BESNARD Eugène Pierre [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean Maitron, Guillaume Davranche

Né le 8 octobre 1886 à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), mort le 19 février 1947 à Bagnolet (Seine) ; facteur-chef aux chemins de fer ; anarcho-syndicaliste ; cofondateur de la CGT-Syndicaliste révolutionnaire puis de la CNT française.

Pierre Besnard (années 1930)
Pierre Besnard (années 1930)
cc Archives de la préfecture de police de Paris

Cofondateur de la CGT-SR puis de la CNT française, Pierre Besnard fut surtout le principal théoricien français de l’anarcho-syndicalisme.

Fils d’un cultivateur, il entra le 1er mars 1909 aux chemins de fer de l’Ouest-État comme facteur auxiliaire à Chinon (Maine-et-Loire). Participa-t-il à la grande grève d’octobre 1910 ?

Le 25 septembre 1912, il épousa Thérèse, Marie, Eugénie Mortreuil née le 4 mai 1892 à Oissel (Seine-Inférieure).

Que fit-il pendant la Grande Guerre ? Au congrès CGT de Lyon, tenu du 15 au 21 septembre 1919, il représentait les syndicats de cheminots de Bressuire, de Loudun (minoritaires), de Montoire-sur-Loire, PO-Saumur et OE-Saumur (majoritaires). Le 15 décembre, il fut nommé facteur chef à la gare d’Auteuil-Boulogne. Fin 1919, il répondit à une enquête de La Mêlée sur l’orientation du mouvement anarchiste. Son article fut publié dans le n°32 de ce bimensuel.

Chef de file des syndicalistes révolutionnaires « purs »

Le 4 mai 1920, alors qu’il était un des principaux animateurs de la grève des chemins de fer pour la région parisienne, il devint secrétaire intérimaire de la commission permanente du bureau mixte des syndicats parisiens de cheminots. Il était également membre de la commission exécutive de la Fédération nationale des cheminots et habitait alors au 14, rue Henri-Monnier, à Paris 9e. Le 14 mai, il fut révoqué des chemins de fer pour faits de grève.

Pierre Besnard se classa à l’époque parmi les syndicalistes révolutionnaires dits « purs ». Les « purs » étaient pour l’essentiel de jeunes syndicalistes révolutionnaires ayant émergé sur la scène militante durant la guerre, anarchistes ou nettement influencés par l’anarchisme. Se référant strictement à la Charte d’Amiens, ils défendaient farouchement l’indépendance intégrale du syndicalisme, en désaccord avec les militants de La Vie ouvrière qui, eux, voulaient l’associer à la IIIe Internationale. C’est semble-t-il à cette époque que Pierre Besnard entra en relations avec Victor Griffuelhes, ancien secrétaire général de la CGT de 1901 à 1909 et figure de proue du syndicalisme révolutionnaire d’avant-guerre. Griffuelhes apparut bientôt comme la figure tutélaire des « purs ».

Le 1er juillet 1920, Pierre Besnard entra comme taxateur à la Compagnie piémontaise de transports, 17, rue du Mail, à Paris 2e. Étant demeuré militant cheminot malgré sa révocation, il fut délégué au congrès du réseau de l’État-Rive gauche, qui se tint les 21 et 22 août au 33, rue de la Grange-aux-Belles. En septembre, il adressa une lettre au juge d’instruction où il se déclarait solidaire de ses camarades cheminots inculpés de « complot contre la sûreté intérieure de l’État ».

On ne trouve pas mention de la présence de Besnard ni au congrès confédéral d’Orléans, du 27 septembre au 2 octobre. Était-il néanmoins présent à l’assemblée générale des syndicats minoritaires qui, les 25 et 26 septembre puis le 2 octobre, décida la constitution des Comités syndicalistes révolutionnaires ? Toujours est-il que la minorité CGT se prononça, à ce moment, en faveur d’une internationale syndicale liée à Moscou. Cela souleva l’inquiétude des « purs » qui, dès lors, estimèrent le syndicalisme « en danger ».

