DOUMENC Henri [Dictionnaire Algérie]

Né le 19 février 1898 à Bordeaux (Gironde), mort le 16 avril 1981 à Lyon (Rhône) ; économe de lycée ; personnalité représentative de la SFIO à Constantine et après 1951 à Alger ; conseiller municipal de Constantine en 1938, conseiller général en 1939, destitué en 1940, président du Conseil général en 1945, maire de Constantine de 1945 à 1947, conseiller de la République de 1946 à 1948.

On ne sait quand la famille s’est installée à Constantine ; Henri Doumenc fait toutes ses études secondaires au lycée de Constantine. La famille semble avoir des liens de placement et de carrière dans l’administration de l’Éducation nationale française non sans passages de Tunisie (Lycée Carnot) à l’Algérie. Henri Doumenc se dira « socialiste depuis toujours », c’est-à-dire de famille. Il fait la guerre de 1914-1918 sur le front en France, ce qui lui vaut la Croix de guerre ; dans ses candidatures politiques, pour manifester son socialisme patriotique d’union sacrée, il se présentera chaque fois comme ancien combattant. Dans les années 1920, il devient d’abord sous-intendant au lycée d’Alger. Vers 1937, il obtient d’être nommé économe du Lycée de Constantine, reprenant place dans le milieu de relations familiales et de l’enseignement français qui est une composante du champ de luttes municipales et électorales dominé par le « républicain », au « radicalisme » ancien à pointe antijuive, Emile Morinaud, maître du quotidien La Dépêche de Constantine.

Henri Doumenc ne perd pas de temps pour entrer dans cette bataille au titre de la Fédération SFIO de Constantine. Il mène campagne dans un petit journal régional L’Opinion libre du Département de Constantine, qu’il qualifie d’« organe de l’union de la gauche », en fait une publication de Richard Hell qui gravite aussi dans le milieu des enseignants français, il est membre de l’Union socialiste républicaine comme en France, le maire de Dreux, Maurice Viollette*, ancien gouverneur et auteur du projet dit Blum-Viollette. Certes il y a accord dans le soutien à ce projet d’ouverture limitée de la citoyenneté française sous statut musulman, qui soulève l’hostilité des colons, mais Richard Hell joue sa propre partie en retrait des alliances de Front populaire par rejet des communistes. Au contraire, Henri Doumenc va se faire le porteur des alliances de Front populaire, tenant au reste un discours de classe et anti-colon contre « une féodalité terrienne maîtresse incontestée des destinées des populations algériennes ».

Henri Doumenc est élu en 1938 au conseil municipal en seconde position sur une liste de Rassemblement populaire. Il est alors secrétaire administratif de la fédération SFIO de Constantine. En juin 1939, il est candidat de la SFIO soutenu par Raoul Borra* qui est le patron de la Fédération, à une élection cantonale, face entre autres au républicain socialiste Richard Hell. L’organe socialiste L’Étincellecélèbre sa victoire acquise grâce à « l’attitude nette et loyale » de la section communiste constantinoise qui a annoncé le désistement de son candidat dès le soir du premier tour et fait campagne pour le report des voix.

Sous Vichy, dès 1940, Henri Doumenc est déchu de ses mandats, apparemment sans être autrement inquiété. Certainement Résistant d’opinion, il devient après le débarquement allié du 8 novembre 1942, président départemental du mouvement Combat, regroupant un petit nombre de gaullistes de gauche et des socialistes le plus souvent enseignants. En 1944, il recevra la médaille de la Résistance.

Momentanément disqualifiés pour avoir été des « collaborateurs », les notables coloniaux sont distancés aux élections qui se font à gauche sous la bannière de la France combattante. En 1943, H. Doumenc avait retrouvé son siège de conseiller général ; réélu en 1945, il devient président du conseil général. Il est délégué par la SFIO locale pour recevoir le ministre de l’Intérieur, Adrien Tixier, lors de sa venue en juin 1945, après les massacres de Sétif et Guelma.

Surtout, il devient maire de Constantine en juillet 1945 à la tête d’une municipalité à majorité socialiste ; l’instituteur Larbi Tahrat* est second adjoint. En seconde position de liste socialiste, H. Doumenc échoue aux élections à l’Assemblée constituante ; seul Raoul Borra* est élu. Grâce au désistement du communiste Flavien Bovo*, il devient conseiller de la République, l’équivalent de sénateur, en décembre 1946. Le retour de la droite coloniale et de ses alliés « radicaux républicains » lui fait perdre la mairie en 1947, le Conseil de la République en 1948, le conseil général en 1951.

À cette date, Henri Doumenc a déjà quitté Constantine pour Alger où il est nommé économe du Lycée Bugeaud, le « grand lycée » français. Sans prendre de responsabilités, il reste une personnalité considérée de la SFIO d’Algérie, une sorte « d’autorité morale ». En septembre 1955, il joue l’intermédiaire entre Jacques Soustelle, qui est au Gouvernement général, et Ferhat Abbas pour faire valoir l’idée d’intégration permettant des réformes radicales et le renoncement aux armes. Il pense que c’est une voie de salut de l’Algérie française pour répondre à l’irruption violente de l’ALN au lendemain des journées du 20 août dans le Constantinois.

En 1956, il soutient publiquement le gouvernement de Guy Mollet et l’attribution des pleins pouvoirs au « camarade Robert Lacoste » à qui on ne saurait reprocher « des exactions, des exécutions sommaires » puisqu’il s’emploie à les empêcher. Au congrès de la SFIO à Lille en juillet 1956, délégué de la Fédération d’Alger, c’est lui qui répond au discours de rupture de Mostefa Benbahmed* qui est encore conseiller général socialiste d’Oued Zenati. Avocat à Guelma, Benbahmed était la caution musulmane du socialisme français dans l’Est algérien ; voici qu’il annonce son ralliement à l’indépendance et au FLN. Henri Doumenc présente le Collège unique « conforme aux droits de la France et à ses intérêts comme à ceux des musulmans » comme la mesure produisant le choc psychologique permettant « d’aboutir à un règlement de la question algérienne ».

Il laisse encore passer les premiers mois d’horreur de la Bataille d’Alger avant de démissionner de la Fédération SFIO d’Alger le 20 avril 1957 en protestant contre l’emploi de la torture en Algérie. Ses lettres des 7 mars et 6 avril 1957, adressées au président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Maurice Deixonne, sont publiées dans L’Express des 7 et 14 juin 1957. Selon Le Monde, il récuse toute raison du parti s’apparentant à la raison d’État, lorsque celle-ci conduit au mensonge, c’est-à-dire à la trahison même du socialisme. Il refuse de se taire sur la répression bien que Robert Lacoste soit membre de la SFIO. Son nom restera évoqué à la SFIO et à gauche comme celui d’un socialiste « européen d’Algérie ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article156983, notice DOUMENC Henri [Dictionnaire Algérie], version mise en ligne le 22 février 2014, dernière modification le 22 février 2014.

SOURCES : Presse régionale et arch. de l’OURS (SFIO), Paris, dépouillées et citées dans la notice de L.-P. Montoy, Parcours, op. cit., n° 13-14, octobre 1990, Paris. — Arch. Nat., Paris, F 1a, 3210, 3233, 3214, 3252, 3284, F 1c, II/113/C, 245 et 300, et CAC, 20000021 art. 1, n° 14290, et arch. OURS, correspondance de la fédération d’Algérie, utilisées pour compléments par Gilles Morin dans la notice du DBMOMS, op.cit., t. 4, 2008. — La vie du parti, juin 1939. — Le Monde, 19 juin 1957. — L’Express, 14 juin 1957.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable