DUMAS Roland [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 23 août 1922 à Limoges (Haute-Vienne, France) ; en 1960, défenseur de Francis Jeanson et de membres arrêtés de son réseau d’aide en France à la lutte algérienne et avocat de signataires de la déclaration sur l’insoumission dans la guerre d’Algérie, porteur devant le tribunal du message de J.-P. Sartre ; militant de l’UDSR, de la CIR puis du PS ; député de la Haute-Vienne (1956-1958) ; membre du comité central de la Ligue des droits de l’Homme en 1963-1964 ; ministre des Affaires européennes (1983-1984), ministre des Relations extérieures (1984-1986), puis ministre des Affaires étrangères (1988-1993) ; président du Conseil constitutionnel (1995-2000).

Une rue de Limoges porte le nom de son père, Georges Dumas, directeur de l’octroi et des régies municipales de la ville, membre du parti socialiste clandestin, chef départemental puis régional du Noyautage des administrations publiques sous l’occupation allemande, arrêté par la Gestapo le 24 mars 1944 et fusillé à Brantôme, le 26, avec vingt-quatre autres résistants. Âgé d’une vingtaine d’années, Roland Dumas participe lui aussi à la Résistance ; il convoye des armes dans la région de Grenoble pour les maquis ; il est arrêté par la police française à la suite de l’organisation du boycottage de l’Orchestre philarmonique de Berlin par les étudiants.

Après la guerre, Roland Dumas reprend ses études de droit à Paris, obtenant une licence, complétée par des diplômes de la London School of Economics, de l’École libre des sciences politiques et par une formation à l’École des langues orientales. Il s’inscrit au barreau à la cour d’appel de Paris à partir de 1950. Il est également journaliste de 1949 jusqu’en 1955, chef du service étranger à l’Agence économique et financière (AGEFI) et à L’Information. L’avocat est mis en vedette dans deux affaires politiques : l’affaire Guingouin qui met en cause le chef communiste de la Résistance en Limousin, et l’affaire Jean Mons (liée à l’« affaire des fuites ») dans laquelle François Mitterrand, ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès France, est accusé par des responsables policiers d’extrême droite de communiquer les comptes rendus du comité de la Défense nationale à la direction du Parti communiste.

Roland Dumas se sent proche de Pierre Mendès-France, y compris en matière de décolonisation tout en étant lié à François Mitterrand qui en rivalité avec René Pleven, dirige le petit parti d’appoint : l’Union démocratique et socialiste de la Résistance. En 1956, c’est comme apparenté à l’UDSR que Roland Dumas siège à la Chambre des députés ; il a été élu le 2 janvier, « socialiste indépendant », mis au premier rang sur une liste dissidente de la SFIO par Gaston Charlet, premier adjoint au maire de Limoges et sénateur de la Haute-Vienne, exclu de la SFIO pour avoir voté contre le traité de la CED. Roland Dumas était directeur politique du journal de Charlet et de ses amis, Le Socialiste limousin.

Connu pour ses goûts et relations dans les milieux artistiques et littéraires de la vie parisienne, il appartient à la commission de la presse et à celle de la production industrielle dont il est élu secrétaire. Il dépose huit propositions de loi et deux de résolution et émet un avis au nom de la commission de la presse sur le projet de loi sur la propriété littéraire et artistique (14 décembre 1956). Il est également rapporteur pour avis, au nom de la même commission, et présente sept amendements sur divers articles du projet de loi concernant les œuvres cinématographiques.

Face à l’insurrection algérienne, il approuve le gouvernement de Guy Mollet et François Mitterrand et vote « les pouvoirs spéciaux » en mars 1956. C’est un an plus tard qu’il manifeste son inquiétude à l’occasion de la reconduction de la loi du 16 mars 1956 autorisant le gouvernement à mettre en œuvre des mesures exceptionnelles compte tenu de la situation intérieure ; Roland Dumas fait adopter, par 380 voix contre 103, un amendement visant à empêcher l’assignation à résidence en Algérie des individus réputés « dangereux ». Par ailleurs, il vote contre la ratification du traité de Rome qui institue la Communauté économique européenne. Il fait partie, avec François Mitterrand, des quatre députés sur quatorze de l’UDSR, qui refusent l’investiture du général de Gaulle le 1er juin 1958. Suivant Pierre Mendès-France, il participe aux Forums de l’Express, le journal de J.J. Servan Schreiber, en éveil sur l’Algérie et ouvert à une solutin négociée.