En février 1921, il fit partie des 18 militants anarchistes et syndicalistes « purs » qui signèrent le « Pacte », un accord secret visant à prendre la direction des CSR, puis de la CGT. Les autres signataires du Pacte étaient Guillaume Verdier, Marie, Jean-Louis Bisch, Michel Relenque (Moïse Kneler), (Julien ?) Churin, Machebœuf, Scheiber, Pothion, Jouve, Ferrand, Daguerre, Maison, Gaudeaux, Henri Sirolle, Varlot [Jean-Baptiste Vallet*], Henri Toti et Henri Fourcade.

Avant cela, le 21 octobre 1920, estimant qu’il n’était plus cheminot, Besnard préféra donner sa démission de secrétaire du bureau mixte.

Le 20 mai 1921, lors d’une réunion du comité central des CSR, Pierre Besnard fut élu secrétaire général en remplacement de Pierre Monatte. Il y était assisté de Pierre Fargue et d’Augustin Quinton, secrétaires.

La minorité révolutionnaire de la CGT commença dès lors à se diviser sur la question de la Révolution russe. D’un côté, Pierre Besnard et la fraction des syndicalistes dits « purs » se montraient hostiles au gouvernement bolchevik, accusé d’étrangler la révolution. De l’autre, Gaston Monmousseau et la rédaction de La Vie ouvrière affirmaient que le soutien, même critique, au gouvernement bolchevik était un préalable pour défendre la révolution, et qu’il fallait que le syndicalisme révolutionnaire se situe clairement dans son camp.

Le 1er juillet, Besnard s’installa 22, rue Popincourt, à Paris 11e, au loyer annuel de 1 200 francs.

En juillet 1921, à la veille du congrès de Lille de la CGT, il démissionna de sa fonction de secrétaire général des CSR pour devenir secrétaire adjoint, peut-être dans l’idée de se libérer pour un rôle national — on s’acheminait vers la scission. Il ne participa pas à la délégation des CSR qui se rendit à Moscou pour le congrès fondateur de l’Internationale syndicale rouge (ISR), du 3 au 19 juillet 1921, et qui était noyautée par le « Pacte » (voir Henri Sirolle). Cependant les dissensions qui apparurent au sein des « purs » durant le congrès de l’ISR conduisirent à la dissolution de fait du « Pacte » (voir Moïse Kneler).

Au congrès confédéral de Lille, du 25 au 30 juillet 1921, Pierre Besnard apparut comme un des principaux porte-parole de la minorité confédérale.

Au comité confédéral national de la CGT, tenu du 19 au 21 septembre 1921, Besnard cosigna, avec Cazals, Monmousseau, Leroux, Labrousse et Lescalié, la motion minoritaire qui s’opposait à l’exclusion des CSR et qui fut battue à une courte majorité. Dès le 27 septembre, Besnard cosigna, avec Pierre Fargue et Augustin Quinton, un manifeste proposant aux CSR de tenir un congrès extraordinaire pour fonder une CGT révolutionnaire (CGTR). Cette initiative fut écartée à la conférence des CSR du 31 octobre, sur la vive opposition du groupe de La Vie ouvrière, qui voulait maintenir l’unité de la CGT le plus longtemps possible.

Quand la scission confédérale fut finalement consommée, lors de l’assemblée extraordinaire de la minorité, tenue du 22 au 24 décembre 1921 à Paris, Pierre Besnard fut élu à la commission administrative provisoire de ce qui allait devenir la CGT unitaire (CGTU). Sur les 19 membres de cette CA, 10 étaient de la tendance syndicaliste « pure » ou anarchiste — Barthe*, Besnard*, Bisch*, Colomer, Couture, Lecoin, Claudine Lemoine, Pothion, Quinton et Verdier — et 8 étaient procommunistes — Desmouillers, Guillon, Gourdeau, Jacob, Monatte, Monmousseau et Semard. Quant au bureau confédéral provisoire, il était composé de Toti, Cadeau et Labrousse, tous de la tendance « pure ».

De là, Besnard travailla activement à la préparation du congrès fondateur de la CGTU, participant notamment à la rédaction d’un projet de statuts confédéraux très marqués par les conceptions libertaires : large décentralisation des structures, primauté aux unions régionales sur les fédérations professionnelles et non-rééligibilité des permanents.

