DUMAS Pierre [dit Diogène] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean Maitron, notice revue par Guillaume Davranche

Né à Mèze (Hérault) le 20 mars 1875, mort à Conflans-Sainte-Honorine (Seine-et-Oise) le 25 janvier 1960 ; ouvrier tailleur et marchand forain ; syndicaliste et anarchiste, puis socialiste, puis monarchiste.

Pierre Dumas (1920)
Pierre Dumas (1920)
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Anarchiste, Pierre Dumas fut également un important responsable confédéral de la CGT. Secrétaire de la fédération de l’Habillement, une corporation très féminisée, il fut, avec Georges Yvetot, un des dirigeants de la CGT les plus sensibles à la question de la syndicalisation des femmes. La Grande Guerre le fit basculer dans le patriotisme, et il adhéra au PS, puis à l’Action française.

Pierre Dumas naquit dans l’Hérault de parents auvergnats, et fut élevé en Auvergne. Dans son jeune âge, un accident devait lui laisser une jambe infirme.

Après avoir été membre du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire de Jean Allemane, il s’établit à Genève comme ouvrier tailleur et s’engagea dans le mouvement syndical avec Louis Bertoni. En 1900, il était président du syndicat des tailleurs de Genève et devint, en 1901, vice-président de la Fédération des syndicats ouvriers genevois.

En 1902, il participa au journal bimensuel, L’Émancipation, animé par Held* et Truan*. En septembre 1902, il intervint dans la grève des tramways de Genève, qui préluda à la grève générale du canton. Suite à ces événements, Dumas fut expulsé du territoire. Il habita alors 1, rue des Carmes à Saint-Claude (Jura). En novembre 1902, la coopérative d’alimentation La Fraternelle, à Saint-Claude licencia son épouse, et lui-même fut victime d’un grave accident qui le tint immobilisé plusieurs mois.

En juin 1903, il aima une assemblée de plus de 200 personnes qui fonda un syndicat du bâtiment et un syndicat des industries diverses. En novembre 1903, il publia un premier numéro de L’Aube nouvelle, « organe des communistes libertaires de l’Est ». Il s’établit ensuite 16, rue de Strasbourg à Grenoble (Isère), où il relança son journal pour 7 numéros. Dans un rapport du 1er décembre 1903, la police nota qu’il était un très bon propagandiste, n’ayant « rien à voir avec les anarchistes ancienne manière et leur propagande par le fait ». En mai 1904, il déménagea au 15, rue du Drac.

Au moment où Pierre Dumas s’installait à Grenoble, le mouvement socialiste local traversait une crise causée par la scission de Zévaès du Parti socialiste de France (PSdF). Pierre Dumas réussit à grouper autour de ses positions une trentaine de guesdistes en rupture de ban, et il semble qu’il ait conçu, pendant un temps, un projet de bourse du travail « rouge ». Cependant, le courant libertaire devenait peu à peu majoritaire à la bourse, ce qui se traduisit par l’élection d’Eugène David au secrétariat. Pierre Dumas semble malgré tout être entré en conflit avec cette nouvelle direction.

En 1904-1905, il habita Ambérieux (Ain), où il exerçait comme marchand forain, profitant de son travail itinérant pour faire de la propagande. En septembre 1904, il représenta les métallurgistes de Saint-Claude au congrès CGT de Bourges.

De 1905 à 1909, il vécut à Lyon comme marchand forain. Il y relança L’Émancipation, qui parut d’avril 1906 à janvier 1907. En 1906, il fut jugé pour un article faisant l’apologie d’un attentat à Madrid, mais fut relaxé.

Le 22 juin 1907, il donna, avec Étienne de Richaud, une conférence qui glorifiait la mutinerie des soldats du 17e régiment d’infanterie à Béziers. Cela leur valut une inculpation pour provocation au meurtre. Devant les assises, le 28 novembre, Germain de Richaud récolta deux ans de prison et Pierre Dumas seulement dix-huit mois avec sursis, ayant bénéficié des circonstances atténuantes.

En juillet 1907, avec Germain de Richaud, il avait également cosigné le manifeste « Bravo ! L’armée antimilitariste ! », toujours en rapport avec le 17e régiment d’infanterie. Le 29 novembre, il comparut devant les assises du Rhône et fut acquitté, avec l’ensemble des vingt-deux inculpés (voir Albert Bécirard).