Volontiers dissident tout en aimant le luxe et la vie mondaine, il se sent proche de l’opposition à l’intérieur de la SFIO, de la tendance marquée par le protestantisme, acquise aux idées de droit et à l’esprit de la Résistance autour d’André Philip. Ce courant soutient la dissidence du Parti socialiste autonome avant la formation du PSU alliant l’Union de la Gauche socialiste ; au cabinet de Roland Dumas, travaille Christiane Philip, fille d’André Philip, qui n’est pas sans contact avec la CIMADE à laquelle s’adresse tout particulièrement Henri Curiel* dans son action d’aide aux partisans algériens. Quand se resserrent à l’hiver 1959, la surveillance policière et les risques d’arrestations sur le réseau Jeanson*, celui-ci s’adresse à Henri Curiel* pour avoir l’assistance d’un avocat. C’est par Christiane Philip qui ensuite va entrer dans la vie de Francis Jeanson*, que s’opère la mise en relations. Henri Curiel* était sensible à l’audace de Roland Dumas, capable de jouer à fond un coup pour une cause faisant choc sur l’opinion dominante et le monde politique.

C’est comme avocat de Francis Jeanson* que Roland Dumas joue un rôle moteur dans le procès du réseau. Après les arrestations des membres les plus actifs, laissant cependant Jeanson en cavale, Roland Dumas a des rencontres cachées avec son client, jugé donc par contumace, pour le tenir informé des charges du dossier pesant sur lui et les accusés, en particulier du suivi par la DST. Pour avoir accueilli le couple Francis Jeanson et Chritiane Philip à Varengéville, sur la côte normande, il est gratifié du surnom de « docteur Varenge » que les services de renseignements ne semblent pas percer.

Pour conduire la défense, la rencontre fort vive avec Jacques Vergès*, qui pratique la défense de rupture faite d’affrontements, de contestations et de sorties du tribunal arguant que les Algériens ne sont pas Français, un partage des rôles est instauré. À Vergès, au nom du FLN, provoquer les juges militaires et récuser la justice française. Roland Dumas défend les accusés français, mais sur un accord en trois points : faire durer le procès, retourner les accusations en dénonçant violences et tortures sur les partisans de la lutte algérienne, démontrer à toute occasion que l’Algérie n’est pas la France. Francis Jeanson* donne pour instruction : « Pas de rupture avec le FLN, mais il faut garder la maîtrise du procès ». Alors que Gisèle Halimi* refuse ces conditions, Roland Dumas s’engage avec énergie dans cette mission qui le fait apparaître comme un combattant ou un partisan radical de l’indépendance, puisqu’il est amené à rivaliser avec cet autre battant du prétoire qu’est Jacques Vergès*.

En septembre 1960, le procès devient aussi celui des signataires du Manifeste des 121, « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie ». Roland Dumas tient le premier rôle car il est l’avocat de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir. En séjour au Brésil, Jean-Paul Sartre ne peut répondre à sa citation ; il a envoyé un télégramme disant se tenir aux côtés des insoumis, confié « aux bons soins de Maître Roland Dumas ». Les proches de l’écrivain au comité des Temps Modernes vont aller plus loin avec son accord téléphonique obtenu par Claude Lanzmann ; Marcel Péju adapte un texte paru dans Vérités pour… ; la signature de Sartre est imitée par Siné, et le texte dactylographié joint au télégramme. Le point culminant est atteint par la lecture fort rhétorique de Roland Dumas ; l’effet est tel que personne ne vérifie rien.

Tout en ayant des réserves sur des formulations de la lettre, J.-P. Sartre a assumé. Dans ses mémoires, Claude Lanzmann fait remarquer, que l’assentiment total donné au combat du FLN jusqu’à en faire un exemple de finalité révolutionnaire valable pour le mouvement en France, dépasse le point de distinction entre cause algérienne et adhésion partisane auquel ne cèdent ni Roland Dumas ni Jean-Paul Sartre. Après l’indépendance, cet attachement au FLN, au titre de la « Révolution algérienne », a une part dans la mise à l’écart de Marcel Péju, de la rédaction des Temps modernes en 1963. A cette époque, au bénéfice de ses actions d’éclat au procès Jeanson et des 121, Roland Dumas siège au Comité central de la Ligue française des droits de l’homme.