Pierre Besnard et les « purs » de la CGTU publièrent alors, de décembre 1921 à avril 1922, le journal Le Syndicaliste révolutionnaire, qui fut ensuite relayé par La Bataille syndicaliste.

Au cours du IIe congrès extraordinaire de l’UD unitaire de la Seine, le 9 avril 1922, Besnard précisa sa conception du rôle des groupements syndicaux (cf. compte rendu, p. 72) : l’union locale « est, pour la localité, ce que la CGT est à l’ensemble du pays, ce que l’union régionale est pour la région — c’est-à-dire l’expression complète du fédéralisme pour la localité. Elle est non seulement la cellule qui a charge d’organiser la production, mais aussi la répartition de cette même production. Elle est plus que cela. Elle est l’organe de législation. Et cela nous conduit vers le syndicalisme complet qui, dans la révolution complète, nous permettra de suffire à tout. »

Avec l’approche du Ier congrès confédéral, qui devait déterminer l’orientation de la CGTU, la lutte entre les tendances Besnard et Monmousseau s’aiguisa. L’existence du « Pacte » et son texte intégral furent révélés le 15 juin 1922 dans La Bataille syndicaliste, alors qu’il était dissous depuis près d’un an. Il fut vivement reproché à Besnard et à ses cosignataires, surnommés par leurs adversaires « les pactisants ».

Avec Henri Toti et Louis Lecoin, Besnard fut délégué comme observateur par la CGTU à la Conférence syndicale révolutionnaire internationale qui se tint à Berlin du 16 au 19 juin 1922. Tous trois participèrent néanmoins beaucoup aux débats et Toti présida même une séance. À cette époque, les « purs » cherchaient à regrouper les syndicats révolutionnaires opposés à l’internationale réformiste d’Amsterdam, et envisageaient deux options pour la CGTU : soit adhérer à une ISR subvertie et émancipée de Moscou, soit fonder une troisième internationale syndicale basée à Berlin.

Au Ier congrès confédéral de la CGTU, tenu à Saint-Étienne du 25 juin au 1er juillet 1922, les deux tendances, Besnard et Monmousseau, s’étaient promises que chacune irait « à la bataille avec son drapeau » selon les mots de ce dernier. Elles s’affrontèrent en effet durement sur les statuts de la CGTU, les orientations nationale et internationale.

La motion Besnard rassembla les suffrages des syndicalistes « purs » et des anarchistes, tandis que la motion Monmousseau recueillait un soutien plus large : les amis de La Vie ouvrière, les « indépendants » comme Joseph Lartigue et Marie Guillot, mais aussi certains anarchistes comme Jules Massot et Benoît Broutchoux. Enfin, les militants du PCF se rangèrent tactiquement derrière Monmousseau — excepté une petite fraction intransigeante (voir Quémérais).

Sur l’orientation nationale, la motion Besnard recueillit 391 voix contre 779 à celle de Gaston Monmousseau, 7 à Quémérais et 12 abstentions.

Sur l’orientation internationale, Monmousseau proposait que la CGTU adhère à l’ISR avec des réserves sur l’article 11 de ses statuts, instituant une « liaison organique » avec l’Internationale communiste (IC) ; Quémérais proposait une adhésion sans réserve ; Pierre Besnard proposait que la CGTU n’adhère à l’ISR que si l’article 11 était abrogé. Le résultat donna 743 voix à Monmousseau ; 406 à Besnard ; 11 à Quémérais ; 20 abstentions et 2 voix à une motion Gauriat.

Quant au projet de statuts de la CGTU, il fut repoussé par 743 voix contre 336 et 55 abstentions. Le contre-projet défendu par Monmousseau fut adopté.

Les syndicalistes pro-Moscou l’emportaient donc sur tous les tableaux. Gaston Monmousseau fut, après cela, élu à la commission exécutive, et désigné comme secrétaire général de la CGTU. La nouvelle minorité refusa de participer à la nouvelle commission administrative de la CGTU.

À la mi-juillet, Pierre Besnard constitua le Comité de défense syndicaliste (CDS) pour organiser la minorité de la CGTU. Il en fut le secrétaire, au titre de la minorité des Cheminots de la Seine, assisté d’Albert Lemoine, des Métaux de la Seine, comme secrétaire-adjoint, et de Fernand Petitbon, du Bâtiment de la Seine, comme trésorier (Le Libertaire du 14 juillet 1922). Quelques jours plus tard, il s’expliqua sur le défunt « Pacte » en donnant au Journal du peuple du 23 juillet un article : « Pourquoi y eut-il le Pacte ? Son histoire ».

Le CDS ne disposait pas à ce moment de journal, La Bataille syndicaliste ayant cessé de paraître le 29 juin 1922. Ses militants, dont Pierre Besnard, écrivirent alors aussi bien dans Le Libertaire que dans le quotidien Le Journal du peuple puis dans l’hebdomadaire L’Égalité, publié par des communistes en rupture de ban autour de Ludovic-Oscar Frossard.

C’est depuis cette époque, vers 1922-1923, que le terme « anarcho-syndicaliste » commença à se répandre dans les rangs de la minorité syndicaliste révolutionnaire de la CGTU. Le terme avait été inventé avant-guerre par les guesdistes pour discréditer le syndicalisme révolutionnaire. Après-guerre, les communistes l’utilisèrent à leur tour à des fins polémiques contre leurs adversaires. La minorité de la CGTU, quasi réduite à sa composante libertaire, finit par s’approprier cette étiquette censée être infamante. Le terme, en revanche, ne fut pas utilisé officiellement avant 1937, quand Pierre Besnard l’érigea au rang de doctrine à part entière.

Pierre Besnard quitta la direction du CDS le 1er juin 1923, en même temps qu’il se retirait du bureau exécutif de l’Association internationale des travailleurs (AIT) constituée à Berlin du 25 décembre 1922 au 2 janvier 1923.

Besnard fut délégué par le syndicat des cheminots de Poitiers au IIe congrès confédéral de la CGTU, tenu du 12 au 17 novembre 1923 à Bourges. Après que le congrès eut consacré une nouvelle défaite de la minorité « anarcho-syndicaliste », le CDS s’associa avec un autre pôle oppositionnel, les Groupes syndicalistes révolutionnaires (voir Benoît Broutchoux), pour former la Minorité syndicaliste révolutionnaire (MSR) de la CGTU.

L’assassinat des ouvriers libertaires Clos et Poncet par les communistes, le 11 janvier 1924, poussa de nombreux syndicats à rompre avec la CGTU. Pierre Besnard entreprit alors une série de contacts personnels avec des dirigeants de la CGT, pour mettre au point les modalités d’une unification au sein de la CGT, dans le but d’isoler les communistes. Le 3 février, il écrivit à Théo Argence qu’il pensait ainsi « faire ouvrir la porte à l’unité par la CGT » et, le 21 février 1924, qu’il espérait « la réalisation de l’unité internationale sur le dos de Moscou ». Les pourparlers échouèrent.

Théoricien de l’anarcho-syndicalisme

Les 1er et 2 novembre 1924, la MSR tint un congrès pour fixer sa conduite. Tandis qu’une minorité décidait de poursuivre l’opposition au sein de la CGTU, la majorité fondait l’Union fédérative des syndicats autonomes (UFSA), et Besnard appartint à sa commission administrative provisoire (voir Lucien Huart). Cependant l’avenir de l’UFSA était sujet à discussion. Certains prônaient le retour dans la CGT ; d’autres le maintien dans l’autonomie ; Besnard, lui, prônait la fondation d’une troisième centrale, authentiquement syndicaliste révolutionnaire et adhérente à l’AIT.

Lors de la conférence de Saint-Ouen, le 28 juin 1925, il fut élu au bureau exécutif de l’UFSA comme cosecrétaire avec Lucien Huart. Les autres membres en furent Amélie Planteline (trésorière), Saroléa (trésorier adjoint) et Lentente (archiviste).

En août 1926, Besnard lança, avec Huart et Albert Guigui, La Voix du travail, bulletin mensuel qui se voulait le porte-voix en France des positions de l’AIT. Dans le numéro d’octobre-novembre 1926, parut l’appel « Pour le regroupement de nos forces » qui préconisait la création d’une 3e CGT, authentiquement syndicaliste révolutionnaire. L’appel était cosigné de Huart et Besnard (UFSA), Leroy (Fédération autonome des coiffeurs), Boisson, Juhel et Andrieux (Fédération autonome du bâtiment).

Les 15 et 16 novembre 1926 se tint le congrès de l’UFSA à la mairie du 6e arrondissement de Lyon. Il y fut décidé, par 84 mandats contre 3 et 2 abstentions, la création de la CGT syndicaliste révolutionnaire (CGT-SR), adhérente à l’AIT, dont le siège fut fixé au 86, cours Lafayette, à Lyon. Pierre Besnard en rédigea le manifeste, plus connu sous le nom de « Charte de Lyon », qui fut adopté par 80 voix dont 30 avec réserve. La Charte de Lyon reprenait les grandes lignes de la Charte d’Amiens, mais en y accentuant la tonalité anti-étatiste.

Il semble cependant que Pierre Besnard n’était pas, à ce moment, en odeur de sainteté parmi les « anarcho-syndicalistes ». En effet, malgré la difficulté à trouver un candidat au secrétariat général de la CGT-SR, Besnard fut écarté car, selon les souvenirs de Marius Chabany (in Mémoires libertaires), il n’avait pas la confiance des camarades parisiens qui le considéraient comme un « diviseur ». C’est donc Lucien Huart qui fut élu, et il s’installa à Lyon.

Le 17 novembre, le meeting inaugural de la CGT-SR à la mairie du 6e arrondissement fut animé par Besnard, Huart, Boudoux et Boisson*. Le 1er décembre parut le premier numéro du Combat syndicaliste, organe mensuel de la CGT-SR. Pierre Besnard poursuivit néanmoins la publication de La Voix du travail jusqu’en octobre 1927.

La création de la CGT-SR n’avait cependant pas rallié l’intégralité de l’UFSA, dont une minorité autour de Julien Le Pen, Albert Guigui et Georges Bastien choisit de retourner à la CGT. La majorité de l’Union anarchiste désapprouva également la stratégie de « troisième CGT » que beaucoup surnommaient, rapport à ses maigres effectifs, la « CGT Sans Rien ».

Depuis 1921, Pierre Besnard avait été la cheville ouvrière et l’« idéologue » de la tendance syndicaliste révolutionnaire « pure ». Après 1926, il fut véritablement le théoricien de la CGT-SR et de ce qui ne s’appelait pas encore officiellement l’anarcho-syndicalisme. Outre la presse de la CGT-SR, il diffusa donc ses idées durant tout l’Entre-deux-guerres dans la presse anarchiste indépendante de l’UA, comme L’Anarchie des individualistes Simone Larcher et Louis Louvet, Plus loin du Dr Pierrot, La Brochure mensuelle d’Émile Bidault, La Voix libertaire, organe de l’Association des fédéralistes anarchistes (AFA), La Revue anarchiste de 1929-1936, Terre libre, de la Fédération anarchiste de langue française (FAF). Enfin, L’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure le sollicita pour les articles « CGT », « Internationale syndicale » et « Syndicalisme ». En 1930, son premier livre, Les Syndicats ouvriers et la révolution sociale, fut la première tentative de mise à jour théorique du syndicalisme révolutionnaire depuis l’avant-guerre. En 1934, sur la page de garde de son ouvrage Le Monde nouveau, il devait ainsi résumer sa doctrine : « Toute l’économie aux syndicats ! Toute l’administration sociale aux communes ! »

Depuis 1928, Pierre Besnard vivait avec Lucie Job au 12, rue Gambry, à Paris 11e. Début 1929, il devint responsable du Combat syndicaliste, qui fut même, pour quelques numéros, domicilié chez lui. Il appartenait alors au syndicat des cheminots de la Seine.

Au IVe congrès de la CGT-SR, tenu du 11 au 13 novembre 1932 à Paris, il fut nommé délégué auprès de l’AIT.

Au moment des débats sur la réunification syndicale en 1935, Pierre Besnard fut partisan de maintenir la CGT-SR en-dehors de l’unité. C’est semble-t-il lors du congrès de l’AIT à Paris, du 24 au 31 août 1935, qu’il fut élu secrétaire général de l’organisation internationale. Cette position devait le placer en première ligne des virulents débats qui déchirèrent l’AIT durant la Révolution espagnole.

Durant les premiers mois de la guerre civile en Espagne, l’aide matérielle aux colonnes de la CNT-FAI fut assurée par le Comité anarcho-syndicaliste pour la défense et la libération du prolétariat espagnol (CASDLPE), qui regroupait l’UA, la FAF et la CGT-SR, disposant chacune de 5 délégués. Cependant, après le départ de l’UA et la constitution du Comité Espagne libre (voir Lecoin), la CGT-SR anima quasiment seule le CASDLPE. En novembre 1936, son bureau était composé de Pierre Besnard, secrétaire ; Julien Toublet, secrétaire adjoint ; Victor Giraud, trésorier.

Le 2 octobre 1936, Besnard était à Barcelone et accompagna Durruti à une entrevue avec le président du gouvernement espagnol, Largo Caballero, pour obtenir le financement d’armes à destination des colonnes de la CNT-FAI.

L’entrée de la CNT-FAI au gouvernement de la Généralité de Catalogne, qui orchestrait la contre-révolution au nom de la discipline antifasciste, inquiéta fortement la CGT-SR. Dans les numéros du 24 et du 30 octobre 1936 du Combat syndicaliste, deux éditoriaux attribués à Pierre Besnard, « Attention » et « Redressement nécessaire », mirent en garde la CNT contre ses funestes « déviations ».

Cette critique fut renouvelée lors du plenum de l’AIT tenu du 15 au 17 novembre 1936 à Paris, quelques jours après l’entrée de la CNT-FAI au gouvernement républicain.

Tout en continuant à assurer un soutien financier et matériel à la CNT-FAI via le CASDLPE, la CGT-SR la soumettait au feu roulant de ses critiques. Le hiatus culmina lors du plenum extraordinaire de l’AIT, à Paris, du 11 au 13 juin 1937, peu après les « journées de Mai » à Barcelone. Le rapport présenté par Besnard (publié dans Le Combat syndicaliste du 11 juin 1937), qui blâmait la CNT, fut approuvé par la majorité des sections de l’AIT présentes.

Furieuse, la CNT écrivit dès le mois d’août au secrétariat de l’AIT pour demander la destitution de Pierre Besnard, mettant en cause sa « capacité mentale » à assumer ses tâches de secrétaire général. La crise étant ouverte, un congrès extraordinaire de l’AIT fut convoqué à Paris, du 6 au 17 décembre 1937. Mettant son poids dans la balance, la CNT obtint la démission de Besnard et son remplacement par Horacio Prieto (CNT). Besnard devint alors secrétaire adjoint avec Rocca (CNT, Espagne), Helmut Rüdiger (FAUD, Allemagne) et Das Neves (CGTP, Portugal).

Lors de ce même congrès, Besnard présenta un rapport qui, pour la première fois, élevait officiellement l’anarcho-syndicalisme au rang de doctrine. Dans ce texte, intitulé « L’anarcho-syndicalisme et l’anarchisme. Tactique et intervention syndicale », il expliquait que l’anarcho-syndicalisme tenait « sa doctrine de l’anarchisme et sa forme d’organisation du syndicalisme révolutionnaire ».

Durant la Seconde Guerre mondiale, Pierre Besnard s’installa à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Il y fut actif au sein du groupe local de la Fédération nationale des retraités des chemins de fer (FNRCF). C’est missionné par le bureau local de la FNRCF qu’il adhéra, de fin janvier à juin 1942, à une officine pétainiste, la Légion française des combattants et des volontaires de la Révolution nationale.

Par la suite, pour la santé de sa compagne, Pierre Besnard dut quitter Cagnes, et tous deux s’installèrent à Bon-Encontre (Lot-et-Garonne), près d’Agen.

