KHADDA Mohammed [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 14 mars 1930 à Mostaganem, mort à Alger le 4 mai 1991 ; artiste peintre, communiste ; co-fondateur de l’Union nationale des Arts plastiques en 1964 à Alger.

Le nom de Khadda est une transcription à l’état-civil colonial, du nom de tribu Benkhedda ; le nom de famille, qui n’a pas été retenu, serait Ladjel. Le père, né en 1912 à La Mina (Relizane), est venu jeune à Mostaganem après avoir été garçon-cocher de diligence, poseur de rails, docker. Devenu aveugle, il continuait à travailler comme garçon d’écurie. La mère, Nebia El-Ghali, née vers 1911 à Zemmora près de Tiaret, venait d’une famille décimée après la vente de ses terres à un colon et écrasement de la révolte tribale par l’armée coloniale. Elle avait la vue totalement usée. À leur mariage à Mostaganem en 1929, les deux parents sont aveugles. Mohammed Khadda est l’aîné de cinq enfants dont deux meurent en bas âge, il voit donc pour ses parents.

En 1936, le garçon suit les cours de l’école indigène de Tigditt, quartier arabe de Mostagnem. La vie est très dure. En 1942, année de famine et de typhus, la famille tente une sorte de retour à Tiaret auprès d’une tante ; Mohammed Khadda a fait la route en portant son petit frère sur les épaules. C’est un échec. Trois mois après : retour à la misère de Mostaganem. L’instituteur retarde la mise au travail de l’élève prometteur Mohammed qui, en 1943, est reçu au concours d’accès au lycée et obtient le certificat d’études en 1944. Il peut alors entrer pour aider à composer, à l’imprimerie de l’Aïn Sefra. Il fait des dessins d’illustration, travaille des croquis. Sa passion des livres – il fait aussi la reliure – est aussi une passion pour la lecture, sur deux registres au bénéfice de l’arrivée très choisie des ouvrages fort nouveaux venant du Caire et de Paris : Hafid, Djami, Omar Khayyam, Mohamed Abdou, Taha Hussien, et André Gide, André Breton, Jean Cocteau. On est dans un autre monde.

Vers 1947, il est rejoint dans ce monde à part et d’avant-garde par un jeune de Mostaganem, plus jeune d’un an, mais qui dessine et peint depuis l’âge de douze ans, Abdallah Benanteur. Ils s’inscrivent à des cours de dessin par correspondance, fréquentent l’École des Beaux-arts d’Oran, réalisent des aquarelles, des pastels passant de la peinture, à la gravure, au modelage, s’essayant à la sculpture. En 1948, allant visiter un ami hospitalisé au sanatorium de Rivet (Meftah), ils font une longue escale au Musée des Beaux-arts d’Alger, approchant les tableaux de Delacroix, Chassériau, Fromentin, mais peu séduits par Dinet, et découvrent des sculptures de Rodin et de Bourdelle. Ils rêvent de Paris, de peinture libre et de surréalisme. Troisième compagnon de Mostaganem et pour le long cours : le passionné de théâtre qu’est Abderrahmane Kaki.

Après la grande secousse de 1945, la jeunesse de Mostaganem s’ouvre au sentiment national ; chaque mouvement a ses Jeunesses. Mohammed Khadda adhère au début à la Jeunesse de l’UDMA, le parti de Ferhat Abbas, balance entre les partisans de Messali autour de Mohammed Tengour et les jeunes communistes avec Mustapha Kaïd. Il suit les cours d’arabe donnés dans un garage, lit Ben Badis, fréquente les ciné-clubs pour les films de Bunuel et de Cocteau, descend à Oran pour voir les expositions et les librairies.

Abdallah Benanteur et Mohammed Khadda s’embarquent pour Paris en 1953. Plus assuré, A. Benanteur perce plus vite dans les galeries, s’imposant par le graphisme et ses monochromes (l’ocre). Tous deux se déclarent de l’école du signe. M. Khadda complète sa formation à l’académie de la Grande Chaumière. Des tableaux sont certes exposés, mais sa première exposition personnelle attendra 1961.

Au quartier Montparnasse, leur lieu de vie et leur dortoir, les cafés et les arrières salles sont les refuges d’agitation polémique et politique traversée par la ligne de partage entre anciens de l’immigation, messalistes, et activistes en verbe ou en acte du FLN. Mais ces intellectuels se veulent plus encore marxistes et révolutionnaires communistes. Le camarade le plus proche, emporté par la recherche théâtrale, est alors Yacine Kateb, et l’inséparable qu’est l’autre peintre M’Hamed Issiakhem, le manchot, plus radical encore. Citons encore le poète écrivain Malek Haddad. Ils se déclarent communistes, adhérents même au parti. « On m’exclut pour trois mois, dira-t-il dans ses souvenirs, pour indiscipline (je réclamais du temps pour peindre) ».

Sa vie se stabilise quand il épouse en 1959, Claudine Lacascade, expulsée d’Algérie où elle était venue comme institutrice en 1956. Elle a passé deux années de prison à Barberousse avec Anna Gréki (Colette Grégoire-Melki) pour aide aux combattants de la libération. Le couple s’installe à Vitry-sur-Seine au sud de Paris ; ils ont deux enfants. La séparation se fait sept ans plus tard. Tout en regimbant à ses heures, Mohammed Khadda se conduit en communiste fidèle au parti (le PCA) mais séparant l’expression artistique, des proclamations d’activisme politique. Ainsi la peinture qu’il dédie à Maurice Audin en 1960 n’a pas besoin d’être figurative ou parlante. (Hommage à Maurice Audin, 1960). Sa force est dans sa concentration.

En 1963, Mohammed Khadda rentre en Algérie. Avant le coup d’Etat militaire de 1965, il prend part aux tentatives d’ouvrir l’action artistique, théâtrale et littéraire. Il prend place dans les expositions et s’adonne à l’illustration des livres de Jean Sénac et Rachid Boudjedra. Il participe à la fondation de l’Union nationale des arts plastiques. Comme Mouloud Mammeri par l’Union des écrivains, il croit à la promotion intellectuelle dans ce moment suspendu de l’année 1964. Il reprendra comme secrétaire de l’Union des artistes de 1972 à 1975, à l’heure de relance d’un socialisme algérien. C’est après l’irruption de la vie associative en octobre 1988, qu’il reviendra encore à l’action publique par la création artistique dans les rues, sur les murs et sur les places.

Le temps d’espoir le plus fort se situe peut-être dans la préparation du Festival panafricain en 1973. Dans l’Afrique, émerge aussi « la maghrébinité » comme l’écrit sa compagne Najet Belkaïd Khadda ; les frontières sont traversées. Mohammed Khadda est fait de continuité, celle de conjonction arabo-berbère qui est au cœur du communisme algérien. S’il y a, surtout dans les années de guerre, référence à l’arabisme, c’est à la Nahda, renaissance de la littérature et de la pensée arabe et non pas réformisme religieux, que va l’appel. Mais le tableau Kabylie est exposé en 1960 (comme Dahra). Après octobre 1988, l’invocation de la berbérité est plus vive.

La grande constance est celle attachée au communisme de parti (PCA puis PACS). Les tableaux et les textes vont à ceux qui font l’identité du parti, de Maurice Audin à Bachir-Hadj-Ali incessamment, jusqu’à la préface pour la réédition de L’Arbitraire, ce livre sur la torture, en 1989. Najet Belkaïd Khadda en témoigne à l’heure de l’engagement pour les droits humains et la citoyenneté. « Artiste et citoyen, il revendique haut et fort ses deux statuts mais sépare de façon drastique son activité militante de son expression artistique, entrant ouvertement en guerre contre les censeurs quils soient porte-parole du discours officiel ou maîtres à penser du parti communiste dont il ne s’est jamais écarté malgré bien des dissensions…autant par foi en l’idéal proclamé que par fidélité à sa classe d’origine ». (« Le signe et l’olivier », Khadda dix ans après, Centre culturel algérien, Paris, 2001, p. 9)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157334, notice KHADDA Mohammed [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 9 mars 2014, dernière modification le 16 septembre 2020.

Par René Gallissot

ŒUVRE : 39 expositions personnelles avec catalogues. — 9 salons. — 38 expositions collectives cataloguées. — Écrits : Éléments pour un art nouveau (Un acte de foi) par Anna Gréki ; Pour un dialogue par Mohammed Khadda, Alger 1966. — Éléments pour un art nouveau, SNED, Alger, 1972. — Feuillets épars liés, SNED, Alger, 1983. — Khadda, textes et illustrations de l’artiste, Éditions Bouchène, Alger, 1987.

SOURCES : Michel-Georges Bernard, KHADDA, ENAG éditions, Alger, 2002. — Parmi les ouvrages collectifs : « Khadda, du méridien zéro à l’infini du possible », Beaux-Arts, n° 1, Musée national des Beaux-Arts, Alger, 1994. — Anissa Bouayed, L’art et l’Algérie insurgée : les traces de l’épreuve (1954-1962), préface d’Henri Alleg, ENAG éditions, Alger, 2005.

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