Par René Bianco, notice révisée par Guillaume Davranche
Née Marie Gouranchat le 24 avril 1878 à Lesterps (Charente), morte le 16 juin 1969 à La Ciotat (Bouches-du-Rhône) ; syndicaliste socialiste, puis communiste, puis sympathisante libertaire.
Marie Gouranchat quitta l’école des sœurs à l’âge de 12 ans, après avoir obtenu son CEP. À 17 ans, elle décida de devenir institutrice. Entrée à l’École normale d’Angoulême en 1897, elle fut nommée à Beaulieu-sur-Sonnette (Charente). Elle y fit la connaissance du cantonnier du village, François Mayoux, qui allait, le 21 août 1902, devenir son époux. Elle l’aida à s’instruire et à devenir lui-même instituteur.
Socialistes, les Mayoux rejoignirent le PS dès 1905, et furent des pionniers du syndicalisme dans l’enseignement. En 1905, une Fédération nationale des syndicats d’instituteurs (FNSI) fut constituée par de jeunes enseignants à l’esprit frondeur, qui publiaient la revue L’École émancipée. En 1909, la fédération s’adossa à la CGT, sans pouvoir y adhérer officiellement, la syndicalisation des fonctionnaires étant en effet illégale, quoique tolérée.
Ce couple anticonformiste pour son milieu ne tarda pas à avoir des démêlés avec directeurs, maires et administration pour des motifs divers. Dès 1904, on reprocha ainsi à François de sortir dans la rue en sabots, et à Marie de sortir sans chapeau. Cela leur valut d’être mutés dans une commune voisine. François fut muté de nouveau en 1906, pour avoir voté hors de sa circonscription. En 1911, favorable à la coéducation des sexes, le couple organisa des promenades scolaires mixtes. La hiérarchie les menaça de sanctions, et la FNSI prit leur défense.
Dès cette époque, tout en gardant leur carte d’adhérents, ils ne militaient plus guère au PS, où ils étaient considérés comme « hervéistes » ou « anarchisants ».
Le congrès de la FNSI des 16 et 17 août 1912 à Chambéry fit grand bruit en votant la mise en place d’une caisse du Sou du soldat. Sous la pression de la presse patriote, le gouvernement décréta alors la dissolution des syndicats d’instituteurs. Une partie d’entre eux résista. Pour leur part, les époux Mayoux furent les principaux rédacteurs du « Manifeste des instituteurs syndiqués » qui recueillit 800 signatures.
En 1913, le couple lança L’Action corporative, organe des syndicats d’instituteurs de Charente, Dordogne et Haute-Vienne.
Vint la guerre. François Mayoux, qui avait été réformé pour tuberculose en 1908, fut mobilisé lors de la révision de février 1915, et versé dans l’auxiliaire, à l’hôpital de Brive. Pendant son absence, Marie devint une des animatrices de la fraction pacifiste de la FNSI.
Dès le 13 juin 1915, elle organisa une réunion d’une vingtaine de délégués de la FNSI. Malgré les divergences de vues, elle obtint qu’on lui confie la rédaction d’un premier manifeste pacifiste, « Assez de sang versé ». Signé des syndicats de la Charente et des Bouches-du-Rhône, ainsi que de nombreux syndiqués individuels, il fut imprimé à 5.000 exemplaires à Saumur le 1er juillet 1915, et valut à ses auteurs un avertissement de la hiérarchie.
Avec Louis Bouët, Marie Guillot, Julia Bertrand* et Raffin, Marie Mayoux fut ensuite une des protagonistes du congrès fédéral du 14 août 1915 à Paris, qui donna la majorité aux opposants à la guerre.
Le 15 octobre 1915, François Mayoux fut de nouveau réformé, et reprit son poste d’instituteur en Charente.
En avril 1916, Marie Mayoux devait représenter la FNSI à la conférence de Kienthal mais le préfet de la Charente lui interdit de se rendre en Savoie, d’où Lucie Colliard devait lui faire passer la frontière.
En juillet 1916, les époux Mayoux réactivèrent la section PS de Beaulieu-Cloulas-Dignac, et lui fit voter des félicitations aux trois parlementaires socialistes qui s’étaient rendus à Kienthal. La fédération PS de la Charente évolua cependant vers le longuettisme, tandis que les Mayoux se classaient dans la fraction la plus à gauche du Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI), puis du Comité de défense syndicaliste (CDS). Ils donnèrent des articles à Ce qu’il faut dire, le journal pacifiste de Sébastien Faure*.
