KHOBZI Kaddour [Dictionnaire Algérie]

Par Jean-Louis Planche

Né en 1903 à Orléansville (Chlef) ; instituteur ; militant syndicaliste CGTU et communiste, membre suppléant du comité central du PCA en 1937 ; à Alger en 1947, en opposition avec la ligne communiste sur la question palestinienne ; interdit de PCF à son retour en France en 1949.

Scolarisé d’abord à l’école « indigène » (école primaire française de bas niveau) puis à l’école primaire française, Kaddour Khobzi obtint une bourse par concours et put accéder au cours complémentaire puis entrer en 1921 à l’École normale de la Bouzaréah où son frère Ahmed l’avait précédé, et où son cadet Mohamed le suivit en 1922. Dans une promotion qui comptait quatorze élèves-maîtres indigènes et quatre vingt « européens », il supporta mal de vivre séparé des élèves-maîtres européens ; les élèves-maîtres indigènes avaient en effet leur dortoir à part, leur salle-à-manger et, pire encore, leur vaisselle ; les élèves-maîtres juifs, étant citoyens, étaient rangés avec les Français. À Alger, il fréquenta Victor Spielmann, ami de son frère, et a pour condisciple Ahmed Smaïli.

Au sortir de l’école normale, il fit deux ans de service militaire, mobilisé à Blida dans l’artillerie. Faute de pouvoir suivre les cours de préparation militaire supérieure, réservés aux citoyens français, il dut se contenter de suivre le peloton d’élève sous-officier. Sorti brigadier, il partit en avril 1925 pour le Rif, engagé dans les combats dès le mois de juin, et y resta jusqu’en août 1926. Se battre contre des musulmans luttant pour leur liberté dans le Rif était, pour des Algériens, un problème grave. Mais ils n’en parlaient pas entre eux car cela aurait soulevé la question de la désertion. Or, il n’y eut pas de désertions.

Retour du Rif, Kaddour Khobzi obtint en octobre 1926 son premier poste à Sidi Ouadda, commune d’Ami Moussa dans l’Ouarsenis occidental, école à une seule classe, considérée comme l’une des plus déshéritées d’Algérie. C’était un de ces postes « en tribu » créés par le Gouverneur Jonnart en 1912, se résumant à une construction en terre séchée et en pierres sans ciment avec un revêtement en crépi. Le village était si pauvre qu’il lui arrivait parfois de ne pas manger à midi. Lorsqu’il voulait libérer les enfants à la fin de la matinée, ils répondaient : « Et pour quoi faire, monsieur, il n’y a rien à manger à la maison, si vous le voulez, on reste ici pour nous chauffer ».

En janvier 1928, il obtint sa mutation pour le douar Dilia, près de Prévost-Paradol dans les monts de Frenda en Oranie. L’école à classe unique, ouverte uniquement aux garçons, comptait quarante-cinq élèves. Ils apprenaient à lire, écrire, compter, mais impossible de les mener au certificat d’études. Il y resta jusqu’en 1932.

En octobre, Kaddir koubzy fut nommé à Belhadri. C’était une école indigène splendide, construite pour le Centenaire, que l’on faisait visiter aux personnalités de passage, à dix-sept kilomètres à l’Est de Mostaganem, sur la commune d’Aïn Tédeles, pays de viticulture. Un viticulteur juif, Moncenégo, avait donné le terrain où construire l’école. Le jeudi et le dimanche, il allait à Mostaganem, Belhadri étant sur la voie ferrée Mostaganem-Relizane. Il militait alors à la CGTU ; il avait adhéré depuis plusieurs années, mais militer en tribu avait été impossible.

Nommé en octobre 1933 à Bordj-Bou-Arréridj, à soixante kilomètres de Sétif, il se fit remarquer par son activisme syndical, et Ignace Labella secrétaire du syndicat du bâtiment pour le département de Constantine qui l’avait rencontré dans le milieu des cheminots, le convainquit au printemps 1934 d’adhérer au Parti communiste. Tout en restant dans l’enseignement des indigènes, il venait d’obtenir la citoyenneté française et pouvait prendre la parole en toute sécurité. Il créa alors la cellule de Bordj-Bou-Arreridj avec des cheminots et un postier ; il était en correspondance avec l’instituteur Estorges à Constantine.

La cellule ne commença à prendre de l’importance qu’après les élections de 1936. Ignace Labella est candidat dans la circonscription ainsi qu’aux cantonales de 1937. Non seulement Kaddour Khobzi s’active dans les comités de Front populaire mais plus encore en faveur du Congrès musulman en 1936 et 1937. En avril 1937, il anime la grève de la fabrique de pâtes alimentaires « Essia », une entreprise d’environ 300 personnes, plus de femmes que d’hommes car ils produisaient aussi le couscous qui était roulé à la main. Cette grève se prolonge près de six mois en recevant l’appui du colon Gaston Leu qui est aussi minotier. Il est conseiller général, radical-socialiste, membre du Front populaire.

À l’automne 1937, Kaddour Khobzi fut candidat du Parti communiste dans une circonscription indigène, contre Ferhat Abbas et contre un allié des Tamzali, grande famille de bourgeoisie kabyle. Il devint membre suppléant du comité central du PCA. Il fut délégué au Congrès d’Arles du PC en décembre 1937, où il travailla à la commission scolaire.

