CARPENTIER Charles [François, Charles, dit] [dit Charlot] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean Maitron, complété par Rolf Dupuy et Gilles Morin

Né le 28 octobre 1904 à Reims (Marne), mort le 21 mars 1988 ; ouvrier ; vernisseur en tampon ; communiste libertaire puis collaborationniste durant l’occupation.

François Carpentier
François Carpentier

Fils de François Carpentier et de Germaine Béranger, tisseurs, Charles Carpentier vécut enfant à différents endroits du Pas-de-Calais ; son père, ouvrier anarchiste, changeant souvent de travail. « On avait deux chats, devait-il raconter plus tard. L’un s’appelait Bonnot*, l’autre Vallet*. Aux élections de 1914, c’est moi qui remplis le bulletin de mon père. Il a voté Bonnot. » Il eut une éducation primaire et obtint le certificat d’Études primaires.

Durant la Grande Guerre, l’armée allemande occupa le Pas-de-Calais et, en janvier 1915, Charles Carpentier fut déporté avec son père dans un camp en Allemagne.
Rapatrié par la Croix-Rouge à la fin de la guerre et pris en charge par un oncle, il travailla dans les ateliers de tissage du Nord. Lorsque son père revint de captivité, il travailla avec lui au terrassement des anciens champs de bataille. Vers 1920, il fut employé à pousser des wagons au fond de la mine de Bruay-en-Artois avant de prendre la route et d’exercer divers métiers, dont docker à Rouen. En 1924, il arriva à Paris où il travailla aux Halles et fréquenta les milieux anarchistes.

Incorporé le 10 novembre 1924 dans un régiment de tirailleurs, il fut envoyé dans le Sud marocain pour combattre la rébellion d’Abd-el-Krim. Démobilisé le 10 mai 1926 avec le grade de caporal mitrailleur, il revint à Paris et enchaîna divers petits métiers. Il était décoré de la médaille coloniale avec agrafe du Maroc.

Début 1928 il était domicilié 46, rue Heurtaut, à Aubervilliers, travaillait comme livreur de charbon et était secrétaire du groupe de Saint-Denis de l’Union anarchiste communiste révolutionnaire (UACR). En 1930, il fit la connaissance de Charles Ridel, auquel il allait rester lié toute sa vie par une indéfectible amitié. Ensemble, ils fréquentaient une petite bande de copains qui s’était baptisés les « Moules-à-gaufres » où l’on trouvait également Félix Guyard, Robert Léger et Lucien Feuillade.

Carpentier se fit propagandiste actif des doctrines libertaires en se présentant comme candidat antiparlementaire de l’Union anarchiste aux élections législatives de 1932 dans la 2e circonscription de Saint-Denis, puis à celles de 1936 dans la 4e circonscription de cette ville.

Le 18 mars 1933, il fut désigné secrétaire adjoint de la Fédération parisienne de l’Union anarchiste. Délégué au congrès de l’union régionale parisienne de l’UACR tenu le 4 juin 1933, il y fut élu secrétaire adjoint de l’organisation, au côté d’Henri Bott. Les 14, 15 et 16 juillet suivants, il fut délégué de Saint-Denis au congrès de l’UACR à Orléans et serait devenu secrétaire de l’Union anarchiste. C’est à ce titre probablement qu’il était le locataire en titre du local occupée par les bureaux du journal Le Libertaire, au 9 rue de Bondy (Xe arr.) de 1936 à septembre 1939.

Après la journée du 6 février 1934, alors que la riposte antifasciste se préparait, il passa la nuit du 11 au 12 avec Ridel, à faire le guet, revolver au poing, à la bourse du travail de Paris.

Les 20 et 21 mai 1934, le congrès anarchiste dit « d’unité » vit la réunification, sous les auspices de l’antifascisme, de l’Association des fédéralistes anarchistes (AFA) et de l’UACR, rebaptisée simplement Union anarchiste (UA).

