Par Claude Liscia
Né le 8 septembre 1910 au Vésinet (Seine-et-Oise), mort le 22 janvier 1994 à Paris (XVIe arr.) ; acteur, metteur en scène, directeur de théâtres.
Le père de Jean-Louis Barrault, un pharmacien, mourut en 1918 d’un typhus contracté à la guerre. L’enfant fut élevé dans la famille maternelle. Après le baccalauréat, il se destinait aux mathématiques lorsque son grand-père, un petit commerçant, lui coupa les vivres pour l’inciter à entrer dans la vie professionnelle. Il bifurqua alors vers le théâtre dont ses parents lui avaient inculqué le goût.
En 1931, Jean-Louis Barrault contacta Charles Dullin qui dirigeait le théâtre de l’Atelier ; il fut admis gratuitement dans son école. Il y rencontra Étienne Decroux qui le forma au mime et lui transmit une sensibilité au « langage du corps » - titre d’un de ses derniers spectacles. Dès septembre 1931, il tint son premier rôle dans Volpone ; et en juin 1935, il présentait sa première mise en scène, Autour d’une mère d’après Faulkner. Ce spectacle gestuel enthousiasma Antonin Artaud qui y perçut une illustration de son théâtre de la cruauté - se noua dès lors une vraie amitié entre eux. Il incita également le réalisateur Marc Allégret à engager l’acteur dans son prochain film ; ce fut le début d’une carrière cinématographique dont le rôle le plus marquant sera en 1944 l’incarnation du mime Deburau dans Les Enfants du Paradis.
Ayant acquis une certaine célébrité, Jean-Louis Barrault se sépara de Charles Dullin. Il se mit à fréquenter à Saint-Germain-des-Près les surréalistes en rupture avec André Breton, il assista à des réunions trotskistes avec l’un d’eux, Robert Desnos. Il collabora avec Jacques Prévert, fondateur du groupe Octobre, troupe de théâtre ouvrier, marxiste, en montant Le Tableau des merveilles de Cervantès, adapté par le poète. Repris durant le Front populaire par un autre metteur en scène, le spectacle fut représenté à la mairie de Montreuil, dans les grands magasins du Louvre, au dépôt de la Samaritaine occupé. Au printemps 1937, Jean-Louis Barrault présenta au Théâtre Antoine Numance de Cervantès dans les décors du peintre André Masson. Relatant la résistance à l’envahisseur romain d’une petite cité castillane, la pièce eut d’autant plus d’écho que survint au début des représentations le bombardement de Guernica, qui devait inspirer Pablo Picasso. Paul Claudel fut conquis par le drame, par « la stylisation de la mise en scène et des gestes » dira-t-il. Ce fut le début d’une collaboration des plus fructueuses entre le jeune metteur en scène et l’écrivain âgé de près de soixante-dix ans.
En août 1940, Jean-Louis Barrault fut engagé à la Comédie-Française. Il y incarna notamment Hamlet, Rodrigue dans Le Cid ; il y monta Phèdre de Racine, Le Soulier de satin de Claudel. Il se maria avec Madeleine Renaud le 5 septembre 1940 à Boulogne-Billancourt. En 1946, il renonça à la Comédie-Française pour fonder avec son épouse, la compagnie Renaud-Barrault, qui s’installa au Théâtre Marigny durant dix ans. En 1959, il fut appelé par le ministre de la culture, André Malraux, à la direction de l’Odéon-Théâtre de France. Il l’inaugura avec Tête d’or de Claudel en présence du Général de Gaulle. Il programma Anouilh, Ionesco, Pichette, Marguerite Duras, Beckett. En 1965, il fut chargé d’abriter le Théâtre des nations ; il y invita Jerzy Grotowski, le Berliner Ensemble, Peter Brook, Giorgio Strelher, le Living Theater...
Un premier scandale politique éclata en avril 1966 avec la création des Paravents de Jean Genet, monté par Roger Blin avec Jean-Louis Barrault dans le rôle de Si Slimane. Le metteur en scène avait signé le Manifeste des 121 qui appelait à l’insoumission en pleine guerre d’Algérie, et la pièce campait dans le langage cru propre à l’écrivain une âpre confrontation entre villageois algériens et autorités françaises. Aussi les forces d’extrême droite, anciens d’Algérie, militants du groupe Occident, se mobilisèrent-elles, achetant des places pour chaque soir lancer des bombes incendiaires, des rats, des sacs de plâtre. Bien que des membres de la troupe fussent blessés, les représentations se poursuivirent. Le 4 mai, l’association des anciens combattants d’Indochine et d’Algérie appelant à un rassemblement devant le théâtre, le Syndicat des acteurs et l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) assurèrent le service d’ordre du théâtre. Au Parlement, le député Christian Bonnet demanda la réduction de la subvention accordée à un théâtre qui s’en prenait, disait-il, à l’armée française. André Malraux répondit en plaidant la cause de la liberté, et le Théâtre de l’Odéon ne fut pas pénalisé.
La rupture avec le pouvoir intervint à la suite des événements de mai 1968. En effet, le 15 mai Jean-Jacques Lebel, le promoteur en France du happening à l’américaine, incita l’UNEF à occuper le Théâtre de l’Odéon. Chahuté, décrié par les étudiants, Jean-Louis Barrault engagea néanmoins le dialogue. Au fil des jours, la situation se détériora : des groupes incontrôlés, des drogués, des mercenaires surnommés « les Katangais » pénétrèrent par effraction dans les magasins des accessoires, des armes, des costumes, commirent des vols, saccagèrent des centaines de costumes. L’évacuation s’effectua sans heurt le 14 juin. En août, le directeur du Théâtre de l’Odéon était suspendu de ses fonctions par André Malraux : ayant reçu l’ordre le 22 mai de couper l’électricité et le téléphone, il avait refusé en arguant du risque d’incendie qu’encouraient des milliers de personnes prises au dépourvu.
Bénéficiant alors d’une solidarité internationale, la compagnie Renaud-Barrault entreprit de nombreuses tournées à l’étranger. Dès décembre 1968, Jean-Louis Barrault créa Rabelais dans la salle de catch de l’Elysée-Montmartre ; il y créa encore Jarry avant de s’installer en 1972 à la gare d’Orsay, représentant d’abord sous un chapiteau. Il termina sa carrière en dirigeant, de 1981 à 1991, le Théâtre du Rond-Point.
Par Claude Liscia
SOURCES : Jean-Louis Barrault, Saisir le présent, éd. Robert Laffont, Paris 1984. — Paul-Louis Mignon, Jean-Louis Barrault. Le théâtre total. Éd. du Rocher, Monaco, 1999. — Gérard Bonal, Les Renaud-Barrault, éd. du Seuil, 2000. — Jean Genet, Lettres à Roger Blin, éd. Gallimard, 1990.— Etat civil.