Il se maria en juillet 1939 avec une Française, comme ses deux frères. À la rentrée d’octobre 1939, il fut muté disciplinairement à Tébessa, dans le Sud-Constantinois, l’inspecteur d’Académie ayant cédé aux pressions de la mairie de Bordj-Bou-Arréridj. Placé en résidence surveillée en juillet 1940 à Bou Saada dans le Sud-Algérois, sil fut révoqué en novembre 1940. Dès décembre il se retrouva parmi les militants clandestins regroupés autour d’Ahmed Smaïli. Travaillant chez l’affairiste Tiar qui avait monté une entreprise defabrication de l’ersatz de café, il participait à la distribution de tracts ronéotés qui, avec la tentative de sabotage d’un navire italien, constitua la seule activité d’un groupe trop surveillé par la police.

Après le débarquement allié du 8 novembre 1942, il fut chargé avec Planès et un autre camarade cheminot, (Jacques Bentolila ?), de relancer l’activité du PCA sur Alger. Responsable à la propagande, il imposa que dans les manifestations, les mots d’ordre sur les pancartes ou les calicots soient systématiquement repris en arabe. Très lié au député communiste André Mercier, qui arrivait de Londres à Alger avec de Gaulle, il l’initia aux spécificités algériennes.

À l’automne 1944, Amar Ouzegane l’associa au lancement du mouvement des Amis de la démocratie, pour donner corps, en réplique aux Amis du manifeste derrière F. Abbas et Messali, à une idée formulée à la fois par le député communiste français Etienne Fajon et par le cabinet du gouverneur socialiste Chataigneau. Si Hamza Boubekeur*, docteur en médecine, employé un temps par la Direction des Affaires indigènes, franc-maçon et à l’époque proche du Parti communiste, participait également à cette opération conçue à l’origine pour rassembler Européens, Juifs et Musulmans contre les AML sur le programme d’assimilation de l’Algérie à la France qui était naguère celui de Ferhat Abbas. Les AML montaient en puissance, recrutant quasi exclusivement parmi les Musulmans. Pour les communistes réapparut la hantise d’un parti musulman. Si Hamza Boubekeur démissionna et se rapprocha ostensiblement de la SFIO. Après un lancement bénéficiant au départ de l’esprit de Front populaire, l’association des Amis de la démocratie ne réussit pas à se développer.

Le 10 mai 1945, Kaddour Khobzi partit pour Sétif enquêter pour le PCA sur les événements du 8 Mai. Il rassembla des informations de première main et demeura jusqu’au 12 chez son frère, puis l’insécurité en ville s’accroissant pour un musulman, s’en retourna. Incapable de mettre par écrit des informations aussi contraires à la ligne du Parti, il refusa de remettre son rapport. Dès lors, sa situation au PCA se dégrada, sans qu’il eut à craindre l’exclusion car il avait la protection d’André Marty, le représentant de Moscou et du PCF, qui avait toujours apprécié son franc-parler ; il était d’ailleurs appelé entre camarades, le « Marty algérien » ?

À Alger, Kaddour Khobzi fu rattaché à la cellule Docteur Trollard (section Agha-Université) qui portait le nom d’un Juif mort pour la Résistance. Il côtoya Aïcha Alleg qui en fut exclue. Simone Masson en faisait également partie, elle aussi appuyée par André Marty, en prenant la direction de Tourisme et Travail en Algérie dont Kaddour Khobzi était le secrétaire.

Dès 1946, la cellule s’opposa à la politique du Parti sur la Palestine. Le mouvement communiste soviétique soutint la création d’un État Juif en pensant qu’il deviendrait inéluctablement communiste. En 1947, la cellule se prononça contre la création d’un État d’Israël qui s’annonçait, et Kaddour Khobzi intervint en ce sens lors du Congrès du PCA. Venu de Paris pour l’occasion, André Marty acquiesça et se contenta de déplorer qu’une fois de plus le PCA soit incapable de refléter l’opinion réelle des Musulmans. En 1948, la cellule fut dissoute. Traduit en juillet 1949 devant une commission du PCA composée uniquement de responsables et de militants musulmans qui lui demandait de faire son autocritique, Kaddour Khobzi s’y refusa, d’autant plus que deux jours plus tard il quittait l’Algérie pour la France.

Il fut affecté surs un poste d’instituteur à Champigny-sur-Marne et obtint du PCA sa mutation d’adhérent pour Paris. La cellule du PCF de Champigny fit suivre sa carte à la Fédération de Paris, mais la cellule de Nation où il demandait à s’inscrire refusa, à la demande de Léon Feix, responsable de l’Afrique du Nord, et dont la femme, Viviane Halimi, originaire de Tébessa dans le Sud-Constantinois, assurait le contact avec le BP du PCA. Kaddour Khobzi n’en continua pas moins à soutenir la cause algérienne, en dehors du PCF. Il fut délégué et intervenant au congrès du SNI à Bordeaux en juillet 1955.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157546, notice KHOBZI Kaddour [Dictionnaire Algérie] par Jean-Louis Planche, version mise en ligne le 16 mars 2014, dernière modification le 6 juin 2021.

Par Jean-Louis Planche

SOURCES : Arch. Nat. F7/13130 et Arch. d’Outre-Mer, 9 H 42. — Arch. du Komintern, RGASPI 517 1 1888. — Entretiens de J.-L. Planche avec Kaddour Khobzi, Paris, 1989-1991. — J.-L. Planche, Sétif 1945. Histoire d’un massacre annoncé, Perrin, Paris, 2006. — Note de Jacques Girault à partir de la presse syndicale.

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