutation réformiste du secrétariat fédéral des Métaux, qui s’efforça de circonscrire les grèves au strict domaine économiques, et d’atténuer leur portée révolutionnaire. Si bien que « les quatre » virent bientôt croître au sein de la fédération des Métaux une minorité de gauche résolue à les chasser de leur poste.
Lors du congrès des Métaux, du 20 au 23 juillet 1921 à Lille, ils furent talonnés par la minorité, mais réélus de justesse. Au congrès confédéral qui s’ensuivit, Blanchard fut un des porte-parole de la majorité. Après la scission confédérale de décembre 1921, il resta à la direction des Métaux CGT avec Merrheim, Labbe et Lenoir.
En 1923, Blanchard était membre de la commission administrative de la CGT et membre du Parti socialiste SFIO. Lorsque Lenoir devint, en 1923, membre du bureau confédéral, Blanchard le remplaça comme secrétaire chargé de la trésorerie fédérale.
En septembre 1930, fut constituée la caisse d’assurances sociales Le Travail. Le 28 septembre 1930, Marius Blanchard fut élu au conseil d’administration de la section de Seine-et-Oise. Deux jours plus tard, il était également élu au conseil d’administration de la section de la Seine.
En décembre 1930, il siégeait toujours au bureau fédéral des Métaux CGT, avec Galantus et Chevalme.
Après sa mort, il fut enterré au Père-Lachaise.
Par Jean Maitron, notice revue par Guillaume Davranche
SOURCES : Arch. Nat. F7/13053 et F7/13771, décembre 1930 — Comptes rendus des conférences CGT de 1909, 1911, 1913, 1917 — comptes rendus des congrès des Métaux de 1907 à 1933 — comptes rendus des congrès CGT de 1904 à 1933 — Terre libre, années 1909-1910 — Le Travailleur parisien, juillet-septembre 1930 — La Voix du Peuple, 1931 — L’Information sociale, 5 novembre 1931 — Maurice Labi, La Grande Division des travailleurs, Les Éditions ouvrières, 1964 — Annie Kriegel, Aux origines du communisme français 1914-1920, Mouton & co, 1964 — Syndicalisme révolutionnaire et communisme, les archives de Pierre Monatte, Maspéro, 1968 — Nicolas Papayanis, « Masses révolutionnaires et directions réformistes : les tensions au cours des grèves des métallurgistes français en 1919 », Le Mouvement social, octobre-décembre 1975 — Serge Bonnet, Roger Humbert, La Ligne rouge des hauts fourneaux, Denoël/Serpenoise, 1981 — Jean-Louis Robert, Les Ouvriers, la patrie et la révolution, Paris 1914-1919, Annales littéraires de l’université de Besançon, 1995.