Roland Dumas appartenait dans ces années au Club des Jacobins (gauche du Parti radical) qui rassemble après 1956 des élus de gauche critiques de la politique de Guy Mollet. En 1959, il adhère momentanément au Parti socialiste autonome sans suivre au PSU. Avec François Mitterrand et d’autres membres du club des Jacobins, il prend part à la création de la Ligue pour le combat républicain qui, en 1963, s’associe au Club des Jacobins. Début 1964, le regroupement des clubs donne naissance à la Convention des institutions républicaines (CIR) qui en s’élargissant se transforme en 1965 en une « fédération démocrate et socialiste », à l’origine de la FGDS. Roland Dumas se fait l’un des principaux acteurs de la campagne présidentielle de François Mitterrand.

En mars 1967, il est élu député CIR-FGDS de la Corrèze battant le gaulliste Jean Charbonnel qui le défait ensuite aux élections de 1968, après le retour au pouvoir du général De Gaulle. Lors de ses années de traversée du désert, de 1968 à 1971, il demeure un soutien de François Mitterrand. Même s’il ne prend pas de responsabilité au sein de la direction du Parti socialiste au lendemain du congrès d’Épinay, avec Georges Dayan*, Roland Dumas participe activement la constitution de la future majorité du PS, autour de François Mitterrand. Député de la Dordogne (1981-1983, 1986-1988), il entre au gouvernement : ministre des Affaires européennes (1983-1984), ministre des Relations extérieures (1984-1986), puis ministre des Affaires étrangères (1988-1993).

Alors que pour la gauche, François Mitterand porte l’opprobe de ses déclarations et de ses actes sous le gouvernement de Guy Mollet en 1956 dans la guerre d’Algérie, pour sa défense des partisans de la cause algérienne, Roland Dumas apparaît comme le préposé d’une politique extérieure prenant en compte les luttes de libération, ce qui n’empêche pas de servir la consolidation du pôle européen franco-allemand (traité de Maastricht) et d’intervenir dans la crise yougoslave en 1992 (voyage de F.Mitterand à Sarajevo). Proche de nombreux dirigeants arabes, Roland Dumas explique dans ses mémoires, son rôle dans l’évolution de Yasser Arafat à propos de l’État d’Israël (la déclaration le 2 mai 1989, à Paris, du président palestinien sur le caractère « caduque » de la Charte de l’OLP adoptée en 1964 et prônant la destruction de l’État juif). Battu aux élections de 1993, Roland Dumas n’appartient plus au gouvernement.

Avocat dans l’« affaire Markovic », en 1969, Roland Dumas avait gagné encore en célébrité en étant le défenseur de Pablo Picasso, Jean Genet et Jacques Lacan, mais aussi celui du Canard enchaîné, dans l’« affaire des micros » posés par des agents de la DST (les « plombiers »), puis dans l’« affaire des diamants » offerts par le président centrafricain Jean Bedel Bokassa au président Giscard d’Estaing (procès de 1979).

En 1995, Roland Dumas est nommé par François Mitterrand, membre et président du Conseil constitutionnel. Mis en cause par la justice, Roland Dumas décide de suspendre l’exercice de ses fonctions le 24 mars 1999, puis démissionne du Conseil constitutionnel le 1er mars 2000. Condamné par la justice à six mois de prison ferme en 2003, il fait appel et le tribunal le relaxera. À ses heures, il reprend position sur les Affaires internationales et dans le débat politique, sans faire oublier les lourds secrets des compensations financières dans les exportations d’armement (frégates dites de Taïwan), ni les à-côtés de sa vie mondaine.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article156933, notice DUMAS Roland [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 21 février 2014, dernière modification le 21 février 2014.

Par René Gallissot

ŒUVRE : Pour son témoignage : J’ai vu vivre la Chine, Fayard, 1960. — Les Avocats, Grasset, 1977. — Le Fil et la Pelote, Plon, 1996. — L’Épreuve, les preuves, Michel Lafon, 2003. — Affaires étrangères, t. I : 1981-1988, Fayard, 2007.

SOURCES : Arch. Nat., Paris, F/1cII/323, et arch. A. Seurat. — Assemblée nationale, dossier personnel. — Arch. OURS, dossier Haute-Vienne et dossier personnel, notes de Gilles Morin pour la notice de Jean-Marcel Bichat, DBMOMS, op. cit., t. 4, 2008. — H. Hamon et P. Rotman, Les porteurs de valises, op.cit. — Témoignage de Christiane Jeanson (Philip) dans J. Charby, Les porteurs de gloire, op.cit. — C. Lanzmann, Le Lièvre de Patagonie, Mémoires, Gallimard, Paris, 2009.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable