FOURNIER Pierre [Dictionnaire des anarchistes]

Par Dominique Petit

Né à Roanne (Loire) le 11 octobre 1862 ; tisseur à Roanne ; propagandiste par le fait ; bagnard en Nouvelle Calédonie.

Onze industriels de Roanne se coalisèrent en 1882, dans le cadre d’une Union des fabricants, dans le but de baisser les salaires. Cette union patronale était dirigée par l’un d’eux, M. Bréchard. Une grève s’ensuivit dans dix usines ; pendant 37 jours, 4000 ouvriers se mirent en grève.
Dès le 12 mars 1882, Le Droit social publia des souscriptions en faveur des grévistes et en fut remercié par le comité de grève. Les onze usines en grève nommèrent chacune deux délégués ; et ces vingt-deux délégués formèrent le comité qui dirigea la grève. Il désigna cent cinquante commissaires pour faire « la police » des ouvriers dans la ville et les rappeler au calme. Ils s’acquittaient si bien de leur service que, pendant ces quarante et un jours où près de trois mille ouvriers restèrent sans travailler, il n’y eut pas le moindre trouble. Pierre Fournier était l’un de ces « commissaires ».
Le travail reprit sans que les ouvriers aient rien obtenu, mais en dernier recours l’usine de M. Bréchard fut mise à l’index et la grève y continua. Le 25 avril 1882, la grève se termina totalement, y compris dans cette entreprise. Mais par un « pacte de famine » les industriels se s’entendirent pour ne pas reprendre les « meneurs ».
Parmi eux se trouvait un jeune ouvrier, célibataire de 19 ans, Pierre Fournier.
Le 23 mars 1882, il assista à une réunion formée de délégués et des ouvriers de l’usine de M. Bréchard, Claude Guillot, tisseur chez M. Bréchard annonça la création d’un groupe nommé « Les Vengeurs de la grève », composé d’une vingtaine d’ouvriers dont faisaient partie Gouvert, les frères Dubuis, Dumas et Delaye. Selon l’accusation lors du procès, ce groupe aurait pris la décision d’éliminer M. Bréchard et désigné Fournier pour l’exécuter. Fournier nia et prétendit avoir agi seul. En rentrant de cette réunion, Fournier confiait à sa mère : « dès que la grève sera terminée si je ne trouve pas de travail, je veux en tuer un. »
Sa mère déclara au commissaire de police de Roanne : « Je ne croirai jamais que mon fils a commis ce crime par sa volonté. Le bruit court dans le quartier, qu’il appartenait à une société, que l’on a tiré au sort hier matin, pour désigner celui qui ferait le coup. »
Le 24 mars 1882, après avoir bu un verre d’eau de vie, à 5h du matin, il partit chercher du travail dans plusieurs ateliers mais n’en trouva pas. Désespéré, il rentra chez lui, prit dans l’armoire un revolver que son père cachait sous une pile de linge, reprit quelques verres d’eau de vie, pour se donner du courage. Il erra dans la ville ; rencontrant un ami, il lui montra son arme en disant : « J’attends comme ça onze patrons et j’espère en saler quelques-uns ! »
Vers 13 h, il se rendit rue de la sous-préfecture et croisa M. Bréchard qui partait à son club accompagné d’un négociant. Il sortit son pistolet et le visa à la tête mais la balle ne fit que l’effleurer à la joue. Sans lui laisser le temps de tirer une seconde fois, M. Bréchard lui donna un coup de canne sur la main et fit tomber le pistolet. Le négociant le ceintura et le cloua au sol. Il fut livré à la police.
Amené à la prison de Roanne, il aurait harangué la foule : « Adieux, citoyens, si j’ai fait le coup, c’est pour sauver mes frères les travailleurs de Roanne et de toute la France. Tout ce que je regrette, c’est d’avoir manqué mon coup »
Fournier, interrogé par le juge d’instruction expliqua son geste : « je considérais ce dernier (M. Bréchard) comme la seule cause de la grève et c’est pour cela que j’avais formé le projet de lui donner la mort. »
Le Révolté lui apporta son soutien : « Les socialistes à l’eau de rose qui qualifient cet attentat de « déplorable », parce que le transport de la lutte de classe sur ce terrain brutalement révolutionnaire brouillerait leurs calculs et dérangerait leurs petites combinaisons, auront beau dire que c’est un acte isolé ; ils auront beau décliner toute espèce de solidarité avec cet héroïque enfant perdu, risquant sa liberté, sa vie, son honneur même, pour venger les souffrances du prolétariat, qui avaient été ses propres souffrances, sur la personne d’un de ses pires ennemis, il n’en est pas moins certain que c’est là un fait d’une énorme portée. Le coup de revolver, du Roannais Fournier, venant si tôt après le coup de revolver du Rémois Florion, éveillera certainement plus d’un écho dans les cœurs ulcérés des damnés de l’ordre social, qui, recouvrant soudain la foi, l’espérance, le courage et l’énergie, y reconnaîtront le premier tintement du glas de la société bourgeoise. »