Charles Carpentier fut de la minorité qui refusa cette évolution qui, selon lui, conduisait à un abandon du programme révolutionnaire et communiste. Avec Charles Patat, Louis Le Bot, Ridel, Guyard et Léger, il fonda alors la Fédération communiste libertaire (FCL), dont il fut le trésorier. La FCL critiquait la conception antifasciste « frontiste » de l’UA, qui selon elle conduisait à un abandon des positions de classe. Trop réduite, cette FCL n’eut qu’une existence éphémère et réintégra l’UA au congrès des 12-13 avril 1936. Le 14 juin , le secrétariat de la Région parisienne lui fut de nouveau confié.

En 1936, Ridel et lui sympathisèrent avec Simone Weil lors de la grève à l’usine Sautter-Harlé.

Le 26 juillet 1936, avec entre autres Ridel, il partit comme volontaire en Espagne et fut milicien dans le groupe international de la colonne Durruti. Après la bataille de Perdiguera, le 17 octobre 1936, les deux amis rentrèrent en France pour organiser la solidarité. Madeleine Gil, femme d’un militant espagnol, ayant été trouvée en novembre 1936 en possession de quinze pistolets automatiques avec chargeurs et cartouches que Carpentier lui avait remis, il fut arrêté, mais l’affaire n’eut pas de suites judiciaires. Puis Carpentier retourna à Barcelone fin 1936 comme délégué de l’UA auprès de la Fédération anarchiste ibérique (FAI). Il envoya alors au Libertaire plusieurs articles sur l’évolution de la situation en Espagne.

Lors d’un grand meeting pour le nouvel an, avec Scolari et Balart, il refusa de « chanter L’Internationale avec les bolchos ». Grace à Berthe Ascaso, il fut logé à Barcelone dans une maison réquisitionnée où sa compagne le rejoignit à l’occasion d’un convoi organisé par Pierre Odéon. C’est à cette époque qu’il fit la connaissance du militant italien Ernesto Bonomini qui, le 20 février 1924, avait abattu Nicola Bonservizi, le représentant personnel de Mussolini à Paris.
Durant les journées de mai 1937 à Barcelone, Carpentier participa aux affrontements avec les staliniens. Selon son témoignage à Phil Casoar, il avait installé une mitrailleuse sur le toit de l’usine de savon Myrurgia près de la Sagrada Familia, et aurait participé, en auto blindée, au mitraillage du local de l’Estat Catala. Finalement, écœuré et découragé comme beaucoup de volontaires étrangers, il regagna la France le 19 octobre 1937 (selon une note de police, il aurait été blessé en septembre sur le front d’Aragon). Sans beaucoup d’illusion sur la suite de la révolution, il continua cependant à collecter des armes pour les combattants antifascistes.

Les 29 et 30 octobre 1937, Carpentier participa au congrès de l’UA où il prit la parole. Puis, avec Ridel, il quitta l’organisation. En 1938, il participa à la revue Révision (voir Louis Mercier Vega). En dehors de ses activités anarchistes, Carpentier était membre de la Ligue internationale des combattants de la paix (LICP) et assistait régulièrement aux réunions de la section de Saint-Denis.

Mobilisé en septembre 1939 au 421e Régiment de pionniers à Reims, son régiment fut encerclé par les Allemands, mais il parvint à s’échapper et il fut renvoyé dans ses foyers le 1er août 1940.

Durant l’Occupation, Carpentier fut tout d’abord employé comme manœuvre presseur aux usines Astra à Asnières (il y était entré le 7 juillet 1939 et fut victime d’une compression de personnel en 1942).

Il s’engagea résolument dans la politique collaborationniste, au plan politique et syndical. Carpentier adhéra au RNP dès sa formation en février 1941. Le 17 janvier 1943, date à laquelle il fut mis en disponibilité, Carpentier entra comme contrôleur à la direction des Restaurants communautaires, sur la recommandation de son vieux camarade Charles Patat*, désormais responsable actif du FST et du RNP. Il retrouvait dans cet organisme contrôlé par le RNP et le PPF nombre de militants d’origine anarchistes, comme Henri Sirolle, bras droit de Gabriel Cognacq président du Secours National et l’un des fondateurs des Rescos, Louis Lecoin, contrôleur, Roger Monclin, démarcheur, ou Jules Chazanoff, dit Chazoff.