En 1908, alors qu’il habitait au 65, rue Cuvier, à Lyon, Pierre Dumas collaborait à La Guerre sociale. En octobre, il fut délégué fédéral de l’Habillement au congrès CGT de Marseille. En 1909, il fut élu secrétaire de la Fédération nationale de l’habillement, qui avait son siège à Lyon, et fit partie du « noyau » de La Vie ouvrière, fondée par Pierre Monatte en octobre.

En 1910, il tint une chronique syndicale dans Le Libertaire. Lié au groupe anarchiste de Saint-Étienne, il prit une part active à la grève du Chambon-Feugerolles. Du 14 au 17 août 1910, il participa au congrès de l’Habillement, à Paris, où fut débattu le meilleur moyen d’organiser les femmes : syndicats féminins ou syndicats mixtes ? Dumas préconisa que l’on applique l’un ou l’autre formule, en fonction des circonstances locales.

En septembre, il se rendit à Paris pour appuyer la grève des midinettes de la maison Esders. En octobre, il fut délégué de la fédération de l’Habillement au congrès CGT de Toulouse et, en décembre, fut élu secrétaire adjoint de la CGT et membre de la commission de La Voix du peuple. Il s’installa alors à Nogent-sur-Marne, au 1, avenue du Val-de-Beauté.

Lors de la conférence extraordinaire des bourses et unions de syndicats de la CGT, tenue à Paris du 22 au 24 juin 1911, Pierre Dumas soutint vigoureusement la proposition de campagne en faveur de la semaine anglaise, notamment parce que cette revendication lui semblait à même de mobiliser les femmes.

Le 22 août 1911, il remplaça Victor Griffuelhes comme administrateur du quotidien La Bataille syndicaliste. Un rapport de police de cette période le jugeait « très intelligent » et estimait qu’il jouait « un rôle prépondérant dans les milieux révolutionnaires ».

En novembre-décembre 1911, il soutint de nouveau la grande grève des midinettes de la maison Esders. Le 24 décembre, lors d’une manifestation rue de Rivoli, il fut arrêté et molesté par la police.

Dumas fut également membre du comité de L’Entr’aide, une caisse de solidarité avec les militants emprisonnés et leurs familles, impulsée par la FCA en juin 1912. Le comité de L’Entr’aide (voir Édouard Lacourte), rassemblait une quarantaine de « personnalités » communistes libertaires et syndicalistes révolutionnaires.

Au congrès de l’Habillement, tenu du 15 au 18 août 1912 à Bordeaux, il insista encore une fois sur le lien entre la revendication de la semaine anglaise et l’organisation des femmes.

En septembre 1912, il représenta la fédération de l’Habillement au congrès CGT du Havre. Il y prononça un vigoureux discours estimant qu’il fallait dépasser la « crise syndicaliste » en renforçant l’autonomie de l’organisation ouvrière face au patronat et à l’État. Il plaida en faveur de l’augmentation des cotisations, se prononça contre les subventions aux bourses du travail et contre tout rapprochement avec le PS.

Au cours de l’année 1913, il s’éleva contre la campagne « antifonctionnariste » menée par les libertaires au sein du mouvement syndical. Dans un article virulent de La Voix du peuple du 9 novembre 1913, « La campagne contre les fonctionnaires syndicaux », il mit au défi Les Temps nouveaux, Le Libertaire et Le Réveil communiste anarchiste, de se séparer de leurs « fonctionnaires » Pierre Martin, Jean Grave et Louis Bertoni. Dans La Voix du Peuple (Lausanne) du 6 décembre 1913, un certain M. M. lui répondit : « Nous avons connu, dans le temps, un Pierre Dumas qui n’était pas celui d’aujourd’hui. Il se tenait à la gauche anarchiste et nous ne sommes pas loin de croire qu’il suffit à certaines personnes d’être nanties d’une place de permanent pour les faire girouetter. »

En août 1914, Pierre Dumas, boiteux, fut réformé. Devenu un des chantres de l’union sacrée, il fut membre de la commission d’action PS-CGT. Il adhéra ensuite au PS, section de Paris 20e, groupe du Père-Lachaise, dont il devint un des principaux animateurs. Lors d’une réunion, le 8 juillet 1915, il y invoquait « la vieille idée de Blanqui qui plaçait avant toute chose la défense du pays ». Soutien inconditionnel du gouvernement et de l’effort de guerre, il se montra réticent devant les grèves de midinettes de mai 1917 et de septembre-octobre 1918. Lors du second mouvement, il négocia néanmoins quelques concessions du patronat pour accélérer la reprise du travail.