En mai 1917, ils publièrent, sans le visa de la censure, Les Instituteurs syndicalistes et la guerre, une brochure d’un format permettant l’envoi dans une simple enveloppe. Diffusée dans les syndicats de la FNSI, elle entraîna de nombreuses perquisitions et les époux Mayoux furent inculpés. Ils subirent une première condamnation devant le tribunal correctionnel d’Angoulême, mais firent appel. Le 29 décembre 1917, ils étaient condamnés par la cour d’appel de Bordeaux à deux ans de prison et 1 000 francs d’amende. Ils furent révoqués à dater du 1er janvier 1918.
Les 18 et 19 mai 1918, ils participèrent au congrès des syndicats minoritaires à Saint-Étienne (voir Charles Flageollet), où Marie se prononça pour la scission de la CGT. Durant les débats, ils reçurent leur convocation pour être écroués. Ils furent incarcérés le 23 mai 1918, lui à la Santé, elle à Saint-Lazare. Leurs meubles furent mis en vente, et le syndicat des fondeurs de Ruelle (Charente) se porta acquéreur, tandis que la FNSI lançait une souscription pour les soutenir.
Au bout d’une semaine, tandis que François était envoyé à la prison de Clairvaux, Marie était transférée à Montpellier. Elle fit la grève de la faim pour le régime politique, qu’elle obtint en septembre 1918. Finalement, graciée malgré elle, elle fut libérée le 1er avril 1919.
Du 15 au 21 septembre 1919, elle fut déléguée (minoritaire) des Instituteurs de Charente-Inférieure au congrès confédéral CGT de Lyon.
François fut libéré en octobre, suite à une amnistie.
Dans une lettre en date du 3 novembre 1919 (« Pourquoi nous quittons le Parti socialiste »), les Mayoux expliquèrent qu’ils quittaient le PS parce qu’ils considéraient désormais qu’« envoyer des délégués dans les assemblées bourgeoises, c’est faire de la collaboration de classes ». À la même période, sur proposition d’Audoye, un instituteur syndicaliste de Marseille, le congrès de l’UD CGT des Bouches-du-Rhône (minoritaire) désigna François Mayoux à son secrétariat.
Les époux Mayoux s’installèrent donc dans la Cité phocéenne.
Durant toute la période 1919-1922, ils furent parmi les animateurs les plus en vue de la minorité révolutionnaire de la CGT, y tenant une position originale : ils réclamaient l’adhésion à l’Internationale de Moscou, sous la réserve d’une absolue autonomie syndicale. Ils cosignèrent l’appel à former des comités syndicalistes révolutionnaires (CSR) paru dans L’École émancipée du 6 décembre 1919.
Marie et François Mayoux furent délégués au congrès confédéral CGT d’Orléans, du 27 septembre au 2 octobre 1920. Dans son discours, Mayoux s’affirma « personnellement » pour la scission confédérale, regrettant seulement que la situation ne soit « pas mûre ». Il plaida également pour que la CGT rejoigne l’internationale de Moscou, tout en se déclarant « plus attaché que jamais » à l’autonomie syndicale. La motion d’orientation soutenue par la minorité confédérale était cosignée Mayoux, Tommasi et Godonèche*. Elle obtint 552 voix, contre 1.515 à la motion du bureau confédéral et 44 à une motion déposée par Guillaume Verdier*.
En marge du congrès confédéral fut tenue une conférence minoritaire qui fonda les Comités syndicalistes révolutionnaire (CSR).
Quelques semaines plus tard, après le congrès de Tours du PS, ils adhérèrent au tout nouveau Parti communiste.
En juillet 1921, ils furent délégués par plusieurs syndicats de l’enseignement et des Bouches-du-Rhône au congrès confédéral CGT de Lille. François Mayoux y apparut de nouveau comme un des principaux orateurs de la minoritaire révolutionnaire, mais à cette date il s’était rallié à l’idée qu’il fallait éviter une scission confédérale. Il réaffirma : « Nous voulons aller à Moscou sous cette réserve formelle et catégorique que l’autonomie syndicale nous soit accordée. »
À l’automne 1921, au congrès de l’UD des Bouches-du-Rhône, les révolutionnaires ne conservèrent la majorité qu’à une voix près. Mayoux préféra ne pas représenter sa candidature au secrétariat et fut remplacé par Matton. François et Marie vécurent alors chichement, en vendant du savon et de l’huile. François travailla également comme correcteur dans la presse, au Radical puis au Sémaphore.
