KHALED ibn El-Hachemi ibn el-hadj Abdelkader dit l’Émir Khaled [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 20 février 1875 à Damas (Syrie), mort le 9 janvier 1936 à Damas (Syrie) ; petit-fils de l’Émir Abelkader ; officier de l’armée française ; leader du mouvement Jeune Algérien en 1913-1923 ; associé par les communistes à la première Étoile nord-africaine en France, premier mouvement à réclamer l’indépendance algérienne ; retiré en Orient.

Une partie des descendants de l’Émir Abelkader sont restés installés en Syrie où est né l’Émir Khaled. Le père de Khaled revient en Algérie en 1892 et l’envoie poursuivre ses études avec une bourse au lycée Louis le Grand à Paris. Il est ensuite admis sans examen à Saint-Cyr en 1893. Il quitte l’École militaire sans avoir terminé ses études, ce qui crée un premier différend avec les autorités françaises qui assignent la famille à résidence surveillée à Bou-Saâda (oasis du sud Constantinois). Mais, grâce à un arrangement avec le commandement militaire, Khaled rejoint Saint-Cyr en 1896. Il sert ensuite comme officier à titre indigène, ce qui limite sa carrière, puisqu’il refuse de renoncer au statut musulman pour devenir citoyen français de statut civil, ce qu’on appelle abusivement naturalisation. Il reste donc sujet français de statut musulman.

Après la première campagne du Maroc, il est promu capitaine, un grade élevé pour un « indigène ». Cependant, il devient plus encore suspect aux autorités françaises pour ses relations familiales au Maroc : un oncle qu’il soutient, ayant pris le parti du sultan déchu, Khaled démissionne de l’armée en 1910, puis revient sur sa démission en 1911, mais, bloqué à Alger, il se met finalement en congé de l’armée en juin 1913.

C’est à partir de cette date qu’il s’engage politiquement en soutenant le mouvement « Jeunes Algériens », à l’exemple des mouvements de jeunesses nationalistes de l’époque (Jeunes persans, Jeunes Turcs surtout derrière Mustapha Kemal, et Jeunes Tunisiens tout proches et en liaison). Le comité de défense des intérêts musulmans constitué en 1912 réclame à la France des réformes en compensation des mesures de conscription. Deux tendances apparaissent dans ce mouvement malgré les chevauchements : celles des partisans de l’assimilation française en renonçant au statut musulman, et celle qui va se grouper derrière l’Émir Khaled et qui, tout en demandant l’égalité des droits et une représentation élue des indigènes, rejette la « naturalisation » française. À la fin de 1913, l’Émir Khaled fait une première tournée de conférences à Paris, non sans quelque succès.

À la déclaration de guerre, Khaled se réengage dans l’armée française. Il est envoyé au front ; il est ramené sur Paris en 1916 pour se faire soigner d’une tumeur mauvaise au larynx. Convalescent, il peut participer en 1917 au congrès de la Ligue française des droits de l’homme. Réformé en 1918, il demande à revenir au service actif dans l’espoir d’une ouverture des carrières à égalité de droits pour les indigènes musulmans selon les promesses faites pour récompenses de guerre. Déçu, il prend définitivement sa retraite.

Il est particulièrement outré par la maigreur des avantages accordés et la faiblesse des réformes de la loi Jonnart votée en février 1919. Il se retourne contre la souveraineté française abusive en Algérie et s’adresse, en avril 1919, au président des Etats-Unis, Wilson, en invoquant sa promesse du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il demande que des représentants algériens librement choisis participent à la conférence de la paix. La lettre-pétition fait le procès de la colonisation en des termes empruntés au mouvement ouvrier (paupérisation, exploitation, asservissement).

Revenu à Alger, il prend la tête du mouvement de revendications devenant le véritable leader des nouveaux Jeunes Algériens. Il se lance dans les batailles électorales : élections municipales d’Alger, élections et démission du conseil général et des Délégations financières. En janvier 1922, il fonde la Fraternité algérienne qui reprend l’hebdomadaire des Jeunes Algériens l’Ikdam (la vaillance). L’association entend non seulement élargir les quelques réformes de 1919 et abolir le code répressif de l’indigénat, mais revendique « une politique d’association avec la France » pour améliorer « la situation matérielle, morale, intellectuelle, économique et politique des populations musulmanes d’Algérie ». L’Émir Khaled soutient ces revendications en avril 1922 face au président de la République Millerand en visite officielle à Alger.

La Fraternité algérienne tient ses réunions dans les villes et bourgades d’Algérie et établit des comités locaux où se rencontrent Jeunes musulmans et Jeunesses communistes. Des articles et signatures s’échangent entre l’Ikdam et La Lutte Sociale. C’est probablement ce rapprochement et cet entraînement qui provoquent la violente campagne de la presse coloniale qui lance contre l’Émir Khaled toutes les accusations possibles et demande son expulsion ou son arrestation, sinon pis. L’Émir Khaled abandonne ses mandats, se retire en juin 1923 en Égypte où triomphait le leader du parti Wafd (délégation), Zaghloul Pacha, qui avait arraché à la Grande-Bretagne la promesse de l’indépendance. Ce retrait a été plus ou moins négocié avec les ministères français.

Au début de l’été 1924, après la formation à Paris du gouvernement Herriot du Cartel des gauches (Radicaux, autres Républicains de gauche ou socialistes, SFIO, mais pas les communistes), l’Émir Khaled vient à Paris pour présenter à nouveau « Les revendications primordiales des musulmans algériens ». Première conférence, bénigne, le 12 juillet à la bien-pensante association de commerçants La Fraternité musulmane (et non pas Fraternité algérienne). Une semaine plus tard, avec le concours de l’Union intercoloniale, de la CGTU, du Parti communiste et de l’Humanité, une conférence est organisée le 19 juillet 1924, salle Blanqui, salle ouvrière s’il en est ; interviennent également l’avocat communiste André Berthon, un des premiers responsables de la Commission coloniale du PC, et Abdelkader Hadj-Ali, un des dirigeants de l’Union intercoloniale, organisation communiste qui réclame l’indépendance des colonies. La conférence de l’Émir Khaled sur « la situation des musulmans d’Algérie », « conférence faite à Paris devant plus de 12 000 auditeurs » (chiffre gonflé), est publiée par Trait d’Union à Alger, revue que dirige Victor Spielmann qui était alors membre de la Région d’Algérie du PC et poursuivait l’action de la Fraternité algérienne.

L’Émir Khaled est en relation avec la Commission coloniale du PC et plus encore avec les communistes de l’Union intercoloniale. Il a peut-être aussi des contacts avec les envoyés de l’Internationale communiste. En tout cas, c’est à cette époque que la Commission coloniale du PC envisage l’autonomisation de la section nord africaine de l’Union intercoloniale qui recouvre en fait le secteur chargé de la main d’œuvre nord africaine de la CGTU. Le 7 décembre 1924, la CGTU organise le premier congrès des ouvriers nord-africains de la région parisienne – quinze délégués y assistent – qui désigne un bureau maghrébin et reprend pratiquement les revendications de l’Émir Khaled en précisant l’exigence du « suffrage universel pour tous les indigènes au même degré que les citoyens français ».

Lors des « congrès nord-africains » suivants organisés par la CGTU en 1925, ce programme est argumenté par la demande d’élection par le suffrage universel d’une Assemblée constituante, ce qui évoque la Révolution française et surtout implique l’indépendance de l’Algérie. Ce mot d’ordre qui devient pour l’Algérie : « élection d’un parlement au suffrage universel » accompagne en France la campagne communiste contre la guerre du Rif et de Syrie ; en Algérie également, quand la Région communiste place en tête de liste, bien qu’inéligible et absent, l’Émir Khaled, aux élections à Alger.

Plus encore la revendication est reprise dans la plateforme de l’Étoile nord-africaine finalement constituée à Paris en mars et mai 1926 (cf. Abdelkader Hadj-Ali). L’ENA est placée sous la présidence de l’Émir Khaled et reprend le titre de son hebdomadaire pour son journal : l’Ikdam nord africain. Ce programme passe ensuite à La Glorieuse Étoile nord-africaine, réorganisée par Messali en 1933, puis du PPA (1937) au MTLD (1947).

Mais l’Émir Khaled s’était de nouveau retiré à Alexandrie dès l’automne 1924 en accord financé avec les services français au delà de sa pension d’officier français en retraite. L’ENA n’en continue pas moins à afficher son nom. Sa mort en janvier 1936 est célébrée en Algérie par des manifestations qui se réclament « du grand chef nationaliste », à peine six mois avant que se réunisse à Alger, le congrès musulman algérien rassemblant différents courants nationalistes aux côtés des communistes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157336, notice KHALED ibn El-Hachemi ibn el-hadj Abdelkader dit l'Émir Khaled [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 9 mars 2014, dernière modification le 16 septembre 2020.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. Nat., France, Paris, F7 12 952 et F17 25404. — Arch. ministère d’Outre mer, Paris, SLOTFOM, série 3, carton 45 et série 5, cartons 11 et 26. — Arch. Outre-mer, Aix-en-Provence, 9H30 et 9H 42. — L’Ikdam (1919-1923). — Le Paria (1920-1924). — Sur la discussion ouverte par Ch. R. Ageron, « L’Émir Khaled petit-fils d’Abdelkader fut-il le premier nationaliste algérien ? », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n° 2, 1966, repris dans Politiques coloniales au Maghreb, Paris, PUF, 1972 ; version nationaliste : M. Kaddache, L’Émir Khaled, OPU, Alger, 1987 ; pièces du dossier et mise au point dans A. Koulakssis et G. Meynier, L’Émir Khaled, premier za’îm ? Identité algérienne et colonialisme français, L’Harmattan, Paris 1987, et idem, notice « L’Émir Khaled » dans Parcours, op. cit., n° 10, décembre 1988. — O. Carlier, Entre Nation et Jihad, op. cit.

Version imprimable