Il a été identifié par Julien Chuzeville comme étant l’informateur de police au sein du comité confédéral de la CGT pendant la Première Guerre mondiale. Il signait ses rapports à la police sous le numéro « 13 ».

Du 12 au 15 août 1917, Pierre Dumas organisa le congrès fédéral de l’Habillement à la bourse du travail de Paris. Lors du vote sur l’attitude face à la guerre, la majorité d’union sacrée, autour de lui, obtint 34 voix, contre 8 à la minorité, et 6 abstentions.

En septembre 1917, il participa, avec Léon Jouhaux, à la conférence syndicale interalliée de Londres.

Délégué à la conférence extraordinaire de la CGT à Clermont-Ferrand du 23 au 25 décembre 1917, il y apparut comme un fervent jusqu’au-boutiste, invoquant le patriotisme révolutionnaire de Blanqui, s’élevant contre la Révolution russe, insinuant que Trotsky était un agent de l’Allemagne, et niant toute responsabilité de la France dans la guerre. À cette époque, il collaborait à la revue syndicale bimensuelle La Clairière, dont il serait un des administrateurs en avril-mai 1919. En 1919, il fonda La Revue du travail, organe syndicaliste réformiste bimensuel, de tendance corporatiste et patriote. Les syndicalistes minoritaires le dénonçaient comme représentant de l’aile la plus droitière de la CGT, désormais favorable à la collaboration de classe.

Il resta à la tête de la fédération de l’Habillement jusqu’en août 1920, date à laquelle il fut remplacé par Ringenbach, et fut délégué, toujours comme majoritaire, aux congrès confédéraux de 1918, 1919 et 1920.

Fin 1921 ou début 1922, il rejoignit l’Action française. Il s’en expliqua à Rémi Roure dans L’Information sociale du 1er juin 1922 : « Ce n’est pas moi qui ai abandonné les idées révolutionnaires, disait-il, mais bien plutôt celles-ci qui se sont dérobées. En réalité, je suis à la recherche d’une doctrine de vie homogène et cohérente depuis 1912. Aujourd’hui je sais qu’il y avait sous la France monarchiste une vie des métiers dont nous avions, nous ouvriers français, perdu la tradition. Tout le chemin parcouru ainsi m’a ramené à mes origines d’ouvrier, de paysan sortant d’une famille conservatrice et catholique. » Il devint un des principaux animateurs de l’Union des corporations françaises (UCF) fondée par Georges Valois en décembre 1923. Il le suivit ensuite lorsque celui-ci, en 1925, quitta l’Action française pour fonder le Faisceau. Il en fut le vice-président.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157367, notice DUMAS Pierre [dit Diogène] [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, notice revue par Guillaume Davranche, version mise en ligne le 10 mars 2014, dernière modification le 1er novembre 2022.

Par Jean Maitron, notice revue par Guillaume Davranche

Pierre Dumas (1920)
Pierre Dumas (1920)
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Équipe de rédacteurs et administrateurs de la Bataille Syndicaliste.
2e rang : ? - Schmitt - Dumas - Harmel
1er rang : A. Dunois - Séné - E. Morel - P. Monatte
Jean Maitron,Histoire du mouvement anarchiste, Sudel, 1955.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13053 et F7/13596 (23 août 1911) — Arch. Dép. Isère 75 M 35 — État civil, Mèze (Hérault) — L’Humanité du 25 décembre 1911 — La Voix du peuple (Lausanne) du 9 novembre 1913 ― Almanach de l’Action française pour l’année 1923Le Faisceau des combattants, des chefs de famille et des producteurs, brochure de 16 p., s.d. (Arch. PPo., dossier Valois, 2 649) — Madeleine Guilbert, Les Femmes et l’organisation syndicale avant 1914, CNRS, 1966 — Syndicalisme révolutionnaire et communisme. Les Archives de Pierre Monatte, Maspéro, 1968 — Christian Gras, Alfred Rosmer, 1877-1964, Maspero, 1971 — Félix Cicéron, « Les premiers anarchistes à Saint-Claude, 1893-1905 », mémoire de maîtrise, université de Besançon, 1977 — Jean-Louis Robert, Les Ouvriers, la patrie et la révolution, Annales littéraires de l’université de Besançon, 1995 — Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914), L’Insomniaque/Libertalia, 2014 — Julien Chuzeville, Militants contre la guerre 1914-1918, Spartacus, 2014, p. 75 — Notes de Rolf Dupuy et Marianne Enckell.

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