DELALÉ Auguste, André [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean Maitron, Guillaume Davranche, Rolf Dupuy

Né à Tours (Indre-et-Loire) le 16 mai 1864 ; mort à Paris le 12 mai 1910 ; cordonnier, puis représentant de commerce ; syndicaliste et anarchiste.

Auguste Delalé (1907)
Auguste Delalé (1907)
Le Petit Parisien du 30 avril 1907.

Auguste Delalé naquit dans une famille pauvre de tisseurs. Dès son jeune âge, il fut lui-même apprenti tisseur, mais, rapidement, il abandonna ce métier pour apprendre celui de cordonnier à Romans (Drôme), centre provincial important de la cordonnerie.

Dans les années 1880, Delalé était membre du groupe Les Indignés de Vienne. Puis il partit pour Paris et apporta sa collaboration par quelques articles à La Révolte de Jean Grave. De mars au 20 octobre 1893, il fut gérant du Père Peinard d’Émile Pouget, ce qui lui valut deux séjours en prison pour diffamation (l’un à Cherbourg en décembre 1893, l’autre à Grenoble en mars-avril 1894). Il était alors ouvrier en chaussures à Romans (Drôme).

Le rapport d’une visite que sa femme lui fit dans sa cellule de la prison de Grenoble (publié dans La Libre Parole du 27 mars 1894) apporte un témoignage sur le sort des anarchistes emprisonnés pendant cette période d’attentats : « J’ai trouvé mon mari bien changé. On l’a mis au cachot pendant huit jours pour s’être plaint qu’on ne le regardait pas comme un détenu politique ; pendant ces huit jours, il a vécu avec une livre et demie de pain, sans soupe. Il m’a déclaré [...] qu’il se serait suicidé s’il avait pu. Il est maigre à faire peur et marche courbé en deux, par suite de violentes douleurs dans les reins. J’ai voulu lui faire passer une ceinture de flanelle, mais on n’a pas voulu la lui faire parvenir. »

Libéré, Delalé reprit son métier de cordonnier à Romans, puis, après avoir effectué à Vienne (Isère) une période militaire de 28 jours, il s’installa à Bourg-de-Péage. Il apparut alors comme le porte-parole du groupe anarchiste, et il intervint fréquemment dans les réunions publiques.

À l’époque de l’Affaire Dreyfus, en 1898-1899, il participa, avec une partie des socialistes romanais divisés, à la constitution d’une éphémère Ligue de la coalition des forces révolutionnaires de Romans et Bourg-de-Péage, très vraisemblablement dans l’esprit de la Coalition révolutionnaire de cette période (voir Broussouloux).

Le 23 janvier 1900, il porta, à Romans, la contradiction à Jules Guesde et à Alexandre Zévaès, leur reprochant de « leurrer les masses populaires », les invitant à « dire vraiment si oui ou non on peut sans violence arriver à la Révolution ».

Au début de 1901, Delalé, qui avait quitté le département de la Drôme, fut un temps représentant de commerce pour une bijouterie de Besançon. Il s’installa ensuite comme tisseur à Tours (Indre-et-Loire) où il monta un groupe anarchiste et anima de nombreuses conférences : il y dénonça par exemple un couvent qui exploitait de la main d’œuvre enfantine. De nombreux militants passèrent alors chez lui, dont Jean Marestan, Louise Michel, Laurent Tailhade et Alexandre Jacob.

En mai 1903 il revint à Paris avec sa compagne, Aline Blanc, ex-épouse Rigaudin, qu’il avait rencontré à la Maison du Peuple de Romans, et qui était la mère de la future Jeanne Humbert. Des compagnons leur trouvèrent un logement rue Cavé, à Montmartre, et Delalé reprit son métier de cordonnier et collabora de nouveau à la presse anarchiste. En juillet 1903, deux articles, « À l’œuvre » et « Anarchismes », parus dans les numéros des 1er et 15 mai 1903 du Libertaire, lui valurent une nouvelle condamnation à deux mois de prison pour diffamation, cette fois à Dijon.

Sa sortie de prison marque le début de son engagement actif dans le mouvement syndical.

Pendant une courte période, en mai 1904, il remplaça le vieux militant cordonnier Le Mao comme gérant de l’organe officiel de la fédération nationale des Cuirs et Peaux, L’Ouvrier des Cuirs et Peaux. C’est vers la même époque qu’il fut élu secrétaire appointé du syndicat de la cordonnerie parisienne, poste qu’il occupa alternativement avec un autre anarchiste, Bossard, qui lui succéda définitivement en 1907.

En juin 1904, avec Georges Yvetot, il représenta la bourse du travail de Paris au congrès d’Amsterdam où fut fondée l’Association internationale antimilitariste (AIA). Francis Jourdain en donna alors cette description : « Délalé, zélé syndicaliste très fier de l’aisance avec laquelle depuis quinze ou vingt ans, il faisait retentir à maintes tribunes une voix caverneuse dont la puissance n’était pas diminuée par une bronchite chronique que quarante cigarettes quotidiennes entretenaient soigneusement. » Lorsqu’une section française de l’AIA fut créée en septembre 1904, Delalé en fut le trésorier.