Le Droit social ouvrit une souscription pour couvrir les frais de justice de Fournier mais annonça également que le reliquat, s’il existait, serait destiné à acheter un revolver à l’ouvrier qui déciderait d’imiter l’exemple de Fournier.
Dejoux, le gérant du Droit social ,fut condamné à ce sujet, par la Cour d’assises du Rhône à un an de prison et 200 francs d’amende pour publication d’articles provoquant à la guerre civile.
Le journal dénonça la duplicité des collectivistes qui avaient soutenu la grève : Gabriel Deville n’avait-il pas déclaré : « Cependant, lorsqu’un acte isolé de désespoir se produit ainsi qu’à Roanne, en face de la tentative de châtiment d’un des oppresseurs les plus forcenés de la masse prolétarienne, nous ne pouvons que nous incliner devant le sentiment auquel obéissent les justiciers volontaires comme le citoyen Fournier, tout en regrettant l’inutilité, au point de vue général, de semblables exécutions alors même qu’elles réussissent. »
Le Droit social analysa le geste de Fournier comme un acte de propagande par le fait : « un certain nombre de faits de ce genre, accomplis dans des circonstances favorables comme l’était la grève de Roanne, auraient bien plus de retentissement parmi les masses et seraient surtout bien plus compréhensibles pour les travailleurs encore ignorants des questions sociales que tous les écrits ou discours dont vous pouvez les abreuver, car ces faits auraient l’avantage de parler par eux-mêmes en contribuant à arracher du cerveau des travailleurs ce sot respect de la loi et des situations acquises. »
La Cour d’assises de la Loire accorda les circonstances atténuantes à Fournier qui fit profil bas lors de l’audience (toutefois il ne condamna pas la souscription du Droit social) et le condamna à 8 ans de travaux forcés, qu’il purgea en Nouvelle Calédonie.
Le 21 mai 1882, un groupe de socialistes-révolutionnaires déclarait rejoindre l’anarchisme et se proclamait solidaire de « l’acte de justicier de notre ami et compatriote Fournier et de ceux qui suivront son exemple. » Les correspondances devaient être adressées au compagnon Simon Gay, 75 rue Moulin-Gilbert.
Dès le 2 juillet 1882, Louise Michel venait à Roanne tenir un meeting devant 700 personnes, elle expliqua : « L’acte de Fournier était un acte légitime et je défie que l’on vienne me contredire ! ».
Le 8 février 1886, Pierre Fournier obtint une réduction de la moitié de sa peine ainsi qu’une remise de l’obligation de résidence en Nouvelle-Calédonie. Gracié, il bénéficia en outre d’une mesure de rapatriement gratuit.
Toutefois, l’administration, par erreur accorda ce rapatriement à un autre Fournier, de Lyon. Pierre, aidé par sa famille et un colon, prit alors un navire jusqu’à Diego-Suarez, à Madagascar, où il se trouvait en mars 1887.
Le 24 novembre 1898, il eut un fils, Claude, avec Claudine Bouffaron, son épouse. Ils demeuraient 17 rue Fontalon.
En 1906, Pierre Fournier habitait à Roanne, il était tisseur et demeurait rue de la Berge avec son fils Claude.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article156393, notice FOURNIER Pierre [Dictionnaire des anarchistes] par Dominique Petit, version mise en ligne le 6 mars 2014, dernière modification le 9 novembre 2021.

Par Dominique Petit

SOURCES :
Causes criminelles et mondaines 1882 par Albert Bataille, p.313 — L’Intransigeant 25 mars 1882, 26 mars 1882, 27 mars 1882 — Le Temps 27 mars 1882,11 avril 1882, 22 juin 1882 — ANOM COL H 161 N° matricule 13854 / 1513 — Le Révolté 1er avril 1882 — Le Droit social 9 avril, 4 juin, 23 juillet 1882 — Archives départementales de la Loire 1 M 527, 4 U 238. État civil. Recensement 1906 - Médiathèque de Roanne. Fonds Grelaud (notice Simon Gay) 23 F 56.

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