En juillet 1942, Pierre Besnard acheva un livre entamé en 1939 et intitulé Pour assurer la paix, comment organiser le monde. Dans cet ouvrage — dédié à sa compagne Lucie Job —, Pierre Besnard renouvelait son projet de société fédéraliste et libertaire, l’économie devant être organisée par une « confédération générale du travail » et la vie civile par une « confédération générale des communes », la paix mondiale devant être assurée par une « Société des peuples ». Sans doute conçu pour pouvoir être distribué en « zone libre », le livre condamnait l’hitlérisme et le fascisme mussolinien, mais restait muet sur le régime de Vichy. La quasi-totalité du tirage fut détruite à l’imprimerie (voir Antonin Lion), avant même la distribution. Est-ce parce que l’armée allemande venait, en novembre 1942, d’envahir la « zone libre » ? À sa mort, Louis Louvet écrivit dans Ce qu’il faut dire du 10 mars 1947 que le livre n’avait pas fait « l’unanimité parmi ses amis ».

En 1943, sept ou huit camarades du réseau anarchiste du Midi, dont André Arru, se réunirent chez Pierre Besnard à Bon-Encontre pour préparer la brochure Les Coupables, que le groupe anarchiste de Marseille devait éditer clandestinement. Besnard fut notamment l’auteur de l’additif intitulé : « Explication résumée d’organisation sociale à base fédérale, syndicale, communale ».

À la Libération, Pierre Besnard et d’autres militants, renonçant à relancer la CGT-SR, lancèrent le 15 septembre 1944 une circulaire intitulée « Appel aux syndicalistes révolutionnaires », qui appelait à rejoindre la CGT unifiée, et demandait« de faire, tous, l’unité syndicale, complète, totale, absolue, qui nous donnera dans ce pays une seule centrale syndicale : la CGT ; dans le monde une seule Internationale dont peu importe son titre. »

Pierre Besnard participa au pré-congrès d’Agen les 29 et 30 octobre 1944 où on lui demanda des comptes sur son adhésion à la Légion. Il expliqua l’avoir fait « mandaté par une organisation syndicale [...] pour y remplir une tâche déterminée » et promit de produire une pièce justificative. Dans les archives d’André Arru à l’Institut d’Amsterdam existe une lettre du 22 novembre 1944 cosignée d’Éloire et de Lefebvre, du groupe de Cagnes-sur-Mer de la FNRCF. Sur cette lettre à en-tête de la Fédération libertaire de langue française, 10 rue de Lancry, Paris 10e, ils déclaraient : « Ayant constaté la dictature intolérable de la légion, les membres du bureau et la commission administrative [du groupe de Cagnes de la FNRCF], non légionnaires, se réunirent et chargèrent trois d’entre eux : les camarades Pierre Besnard, président ; Éloire, vice-président ; et Lefebvre, membre de la commission administrative, de remédier à cette situation. Il fut décidé que le camarade Besnard adhèrerait à la légion pour essayer de briser cette dictature qui empêchait le groupe de travailler et tenter de se renseigner sur les buts réels et le travail effectif de cette organisation. [...] Les soussignés certifient que la mission acceptée par le camarade Besnard, en accord avec eux, a été pleinement remplie ; que le groupe en a recueilli tout le bénéfice. » Malgré cela, à la Libération, Pierre Besnard continua de traîner une réputation sulfureuse auprès des jeunes militants libertaires de la nouvelle génération (témoignages de Georges Fontenis et Gil Devillard).

En mars 1945, les anarcho-syndicalistes fondèrent une tendance au sein de la CGT : la Fédération syndicaliste française (FSF) et Pierre Besnard collabora à son organe, L’Action syndicaliste. Il participa également aux comités de défense syndicaliste (CDS) créés pour regrouper les diverses minorités révolutionnaires au sein de la CGT, et à leur organe La Bataille syndicaliste.

Au plan politique, il se tint à l’écart de la Fédération anarchiste et du Libertaire, mais collabora au journal de Simone Larcher et Louis Louvet, Ce qu’il faut dire. Il accepta également la vice-présidence de la petit Confédération générale pacifiste créée par Louvet les 9 et 16 décembre 1945.

Les 4 et 5 mai 1946, Besnard participa à l’assemblée de la FSF qui décida la rupture avec la CGT et le lancement d’une nouvelle centrale. Celle-ci, fondé les 7, 8 et 9 décembre 1946 salle Susset, à Paris 10e, fut baptisée Confédération nationale du travail (CNT), en référence à la célèbre centrale espagnole. Pierre Besnard y fut rapporteur pour les questions de la « charte » du syndicalisme révolutionnaire (dite « Charte de Paris ») et de l’AIT. Au terme du congrès, il fut élu secrétaire à la rédaction du Combat syndicaliste et secrétaire aux relations internationales de la CNT. Il mourut trois mois plus tard et fut incinéré le 24 février 1947 au columbarium du Père-Lachaise, urne n° 10759.

