Par René Gallissot
Né le 26 septembre 1898 à Bresles (Oise), mort en Allemagne le 22 février 1945 après le mitraillage de sa voiture par des avions non identifiés ; secrétaire général des Jeunesses communistes en 1923, venant en Algérie lors de la campagne contre la guerre du Rif et de Syrie en 1925 ; membre du Bureau politique du Parti communiste français jusqu’en 1934 et responsable de la Commission coloniale en 1926-1927 ; député de 1924 à 1937 ; exclu du PCF le 27 juin 1934 ; maire de Saint-Denis de 1931 à 1937 ; fondateur en 1936 du Parti populaire français très démonstratif en Algérie.
Après avoir suivi une école professionnelle et travaillé dans une laiterie, le grand jeune homme vient travailler en région parisienne comme manœuvre puis ouvrier métallurgiste dans différents ateliers, en habitant au centre de Saint-Denis à partir de 1915. Soldat, il est au milieu du carnage dans les tranchées et termine ses trois ans dans l’armée française d’Orient, sur place au moment de la révolution de Hongrie en 1919, lors des affrontements de Fiume en Italie avant de se retrouver en Albanie ; il connaît quelques passages en prison militaire pour indiscipline.
Étant ouvrier, il avait glané quelques idées et pratiques d’anarcho-syndicalisme ; en 1920 il est membre des Jeunesses socialistes qui sont alors l’extrême gauche et passe à la fin de l’année aux Jeunesses communistes dont le secrétaire à Saint-Denis est le communiste Henri Lozeray* qui le forme et le lance dans l’action antimilitariste et bientôt anticolonialiste. Après de longs passages à Moscou, propulsé représentant français auprès de l’Internationale communiste des Jeunes, -il entre même à vingt trois ans au praesidium du Comité exécutif de l’IC-, il revient en 1923 prendre la tête de la campagne en France et en Allemagne contre l’occupation de la Ruhr par l’armée française ; celle-ci est largement constituée de troupes coloniales ; de là les tracts et les journaux qui appellent les soldats nord-africains avec des slogans en arabe, à la fraternisation avec les grévistes. Arrêté à Noël 1923, il est voué par six condamnations en particulier pour provocation de militaires à la désobéissance, à trente quatre mois de prison. Le PC en fait alors un candidat à la députation à Saint-Denis avec pour adresse : prison de la Santé. Élu, il sera libéré en mai 1924 et conduit l’agitation au parlement.
En septembre 1924, en tant que secrétaire général des Jeunesses communistes avec Pierre Sémard, secrétaire du parti, il adresse à Abdelkrim le télégramme qui fait scandale, pour le féliciter de sa victoire dans le Rif contre l’armée espagnole et l’encourager à poursuivre « la lutte contre tous les impérialistes, français compris, jusqu’à la libération complète du sol marocain ». Commence ainsi la campagne communiste contre la guerre du Rif et de Syrie (soulèvement druze) qui appelle à la fraternisation des soldats et conduit Jacques Doriot à Alger. Il tient meeting dans la salle au-dessus du port qui sera bientôt détruite pour faire place à la construction de l’Hôtel Aletti, ce fleuron colonial de style 1930. Si Ahmed Belarbi* (le communiste Boualem) se souvient qu’à la sortie dans la marche rapidement arrêtée dans les rues d’Alger, les manifestants algériens étaient majoritaires.
Jacques Doriot tente de passer la frontière du Maroc ; poursuivi, il est refoulé en France sans avoir pu s’adresser aux soldats. La légende qui se répand au retour est qu’il avait appelé à la fraternisation en entrant au Rif « déguisé en arabe ». En France, la CGTU mobilise pour la grève du 12 octobre 1925 appelée par le Comité contre la guerre du Rif dont le PC avait confié la direction à Maurice Thorez. L’action la plus spectaculaire n’en est pas moins la grande bagarre avec les forces de l’ordre à la sortie du meeting de la Grange aux Belles (Maison des syndicats, Paris 10e), Jacques Doriot abattant une meute de policiers en faisant tourner un banc ; -un policier mourra par la suite-, avant d’être submergé par le nombre.
Après la constitution de l’Étoile nord-africaine prenant le relais de la section nord-africaine de l’Union inter-coloniale, au nom de la Commission coloniale du parti, Jacques Doriot donne les directives ; Abdelkader Hadj Ali* qui en a la responsabilité, trouve comme bien d’autres, ses méthodes cavalières et se mettra en retrait après 1927.
Retenu en prison à plusieurs reprises, Jacques Doriot navigue entre les joutes au parlement, la direction du parti français, et tout particulièrement le groupe des Jeunes autour d’Henri Barbé qui est aussi aux Jeunesses communistes à Saint-Denis, les instances de Moscou, ce qui lui vaut d’être adjoint à une mission de l’IC en Chine. Il est sur place en 1927 au moment du retournement de Tchiang Kaï Chek et du Kuomintang pour écraser les communistes ; on ne sait rien cependant de sa position sur ce point critique de la question chinoise, sauf qu’il apparaît suivre Staline. Il participe à la campagne communiste des élections municipales à Saint-Denis en 1929, mais le parti ne le laisse s’approprier la place de maire qu’en 1931, car il manifeste ses réserves sur la ligne classe contre classe de l’époque. Il en appelle déjà à un rassemblement dans un large front.