Puis, à partir du 21 mars 1944, avec, entre autres, Félix Guyard, il travailla au Comité ouvrier de secours immédiat (COSI), un organisme dit humanitaire, créé par les autorités de Vichy avec le soutien des autorités nazies. Il y assurait la fonction d’inspecteur de la province, chargé de coordonner les mouvements locaux.

Le 8 avril 1944, Carpentier fit une demande d’adhésion à la Milice française et signa le 15 mai suivant un bulletin de franc-garde avec photographie, lequel figure dans les archives de la Préfecture de Police. Il s’y présentait comme membre du comité central du Centre syndicaliste de propagande. C’est le secrétaire général du COSI qui lui avait demandé d’adhérer à la Milice française pour constituer une unité de garde des locaux, et il ne participa à aucune opération extérieure. On devait cependant découvrir, dans les archives allemandes, un papier où il reconnaissait avoir provoqué l’arrestation le 5 juillet 1944 d’un membre de la Résistance du nom de François Grandjean, qu’il avait amené dans les locaux du COSI.

Carpentier vivait maritalement à Aubervilliers avec Madeleine Gil, née Pont, née le 11 avril 1914 au Portel (Pas-de-Calais). Ils eurent une fille, née en 1941, qu’il reconnut. Sa compagne fut employée comme secrétaire dactylographe au siège du PPF, 10 rue des Pyramides, puis fut employée au Centre syndicaliste de propagande dont il était membre du comité central. Elle fut affectée au journal syndicaliste collaborationniste, L’Atelier.

En août 1944, il prit le chemin de l’Allemagne avec des responsables du COSI qui s’installa à Tutligen, et il fut envoyé à Geisingen. Il refusa de travailler, fut brièvement emprisonné et franchit la frontière suisse le 24 décembre, puis traversa la frontière française, trois jours plus tard.

Le 1er février 1945, il fut arrêté à son domicile du Perreux-sur-Marne par les inspecteurs de la police judiciaire et inculpé d’intelligence avec l’ennemi. Il fut interné au fort de Charenton, puis à la prison de Fresnes, d’où il fut libéré le 9 novembre 1945, son affaire ayant été classée trois jours plus tôt. L’enquête n’avait pas établi formellement son adhésion au RNP, ni qu’il ait eu une activité quelconque à la Milice, ni qu’il ait eu au COSI une « activité antinationale » caractérisée.

Après la Libération, il cessa tout militantisme. En 1947, il vivait chez son ami Patat lorsqu’il dut comparaitre devant la chambre civique de la Cour de Justice de la Seine. Il était inculpé d’intelligence avec l’ennemi.

Carpentier, qui y figurait depuis 1932, fut rayé de la liste des anarchistes à surveiller le 31 août 1948. Il garda néanmoins le contact avec ses vieux camarades (Ridel, Feuillade) et monta une petite entreprise de transport.

Il se maria le 14 août 1947 à Paris (IXe arr.) avec Jeanne Bonvalot.

Dans les années 1980, il répondit bien volontiers aux questions de jeunes historiens (David Berry, Phil Casoar) sur son expérience espagnole. « Pour moi, déclara-t-il à l’époque, il y a eu la famille et les copains, et l’anarchie. Voilà tout. » Il mourut d’un cancer en 1988.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157330, notice CARPENTIER Charles [François, Charles, dit] [dit Charlot] [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, complété par Rolf Dupuy et Gilles Morin, version mise en ligne le 15 avril 2014, dernière modification le 24 août 2022.

Par Jean Maitron, complété par Rolf Dupuy et Gilles Morin

François Carpentier
François Carpentier

SOURCES : Arch. Nat. Z5/212/7641. — Arch. PPo BA/1900, 1W966/43753, 77W82/91904, GA/241, 1W/10/51142, dossier Madeleine Gil. — Le Libertaire du 14 juin 1933 et du 7 août 1936. — Nécrologie par Lucien Feuillade et Phil Casoar dans Le Monde libertaire du 19 mai 1988. — Antoine Gimenez et les Giménologues, Les Fils de la nuit, 3e éd., Libertalia 2016. — Notes de Marianne Enckell. — État civil.

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