Par Jean Maitron, notice révisée par Guillaume Davranche
Né à Saint-Junien (Haute-Vienne) le 25 octobre 1884, mort à Chabanais (Charente) le 27 mai 1968 ; ouvrier gantier ; anarchiste et syndicaliste.
Jean Bourgoin quitta l’école à 11 ans et demi pour faire son apprentissage de gantier, et devint ouvrier dans une fabrique à 14 ans et demi.
Son entrée dans le militantisme fut contemporaine de l’importante grève qui, de fin décembre 1901 à la mi-février 1902, paralysa l’usine mégissière du Goth, la plus grande de la ville (environ 300 grévistes). Excédée par l’enlisement des négociations et l’essoufflement du mouvement, une foule ouvrière enfonça les portes de l’usine le 13 février, et en délogea manu militari les jaunes qui y travaillaient. Ce coup d’éclat n’empêcha pas la reprise du travail deux jours plus tard.
L’échec de la grève radicalisa le prolétariat saint-juniaud, tandis que les socialistes apparaissaient dépassés. En juin 1902, Jean Bourgoin cofonda le groupe libertaire Germinal qui compta une soixantaine d’adhérents, pour la plupart jeunes ouvriers gantiers. Par son dynamisme, ce groupe domina pendant plusieurs années le mouvement ouvrier local et l’amena au syndicalisme révolutionnaire. De 1902 à 1914, il diffusa notamment La Voix du peuple de la CGT, Les Temps nouveaux de Jean Grave, Le Libertaire de Matha, L’Anarchie de Libertad et La Guerre sociale d’Hervé. Il organisa également manifestations et conférences, dont une, en octobre 1903, avec Louise Michel. Près de 500 personnes l’accueillirent à la gare et plus de 800 vinrent l’écouter.
Jean Bourgoin fut un des principaux animateurs du groupe Germinal, qui compta également dans ses rangs Jacques Rougier, Pierre Chaillat, Louis Gaillard, Raoul Corcelle ou Léon Dutheil, et marqua toute une génération d’ouvriers saint-juniauds.
Le 8 janvier 1903, à l’occasion d’une grève des gantiers, Jean Bourgoin fut arrêté avec François Ratinaud, suite au saccage de la maison d’un jaune. Ils furent transférés à Rochechouart, ce qui provoqua une manifestation de protestation et, le 30 janvier, étaient condamnés à six jours de prison.
En 1903, Bourgoin fut délégué au congrès national de la Fédération ouvrière de la ganterie tenu à Saint-Junien.
Cette même année, le groupe Germinal engendra la Jeunesse antimilitariste, dont Bourgoin fut le président, et qui adhéra probablement en 1904 à l’Association internationale antimilitariste (AIA). Une affiche intitulé « Aux jeunes soldats », diffusée en novembre 1904, valut un procès-verbal à Bourgoin.
Ce sont de nouveau les militants de Germinal qui, en août 1904, impulsèrent la Jeunesse syndicaliste (JS), certes sous la « tutelle » des syndicats, mais arborant le drapeau noir. Dès sa création, la JS fit adopter six résolutions par la chambre syndicale des gantiers : adhésion à la CGT ; antimilitarisme ; grève-généralisme et action directe ; création de JS dans tous les centres de ganterie ; interdiction de posséder en même temps un mandat syndical et un mandat politique ; propagande dans le journal fédéral Le Gantier.
A l’été 1905, Jean Bourgoin représenta de nouveau le syndicat de Saint-Junien au congrès de la Fédération des Gantiers et obtint qu’elle adhère à la CGT, en fusionnant au sein de la fédération des Cuirs et Peaux.
Le groupe Germinal portait systématiquement la contradiction dans les meetings socialistes. « Nous n’avons rien à attendre des députés et ne devons compter que sur nous-mêmes », déclarait ainsi Bourgoin le 17 décembre 1905. En janvier 1906, il précisait sa conception du syndicalisme : « Nous avons toujours dit que les syndicats étaient de puissants leviers révolutionnaires [...] mais nous n’avons jamais demandé aux travailleurs un certificat d’anarchie pour y adhérer. »
Sous la houlette des anarchistes, Saint-Junien avait, depuis 1902, connu une période de lutte de classe intense. Celle-ci culmina à l’été 1905 avec la grève générale de la mégisserie. L’intervention de l’armée et la déroute des grévistes, en septembre, amorcèrent le déclin du syndicalisme et de l’anarchisme à Saint-Junien.
Le 1er mai 1906 fut le baroud d’honneur du groupe Germinal qui, quasi seul, brava l’interdiction de manifester et affronta les forces de l’ordre. Arrêtés et poursuivis devant le tribunal correctionnel de Rochechouart, Jean Bourgoin et un de ses camarades furent acquittés.
Les anarchistes conservèrent le contrôle du syndicalisme saint-juniaud quelques années encore, avant d’être supplantés en 1908 par le PS.
En 1909, Jean Bourgoin cessa de militer. En 1912, il entra par concours comme auxiliaire à la poudrerie d’Angoulême. Après une carrière laborieuse et divers concours, il accéda aux fonctions les plus importantes de deux services industriels d’État : gestionnaire du service central des poudres et gestionnaire du service des essences des armées. Il fut chargé ensuite d’un cours d’administration et de comptabilité aux élèves ingénieurs des poudres (polytechniciens), et d’un cours aux officiers d’administration de réserve du service des poudres. Il effectua des travaux personnels qui lui valurent diverses marques d’estime de ses chefs.
Il vécut ensuite à Chabanais (Charente) dans une studieuse retraite. En 1964, converti au catholicisme et rallié au gaullisme, il publia un livre de mémoires, Les Antitout, qui constituent un témoignage précieux sur le mouvement ouvrier de Saint-Junien au début du XXe siècle.
Par Jean Maitron, notice révisée par Guillaume Davranche
ŒUVRE : Les Antitout, Debresse, 1964.
SOURCES : L’Ordre, octobre 1905-mai 1907 et Le Combat social, décembre 1907-1909, journaux anarchistes publiés à Limoges — Pierre Cousteix, « Influence des doctrines anarchistes en Haute-Vienne sous la IIIe République », Actualité de l’Histoire de novembre 1955 — Suzanne Faucher, « Le Mouvement ouvrier à Saint-Junien dans l’industrie de la ganterie, 1902-1905 », DES, université de Poitiers, 1957 — Les Antitout, op.cit. — Délivrance, journal publié à Saint-Junien, année 1965 en particulier, pour l’autobiographie postérieure à 1907 — Christian Dupuy, Saint-Junien, un bastion anarchiste en Haute-Vienne (1893-1923), PULIM, 2003.