Ils assistèrent à l’assemblée extraordinaire des syndicats minoritaires, tenue du 22 au 24 décembre 1921 à Paris, qui entérina la scission confédérale. Dans la foulée, ils furent délégués au Ier congrès du PCF, tenu du 25 au 30 décembre 1921 à Marseille.
En mai 1922, Marie Mayoux fut candidate du PCF au conseil d’arrondissement dans le 11e canton de Marseille. Inéligible puisque femme, elle obtint 460 voix sur 9 281 inscrits.
Au Ier congrès confédéral de la CGTU, du 25 juin au 2 juillet 1922 à Saint-Étienne, les Mayoux se classèrent dans la tendance Besnard. Leur position fut cependant très minoritaire au sein de la Fédération unitaire de l’enseignement qui, derrière Louis Bouët et Marie Guillot, était largement acquise à Monmousseau.
Les Mayoux étaient alors la bête noire de la direction communiste, et ce jusqu’à Moscou, où Trotsky réclama leur éviction. Ils furent exclus du parti par 1.203 mandats contre 780 à l’occasion du IIe congrès du PCF, tenu en octobre 1922 à Paris.
En octobre 1924, ils furent enfin réintégrés dans l’Instruction publique et nommés à Cadolive (Bouches-du-Rhône). Ils adhérèrent alors au syndicat des instituteurs CGTU, et Marie fut membre du conseil syndical, jusqu’à sa démission en juillet 1925. Dès le début, les Mayoux s’opposèrent aux communistes qui dirigeaient le syndicat. Le 15 février 1925, ils lancèrent un bulletin mensuel intitulé Notre point de vue, sous-titré « Pour un syndicalisme indépendant dans l’enseignement ». Tiré entre 400 et 1.000 exemplaires, il eut jusqu’à 150 abonnés.
Le 30 mai 1929, François Mayoux fut exclu du syndicat. On lui reprochait d’avoir déclaré que les dirigeants de la fédération de l’enseignement étaient appointés par Moscou. Il protesta en vain. Quatre mois plus tard, Marie démissionna. Ils se rapprochèrent alors plus nettement du mouvement anarchiste et collaborèrent à La Voix libertaire.
Ils furent réintégrés dans le syndicat lors de la réunification confédérale de 1935. Cependant, Marie avait pris sa retraite en janvier. François la prit à son tour en janvier 1937.
Durant la Révolution espagnole, les Mayoux collaborèrent à Terre libre, organe de la Fédération anarchiste de langue française.
En 1939, ils figuraient sur le carnet B et, s’ils ne prirent pas position publiquement lors de la déclaration de guerre, c’est que leur fils, Jehan Mayoux*, insoumis, leur avait demandé de n’entreprendre aucune action risquant de les conduire en prison, afin qu’ils puissent éventuellement aider sa femme et son fils pendant que lui-même serait détenu.
Après la Seconde Guerre mondiale, François et Marie Mayoux vécurent retirés à La Ciotat, et collaborèrent à des publications libertaires comme Ce qu’il faut dire puis Contre-Courant, de Louis Louvet*, Défense de l’homme de Louis Lecoin, puis au Monde libertaire, organe de la Fédération anarchiste.
Par René Bianco, notice révisée par Guillaume Davranche
ŒUVRE : Les Instituteurs syndicalistes et la guerre, Dignac, 1917 — Notre affaire, Épône, 1918.
SOURCES : Arch. Nat. F7/13581, 13583 — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, IV M 16, M6/11249 (rapport du 10 décembre 1939) — Notes biographiques rédigées par les intéressés, 21 juillet 1965 — Compléments d’Yvonne Mayoux — Notes de Jean Maitron et A. Olivesi. — Le Communiste, du 7 décembre 1919. — Le Bulletin communiste du 2 novembre 1922 — Le Petit Provençal du 15 mai 1922 et 16 avril 1934 — Max Ferré, Histoire du mouvement syndicaliste révolutionnaire chez les instituteurs, Société universitaire d’éditions et de librairie, 1955 — Annie Kriegel, Aux origines du communisme français, Mouton & co, 1964 — Le Monde libertaire de sept.-oct. 1967 — L’École émancipée, 18 novembre 1967 —René Bianco, « Un siècle de presse anarchiste… », op. cit. — François Mayoux, Marie et François Mayoux, instituteurs pacifistes et syndicalistes. Mémoires, Canope, 1992.