Faute d’accéder à la tête du parti, il fait de Saint-Denis son fief, enflant le nombre des employés municipaux (550 employés) et puisant dans l’immigration nord-africaine pour prêter la main au service d’ordre, se porter au premier rang des manifestations et faire le coup de poing avec les adversaires. La main-d’œuvre algérienne commence à s’installer à Saint-Denis prenant le relais des ouvriers bretons maintenant stabilisés et partagés entre l’intégration par la paroisse et plus nombreux par le syndicalisme et la fidélité communiste. Jacques Doriot tient la mairie avec des scores supérieurs à 50 % jusqu’en 1937 et la reconquête communiste face à la dérive du PPF.
Après la manifestation de droite du 6 février 1934 auquel le PC avait joint sa présence, à la contre-manifestation du 9 février appelée par les syndicats et la SFIO, Jacques Doriot est un des rares dirigeants communistes présents. Alors que parti socialiste et parti communiste se rencontrent à Paris au cours du défilé du 12 févier 1934, c’est à Saint-Denis que Jacques Doriot a ordonné un énorme rassemblement. Tandis qu’il échoue à préconiser au parti communiste le front uni et une union populaire de masse, il est doublé à la direction du parti par Maurice Thorez qui au retour de Moscou, fait approuver la nouvelle stratégie d’unité d’action. Le rayon communiste de Saint-Denis, lance encore à 30 000 exemplaires, une brochure : « Pour l’unité d’action. Lettre ouverte à l’Internationale communiste », mais Jacques Doriot est perdu pour l’IC. Il est exclu par le Comité central du PCF, le 27 juin 1934 ; c’est Maurice Thorez qui conduira le parti au Rassemblement puis au Front populaire, jusqu’à souhaiter en 1936 et 1937 un « front français » et un « front des Français ». Le secteur du travail anti-impérialiste au service d’agit-prop du parti est dissous (voir au nom de Laurent Casanova*, le conseiller de Maurice Thorez sur « la question algérienne »).
Aussitôt le Parti Populaire Français créé, Jacques Doriot trouve en Algérie le concours de Victor Arrighi*, ancien communiste qui en entraîne quelques autres, qui devient le délégué général du parti pour l’Afrique du Nord. Il donne à la propagande une orientation antisémite qui n’est pas sans rappeler les termes du socialisme antijuif de la fin du XIXe siècle, expression de « la guerre des races » dans la société coloniale. Les attaques demandent l’abrogation du décret Crémieux de 1870 qui avait fait citoyens français les Juifs d’Algérie et vont se porter contre le projet Blum-Viollette.
Jacques Doriot, en novembre 1936, puis Henri Barbé qui est devenu secrétaire général, viennent en tournée en Algérie. Un congrès d’Algérie se tient en janvier 1937 et en mars un premier congrès nord-africain à Alger. Violemment anticommuniste dénonçant le Front populaire et le Congrès musulman, le PPF s’adresse cependant aux Musulmans leur promettant en pastiche du Front populaire : le pain, la maison, l’école et le vote dans leur propre collège. Quelques personnalités algériennes, figures politiques tournantes, adhèrent comme le docteur Djilali Bentami ; il y aurait eu peut-être un millier d’Algériens dans les rangs du PPF sur 20 000 membres en 1938 dont les trois quarts en Oranie. Les maires d’Alger (Rozis) et de Sidi-Bel-Abbès (le grand colon Bellat) soutiennent. Le PPF se donne un programme de défense de l’Empire français et appelle à la solidarité des puissances méditerranéennes dans la guerre contre la Révolution en Espagne.
Le Parti populaire français participe au Rassemblement National, le cartel des organisations et partis de droite, mais il rencontre la concurrence en anticommunisme du Parti Social Français qui derrière Jacques Chevallier, retient les catholiques au nom de la doctrine sociale de l’Église et tente de former ses propres syndicats. Ce qui envenime les relations entre communistes et nationalistes algériens, c’est qu’après la dissolution de l’Étoile nord-africaine par le gouvernement de Front populaire, que le PCF applaudit, en Algérie, les attaques communistes contre le PPA, le nouveau parti de Messali* qui n’a rien à voir avec le PPF, ne cessent vicieusement d’appeler le Parti du Peuple Algérien pour qui le mot peuple est fondamental : Parti populaire algérien. Beaucoup de Français de gauche se laissent prendre à cette confusion fort commune. Évidemment quand Jacques Doriot aura lancé en juillet 1941 la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, il trouvera des volontaires coloniaux en Algérie pour rejoindre à son exemple, l’armée allemande sur le front de Russie.
Par René Gallissot
SOURCES : Arch. ministère d’Outre-mer, Paris SLOTFOM, série 3, carton 45, série 5, carton 11. — Sur le PPF en Algérie, notices J. Doriot par L. Khelil et par Y. Aouate dans Parcours, op. cit. n° 0, 1983 et n° 3, 1985, Paris. — Entretien enregistré de Si Belarbi/Boualem par Abderrahim Taleb-Bendiab, Alger 1991. — Notice par J.-P. Brunet dans DBMOF, op.cit., t. 25. — Notice par S. Wolikow dans Komintern : l’histoire et les hommes. Dictionnaire biographique de l‘Internationale communiste, L’Atelier, Paris 2001.