Très doctrinaire, Pierre Besnard rêva toujours d’un ample mouvement révolutionnaire qui serait sa chose. Théo Argence, qui l’a bien connu, l’a ainsi caractérisé : « Sa trop grande rigidité [...] le conduisait à l’isolement. Ainsi peut s’expliquer, sans le justifier, son besoin de créer des groupements nouveaux qu’il voulait à son image. » Quant à Pierre Monatte, dans son livre Trois scissions syndicales, il voyait en lui « le type même de l’utopiste. Il sortait tout frais des livres et ne se donnait pas la peine de mesurer la réalité. Peut-être lui fallait-il son organisation propre ; sa maison à lui ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157323, notice BESNARD Eugène Pierre [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, Guillaume Davranche, version mise en ligne le 7 mars 2014, dernière modification le 9 octobre 2022.

Par Jean Maitron, Guillaume Davranche

Pierre Besnard (années 1930)
Pierre Besnard (années 1930)
cc Archives de la préfecture de police de Paris

ŒUVRE : Les Syndicats ouvriers et la Révolution sociale, Paris, 1930 — Le Monde Nouveau, édition CGT-SR, 1934 — L’Éthique du syndicalisme, édition CGT-SR, 1938 — Pour assurer la paix, comment organiser le monde, Paris, Éditions sociales [en réalité Toulouse, imprimerie Lion], 1942 — Le Problème des salaires, Éd. Les Problèmes syndicalistes, 1946 ― Le Fédéralisme libertaire, Éd. Ce qu’il faut dire, 1946.

SOURCES : État-civil de Montreuil-Bellay — Arch. Nat., F7/13668, F7/13676 — Arch. Ppo. BA/50, 296 et 1717 (rapports du 5 décembre 1921, du 19 janvier et du 10 mars 1922 — Arch. Jean Maitron. — La Voix du Travail (Jo. 68728). — Compte rendu du IIe congrès syndical extraordinaire de la Seine, 9 avril 1922 ― Lettre de Lefebvre et Éloire du du 22 novembre 1944 (Archives André Arru, IIHS d’Amsterdam) ― Pierre Monatte, Trois scissions syndicales, Éditions ouvrières, 1958 ― Robert Brécy, Le Mouvement syndical en France 1871-1921, Mouton & co, 1963 ― Maurice Labi, La Grande Division des travailleurs, Les Éditions ouvrières, 1964 ― Syndicalisme révolutionnaire et communisme. Les archives Pierre Monatte, Maspero, 1968 — Samuel Jospin, « La CGT-SR à travers son journal Le Combat syndicaliste 1926-1927 », mémoire de maîtrise, Paris-I, 1974 — Jean Maitron, Histoire du mouvement anarchiste français, tome II, Gallimard, 1975 ― Claire Auzias, Mémoires libertaires. Lyon 1919-1939, L’Harmattan, 1993 ― Georges Ribeill, Le Personnel des Compagnies des chemins de fer. Tome 2 : Les cheminots en guerre, 1914-1920, les métamorphoses d’une corporation, Développement et Aménagement, 1988 — Bruce Vandervort, Victor Griffuelhes and French Syndicalism, Louisiana State University Press, 1996 ― Jérémie Berthuin, La CGT-SR et la Révolution espagnole, Éd. CNT-RP, 2000 ― Boris Ratel, « L’anarcho-syndicalisme dans le bâtiment en France entre 1919 et 1939 », mémoire de maîtrise, université Paris-I, 2000 ― Julien Loncle, « Histoire d’un courant anarcho-syndicaliste français : la CNT (1945-1995) », mémoire de maîtrise, université de Bourgogne, 2002 ― David Berry, A History of the French Anarchist Movement 1917-1945, Green Press, 2002 ― Antoine Gimenez et les giménologues, Les Fils de la nuit, 3e éd., Libertalia 2016. ― notes de Boris Ratel.

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