En janvier 1905, il était secrétaire du Comité Pivoteau, créé en 1903 pour soutenir un ouvrier ajusteur, Victor Pivoteau, qui avait tué à coups de revolver et de poinçon le contremaître qui refusait de le réembaucher. L’adresse du comité était dans le bureau n°18 (celui de Delalé) à la bourse du travail de Paris. Malgré une campagne en sa faveur, Pivoteau fut condamné le 9 janvier 1905 à dix ans de réclusion.

En avril 1907, Delalé fut arrêté en application des « lois scélérates ». Il avait déclaré devant un rassemblement e cordonniers en grève : « Le Clemenceau d’hier ne ressuscitera pas, mais il pourrait ressusciter quelque Ravachol ou quelque Émile Henry. » Finalement il y eut non-lieu.

Du 20 au 22 février 1908, Delalé comparut devant la Cour d’assises, avec 11 autres militants de la CGT, pour l’affiche « Gouvernement d’assassins », éditée en juin 1907 pendant la lutte des vignerons du Midi. Les 11 autres inculpés étaient Griffuelhes, Pouget, Monatte, Janvion, Beausoleil, Garnery, Delesalle, Luquet, Forgues, Merrheim et Jean Martin. Défendus par Me Bonzon, « les Douze » furent acquittés.

Après cela, Auguste Delalé continua à jouer un rôle d’une certaine importance dans le syndicat de la cordonnerie parisienne et à la fédération des Cuirs et Peaux, et continuait à écrire dans la presse anarchiste. En juin 1908, il fut délégué de la CGT lors d’une grève des cordonniers du cousu-main à Paris. En octobre, il fut parmi les cofondateurs du Comité de défense sociale (voir René de Marmande).

Le 11 décembre 1908, il fut élu à la commission des grèves et de la grève générale de la CGT par la section des bourses du travail.

En mars 1909, il fit la demande d’une licence de gérant pour l’hebdomadaire anarchiste chinois Xin Shiji (publié à Paris de 1907 à 1909) sous-titré en espéranto La Novaj Tempo puis en français Le Nouveau Siècle en référence aux Temps nouveaux de Jean Grave. Le journal avait été fondé par Li Shizeng, Wu Zhihui et Zhang Jingjiang. Delalé devait remplacer le précédent gérant, Léopold Verrier. À l’époque, ne trouvant plus d’emploi comme cordonnier, il s’était fait représentant et était syndiqué chez les voyageurs de commerce.

En avril 1909, il se rendit à Méru (Oise) pour soutenir la grève des boutonniers. Selon le témoignage de Pierre Tesche, il souffrait alors d’une laryngite tuberculeuse qui s’aggrava du fait qu’il passa toute une nuit dehors, par un temps froid et pluvieux.

À l’aube du 11 juin 1909, son domicile fut perquisitionné dans le cadre de l’enquête sur la vague de sabotage contre les lignes télégraphiques et téléphoniques. Il habitait alors 21, rue Pradier, à Paris 19e.

Delalé mourut le 12 mai 1910 à Paris. Son corps fut incinéré au cimetière du Père-Lachaise. Aux obsèques assistaient des personnalités du monde syndical et anarchiste comme Henri Dret, Malato, Montehus et Alexandre Luquet. Le syndicat des ouvriers tabletiers de l’Oise s’associa aux condoléances, affirmant que « le nom du regretté Delalé restera toujours gravé dans le cœur et dans la mémoire des syndicalistes de Méru et des environs ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157364, notice DELALÉ Auguste, André [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, Guillaume Davranche, Rolf Dupuy, version mise en ligne le 10 mars 2014, dernière modification le 10 février 2019.

Par Jean Maitron, Guillaume Davranche, Rolf Dupuy

Auguste Delalé (1907)
Auguste Delalé (1907)
Le Petit Parisien du 30 avril 1907.

SOURCES : Arch. PPo. BA/1686, rapport du 29 juin 1905, BA/1601, rapport du 29 avril 1907, BA/882, 1686 et 1028 dossier Delalé — AD de la Drôme Z 3214, M 1673, 8 octobre 1895 — AD d’Indre-et-Loire, cabinet du Préfet sous-série 1 M 297 « Anarchistes » ; police : 4 M 583 et 584 « Anarchistes » ― La Révolte, année 1888 et 1892 — L’Humanité du 10 janvier 1905 et du 21 février 1908 ― L’Action syndicale (Lens) du 1er janvier 1905 ― L’Intransigeant du 11 juin 1909 ― L’Humanité des 13 et 17 mai 1910 — Francis Jourdain, Sans remord ni rancune, Corrêa, 1954 ― Recherches de Bruce C. Vandervort et de R. Pierre pour la Drôme — Francis Ronsin et Roger-Henri Guerrand, Le Sexe apprivoisé. Jeanne Humbert et la lutte pour le contrôle des naissances, La Découverte, 1990 — Notes d’Angel Pino et Edouard Sill.

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