MOULIN Laurent [Dictionnaire des anarchistes]

Par Yves Lequin, notice complétée par Guillaume Davranche

Né le 27 juin 1885 à Fraisses (Loire), mort le 1er mai 1975 à Montbrison (Loire) ; ouvrier métallurgiste ; anarchiste et syndicaliste.

Laurent Moulin
Laurent Moulin
cc Gremmos

La mère de Laurent Moulin était tailleuse ; son père, forgeron, socialiste, cofondateur du syndicat de l’outillage du Chambon-Feugerolles, et administrateur de la coopérative de consommation La Solidarité – rebaptisée plus tard La Revanche du prolétariat.

Ayant obtenu le certificat d’études en 1896, Laurent Moulin dut quitter l’école à l’âge de 13 ans pour travailler dans une fabrique de boulons (Palle-Bertrand). C’est là qu’il vécut sa première grève, en 1901. Il adhéra alors au syndicat des métallurgistes.

En 1905, il adhéra à la section du Chambon-Feugerolles du Parti socialiste, tout juste unifié, qui comptait une centaine de membres. Il rejoignit aussi la Libre-Pensée. Militant actif, il représenta sa section socialiste dans plusieurs congrès départementaux.

Appelé au service militaire en 1906, il fut réformé n°2 le 5 novembre pour « tuberculose pulmonaire ».

En février 1907 il assista avec passion à un meeting de Jaurès, pour lequel il devait toujours conserver une vive admiration. Il l’écouta une seconde fois, ainsi qu’Edouard Vaillant, lors d’un meeting à l’occasion du congrès national du PS tenu à Saint-Étienne en avril 1909.

En 1909, Laurent Moulin fut cependant gagné au syndicalisme révolutionnaire, puis à l’anarchisme. Durant toute l’année, il fut secrétaire bénévole du syndicat des métaux du Chambon-Feugerolles, et s’abonna à La Vie ouvrière de Pierre Monatte, dès le n°1. A la fin de l’année, sous l’influence de Jean-Marie Tyr, il quitta le PS et rejoignit le groupe anarchiste-communiste du Chambon-Feugerolles, où militaient, outre Jean-Marie Tyr, les jeunes Benoît Frachon et Pétrus Faure.

Ces militants engagèrent l’effort collectif pour l’édification de la Maison du peuple qui vit le jour dans le quartier de la Vernicherie.

Il ne joua pas de rôle dirigeant dans la grève de la boulonnerie du Chambon-Feugerolles, qui dura cinq mois en 1910, étant alors parti travailler à Saint-Étienne (à l’Automoto, puis aux Ateliers du Furan).

Lors des élections législatives du printemps 1910, il se fit embaucher par le candidat socialiste Ernest Lafont pour aider au secrétariat de sa campagne… tout en soutenant la campagne antiparlementaire initiée par les groupes révolutionnaires (voir Jules Grandjouan).

Début 1911, il redevint secrétaire du syndicat des métaux du Chambon-Feugerolles, appointé cette fois, pour une durée de deux ans. Il joua un rôle important dans la seconde grève de la boulonnerie, qui se termina sur une terrible défaite en août, après cinq mois de lutte, dont du sabotage à la dynamite contre certaines usines. Il préféra alors donner sa démission de secrétaire. A Jean-Paul Martin qui l’interviewera au début des années 1970, il expliquera : « Je ne voulais pas donner l’impression à des camarades victimes de la répression patronale, que je continuais à percevoir ma mensualité, alors qu’eux-mêmes étaient à la recherche du pain quotidien ».

Laurent Moulin, comme d’autres (Pétrus Faure, Laurent Torcieux…) préféra alors s’exiler en région parisienne. Il habita quelque temps avec Laurent Torcieux à Alfortville, et travailla comme ajusteur dans une usine d’Ivry-sur-Seine (Seine).

De retour dans la Loire au printemps 1912, il fut embauché dans un petit atelier mécanique créé par son futur beau-frère à Saint-Étienne, et y apprit le métier de tourneur.

Il participa alors le groupe stéphanois des Jeunesses syndicalistes aux côtés de Jean-Baptiste Rascle, Benoît Liothier et Philippe Goy. Durant l’été 1913, le groupe stéphanois des Jeunesses syndicalistes devint un groupe pleinement anarchiste, le Foyer populaire de Saint-Étienne. Liothier en était le secrétaire, et il tenait ses réunions au café Ferriol, sur le cours Victor-Hugo.

En 1914, le ralliement de la CGT à l’union sacrée fut pour lui une « terrible désillusion ». Non mobilisé en 1914, il fut classé dans le service auxiliaire en 1917 pour « adénopathie péribronchique constatée à la radioscopie » et, le 15 mai 1917, fut affecté spécial à l’atelier Simon Garde (celui de son beau-frère ?).

Opposant à la guerre et à l’union sacrée, Laurent Moulin participa à une réunion à Décines (Isère), à l’automne 1915, où Alphonse Merrheim raconta la conférence de Zimmerwald. Par la suite, il fut un relais constant du Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI) dans la Loire. Il en diffusa les brochures, dont il cachait les paquets dans une soupente de l’atelier où il travaillait.

Le Manifeste des Seize (voir Jean Grave) lui fit l’effet d’une « douche froide ». Pour sa part, Laurent Moulin coanima les Amis stéphanois de Ce qu’il faut dire, le journal pacifiste de Sébastien Faure, avec Philippe Goy et Samuel Rousset.

Au cours de l’hiver 1917-1918, il intervint à Firminy lors d’un événement de soutien à l’orphelinat d’Épône, tenu par Madeleine Vernet.

Le 2 février 1918, il participa à une manifestation sauvage et nocturne à Saint-Étienne, entre la bourse du travail et la préfecture. À l’issue d’une réunion corporative, 400 à 500 personnes manifestèrent ainsi en chantant L’Internationale et en criant des slogans hostiles à la guerre. Les syndicalistes (dont Laurent Moulin et Samuel Rousset) enjoignirent ensuite les manifestants à se disperser avant l’arrivée de la police.

Du 18 au 26 mai 1918, il prit part à la tentative de grève générale pour la paix, dont l’épicentre fut Firminy et la métallurgie de la Loire (voir Clovis Andrieu).

Une fois la guerre finie, il fut actif dans la minorité révolutionnaire de la CGT, participant au chahutage des meetings tenus par les dirigeants confédéraux ou socialistes d’union sacrée.

Démobilisé le 5 avril 1919, il quitta la France fin mai pour l’Algérie où il travailla dans la métallurgie. Il cessa son activité politique et ne maintint que son activité syndicale, à la CGT. Il continuait à lire L’École émancipée et, à la fin des années 1930, Syndicats, organe syndicaliste de sensibilité antistatinienne. Il prit sa retraite en 1955, à l’âge de 70 ans, et revint s’installer en France, dans la Loire, en 1962.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article156593, notice MOULIN Laurent [Dictionnaire des anarchistes] par Yves Lequin, notice complétée par Guillaume Davranche, version mise en ligne le 24 février 2014, dernière modification le 16 octobre 2022.

Par Yves Lequin, notice complétée par Guillaume Davranche

Laurent Moulin
Laurent Moulin
cc Gremmos

ŒUVRE : Regards sur une vie, 257 p., notes autobiographiques inédites utilisées par Jean-Paul Martin, op. cit.

SOURCES : Registres matricules de la Loire. — Arch. Nat. F7/13053. — Arch. Dép. Loire, 19 M 30. — Petrus Faure, Le Chambon rouge, Histoire des organisations ouvrières et des grèves au Chambon-Feugerolles, Le Chambon, 1940. — Jean-Paul Martin, « Le Syndicalisme révolutionnaire chez les métallurgistes de l’Ondaine, 1906-1914. Aperçus sur un type de comportement ouvrier », mémoire de maîtrise, université de Saint-Étienne, 1971. — Jean-Paul Martin, « Laurent Moulin (1885-1975) : le parcours singulier d’un ouvrier chambonnaire, du syndicalisme révolutionnaire à l’Algérie », Le Monde ouvrier face à la Grande Guerre. Le bassin de Saint-Etienne de 1910 à 1925, Gremmos/Actes graphiques, 2018.

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